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[RP] Hostel de Clisson ou l'Antre parisien du Phénix

--Joan



Sis à la rue du Chaume, l'hostel de Clisson semblait avoir recouvré une absolue sérénité. Depuis le départ de l'ancien Grand Chambellan à la guerre, le lieu avait peu à peu sombré dans l'inactivité, la vie n'y apparaissait que par intermittence, en apparence du moins. Ainsi fallait-il se lever aux aurores, alors que quelques commis se succédaient, ou jouir d'un facteur sympathie certain auprès de Dame Fortune. Une fois le mois, en début d'après-midi, quelques gros bras roulaient des tonneaux jusqu'aux caves de la demeure. Une fois la huitaine, une dizaine de serviteurs s'en allaient au marché, pourvoir aux réserves pourtant abondantes de cette petite place-forte du Marais. Le regard le plus inquisiteur qui fut ne pouvait se douter que la résidence fourmillait d'activités. Car à lui se dérobaient les rencontres discrètes, les confidences arrachées au fond d'un des verre, que le Seigneur se faisait livrer de Venise, ou dans les plis d'une bourse bien pleine...

Sans en avoir l'apparence, l'Hostel était devenu un appendice à travers lequel, le Pair de France gardait un oeil et une oreille dans l'enfer parisien. Apanage du puissant ou prudence excessive. De fait, un feudataire occupant de hautes charges se devait d'en savoir le plus possible, là où on ne se doutait pas le moins du monde que ce fut possible. La rumeur avait pris des allures de fond de commerce, elle était explorée dans les bouges, dans les bas-fonds de la tentaculaire capitale du Royaume, puis vérifiée dans les recoins du Louvre, jusque dans la salle du trône, dans les ambassades, certains Grands Offices. Sur le front poitevin, le Vicomte du Tournel recevait par ces biais détournés un nombre considérables d'informations. Certaines anecdotiques, d'autres beaucoup plus intéressantes, qui, mises ensemble, constituait un petit horizon. Un horizon que le Languedocien retrouverait un jour prochain. Alors, il ne serait point pris au dépourvu, il aurait un jeu fort bien fourni et n'aurait plus qu'à abattre ses cartes les unes après les autres.

Au coeur de cette toile, un renard aux milles fourrures. Un homme, un intendant, un comptable, un acheteur, un vendeur, un informateur, un limier, un serviteur, un garde, un coureur de jupon, un messager, un page... Un fidèle parmi les fidèles. Un de ses êtres insaisissable dont le service n'avait aucun prix pour un feudataire qui se respectait. Le "Rusé", ainsi que le surnommait son maître, veillait aux intérêts de ce dernier dans la discrétion la plus absolue. Sous ces multiples masques, un visage émacié mais non point disgracieux. Un regard sombre, vif, rapace. Un nez aquilin. Un bouche dessinée par de fines lèvres. Un menton marqué, des joues glabres. Une silhouette longiligne. Une allure austère, voire sévère. Trait accentué par ses sourcils fournis et naturellement froncés et une chevelure, rappelant par sa teinte les châtaignes cévénoles, coupée court. Une apparence qui n'était pas sans évoquer un de ses illustres sénateurs de la Rome antique, un de ces tribuns s'enflammant devant la plèbe ou encore l'un de ses philosophes stoïcien dispensant sa sagesse à quelques fils de fortunés patriciens.

Son père l'avait nommé Joan, comme l'avait fait son propre père avant lui... Le jeune Tournelois n'avait pas échappé à cette tradition encore persistante parmi les familles de paysans, dont les troupeaux paissaient sur les flancs du Mont Lozère. Lointaine semblaient ses origines, dont il avait gardé l'accent gévaudanais. Cela ne l'empêchait pas de s'exprimer dans un oïl parfaitement léché. De même, s'était-il aventuré à apprendre quelques rudiments d'anglois ou de germain. Mais ce fut bien en oïl qu'il s'exprima de sa voix rauque.


Les ordres sont arrivés. Prenez ces parchemins, ajouta-t-il un doigt tendu vers une montagne d'affiches. Partez sur les routes de France et répandez-la nouvelle dans les villages et les villes et surtout revenez-moi avec des intrépides !

Quelques hochements de tête, quelques "oui", quelques "oc", puis la petite assemblée se dispersa, trop consciente qu'à travers cette voix, c'était bel et bien le Seigneur qui s'exprimait. Ainsi s'engagea le jeune Joan dans une nouvelle aventure. Peut-être, la perspective d'endosser une nouvelle fourrure expliqua-t-elle le sourire étrange qui naquit sur les lèvres du "Rusé"...
Quiou
Nostre-Dame, Divin établissement à l’âme irrévocablement inviolée, chef-d’œuvre même d’un culte aristotélicien aux origines fondées, recevait ce jour la Deswaard, pieuse de son état, qui s’était présentement agenouillée en un prie-Dieu au sein d’une Chapelle chamarrée, s’attardant ainsi, mains doctement jointes, à prier, voir même se repentir de ses quelques innombrables péchés. Le Credo, savamment murmurait en un souffle désœuvré, se voyait réciter pour la énième fois, en compagnie de quelques prières à Sainte Illinda, alors même que les offices de Tierce n’avaient nullement commencé.

Etrange scène pour qui connait la Terreur invétérée, bien qu’en vérité, il ne s’agisse assurément pas d’une nouveauté pour cet être à la foi pourtant bien ancrée. Ainsi, alors qu’elle se redresse, mine toujours aussi vide de la moindre allégresse, elle fait signe à sa Damoiselle de Compagnie de bien vouloir daigner continuer à l’accompagner, tandis que de la dextre, elle s’en va, non sans adresse, réajuster sa sombre pelisse à la fourrure obombrée qui ceint admirablement bien ses atours d’une noirceur sans détour.

La nef est prestement remontée, le parvis est rapidement dévalé, l’air libre est enfin à portée.

Et, alors que les lugubres effluves d’un Paris mal lotis s’en vont chatouiller le nez délicat d’une Misanthrope sans éclat à nouveau en escale en cette cité pour tenter d’égayer un tant soit peu ses journées, un crieur publique, qu’il soit aviné ou en livrée, loyal ou même royal, s’attarde à s’égosiller en la place encombrée d’une populace peu ardente, irréfutablement décadente.

Le contenu des propos élancés aurait alors pu être négligemment perçu par la Noldor, tel un bruit de plus en cette cohue, s’il n’avait été si intelligemment empli d’une teneur des plus sibyllines à souhait, de quoi éveiller l’attention toute captivée de l’Acariâtre controversée.

Un bref regard circulaire pour mieux rechercher la voix étrangère, alors que le garde attitré à la jeune Wolback aide présentement cette juvénile Montfort-Laval, dans un calme résolu, à s’installer sur la monture qui lui est dévolue.


Amenez le moi.

La suzeraine de toute cette petite assemblée avait parlé, ordonné. Il en serait donc fait au mieux pour satisfaire sa funeste lubie, répondre à sa nouvelle envie. Ainsi, en docile page émérite, Galéran le bien nommé s’en alla inviter ledit crieur à se présenter officiellement à la Vicomtesse qui, de son côté, s’était également juchée en un destrier à la robe d’une couleur aussi flamboyante que son propre cœur : sinistrement noire, lugubrement ombragée.

L’homme arrive, habile, fragile, trapu, fourbu. Le couvre-chef est retiré en une brève inclinaison. C’est dire que l’envoyé du Pair de France, fort de sa valeur, orgueilleux à ses heures malgré la tâche qui lui incombe en cette journée, n’est plus de ceux qui saluent avec grande obséquiosité.


Ma Dame… ?

L'étalon vicomtal, passablement énervé, s’était quelque peu agité, ce qui lui valu le droit de voir se resserrer l’étau du mors sur sa bouche épuisée.

Il vous est mandé, jeune homme, de nous conduire prestement jusqu’à votre maitre, ou, par défaut, jusqu’à celui qui vous supplante de par son autorité.

Sans plus émettre la moindre intonation, sans même connaitre la destination et encore moins l’individu se cachant derrière toutes ces machinations, la Teigneuse met sa monture au pas, invitant ainsi le crieur à prendre la tête du maigre convoi.

Quelques minutes s’enchainent, quelques instants s’égrènent pour mieux voir arriver, face à l’Hotel de Clisson, l’escorte dirigée par une Revêche vide de toute émotion.

Une rencontre avec le Phénix, ou du moins, l’un de ses dévoués préposés, venait de s’amorcer. Si elle l’avait sue, assurément que la Deswaard se serait attardée à déclamer un virulent « Vérole » de circonstance dont elle raffole.

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--Joan
Les flammes dansaient dans l'âtre autour de quelques parchemins déjà noircis par le brasier. Spectateur figé de cet autodafé improvisé, le "Rusé" songeait aux contrariétés assurées qui bientôt ne seraient plus que cendres. Il ne connaissait que trop son maître et savait pertinemment que mieux valait lui épargnait les dernières nouvelles de cet office dont il avait eu la charge durant quelques mois. Car à la seule évocation de son successeur, choisi par amitié ou par complaisance et en dépit de la juste loi des compétences, le Vicomte devenait amer. Si le Seigneur n'avait eu que rarement la rancune pour compagne, la mort de son épouse avait brisé les clôtures. Le troupeau des mauvais sentiments, longtemps adoucis par la sérénité d'un ménage heureux, s'étaient enfuis et vomissaient leur aigreur dans les plaies d'un coeur irrémédiablement meurtri. Un sujet en particulier cristallisait son ressenti: la nomination du Grand Chambellan. Là-dessus, le Phénix ne pardonnait rien et se murait dans une colère latente qui l'amenait à épouser des propos virulents et la plus crasse des mauvaises fois.

Au fait de la fameuse théorie des humeurs, le brave Tournelois à tout faire veillait à ne pas mettre en péril l'équilibre fragile de celles du Pair par un afflux de bile jaune, à plus forte raison que ce dernier se trouvait sur le front d'une guerre. Brûlant ces informations, Joan courait le risque de subir une véritable tempête de colère. Mais le réfléchi jeune homme avait estimé que ce risque valait bien mieux que de détourner la concentration d'un guerrier par des nouvelles contrariantes. Avec la satisfaction de l'éminence grise, il contemplait le foyer, la mine impavide, les bras croisés sur sa poitrine.

Ce fut précisément dans cette posture que le trouva un serviteur de la maisonnée. De la visite... Les yeux du sec garçon se fermèrent, sa tête décrivit un indolent arc de cercle, puis un autre. Un tic ou plutôt la seule trace visible qui trahissait chez lui une vive excitation. Sans plus attendre, ses paupières se relevèrent, ses bras libérèrent sa poitrine et lui quitta son cabinet. Il traversa les méandres sobrement décorés de l'hostel jusqu'à déboucher sur l'entrée qui donnait sur la cour intérieur. Les grilles s'ouvrirent bientôt. Le jeune blondinet, palefrenier de son état, semblait prêt.

Une escorte apparut et brillante au sein de celle-ci une dame de haut rang. Etre attentif au moindre signe, apprendre de ceux-ci, en extraire l'attitude à adopter, l'accueil à réserver et ... agir à l'inverse du bon sens. Il avait reconnu parmi le petit groupe l'un de ses envoyés et connaissait donc la raison de cette arrivée. Les consignes étaient claires et sa conscience intrépide: une mise à l'épreuve immédiate. Bousculer, faire apparaître le caractère par une attitude sortant de l'ordinaire. Peu importait la branche fleurie, seul comptait la souche au coeur de laquelle se trouvaient les âmes guerrières. Ainsi donc, sans se dissimuler le moins du monde, le "Rusé" se détourna sans un mot et pénétra à nouveau dans l'édifice. Après tout, rien ne disait encore qu'il avait été discourtois, il avait très bien pu n'être qu'un vile serviteur bien vêtu, qui, voyant arriver une dame de haut rang s'était empressé d'aller prévenir son maître.

Il ne fut pas, en tous les cas, celui qui souhaita la bienvenue aux membres de cette escorte. Rôle dévolu pour l'occasion au blond palefrenier, pas du tout au fait des projets de son maître et donc parfaitement affable et révérencieux comme il se devait de l'être en tout temps avec les visiteurs. Tandis que le palefrenier officiait, Joan, lui s'était déjà installé dans le premier salon. Dans son sillage, il avait placé un serviteur. Celui-ci se tenait dans l'antichambre, prêt à ouvrir la grande porte lorsque les pavés sonneraient l'imminente approche. Une mise en scène un peu étrange, mais soignée.
Alwenna
Damoiselle de Compagnie de Quiou Deswaard ? Présente !

Elle avait accompagné Sa Sombritude en Paris, ville peu appréciée de l'enfant, à vrai dire. Elle ne savait ni où elles allaient, qui elles devaient rencontrer, ou ce qu'elles allaient faire. Heureusement, cela ne l'inquiétait guère, car le généreux présent de Yolande Isabel, Titi Pierre, les accompagnait. Alors que la petite assemblée se dirigeait vers des chevaux, Alwenna commença à se triturer les doigts, nerveuse, sa phobie des étalons n'arrangeant pas la situation. Les grandes bêtes étaient désormais proches, et l'homme aida la fillette à monter sur le dos d'un d'eux, le plus rassurant, d'après la Wolback. Un gémissement ne put être retenu, les mains gantées de blanc touchaient à peine la fourrure claire, contrairement aux jambes qui s’agrippaient nerveusement où elles pouvaient, et les pieds s'enfonçaient de manière exagérée dans les étriers.

Un bref sourire adressé au garde du corps, et après avoir planté son regard droit devant elle, avoir expiré longuement, retenu un "C'est quand qu'on arrive ?", et s'être persuadée que la situation était totalement gérée, Lys se mit à caresser du bout des doigts son ruban noir, cette fois noué autours de son poignet, et chantonna à voix basse une chanson bretonne, distraitement. Et alors, l'escorte commença à se mettre en route.

Une fois arrivés, les femmes déscendirent pour se mettre à pieds, ce qui ne le cachons pas soulagea la fillette. Un regard adressé à Quiou, elle se dirigea vers elle, et les mains croisées derrière le dos se balança d'avant en arrière l'air de dire "Et maintenant ?"

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Talent + Classe = DTC
Quiou
« Et maintenant ? »
Il est temps pour la Deswaard, animal pernicieux, parfois même tout bonnement scandaleux, de prendre pied, de s’ancrer, comme en terrain conquis, en la propriété aboutie de l’hôte très certainement assujetti à de grandes fonctions pour être ainsi logé en un presque fort au beau milieu du tout Paris et de son pandémonium décati.

Les glaciales prunelles, seules lueurs désœuvrées en cette masse de noirceur invétérée, s’attardent à guetter, jauger, toiser, inspecter. C’est que, comme le montraient ses airs continuellement sévères et fermés, elle n’était nullement donzelle insouciante et mijaurée, et préférait à cela prendre connaissance du guêpier dans lequel elle venait peut être de se fourrer.
Bref sourire en coin de son cru.

La juvénile Wolback de Montfort-Laval, aussi agaçante que d’accoutumée, aussi affligeante que désespérée, semblait vouloir s’enquérir de la situation, tandis qu’avec beaucoup de preuve d’attention, le palefrenier, qui les avait précédemment saluées, les invitait désormais à entrer.
En un geste dépourvu de la moindre affection, une main gantée de la Noldor controversée s’en va pincer avec une grande aptitude, comme elle en a l’heureuse habitude, une joue bien en chair de la petite étrangère avant que la Teigneuse ne daigne enfin suivre le faquin qui lui serre de guide depuis la place de l’église, abandonnant là uniquement le garde attribué à la jeune Inaltérée.

Ainsi doctement cernée par Galéran le bien nommé d’un côté, la Damoiselle de Compagnie de l’autre, elle avance en ces couloirs dénotant un luxe épuré à la simplicité touchante, aux richesses cachées, à la froideur détonante et appréciée.

Seuls retentissent les pas en les sols de la bâtisse réputée, seuls claquent les fourreaux des épées sur les cuisses des bras armés, et la Vicomtesse, dans cette infime immensité, reste imperturbable, éternellement et irrévocablement flegmatique à souhait.

Son esprit, bien trop complexe pour être jamais compris et encore moins affaibli, ne tend pour le moment que vers l’identité de cet individu mystérieux mais nullement qualifié d’astucieux.
Inébranlable, la Sombre poursuit son chemin, laissant ses pensées vagabonder bien plus loin que les lieux traversés. Des hypothèses sont soulevées, analysées, des scénarios se créent en son esprit, la vraisemblance y a parfois sa place, prend possession de l’espace, mais souvent, son imagination fertile, trop habile, l’emmène ailleurs. Un autre monde, fatalement sanglant. Tout est rejeté. Elle conclut en préférant ne rien envisager, laissant la vérité venir par soi-même. Ne pas s’aveugler par de fausses déductions, de véritables allégations, en somme.

Résonne alors ces mots, ces maux précédemment déclamés en cette place sise non loin de la mainmise de Nostre-Dame, la très chère église : « …Le Phénix lance cet appel dans l’espoir d’entrainer sous son aile les plus intrépides au champ de gloire. »

S’ouvre au même moment, comme en un manège savamment orchestré, la porte d’une antichambre donnant sur un salon agréablement meublé.
Un homme. Seul. Nullement le maître préalablement souhaité, au vu de sa mise peu raffinée.


Le phrasé de l’invitation ne manquait certes pas d’émotion, cependant n’y trouvait-on nulle trace d’une quelconque miette de poésie et de ses joyeusetés tant aimée par les damoiselles aguerries. Vous y perdez en persuasion.

Le page, blême d’avoir été devancé par sa maîtresse, rougissant de ne savoir qu’effectuer pour se rattraper, se voyait malgré tout contraint de la présenter, elle-même n’aimant nullement s’y atteler. Ainsi, il poursuivit, pour le moins embarrassé.

Quiou Deswaard de Noldor, Vicomtesse de Maldeghem la Loyale et accessoirement Dame de Beselare la Dévouée, vous salue…Sire, et mande à ce que lui soit présentée une personne apte à l’aiguillonner afin qu’elle puisse rencontrer le maître de cette mesnie.
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--Joan
La phrase assenée comme un coup de bâton laissa le "Rusé" de marbre. Il n'en laissa rien paraître, mais cette entrée en matière le réjouissait au plus haut point. Il leva sa longiligne silhouette qui bientôt se brisa en une courtoise révérence. Révérence qui revêtait en l'occurrence la symbolique d'un salut de guerrier avant d'entrer en lice. Car, selon toute vraisemblance, il s'agirait bien d'un duel à couteaux tirés.

La guerre est une forme de poésie qui se suffit à elle-même, selon Sa Seigneurie. Le guerrier est un artiste, l'épée sa plume, le sang son encre, l'adversaire son parchemin et la survie sa muse. Un léger sourire vint éclairer ce faciès de marbre. Je vous souhaite la bienvenue et me présente: Joan, chambellan de la maison d'Euphor, Las ! Mon maître exerce son art sur le front poitevin.

S'il vous plaît de prendre place, ajouta-t-il un bras gracieusement tendu vers les confortables faudesteuils, rappelant les sièges curules de la Rome antique. Quoi de plus logique pour un homme à l'allure à ce point sénatorial ? Ce sera un honneur pour moi que de vous renseigner au mieux. Opter pour une position de dominé, voilà la première posture adoptée. Laisser venir, écouter, sonder et se montrer affable sans vraiment l'être pour mieux préparer la suite. Surtout ne pas s'embarrasser de questions inutiles: à quoi bon par exemple évoquer l'objet d'une venue qu'il avait deviné ?

Dès lors que les places furent occupées, un serviteur vint s'enquérir des désirs de cette petite assemblée. Le chambellan ne prit rien. Il attendit que les "commandes" fussent passées, puis osa très complaisamment.

Je vous écoute.

Plus que complaisants, les trois mots poussaient presque jusqu'à la suffisance. Non pas dans le ton, courtois au demeurant, mais par les circonstances qui plaçaient ce roturier en interlocuteur privilégié d'une noble dame quasiment d'égal à égal. Détail sans doute pour une majorité de personnes, cette position pouvait titiller l'orgueil et c'était bien là le but de cette mise en scène improvisée avec malice.
Quiou
L’homme – Joan, au demeurant – s’incline prestement, non sans une certaine aptitude, fruit, surement, d’une profonde habitude. Adoncques, pour tout signe de réciprocité, la Terreur invétérée hoche brièvement la tête comme pour lui signifier qu’elle a bien pris en compte les saluts octroyés.

Il répond à sa diatribe avec beaucoup trop de finesse, beaucoup trop d’adresse pour n’être qu’un avide gueux décérébré aux usages désarticulés. D’autant plus que pour arriver à la position qui lui seyait présentement, assurément avait-il du faire montre d’une indéniable efficacité, d’une incommensurable objectivité.
Ainsi donc pouvait-on en arriver à cette conclusion : cet individu, sans être le parangon même du danger, semblait peser en la balance des hauts gradés.

L’entrevue promettait, à cette pensée, d’être plus intéressante, plus enrichissante que la Deswaard n’avait pu l’espérer, malgré la fortuite absence du maître recherché, de Sa Seigneurie présentement partie guerroyer.

Car le Phénix, futile et arrogant volatile, semblait s’être attardé en d’autres lieux, en d’autres cieux, couvant, très certainement, avec grande attention le nid douillet de ses intérêts et autres machinations.


La survie…Sa muse ? J’y aurai plutôt placé le triomphe pur et simple doctement décroché en une mémorable bataille rangée.

Un bref raclement de gorge s’en va ponctuer les propos déclamés par la Teigneuse controversée, car il est aisément important de savoir se jouer des silences et autres joyeusetés. Ainsi, prenant place comme il le lui a été proposé, veillant à ne nullement s’installer avec trop de familiarité, roide comme à l’accoutumée, la Noldor aguerrie, sans de réelles efforts, se lance dans la suite de ce qui se doit d’être dit.

Mais faisons fi de la poésie, je doute fortement que Sa Seigneurie apprécie de voir ses rangs peuplés desdites donzelles dépravées, à moins que ces mœurs ne l'invitent délibérément à s'entourer de la sorte.

Un serviteur s’en alla quérir les souhaits des nouveaux invités, ce qui lui valu d’être prestement renvoyé d’où il venait d’un bref balayage de la main d’une Misanthrope foncièrement agacée mais à l’allure toujours emplie d’une irrévocable touche de neutralité. C’est qu’elle a autre chose à régler que ses besoins en boissons avinées.
Et, tandis que les carnassières prunelles se repaissent férocement de leurs homologues désœuvrés, la dextre deswaardienne, accessoirement gantée, déplisse succinctement les quelques plis désemparés figurant sur le devant de la houppelande obombrée.


Je n’ai pour coutume de m’entretenir sciemment avec le serviteur avisé d’un Seigneur qu’il m’est agréable de vouloir rencontrer. Dès lors tacherez-vous de lui spécifier très clairement que je ne suis pas nécessairement là pour la généreuse offre de recrutement étant donné que je puis avoir d’autres chats à fouetter, comme on s’amuse très complaisamment à le déclamer en votre jargon.

Elle s’attarde à lui souligner savamment la bassesse de sa condition, sans émotion.

Vous ferez dès lors parvenir à Sa Seigneurie les marques de ma plus profonde…amitié.
J’ai dit.


Et, s’il lui est possible de s’enliser consciemment en le guêpier du loup damné, elle le fait avec grande classe, il faut le lui concéder.
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--Joan
Le "Rusé" ne cilla pas, il n'oscilla pas plus de trajectoire. Obstiné ? Aussi farouchement que les gens du Gévaudan. Mais plus que la persévérance, il s'agissait là d'éviter un entretien trop bref pour être efficace. Et cet objectif lui importait bien plus que des possibles, ou plutôt assurées selon les premiers échanges, réactions hostiles. Il esquiva les propos somme toute légitimes de la flamande vicomtesse et se fit plus précis.

Je lui ferai parvenir vos amitiés, elles s'ajouteront parmi d'autres. Tel était effectivement le cas. "Sa Seigneurie est au front, oh, grand dieu. Transmettez-lui nos amitiés", phrase banale, lancée à l'emporte-pièce par des personnes que la guerre n'effleurait même pas. Néanmoins, en toute honnêteté, je doute que ces marques ne laissent d'empreintes profondes dans un esprit tout entier au combat.

Ses mains se croisèrent. Son regard jusqu'alors caressant scintilla d'une lueur de vivacité. Dame, si je puis comprendre qu'il soit pénible de s'entretenir avec un simple roturier, je ne puis concevoir que vous soyez venue jusqu'ici pour être perçue comme tant d'autres. Sourire toujours léger, faciès invariable, il poursuivit de son ton neutre et avec une franchise vraisemblablement déplacée. Si vous espérez autre chose qu'un sourire courtois lors d'une quelconque cérémonie, il faut me donner les moyens d'au moins intriguer Sa Seigneurie. Aussi, que puis-je ajouter à ces "simples" marques.

Le terme "simples" avait été sciemment accentué. Une mise en évidence impertinente, une pique provocatrice lancée comme un hameçon dans la mer. Non pour piéger la dame, mais pour l'amener à en dire un peu plus. Lui tendre une embuscade aurait été grossier, insultant. Voilà pourquoi, Joan avait opté pour une approche beaucoup frontale, quitte à devoir en subir de foudroyantes conséquences.
Quiou
La Flamande, déjà passablement irritée et dont la colère transcende toutes les autres de par son intensité, fait preuve, comme à l’accoutumée, d’un calme insidieux, aux limites du pernicieux. C’est qu’elle ne laisse nullement la déraison la posséder, et encore moins projeter son emprise, sa mainmise sur l’être qu’elle est.

Ainsi, comme unique signe de sa contrariété ineffable, l’œil avisé pouvait supposer constater une raideur encore plus accentuée chez la Terreur vicomtale.

Et puis…Il lui arrache un sourire, le saligaud. Un sourire en coin, dignes des plus grands maux. Que cache-t-il, en vérité, ce geste pourtant si anodin en d’autres faciès ouverts à la gaieté ? Un simple amusement serait chose beaucoup trop aisée pour convenir à la Deswaard si détestée.


Allons, jeune homme, apprenez dès lors qu’il m’est possible de déclamer de quelconques banalités avec, à l’inverse des autres, la capacité de pouvoir penser réellement les propos prononcés.

Un temps d’arrêt. C'était tout de même bien pour cela qu'elle ne s'attardait que très rarement à s'enliser en de telles insanités. Elle reprend donc, voix toujours aussi teintée d’un flegme assuré qui faisait régulièrement croire à des paroles beaucoup trop détachées pour être du domaine de la vérité.

Ma curiosité a été attisée, l’annonce a peut être même su éveiller en moi on ne sait quel sentiment de loyauté présentement affermi après avoir longuement été fallacieusement endormi. Dès lors, voyez cela comme un témoignage d’une personne intriguée souhaitant probablement prendre part aux desseins de votre maître réputé.
Adoncques devriez-vous tenter de m’exposer cette idée, à défaut de voir Sa Seigneurie procéder elle-même au développement de ce projet.


La sénestre, inoccupée, s’en alla tapoter le pommeau d’une lame effilée, sans même que la Deswaard n’ait conscience de ce geste assurément peu raffiné.

Instinct des cinoques dépravés qui reprenait le dessus ?

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--Joan
La mine du Tournelois ne varia pas, malgré cette prolongation obtenue. Car, et il le savait, plus qu'auparavant ce serait désormais qu'il se devait à la brillance ou, à défaut, à l'efficacité. Toucher un coeur demeurait au combien plus délicat que de titiller un orgueil caractéristique de la plupart des nobles. Il lui faudrait désormais faire apparaître des liens, des connivences, tisser une toile tout en progressant à l'aveuglette. Sa mâchoire se crispa imperceptiblement au moment où il reprit la parole.

Sa Seigneurie compte parmi les personnes qui place la guerre au-dessus de toutes autres entreprises humaines. Il estime que c'est l'expression la plus parfaite de la franchise, qu'à travers elle se dessinent les valeurs essentielles de l'humanité. Philosophe à ses erreurs le Tournelois ? Non, il s'efforçait avec assurance de maintenir un cap dans une immensité indistincte et pour ce faire il ne pouvait escompter meilleur allié que sa connaissance des plus profonds sentiments de son maître. Une sorte de quitte ou double où aucune certitude d'entendre un "terre" déclamé avec l'ardeur d'une foi inébranlable ne subsistait. Il n'est pas foncièrement belliqueux, mais se refuse à éluder un combat pour d'autres questions, alors que celui-ci lui apparaît comme vital. En cela, il est un farouche ennemi de la tiédeur, des "pisse-froid", comme il les nomme, qui se cache derrière la souffrance pour fuir leur responsabilité. Selon lui, ces gens qui pullulent dans la diplomatie royale ou plus généralement au sein de la Curia Regis ne sont que des intéressés aux épaules trop fines pour supporter le poids d'un Royaume.

Le jeune homme marqua un temps d'arrêt. Le propos était franc, mais s'enlisait quelque peu. Il le savait, il le sentait. Aussi ne fut-il guère long à l'éclaircir. Sa Seigneurie est un homme de convictions, et de cette guerre face au Ponant il a fermement défendu la nécessité. Dès lors que ceci apparaît, la suite vous semblera couler de source. Ses convictions, ses valeurs, son profond respect de la guerre l'ont amené à vouloir regrouper autour de lui, des intrépides, des fous, oserais-je dire, pour faire basculer la victoire du côté de ces convictions et de ces valeurs. Un groupe capable de défendre une cité à un contre dix sans reculer si l'honneur l'exige. Un groupe capable de réussir là où tous auraient échoué par la force de ses liens et de sa foi inébranlable en la victoire.

Nouveau silence plus marqué encore cette fois. Puis, il reprit sur le ton de la confidence. Voilà ce que Sa Seigneurie m'a dit. Les champs de bataille sont peuplés d'inconnus, de moutons trop souvent dépourvus de bergers, de gloires éphémères, entremêlées, indiscernables. Le chambellan se laissa aller à sourire. Partageait-il d'un rictus affectif cette vision toute "euphorique" de la question ? Ou se perdait-il à moquer gentillement les paroles aiguisées à l'extrême du Vicomte ? La réponse demeurerait un mystère, car autant le "Rusé" semblait se les approprier dans le ton, autant son allure indiquait une certaine distance. C'est là où se perdent les guerres. Un homme qui tombe ou vainc dans l'anonymat fait pleurer ou sourire les tièdes, un héros qui tombe ou vainc fait pleurer ou emplit de fierté une nation entière. Joan, je veux trouver des personnes capables de devenir ces héros et je veux combattre, mourir à leurs côtés. Ses mains se délièrent alors et le discours baissa d'intensité. Créer un énième groupuscule, une enième bannière n'intéresse pas Sa Seigneurie. S'entourer dans le seul but de commander ou de s'afficher plus puissant qu'il ne l'est lui serait insupportable. Il veut transcender les structures fermées, ostiennes, il désire réunir des intrépides et former avec eux une lance, peut-être plus, de frères et soeurs d'armes unis par des convictions. Son regard se détourna vers les flammes et leur indolente sarabande, puis revint à la Flamande, scintillant encore de ce feu si paisiblement maîtrisé par une architecture ingénieuse. Non par une chaîne de commandement superficiel.

Le laïus s'acheva sur ce mot. Le Tournelois s'était appliqué à reproduire la fougue qui habitait le Phénix lorsqu'il évoquait ce projet si important à son âme, sans doute un peu idéaliste, de guerrier. Mais il ne pouvait réellement remplacé l'homme qui l'avait "fait". Il demeurait trop stratège là où l'ardeur du légendaire volatile aurait embrasé tout calcul dans son envol. Les mains, forgées à l'écriture plus qu'au combat, se joignirent à nouveau. Avait-il fait mouche ?
Quiou
Une diatribe des plus acides s’élève, prend forme, résonne en la pièce savamment architecturée, et, pompeusement ennuyée par le discours trop enjolivé qui lui est adressé, semblant être loin du domaine de la véracité, la Funeste, d’un tapotement incisif de la sénestre sur le pommeau de la lame effilée à ses côtés, montre outrageusement son désintérêt.

A la fois attentive, concentrée, et, à contrario, dispersée en les lugubres rouages de ses pensées, s’affiche en son foisonnant esprit aguerri d’ardentes et sanglantes scènes trépidantes à souhait, d’une fulgurance à toute épreuve, d’une douleur dont tous s’émeuvent, d’un réconfort incandescent au pouvoir aliénant.
Etranges souvenirs, dangereuses réminiscences qui affluent en cet instant.
Le panel de choix s’offre à elle, si tentant.

A l’instar du fil de ses pensées, les glaciales pupilles flamandes se perdent dans l’introspection des austères limbes du passé, un voile parcheminé donnant l’impression de venir les étioler.


Je vois…

Elle inspire brièvement, comme pour se libérer d’un poids pourtant apprécié, et, perpétuellement flegmatique à souhait, la Deswaard d’ajouter.

Des fous, dites-vous ? Ou du moins, des personnes peu communes…Je vois.

Elle voit, elle voit, la Vicomtesse, bien que l’on ne sache pas véritablement quoi. Peut être fait-elle insidieusement référence à ce genre de groupe armé, en marge de la société, aux valeurs biens ancrées, aux intérêts personnels effacés, à la conviction inaltérée. Alors, oui, peut être bien qu’elle voit. C’est même chose assurée, en vérité. C’est que l’expérience avait été tentée, avec pour résultat une réussite évidente, éclatante.
Jusqu’au jour où… ?

Sans rapport, sans même aucun apport à la discussion qui se fait là, un bref regard est dirigé vers la môme restée silencieuse, capricieuse. Peut être s’inspire-t-elle de cette même particularité qui règne en la juvénile Wolback de Montfort-Laval au pouce droit doctement amputé, pour s’imprégner peu à peu de l’idée de Sa Seigneurie décatie.

Un indigeste mouvement du poignet, et la Misanthrope d’enfin se redresser.


Nous nous reverrons. Sur ce, la Bonne Journée.

Sans plus attendre, sans même se méprendre, elle reprenait prestement le chemin de la sortir et l’air du tout Paris.
Une oreille avisée, affutée, pouvait l’entendre tempêter dans les couloirs, ordonner :

Nous n’avons que trop tarder, Galéran. Lancez donc les préparatifs de notre départ...Car nous suivrons l’armée du Bouillon.

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Ingeburge
[Lundi vingt-trois janvier mille quatre cent soixante, après l'office de tierce]


Il lui fallait un peu de temps pour s'adapter. A la lumière tout d'abord. Elle avait passé trois jours et deux nuits dans la pénombre rassurante d'une église et le jour, cru, qui se déversait sur elle, lui irritait les yeux. Au bruit ensuite. A l'intérieur, dans l'ombre de la chapelle dédiée à Sainte Marie-Madeleine, elle avait été au calme, au silence, son retrait simplement troublé par les cloches marquant les heures et les offices et le bourdonnement des fidèles et des chantres chantant et psalmodiant durant les messes. Au mouvement aussi. Tout avait été immobile et quiet, elle n'avait rien vu du monde qui s'agitait, évoluait, se pressait, tout avait été paisible et inanimé. A la station debout également. Après des heures allongée sur un sol dur et froid, elle avait du mal à tenir sur ses pieds, ses jambes rendues débiles par l'inactivité et tout son être affaibli par la privation de nourriture et d'eau; sans ses gardes, elle se serait déjà effondrée. Enfin, et plus que tout, elle devrait se faire au rejet, elle devrait s'habituer à l'idée que désormais, elle n'avait plus le droit d'entrer dans une église et que Saint-Germain l'Auxerrois, son église, lui était dorénavant fermée; elle n'était plus qu'une femme comme les autres et pis encore, une femme indésirable dans les maisons du Très-Haut. Le souvenir de la perte la fit vaciller et ceux qui la soutenaient s'empressèrent, mais avec précautions, de l'amener à la voiture venue pour l'attendre et la ramener chez elle.

S'appuyant de tout son poids sur ses accompagnateurs, elle se traîna vers le carrosse, les tempes douloureuses, les pensées tournoyantes et elle restait focalisée sur ce qu'elle avait perdu : son droit de le Louer, chez Lui. Bien sûr, elle n'avait pas besoin de quatre murs, de voûtes et d'un clocher pour prier mais elle avait toujours senti une connexion toute particulière à chaque fois qu'elle s'était agenouillée sur le sol d'une église et elle ressentait durement la sanction qui lui était infligée. On la hissa dans le coche, on s'empressa de la couvrir d'une peau fourrée et d'envelopper ses jambes dans une couverture et on referma prestement la portière. Tête versée vers l'arrière, yeux clos, elle tâchait de contenir la nausée qui envahissait sa gorge et sa bouche, ressassant la perte, la privation et cette sensation de vide lui en rappela soudainement une autre. Se redressant avec effort, elle souffla :

— A l'Hôtel de Clisson.
Un de ses gens revint vers elle, incertain d'avoir bien compris et elle répéta l'ordre, plus fermement. Il n'était pas question de rentrer à l'Hôtel de Bourgogne ou de rallier celui de Saint-Paul, Clisson s'imposait car elle devait, maintenant que la nouvelle était connue et parvenue à Paris, prévenir celui qui l'avait accompagnée, sans qu'il le sût, durant sa pénitence.

Le train ducal emprunta donc le chemin inverse que celui qu'il avait suivi pour venir jusqu'à l'église des rois de France et il prit la rue des Prêtres-de-Saint-Germain, puis celle de l'Arbre Sec pour foncer de celle du Chastiau-Festu à celle de la Ferronnerie. Mais au terme de la voie, contrairement à l'aller, le carrosse ne prit pas la grand rue Saint-Denis, il obliqua vers la rue Saint-Merri, la rue de la Verrerie avant de tourner rue Sainte-Avoie. A l'intérieur, la duchesse d'Auxerre, débarrassée de la somnolence qui avait commencé de la guetter quand on s'était affairé à la préparer pour le voyage, se tenait droite, tendue par son but, sourde aux demandes des deux filles qui avaient pris place avec elle et insensible à la nourriture qui lui était présentée. Il fallait, tout de suite, maintenant, qu'elle le voit, qu'elle lui parle et, dominée par ce besoin impérieux, elle ne se figurait pas une seule seconde qu'il ne pût être en la capitale où ses devoirs de pair du Royaume l'appelaient plus souvent qu'à son tour, qu'il ne pût être en sa résidence parisienne dont l'existence lui avait récemment été révélée. Rue des bouchers du Temple, le carrosse tourna à nouveau pour s'immobiliser enfin rue du Chaume, face à l'Hôtel de Clisson. Chez lui.

Il y eut alors les premiers gestes du même rituel immuable, celui qui consistait pour ses suivantes à arranger la mise de leur maîtresse mais elle les repoussa, agacée, pressée de sortir et convaincue de l'inanité de leurs apprêts. Elle n'en avait cure, ils s'avèreraient de toute façon inutiles, et elle se présenterait comme elle était, sans manteau, dépouillée de ses bijoux et avec son corps éprouvé par le jeûne, sa cottardie de soie grossière et noire, sa tête nue, ses cheveux laissés lâches, ses yeux cernés de zinzolin, son visage émacié, sa peau à l'albâtre apâli. Ayant une nouvelle fois refusé de se laisser ajuster, elle ouvrit elle-même la portière, mue par une énergie qui l'avait plus tôt désertée et volontaire, elle mit pied à terre pour finalement s'échapper vers la cour de l'hôtel, passant le portail monumental qui dominait la rue de sa hauteur et de sa splendeur. Maintenant dans le nid du Phœnix, son élan retomba durant quelques secondes, elle ne savait que faire. L'endroit était vaste, à l'image de l'Hôtel de Bourgogne et surtout, il lui était inconnu. Jamais encore elle ne s'y était rendue, c'était une découverte totale et elle fut brièvement détournée de ses projets par l'immensité des lieux. Ce temps fut mis à profit par un des Lombards qui l'avait suivie et celui-ci, au premier vas-y dire croisé, lança :

— Annonce à ton maître l'arrivée de la duchesse d'Auxerre!

La Prinzessin, définitivement dans sa bulle, esquissait à nouveau quelques pas, yeux grands ouverts et ses gardes, inquiets de cette attitude incongrue, se mirent en devoir de ne pas la perdre de vue.
— Presto!
L'ordre claqua, pressant, Dieu seul savait quelle nouvelle lubie s'emparerait de l'esprit selon eux confus de leur maîtresse.
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Actarius
Les Siennes se levèrent sur le serviteur. La plume glissa sur le parchemin. Le visage abandonna sa sévérité. Les muscles se figèrent en une indicible tétanie, le coeur s'arrêta l'espace d'un instant. La Duchesse d'Auxerre...

Ce seul nom pouvait le sortir d'une léthargie, d'une monotonie qui n'avait que trop durer. Depuis des jours, le Languedocien se morfondait, le goût des discussions pairiales, des projets d'Oc l'avaient quitté. Il demeurait isolé, grommelant, rendu particulièrement irascible par sa blessure à la jambe droite. Il malmenait son personnel d'exigences de plus en plus poussives si bien qu'il régnait une forme de crainte constante des cuisines aux caves, des chambres au cabinet, du salon à la cour. La valetaille, plus habituée à un comportement bienveillant, commençait de fuir sa présence, de soigneusement se détourner à l'écho de la canne de bois. Les plus exposés arboraient une moue docile lorsqu'ils se devaient d'être à ses côtés. Parfois, ce climat de relative terreur s'estompait. Le soir surtout. Sous les voiles d'ombre, le Mendois se prenait de rêver à elle, se laissait submerger par la mélancolie. Il ne grognait plus, muré dans son silence. Son faciès semblait même trouver un certain réconfort à ces moments nostalgiques. Cette espèce de rictus de mauvaise humeur disparaissait au profit de traits apaisés. Ses yeux se fermaient et alors n'existait plus qu'elle, loin de ce décor fantomatique, loin de cette vie vidée de son essence, mue par les seuls automatismes de l'expérience.

Il se murmurait dans le petit personnel que Sa Seigneurie était toujours accablée par le deuil de son épouse, que sa blessure le privait de sa bonhommie coutumière. La vérité résidait en un monde bien différent. Elle prenait sa source quelques mois plus tôt dans le palais du Louvre. Une icône, un espoir s'étaient alors dessinés à l'horizon d'une perte terrible. L'euphorie, le désir, le respect, la peur, l'amour qui de son spectre avait illuminé des jours désincarnés, avait traîné dans son sillage une raison d'avancer. Mais cette renaissance avait été entaillée, torturée. Lui... Ce Très-Haut qui avait déjà rappelé à lui trois de ses quatre enfants, son épouse, lui refusait encore le droit au bonheur. Face à lui, il avait dû s'incliner, renoncer à ce qui lui était le plus précieux. Ainsi, l'Euphor se contentait-il d'attendre la fin, reclus dans une existence austère. Il s'était éloigné de ses colistiers, de son implication dans les fonctions qu'il occupait. Il faisait son devoir alors qu'en lui germaient les graines d'une révolte profonde, d'une folie dévastatrice. Il avait tout perdu et comme tout animal réduit à cet état de survie instinctive, il basculerait immanquablement un jour vers la bestialité et alors plus rien ne l'arrêterait, hormis la mort. Ainsi en allait-il de ce quotidien grisâtre, menacé par l'éclosion d'une tempête encore en sommeil, confortablement enfouie en son inconscient.

La lourde porte s'ouvrit. La haute et imposante silhouette vicomtale apparut dans l'embrasure. Digne, altière, elle s'arrêta sur le seuil. Et alors... à la vue de l'être aimé le visage se décomposa. Il ignorait pour la pénitence ou l'oublia en cet instant. On lui avait fait du mal. Il ne raisonnait plus... Sa dextre lâcha prise, la canne chuta. Insensible à la douleur, il se précipita au-devant de la Prinzessin. Ses yeux affolés se plongeaient dans les siens, ses mains se posèrent sur ces joues creusées. Et sans réfléchir un instant, il l'attira à lui, la serra puissamment contre lui. Les images des pires supplices se bousculèrent dans son esprit chancelant. Il n'en fallait pas plus pour embraser ce coeur plongé dans la panique. Il recula légèrement, desserra son étreinte, ses doigts se perdirent en caresses dans cette chevelure lâche.
Mon dieu, que vous a-t-on fait ? Haletant, affolé tout d'abord dans sa légitime question, puis enfin résolu, puissant. Ne craignez plus rien, je suis là...

Sa sénestre glissa jusqu'à ce souvenir du Maine. Quatre mains entremêlées... Elles ne furent que deux dans cette cour parisienne. Rentrons, Ingeburge. Le ton profondément bienveillant avec lequel ces mots furent prononcés contrasta avec les ténèbres des iris qui étincelèrent en direction des Lombards. Comment avaient-ils pu laisser faire cela ? Etaient-ils fous au point de se présenter ainsi face à lui, comme si de rien n'était ? Ils le payeraient, ils le payeraient cher, tout comme la moindre des personnes qui s'en étaient pris à celle qu'il aimait. La tempête grondait... le plus redoutable des Phénix déployait ses ailes, celui qui brûlerait le Royaume s'il le fallait pour assouvir sa soif de vengeance. Celui qui s'apparentait à ce dragon légendaire qui ne trouvait de répit que dans le sang et la souffrance de celles et ceux qui avaient essayé de dérober ce qui lui était le plus cher.

Gardes ! Fermez les grilles. Que personne n'entre ou ne sorte d'ici sans mon consentement. L'ordre avait résonné dans la cour avec vigueur et en occitan. Chez lui, aucun mal ne lui serait fait, personne ne porterait la main sur elle, dût-il en rougir les rues de Paris.
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Ingeburge
Son regard enfiévré errait sur la façade de l'imposant hôtel dans la cour duquel elle avait pénétré, spontanément, comme elle avait spontanément décidé de s'y rendre au sortir de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois. Et c'était toujours dans cet état qui pourrait paraître inhabituel pour ceux ne la connaissant aucunement, c'est-à-dire la quasi totalité de l'humanité, qu'elle se tenait debout, prête à aller plus loin encore car il fallait, absolument, qu'elle le vît. Pour l'heure, elle était hésitante et son indécision tenait plus à la taille de l'endroit et à son caractère de terra incognita qu'à une soudaine prise de conscience de l'incohérence et de l'impudence de sa conduite. Elle était toujours sous l'emprise des effets de son jeûne et de sa veille forcés, sa froide lucidité l'avait pour un temps désertée et elle laissait libre cours à un trait de caractère qui avait toujours été présent chez elle mais que les événements malheureux ou douloureux d'une existence riche l'avaient contrainte à brider. Nul calcul ne la guidait, nul plan pré-établi, il s'agissait juste d'une évidence à laisser vivre librement. Le voir, lui parler, lui expliquer; elle n'avait que trop louvoyé ou éludé, il était temps de ne plus garder par-devers elle certaines informations et de se montrer totalement franche, comme elle l'était au final dès lors qu'il n'était pas question de lui.

C'est ainsi, alors qu'elle ne savait toujours pas par quelle porte pénétrer la vaste bâtisse, ou même dans quel logis elle devait se rendre, qu'elle le vit apparaître. Il se tenait face à elle et s'il la rejoignit diligemment, ce fut comme si ce ralliement avait pris beaucoup plus longtemps. Chaque mouvement parut décomposé et ainsi, elle put constater le temps d'arrêt, contempler l'altération de ses traits, voir la canne qu'il tenait chuter – une canne? pourquoi? – et enfin assister à son approche. Cette prise de conscience de chacune des réactions d'Actarius augmenta le choc qu'elle reçut quand celui-ci prit son visage entre ses mains puis l'étreignit avec force. L'embrassade en fut d'autant plus violente et, désorientée, elle s'agrippa à lui, ses mains cherchant à se retenir à ses vêtements là où elle l'aurait ordinairement laisser faire ou mieux, repoussé. Et pas plus qu'elle ne rejeta l'étreinte qui lui fut nécessaire tant pour en encaisser la puissance que pour ne pas s'effondrer au sol tant elle était épuisée, elle n'écarta les doigts qu'il laissait errer dans ses cheveux épandus. Mieux, elle lui resta arrimée et soutint son regard bouleversé, l'observant d'un petit air sérieux et décidé, résolue à aller au bout de la décision qu'elle avait prise sans même y réfléchir et qui l'avait conduite dans cette rue, dans cet hôtel, dans cette cour, dans ses bras.

Et c'est parce qu'elle était calme malgré sa fébrilité et qu'elle lui opposait un sérieux inattaquable qu'elle pouvait se montrer tout aussi attentive à ses gestes tendres empreints d'inquiétude. C'était d'ailleurs étonnant comme, dès qu'il s'agissait d'eux deux, tout était nimbé de ce désespoir violent, de cette cascade d'émotions tumultueuses. Elle en avait été frappée à Saint-Dionisy, quand elle s'était souvenue de toutes les fois où ils avaient été ensemble et de toutes celles où ils étaient séparés. L'incompréhension, la confrontation, les coups, le tout dominé par la souffrance et l'urgence. Leur effroi respectif à l'idée de cet amour dont aucun ne pouvait avoir voulu expliquait en grande part cette désespérance également alimentée par leurs caractères, leur passé, leurs expériences, leurs convictions. Ils avaient grandi loin l'un de l'autre, l'un sans l'autre et c'était tout ce qu'ils étaient qui se télescopait là où ils n'auraient jamais dû entrer en collision. Tout cela n'avait tenu qu'à une annonce pour une charge qu'ils avaient tous les deux briguée. Dire qu'ils s'étaient côtoyés en Provence. Dire qu'ils s'étaient croisés à de quelconques événements publics. Dire que lui à Saint-Dionisy, elle à Carpentras n'avaient été séparés que d'une vingtaine de lieues. Ces faits lui donnaient le vertige, littéralement, et présentement, et elle ne voulait pas quitter la sécurité qu'il lui donnait.

Il parla, enfin, confirmant de ses mots, après avoir laissé échapper une question affolée, l'abri et le soutien qu'il lui avait physiquement offerts. C'est tout ce qu'elle comprit, plus occupée à se laisser bercer par la mélodie de sa voix qu'à essayer de saisir le sens de sa question. Etait-il en train de lui demander ce qui lui était arrivé? Son regard concentré se voila un instant, elle tâchait de deviner la portée de ses propos, ne voyant pas ce qui motivait ce genre d'interrogation. Elle n'y parvint pas, ne le voulant de toute façon pas, elle ne désirait pas briser le charme, ne pas rompre leur entente qui, malgré cette fureur dont elle était auréolée, n'en était pas moins existante et rassurante. Elle tint donc sa langue, se contentant de le regarder encore et toujours, soudainement mue par la crainte d'un lendemain où il l'abandonnerait comme il l'avait si souvent fait. Il fallait qu'elle mémorisât ses traits, qu'elle se souvînt de ses mimiques, qu'elle gravât en son esprit tout ce qui faisait son être car seul Dieu savait de quoi les prochains jours seraient faits.

Et quand il prit sa main, avec une tendre force, avec une puissante délicatesse, elle referma ses doigts nus sur la sienne avant d'acquiescer doucement quand il l'invita à venir avec lui :

— Oui, rentrons.
Le reste – son coup d’œil irrité jeté aux Lombards, son commandement impérieux qu'elle n'aurait de toute façon pas compris – fut perdu pour elle, ils ne lui étaient à vrai dire pas destinés. Seule comptait cette main, seule comptait la perspective de se retrouver seule avec lui. Bientôt... elle baissa la tête, ne préférant pas y penser.
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Actarius
Main dans la main, ils franchirent le seuil, encore unis ils laissèrent derrière eux l'antichambre, le grand salon, puis bientôt l'imposant escalier. Les doigts toujours entremêlés, ils longèrent le couloir jusqu'à cette porte qui s'ouvrit sous l'impulsion de la dextre vicomtale. Il s'agissait d'une pièce chaleureuse, décorée avec soin, mais, comme en chaque propriété du Mendois, sobrement. L'espace était relativement restreint dans cet ensemble lumineux. Plusieurs confortables sièges trônaient au centre de la pièce, regroupés autour d'une petite table. Deux des parois étaient encombrés d'étagères, dont l'une juste à côté de l'ouverture par laquelle ils avaient pénétrés dans cette salle particulière, qui servait de fait de petit salon où le Vicomte aimait à se détendre avant de rejoindre sa chambre. Celle-ci était accessible par une porte laissée fermée et cernée de deux tapisseries commandées en Flandres et retraçant l'une ou l'autre légende d'un passé plus ou moins proche. La première représentait une scène de chasse quelconque à ce détail près que la proie épousait la forme d'un grand cerf blanc. La seconde mettait en scène un couronnement royal de France. Le dernier mur, celui qui faisait face aux deux entrants, s'articulait autour de deux fenêtres par lesquelles se répandait la lumière.

Le Languedocien, visiblement rasséréné, virevolta et fit une nouvelle fois face à la Prinzessin. Il lui prit l'autre main et l'attira à lui, encore... L'étreinte n'avait plus rien de passionné, de déraisonné. Elle était tendre, elle trahissait son bonheur, murmurait chastement son amour. Elle ne dura pas plus d'un instant cependant avant d'être brisée, à contrecœur, par cet homme qui invita son inattendue visiteuse à prendre place. Son regard avait quitté son voile de colère, car tout en la guidant dans son antre, il s'était souvenu. Il avait vu rouge au point d'en oublier que trois jours auparavant, il avait accueilli en personne le scribe à la Paire qui annonçait cette étrange nouvelle. Une nouvelle, qui n'avait pas bouleversé un Euphor léthargique et donc incapable de tirer de quelconques conclusions, mais une nouvelle dont il ressentait désormais tout le poids par son impact physique. Son adorée avait souffert et cela allait bien plus loin que son apparence, elle avait renoncé à une vie choisie bien des années auparavant, elle nageait encore dans l'inconnu et il n'était nul besoin d'être un génie ou un orgueilleux narcissique pour penser qu'il était lié de près ou de loin à cette métamorphose. Si elle était là, si elle était parue ainsi, elle qui le couvrait si volontiers de reproches sur les précautions à prendre pour taire les "déviances" de ses sentiments, cela augurait peut-être du meilleur pour lui. Cette idée fut de celles qui lui avaient malmené l'esprit durant leur ascension.

Il s'attendait à tout. A ce meilleur possible, comme au pire. Pouvait-on vraiment lui en vouloir d'avoir songé à ce pire ? Un regard attentif en arrière montrait que dans le chaos de leur relation, elle seule avait existé jusqu'alors de manière constante et précise à travers ses yeux de Sienne. Lui avait dû se contenter des mauvais rôles. Elle lui avait nié sa plus grande qualité, sa franchise, avait nié son existence en rabaissant ce qui faisait de lui ce qu'il était, son coeur. Elle l'avait martyrisé de reproches, l'avait traité comme le pire des ennemis. S'en était-elle seulement rendu compte alors que lui-même réfutait cette réalité avec une force qui confinait à la folie ? Selon lui, elle avait eu raison. Tous les torts lui étaient entièrement imputables, ce pourquoi il s'était effacé si souvent, ce pourquoi il n'avait pas existé dans cette union bizarre. Plus qu'une réalité précise, il avait balayé toute sa réalité pour elle, il s'était donné totalement et entièrement au point de disparaître. Il s'était placé comme un jeune éperdu dans une position d'irrémédiable soumission. La Ténébreuse, et lui-même l'avait concédé au Carmin, demeurait sa seule faiblesse. Lorsqu'on observait la force avec laquelle ce Pair refusait de rejoindre le rang des bien-pensants, avec laquelle il défendait ses avis, lorsqu'on savait son parcours, ce qu'il avait accompli, alors toutes ses attitudes envers la Bourguignonne paraissaient à peine concevables. Un si farouche personnage, si prompt à répliquer, si attaché à rester debout avec ses avis quitte à tout perdre... comment l'imaginer un seul instant se coucher aux moindres désirs d'une femme, renoncer à l'essence même de son être pour lui plaire ? Un seul coup d'oeil dans cette pièce aurait suffi à y répondre: l'amour. La vénération qui giclait de chacune de ses iris, l'adoration qui suintait de chacun de ses gestes. Il avait hissé la Glaciale Auxerroise sur un tel piédestal, qu'il ne pouvait lui-même exister en comparaison.

Et il était heureux dans cette chimère. Il n'y avait qu'à considérer la manière dont il multipliait les attentions pour l'aider à prendre place, qu'à écouter les inflexions soucieuses de sa voix: "Préférez-vous être allongée votre Altesse ?", "Dois-je vous faire préparer un repas ?", "Désirez-vous un peu d'eau ?", "Vous devez avoir froid ainsi. Une couverture vous serait-elle agréable ?". Il n'y avait qu'à observer ses traits apaisés, la flamme de vie dans ses iris, la puissance retrouvée de cette jambe pourtant claudicante. Il revivait ou plutôt ne revivait que par la présence de sa Déesse. Cela aurait crevé les yeux au moins vénérable des naïfs de ce monde. Quel imbécile ! Elle venait, elle apparaissait, elle lui donnait vie et lui s'effaçait encore, oubliait ses propres tourments, négligeait les dernières semaines "vécues" après son départ du Languedoc. Il ne semblait là que pour la servir et tellement occupé qu'il restait à plaindre les souffrances par lesquelles elles avaient dû passer, à vouloir les apaiser, il en refoulait les siennes propres, les enfouissait bien profondément. En clair, il comptait à rebours son implosion sans s'en douter un seul instant. Pour lui, l'amour était définitivement masochiste.

Mais il rimait aussi avec fébrilité. Dès lors qu'ils furent tous deux installés, que toutes les précautions furent prises pour le confort et le bien-être de sa belle, il ne sut que dire, il ne sut comment agir. Et pour cause, il ignorait à quoi s'attendre. Le Sienne se mêla aux opales. Il était là. Avec sa gaucherie, avec son coeur emporté, avec ses sentiments bien trop puissants, mais il était là. Encore. Par et pour elle.

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