Calé au fond, rigide, attentif, mais surtout assaillit par une question d'importance majeure. Cette cérémonie lui mettait le doigt sur un problème pratique auquel il n'avait jamais songé.
Pour tout dire, il n'avait même jamais songé à la question d'assister ou non à une célébration Aristotélicienne, avant cela. Parce que le cas ne s'était pas présenté depuis qu'il avait décidé d'en venir à la réforme, sans doute. Peut-être aussi parce que la guerre ne laissait pas beaucoup de temps à des songeries d'ordre métaphysique, et même si ce n'était pas si abstrait, voire même plutôt extrêmement pratique, il devait s'avouer que sa foi végétait au moins depuis son départ de Genève.
Donc.. le problème, LA grande question. Fallait-il prier, oui ou non, lors d'une célébration de l'EA ? Quelque part, ce n'était pas totalement illogique, il y avait bien des points communs. D'autre part, il y avait aussi des différences flagrantes, et surtout, un conflit épineux qui n'était pas près de trouver son terme.
Et le doute le travailla tout le long du mariage, lui épargnant d'avoir à trancher sur la question. Aussi, il traversa l'épisode dans un continuum espace/temps différent, laissant son corps végéter dans l'immobilité. Le mouvement le sortit de sa réflexion.
Décidément, c'était un drôle de mariage, dans tous les sens du terme sauf le plus plaisant.
En attendant, sa mère lui avait appris, dans sa jeunesse, que pour aller loin dans la vie, il fallait être compétent, et travailler, faire des efforts. La vie elle-même, au contraire, s'était chargée de lui enseigner qu'il suffisait d'être au bon endroit au bon moment, et ce, comptant aussi pour la naissance, même, et qu'il fallait saisir les opportunités au vol sans chercher à savoir si elles étaient honnêtes, morales, ou efficaces.
Il lui semblait que ce jour ci était un bon moment, et que Notre Dame semblait un bon endroit, pour s'emparer d'une occasion et la faire sienne. Il ne lui restait plus qu'à y être.
Même les têtes d'enterrement de l'assistance ne le dissuaderaient pas de tenter sa chance.
Il faut dire qu'il avait manqué, dans sa profonde introspection, les commentaires divers et variés d'un témoin, les réprimandes de l'officiante, les grimaces, et les témoignages exubérants de répulsion mutuelle.
Cueillant au passage un morceau de brioche qu'il écrasa dans le creux de sa main, tout sauf tenté par l'idée d'avaler quelque chose, et surtout quand son esprit avait navigué à mille lieues de la cérémonie. L'homme en rouge s'était glissé derrière le Vaisneau, et capta au vol des bribes de l'échange entre le futur gendre du Balbuzard et la fille de ce dernier. Il faudrait bien du courage au blond baronnet.
Enfin, il avait fini par percuter l'idée que finalement, ce n'était pas un mariage heureux. Mais quoi, autant tenter la chance tant bien que mal !
La main au menton, deux doigts sur la joue gauche, la main droite enfermée dans le pli du coude gauche, et un brin d'ironie.
"Mes félicitations Eusaias. Cet air réjoui te sied à merveille !"
Et.. Alors c'était elle la fameuse Saint Just. Au moins avait-elle l'air taillée à la même mesure que le rapace, et au moins n'épousait-il pas une vulgaire dinde, pimbêche, ou autre fille de noblesse à l'esprit étriqué et au sang gâté. Bref.
"Comtesse.. A défaut de vous connaître, j'ai entendu parler de vous..."
Phrase en suspension.. Moui, il était dans le ton, en commençant comme ça, ça sonnait bien tiens ! Enfin, il était vrai qu'il aurait difficilement pu faire autrement, vu la rancune, pour ne pas dire la haine tenace que vouaient plusieurs de ses récents compagnons d'arme à la Lavedan.
Enfin, il n'avait pas prévu de s'arrêter là, non plus.
".. Mais Digoine m'a appris qu'une réputation, ne reflète pas grand chose si ce n'est l'importance qu'on accorde à quelqu'un.
Et puis, cette journée est la votre, autant que la sienne. Le Très Haut vous garde."
Un bref signe de tête, en guise de salut, et le Poitevin se dérobait déjà.
Le morceau de brioche commençait à lui coller dans la main, la cathédrale devenait lugubre, avec l'ambiance qui y régnait, et puisqu'il fallait sortir, l'air frais lui tendait les bras.
Au moins l'empressement de la mariée à sortir, s'il ne pouvait que réprouver des félicitations retardant l'issue, pardonnerait-il peut-être un certain manque de manière. Qui sait ?
De toute façon, la mise restait faible.