Chinon, une soirée étrange
Depuis des semaines, nous tournons en rond dans l'attente d'ordres qui ne viennent pas ou contradictoires... La nervosité nous gagne, limpatience nous rend fébriles, nerveux.
Après tout, si nous avons quitté l'Auvergne, c'est pour prêter nos bras à la Couronne...
Les combats font rage tout autour de nous, des amis, des parents tombent sous les coups de l'ennemi déstabilisé par la mobilisation des forces Royalistes.
Leurs rangs, peu à peu s'éclaircissent, se désorganisent.Ils se battent avec l'énergie de ceux qui savent leur cause perdue.
Mais cela ne nous console qu'à moitié... Notre groupe erre sur les routes, de taverne en taverne, désuvré, une cruelle sensation d'inutilité au ventre.
Certes, nous sommes en contact permanent avec les Etats Majors de nos troupes, mais nos ordres d'intégration se font attendre.
Ce soir là au Trou du Cru, nous devisons avec nos camarades et quelques citoyens fidèles à la Couronne lorsque, discrètement, un coursier m'informe que je suis convoqué à une réunion secrète.
Je le suis donc sans explications pour mes compagnons et me voilà introduit dans la tente de plusieurs Hauts personnages et mis en présence de ma marraine, elle même Capitaine d'un Ordre Royal...
Bigre... impressionnant... regards qui me jaugent, me sondent... je me sens tout petit. Mais, prenant sur moi, je tente de n'en rien laisser paraître.
Après une courte conversation, ordre m'est donné d'intégrer une armée prestigieuse... Mortecouille ! Quel honneur !
Pourquoi moi ?.. Alors que la plupart de mes compagnons sont plus expérimentés que moi.
Mais,en ces temps troublés, on ne se pose pas de questions... on obéit.
Volontaire, je le suis depuis notre départ de Roanne, en pleine connaissance de cause... ce n'est pas au pied du mur que je vais reculer... Un Trévière ne recule pas, c'est bien connu !
La tête me tournant un peu, je sors de la tente instructions prises et sous les étoiles de cette douce nuit d'automne, je réalise que le plus dur ne sera pas de monter au combat, mais d'affronter le regard de mes compagnons condamnés encore à l'inaction et plus particulièrement celui de ma Princesse qui, j'en suis certain, ne manquera pas de me tancer vertement pour ce volontariat solitaire...
Mais, qu'y puis-je ?... Allais-je refuser ? Allais-je prétexter l'inquiétude de mes proches et m'y dissimuler faisant ainsi preuve d'une pleutrerie peu honorable ?
Certes non... Tôt ou tard, ma promise et mes amis comprendraient mon dévouement à la Couronne, mon attachement à nos valeurs et mon ardent désir de contribuer à rendre au Royaume sa sérénité et sa prospérité !
Et ça ne rate pas !
A peine le seuil de l'auberge franchi, le regard émeraude de Margaut m'incendie. S'ensuit une âpre discussion orageuse dont je vous passe les détails, mais au terme de laquelle, campant sur nos positions respectives tout en admettant et comprenant les arguments de l'autre, nous faisons la paix.
Fortes têtes que nous sommes, personnalités déjà marquées, rien cependant n'entache l'amour et la confiance que nous avons l'un pour l'autre et c'est d'un coeur plus léger que je prends congé d'elle et de nos amis pour intégrer mes quartiers, non sans un gros pincement au coeur... Les risques ne sont pas imaginaires.
Chinon, préparatifs de bataille.
Je suis venu de Murat montant mon grand poney, cadeau des Roanne. Hélas si cet ambleur remarquable que jaffectionne tant est idéal pour voyager, il est bien trop léger pour le combat, aussi, je le laisse aux soins du Maître d'Ecurie du camp qui me refile un grand hongre bai à l'allure peu commode... Une carne, en réalité. Et, malgré tout le respect que je dois à la gent chevaline, je ne peux m'empêcher de faire la moue... Làs... c'est la seule monture disponible... son cavalier est mort en selle au combat et l'animal porte des traces rougeâtres de blessures récentes... la selle ne vaut pas mieux... elle est encore tachée de sang.
Néanmoins, il me faudra m'en accommoder. Et pour cela, autant me montrer aimable avec lui. Je prends donc le temps de le panser et le soigner au mieux, l'animal semble m'en être reconnaissant car il se calme peu à peu.
Il est grand et lourd, plus d'une toise au garrot et son harnachement dans un état presque pitoyable.
Une fois l'animal soigné et logé, je m'attache à rafistoler du mieux que je peux bride, selle et caparaçon avec les moyens du bord, mon ingéniosité palliant au manque de moyens.
Cela fait, j'investis enfin la tente qui m'est dévolue et, soigneusement, je fourbis mes armes et vérifie mon équipement.
Bâtarde d'abord... Bigre, elle me paraît soudain bien légère... Dame elle devient trop petite pour moi... Déjà, je ne peux plus la manier qqu'à une main. C'est que, j'ai pas mal grandi depuis le jour où Père et moi la forgeâmes dans la forge paternelle.
Elle ne m'a jamais quitté depuis et fait partie de moi... Je répugne à m'en séparer d'autant que je suis devenu fort habile à la manier... Je n'aurais pas le temps de m'adapter à une lame plus lourde.
Je la fourbis donc et l'aiguise avec soin puis la range.
Je porte toujours ma fine dague au creux de mes reins et, pour l'occasion, j'en glisse une autre dans ma botte droite... on sait jamais.
Je vérifie alors les courroies de ce bouclier rond de type Celte que j'affectionne particulièrement. Il est fait de bois et de cuir bouilli bardé d'acier, léger et solide, hérissé d'une pointe d'acier taillée en diamant sur le centre, il est devenu le prolongement de ma senestre, il me sert aussi bien à me protéger qu'à asséner des coups violents.
J'ai délibérément choisi de ne point porter de casque ni heaume... Imprudent peut-être, mais on ne voit et n'entend presque rien dans cette carapace, je me sens plus libre te plus léger sans cette pièce.
De même l'armure. Maintes fois, à l'entraînement j'ai tenté d'en porter... Rien n'y fait, je ne m'y habitue pas.... J'ai besoin de liberté de mouvement, surtout en selle.
Aussi ai-je revêtu pour l'occasion une courte cotte de mailles sur laquelle j'ai passé une cuirasse de cuir lourd bardée de plaques métalliques et garnie de spalières lourdement cloutées.
C'est un peu encombrant, mais bien moins que l'armure complète et je sais que cet équipement me protègera efficacement tout en me garantissant grande liberté d'action.
Me voilà fin prêt... Et il en est temps, en effet !
En selle !
Au petit matin, alors que le soleil est encore loin d'être levé, Sonneries et cliquetis d'armes m'annoncent que l'heure est au départ.
C'en est fait de la quiétude. Tout le campement est en effervescence et chacun s'affaire aux préparatifs de départ.
Calmement, avec toutefois une pointe de fébrilité, je m'apprête. Appliquyé à ne négliger aucun détail, me concentrant sur chacun de mes gestes.
Je selle le grand bai méticuleusement... Il semble me reconnaître et ne bronche pas... Enfin , je monte en selle et m'avance au pas vers l'endroit qui m'est assigné.
Un regard vers les Capitaines... Bigre Ils ont pas l'air de vouloir sourire et je les comprends un peu.
Notre cavalerie est... somptueuse... gonfanons et oriflammes claquant au vent nocturne, les cuirasses luisant au clair de lune... Somptueux et irréel...
C'est le coeur gonflé d'allégresse que je prends place au milieu de mes compagnons d'armes et, sur un signal du Capitaine, notre troupe s'ébranle enfin... Impressionnante et majestueuse....
Au combat... enfin !
Le jour se lève lorsque, enfin nous prenons position sous les murs de Tours.
Précédé de notre infanterie, les archers couvrant nos flancs, notre cavalerie domine la plaine au pied des murailles.
A cette distance, j'aperçois nettement la masse de la piétaille ennemie hérissée de piques. Soldats de fortune, bernés par les belles paroles mensongères des meneurs ponantais. La plupart sont vêtus de guenilles, on les sent au bord de la débandade, même si leur nombre est encore impressionnant, on peut lire le découragement sur leurs visages las. Ils se jettent avec leurs dernières forces, dans une bataille qu'ils savent perdue d'avance... Les pauvres gens !
Derrière elle, la cavalerie ponantaise. Encore impressionnante, elle aussi, malgré les pertes subies au fil des combats.
La bataille ?... Je la sens âpre parce que désespérée. Ces hommes ne lâcheront pas prise facilement. Nous devrons y mettre tout notre coeur, notre rage même, à défendre les valeurs de la Couronne de France en délivrant les Tourangeaux de l'oppression bretonne.
Pour l'heure, les deux camps s'observent. Je sens le grand bai piaffer d'impatience. J'ai eu la nuit de voyage pour le prendre en main. Le courant ne passe pas bien... il semble rétif, ombrageux. Sa bouche un peu dure me désoriente un peu, moi qui suis accoutumé aux chevaux à la bouche sensible, je sens ma main trop légère... plus d'une fois, il essaie de m'embarquer et il me faut toute ma maîtrise pour prendre de l'ascendant sur lui.
Dieu merci, il répond parfaitement aux aides des jambes... De fait, mes mains seront bien occupées, je gage.
Je garde l'oeil sur les fanions et le Capitaine, attendant ses ordres...
Il lève enfin la main .
La troupe à pied se met en marche avançant vers la ligne ennemie... Au pas, nous la suivons. Toute la ligne de nos cavalier avance de front, majestueuse, en ordre parfait. Le terrain est en légère pente, à notre avantage.
Soudain, nos piétons s'écartent en deux fronts distincts laissant entre eux une large brèche. C'est alors que au cri de
VIVE LA REYNE, les officiers dégainent leur lames et les portent haut !
Flamboiement d'acier... Mille feux surmontent nostre troupe... Lames étincelantes qui tournoient dans le matin cru... C'est le signal !
Ma lame a ajilli de son fourreau sans que je m'en rende compte presque et soudain, d'une voix que je ne me connaissais pas je me mets à hurler de concert :
- POUR LA FRANCE... POUR DIEU ET POUR LA REYNE... !!
Comme un seul homme, nous suivons le capitaine... au pas d'abord, puis au trot... Notre cavalerie forme un triangle avec à sa tête nos meilleurs combattants... Soudain, au grand galop, nous défonçons la ligne de piétaille ennemie...
Balayant lances et piques de coups d'épées rageurs, nos cavaliers percent une brêche sanglante dans les rangs ponantais.
Pour ma part, soudain galvanisé par l'action, je frappe dextre et senestre... quand ma lame ne tranche ou n'assène, mon bouclier heurte, renverse et estourbit tout ce qui passe à sa portée...
Curieuse chose m'arrive alors.
Eamon de Trévière fait place, peu à peu, à Eamon O'Sullivan.... Ce sang irlandais trop longtemps contenu en moi se met à bouillonner avec rage.
Bientôt, souillé par le sang de mes victimes, les cheveux sauvagement flottant au vent, le doux Prince se mue en guerrier farouche et sanguinaire ! Froide détermination, Cruelle lucidité qui me pousse à regarder mes ennemis dans les yeux avant de les voir tomber... Toute lâpreté pugnace des mes ancêtres guerriers celtes se répand dans mes veines. Sans joie, ni sans remord !
Dieu me pardonne...ô combien la puissance que je ressentais alors m'enivra ... au point que je ne sentais ni coups ni estafilades...les articulations de ma dextres étaient en sang, ma lame vermillon et mon bouclier éclaboussé de rouge... Une pique ennemie jaillit à ma droite, je l'évite par un vif retrait du buste tandis que ma lame s'abat... La pique reste en travers de ma selle avec une main crispée dessus... Un soldat agrippe les rênes du bai??? d'un coup de pied, je lui pulvérise la mâchoire.
Le combat est sans merci... partout des corps mutilés jonchent le sol tandis que des hurlement de rage et de douleur emplissent le champ de bataille, résonant contre les murs de la ville.
Le grand bai m'emporte... vite, trop vite... laissant derrière moi une tranchée sanglante et m'isolant un peu de mes frères d'armes.
Tout à l'ivresse de mon premier sang versé... je le vois à peine arriver... La cavalerie ennemis est là... près... si près... trop près même...
Et pour moi... trop tard pour reculer, la route m'est barrée par des soldats qui tentent de se réorganiser...
Mortecouille Eamon !!! ..
Suivi d'une troupe importante de cavaliers, une espèce d'ours tout de brun vêtu montant un lourd destrier bai brûlé et armé d'une lourde masse fonce sur moi... Bordélious !
D'une violente talonnade, je fais faire une volte à mon cheval évitant la charge de l'ennemi de justesse... Las... pas assez cependant car, au passage, l'Homme faisant tournoyer son arme m'en assène un coup d'une violence inouïe sur le flanc droit...
Je pare comme je peux de ma lame dans une position impossible et une douleur intense et brutale me foudroie soudain le flanc tandis que ma lame vole en éclat...
Je sens le sang couler... un instant, je crois défaillir...je serre les dents de rage... je me suis laissé avoir comme un bébé... désarmé, blessé, au bord de l'évanouissement et sans avoir conscience de la gravité de ma blessure, je donnes un coup d e talon rageur dans les flancs du bai qui fait un bond de carpe et m'emporte au grand galop vers nos lignes, poursuivi un moment par la cavalerie ennemie.
Comment ai-je pu passer à travers le champ de bataille sans autre mal, je l'ignore...
Le bai s'arrête enfin non loin de nos lignes et, dans un brouillard épais, je me sens glisser le long de ma selle...
Exit Eamon...