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[RP privé] Pied-à-terre à Aix

Anyya
Batisse au centre ville d'Aix.
Petit appartement à l'étage, deux pièces meublées. Le stric necessaire. Mais propret et agrémenté d'une touche de coquetterie qu'une main féminine passant par là y a déposée, pour rendre l'ensemble moins austère. Des rideaux aux fenêtres, un plaid sur le lit, un dessin d'enfant sur le buffet, un fauteuil à bascule au coin de la cheminée. Petit meublé donc, loué à la semaine une poignée d'écus, pied-à-terre pour les nuits de semaine d'un époux qui travaille en ville, rejoint parfois par une épouse lorsque ses obligations la conduisent à Aix.

************

La nuit pâlit à peine lorsqu'Anyya fait tourner sa clé dans la porte d'entrée. Elle est presque plus nocturne que matinale pour le coup, partie de Brignoles encore somnolente dans la carriole d'un marchand ambulant qui devait faire la liaison entre les deux bourgades. Elle doit se rendre au Chateau Comtal ce jour. Autant joindre l'utile à l'agréable... L'utile étant de se présenter en tant que Maire de Brignoles au Conseil des Bourgmestres plus tard. L'agréable étant de faire une surprise à son cher et tendre, et de le rejoindre de suite sous les draps pour quelques heures de sommeil dans les bras l'un de l'autre. Sommeil... ou autre chose... En souriant, elle pénètre dans l'appartement à pas de chat, referme la porte derrière elle. Par la fenêtre, la lueur grisâtre d'une nuit mourante dessine les contours des meubles. Elle ôte ses chausses, glisse sans bruit pieds nus sur le parquet, jusqu'à la porte de la chambre, qu'elle ouvre doucement.

Vide la chambre, tout comme le lit, même pas defait.

Anyya se fige sur le seuil. A cette heure pourtant, Thufthuf devrait être rentré de son travail, il devrait être là. Une pointe d'inquiétude vrille son coeur. Où est il ? Lui serait il arrivé malheur ? A moins que... Elle secoue la tête pour faire taire la petite voix pernicieuse qui siffle dans son esprit, siffle combien elle s'est montré naive, combien elle s'est voilée la face alors qu'elle sait depuis des jours, qu'elle sait que...
Elle claque la porte de la chambre, brusquement, comme pour y laisser enfermer ses doutes. Un pli soucieux barre son front. Il est tôt, trop tôt sans doute pour alerter qui que soit. Non, il va rentrer c'est sur, avec une explication logique.

Anyya s'asseoit sur le fauteil à bascule, au coin d'un âtre qu'aucune flamme n'anime. Elle remonte ses genoux sous son menton, les enserre de ses bras, s'enroulant dans sa cape de voyage, et attend.

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Thufthuf
Bâtisse au centre ville d'Aix.
Petit appartement à l'étage, deux pièces meublées. Le strict nécessaire. L'austérité, lui, s'en moque. Entre ses appartements d'Avignon, sa chambre aux Nobles Instincts, ses retours à Brignoles et cet appartement, il voyait un décor différent chaque jour. De plus, il s'écroulait souvent dès qu'il rentait, rompu par ses journées lourdement chargées.


************

Le soleil culmine quand ThufThuf fait tourner sa clé dans la porte d'entrée et il fait déjà bien lumineux dans l'appartement quand il y pénètre. Le repas chez les Orange une fois terminé, la nuit avec la Baronne a commencé. Une longue nuit, complétée par une matinée plus longue encore. Epuisés, les deux amants s'étaient séparés. Elle pour retourner dans l'immense appartement de son époux, lui pour rejoindre son minuscule logis d'appoint.

Sa longue tignasse brune en bataille, les traits tirés, il referme la porte derrière lui. L'odeur, elle, est celle du bain dans lequel ils ont terminé leur fol épisode. Chemise froissée, braies souillées par les sucs intimes libérés lors du premier assaut. Une fois que le déclic du loquet s'est fait entendre, il se retourne, et s'arrête, accuse le choc. Anyya est là, assise droite dans le vieux fauteuil du boiteux, sa cape gisant au sol. Dos à la fenêtre et au soleil, elle est nimbée d'une aura de lumière qui cache son visage. Immobile, il attend, guette une réaction qui ne vient pas. Et pour cause, elle dort.

Courageux mais pas téméraire, l'éclopé s'avance à pas de loups vers la chambre, se déshabille sans bruit et jette les vêtements au pied du lit avant d'enfiler des braies propres et de se rafraîchir dans le baquet d'eau toujours posé sur un meuble. Et le renverse, évidemment. Bruit de vaisselle et 'eau qui s'écrasent au sol, juron d'un homme énervé. Tout est réuni pour réveiller en sursaut la belle au fauteuil dormant.

L'après midi risque de ne pas être aussi reposante que prévu.
Anyya
S'égrènent les minutes, passent les heures...
Et Anyya attend, guette un bruit, de pas, de canne, de clé, en vain. Temps qui s'étire à l'infini. Chape de silence qui se fait pesante. La tête auréolée de mèches blondes se fait lourde, se pose sur les genoux. Lourdes aussi les paupières, ouvertes depuis plusieurs heures maintenant, et qui finissent par capituler et se fermer sur deux émeraudes ternies d'incertitude. Anyya s'endort, fatiguée d'un reveil trop matinal, fatiguée d'une attente qui n'en finit pas, fatiguée d'une inquiétude qui croit comme le temps passe.
Mais elle n'a même pas le répit d'un sommeil paisible. Elle se perd dans un labyrinthe onirique, à la recherche de quelque chose d'essentiel. Elle court, court, mais ne le retrouve pas, et reste seule, perdue au milieu des ombres... La jeune femme s'agite dans son sommeil, se tourne et se retourne sur le fauteuil. La cape de voyage finit par glisser et s'échoue à ses pieds, flaque sombre de tissu, aussi sombre que ses rêves.

Et soudain, un grand fracas, qui tire brusquement la belle au fauteuil dormant de ses songes tourmentés. Les longs cils dorés papillonent quelques secondes, les yeux de jade errent un instant, encore perdus entre rêve et réalité, cherchent un élèment auquel se raccrocher. Ils reconnaissent la pièce, se plissent devant la luminosité ambiante, et Anyya se rappelle d'un coup. Son arrivée à Aix, l'appartement vide, Thuf...
Thuf ?!
Ca s'agite dans la chambre à côté, ça jure, ça peste. D'une voix grave qu'elle reconnaitrait entre mille.
Elle se lève sans bruit, fronce les sourcils en voyant par la fenêtre le soleil haut dans le ciel. Quelle heure est il, midi déjà ? Pieds nus, elle s'avance en silence sur le parquet, jusqu'à la porte entrouverte. Elle la pousse d'une main, doucement pour ne pas la faire grincer, et embrasse d'un regard la scène qui se dévoile, y puisant de petites pièces de puzzle.
Un baquet, vide maintenant, qui finit de rouler au sol. Une rigole d'eau qui court sur le parquet, jusqu'à un paquet de vêtements roulés en boule et jetés au pied du lit. Et au milieu de tout ça, Thufthuf. Pieds nus lui aussi, vetu en tout et pour tout de braies. Debout, vivant, donc. Bref instant de soulagement en constatant qu'il va bien, avant que le regard n'achoppe sur l'ombre d'une morsure dans le creux tendre du cou, sur la rougeur de griffures le long des côtes.
Pièces de puzzle qui s'accumulent...
Elle reste sur le seuil, une main posée contre le chambranle, presque agrippée pour ne pas chanceler.


Bonjour Thuf.

Deux petits mots, suffisants pour attirer l'attention. Tête brune qui se tourne, regards qui se croisent. Le sien est vide , ne laissant rien transparaitre du tourbillon de ses pensées.
Pieces de puzzle... Longues meches brunes en bataille... Lévres gonflées... Yeux cernés... et derrière l'enervement évident qu'on peut y lire... la lueur de langueur qui s'attarde dans des pupilles encore dilatées... lueur qu'elle connait, qu'elle ne connait que trop bien.
Pièces de puzzle, qui s'assemblent, s'emboitent. Pas moyen de s'y soustraire, de les nier, alors qu'elle le fixe, la gorge nouée, incapable de parler. Mais dans le silence qui les enveloppe résonnent plus surement ses pensées que si elle les avait criées.


Ou étais tu ? Qu'as tu fait ?
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Thufthuf
Bonjour Thuf.

Ah. Il en est à jurer et pester comme un charretier quand les mots atteignent ses oreilles, puis le cerveau. Le visage qui était dirigé sur les dégâts se relève, passe des pieds à la tête de sa femme en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Les émeraudes de la blonde sont fixes, sans reflets. A les voir, il sait qu'elle sait. Elle serait idiote si elle ne savait pas. Et Anyya n'est pas, n'a jamais été, une idiote.

Bonjour Thuf.

Plus que ces deux mots prononcés à haute voix, ce sont ceux qui passent par le regard de sa femme qui devraient le faire réagir. Mais ces derniers, plutôt que de l'envahir lui, prennent un malin plaisir à tourner dans la pièce, s'enrouler autour de lui, prenant plus de force à chaque passage. Mais il n'est pas vraiment en état de penser, après les événements de la veille et de ce matin. La seule chose qui arrive à son cerveau, ce sont deux malheureux mots.

Il aimerait répondre, la serrer dans ses bras, comme à son habitude. Lui susurrer qu'il l'aime au creux de l'oreille, puis poser les lèvres sur les siennes et l'embrasser. Mais en cet instant, il sait qu'il n'en est pas question. En temps normal, elle aurait ri de sa maladresse, l'aurait faussement grondé, et ils auraient fini dans les bras l'un de l'autre. En temps normal, il serait près d'elle, effaçant du coin des pouces les larmes naissantes qui perlent sous les cils. Mais voilà... En temps normal, il ne porterait pas les marques d'une autre imprimées sur le corps. En temps normal, c'est dans les bras d'Anyya qu'il aurait passé la nuit. En temps normal...


Bonjour Thuf.

Deux petits mots, suffisants pour attirer l'attention. Deux petits mots, suffisants pour lui dire qu'en cet instant, il est sur le point de la perdre. Deux petits mots qui disent tous ses doutes. Deux petits mots. Deux petits mots?

Bonjour, Anyya...

Deux petits mots. A défaut d'autres, qu'il ne sait trouver en cet instant.

Me pardonneras-tu?
Anyya
Bonjour, Anyya...

Deux petits mots, et puis s'en vont. Le silence reprend ses droits, assourdissant pourtant aux oreilles de la jeune femme. Son époux, beau parleur, grand bavard, enrobeur de vérité, manieur de mots, son époux à la langue si déliée et prompt à s'en servir, ne dit plus rien. Un aveu en soi. Rien n'a encore été dit, tout se sait déjà.

Elle se fige, la blonde, se fige à l'extérieur, alors qu'à l'intérieur, elle se brise, sous la violence de cet aveu silencieux qui la percute de plein fouet, uppercut plus efficace que n'importe quel coup de poing. Elle ferme les yeux, une seconde, dix peut-être, elle ne s'en rend pas compte. Se soustraire au regard en face d'elle un instant, se soustraire à la culpabilité qu'elle y lit, à la question qu'elle y devine, et dont elle n'a même pas l'ombre d'une réponse. La main gracile est toujours serrée sur le bois du chambranle, si fort que quelques échardes griffent la peau fine, mais elle ne ressent pas cette douleur physique, si dérisoire en regard de l'autre. Quand elle rouvre les yeux, elle s'étonne elle même de tenir encore debout, alors qu'au dedans tout se délite. Sa voix sonne à ses propres oreilles comme du verre brisé, les mots ne veulent pas sortir, elle les y oblige, durement.


Tu n'as jamais été portier aux bains d'Aix.

Les émeraudes qui ne brillent plus se relevent vers Thufthuf. Idiote, elle a été idiote.

Je le sais depuis plusieurs semaines.

Depuis le premier Conseil des Bourgmestres au chateau d'Aix, pour être exacte. Jeune Maire inexpérimentée, intimidée encore, qui à la sortie du conseil avait bredouillé quelques politesses avec ses nouveaux collegues. Dont le Consol d'Aix. Qui n'avait pas manqué de s'enquérir ce qu'elle pensait de sa commune, où elle allait être amenée à venir regulièrement. Charmante, avait elle repondu, diplomate. Quand à y venir, elle en serait doublement heureuse puisque son époux aussi allait venir y travailler. Vraiment, et où donc ? Aux nouveaux bains d'Aix. Silence déjà à l'époque, géné, avant que ne lui soit répondu qu'il n'y avait pas de nouvel établissement de ce genre en ville. Sans doute avait-elle mal compris, avait elle esquivé. Mais la vérité était là, elle avait pu le verifier en se promenant dans la Cité, en discutant de ci de là. Pas ne nouveaux bains. Et dans ceux existants, pas de portier Thufthuf. Mais elle n'avait rien dit.

Je t'ai fait confiance.

Elle avait été idiote. Elle avait fait confiance, à lui, à leur amour. Apres tout, metier il devait bien y avoir, puisque les écus rentraient. Alors elle avait attendu, il finirait bien par lui expliquer, il devait y avoir une bonne raison. Il ne pouvait faire ça que pour le bien de leur couple, de leur famille.

Tu parles d'une bonne raison, il n'y a qu'à voir sa mine du jour !
Naive, voilà ce qu'elle a été. Et idiote, tellement idiote, à le croire malgré tout, à le croire par-dessus tout. Alors que lui pendant ce temps...


Tu m'as menti, tout ce temps. Et tu m'as...

La voix se brise pour de bon, ce dernier mot elle ne peut pas le dire.
Anyya essuie les larmes qui lui brulent les yeux d'un revers rageur de la main. Jusqu'où donc s'étendent les tentacules de ce mensonge, qui terminent de broyer son coeur en petits morceaux ? Elle prend une grande inspiration.


Dis moi la vérité, Thuf.

Rien n'a été dit, tout se sait déjà.
Mais il faut que tout soit dit, car pire que la vérité, c'est le doute, l'imagination, les interrogations. Qui ne permettent pas d'envisager ne serait ce que l'ombre d'un pardon.

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Thufthuf
Deux mots, puis rien. Le temps s'est figé, les cris silencieux ont repris. La rumeur enfle, gronde, tonne, menace de faire craquer les murs tandis qu'Anyya se referme, un peu plus à chaque instant. Un long moment passe, l'atmosphère est lourde, se fait écrasante. ThufThuf, lui, ne réfléchit plus. Il sait que, contrairement à d'habitude, il n'existe aucun échappatoire cette fois. Découvert, démasqué. Pas besoin de mots pour le dire. Mais pourtant... L'air s'allège, les paroles claquent comme un fouet.

Tu n'as jamais été portier aux bains d'Aix.

Les émeraudes qui ne brillent plus se relèvent vers Thufthuf. Idiot, il s'est comporté comme un idiot. Anyya n'est pas bête, elle ne pouvait que découvrir la vérité. Tôt ou tard. Heureusement ou pas, c'était plutôt tard.

Je le sais depuis plusieurs semaines.

Ah. En fait, c'était tôt. Très tôt. Coup de massue. Ses mensonges n'étaient pas très crédibles, c'est vrai. Mais avec l'éloignement qui les frappait, il espérait les faire durer un moment. Le moment fût bref, mais elle n'en a rien dit. Elle l'a laissé faire. Pourquoi? Elle a continué à le visiter à Aix, à le recevoir sourire aux lèvres quand il revenait à Brignoles pour quelques jours. Toujours, ses bras s'étaient ouvert et les lèvres avaient souri. Pourquoi?

Je t'ai fait confiance.

Idiot, oui. C'est vrai, elle est jalouse. C'est vrai, lui avouer tout de suite la vérité aurait déclenché une crise. Mais à choisir, n'aurait-elle été plus simple à gérer que celle-ci? Sûrement. Mais, à l'époque, il n'aurait pas parié un écu sur une victoire sur sa patronne. Jamais il n'aurait imaginé rentrer chez lui le corps couvert des marques laissées par une autre. Pourtant ils s'aiment, à n'en pas douter. Ils ont vécu des épisodes douloureux, d'autres heureux. Malgré tous les aléas, toutes les disputes, ils sont restés ensemble. Pour les souder un peu plus, Raphaël est apparu. Il est leur enfant, le fruit de leur amour, celui qui a mûri. Elya, elle, était un "accident". Pas voulue, crainte au début, mais néanmoins aimée, choyée. Elle est le portrait craché d'Anyya comme Raphaël est celui de ThufThuf. Et lui, il a pris des risques inconsidérés. Et les paye.

Tu m'as menti, tout ce temps. Et tu m'as...

Le flux de mots se tarit, les sons se brisent, les larmes coulent sur les joues féminines. Un pas vers elle, le deuxième est coupé net par le geste rageur qui essuient les perles de tristesse. Il connaît sa femme, sait quand il vaut mieux ne rien faire. En l'occurrence, elle le rejetterait, risquerait de s'enfuir. Ils ont besoin de cette discussion, il reste donc là, bras ballants, mine défaite.

Dis moi la vérité, Thuf.

La vérité? Soit.

La vérité... c'est que je suis bien portier. Mais pas aux bains, tu as raison... L'établissement où je travaille s'appelle les Nobles Instincts, et sa clientèle est essentiellement masculine. Oui, il y a des bains... mais ce n'est qu'accessoire. La vérité, c'est que je travaille dans un endroit où des femmes négocient leurs charmes.

Premiers aveux, les plus simples à faire. Le boiteux attend une réaction, s'assied sur le lit, vaincu, fatigué, au bord du gouffre.
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Anyya
Poupée de cire reste figée, alors que les derniers mots masculins tourbillonnent dans l'atmosphère lourde entre eux. Yeux de jade écarquillés, incrédules, clignement de paupières, une fois, deux fois, quand les mots insidieux s'insinuent enfin, forcent leur passage en ricanant jusqu'à son esprit engourdi.

Un... bordel ?

Un éclat de rire grinçant déchire la gorge blanche. Poupée de cire se fait poupée de chiffons, l'extérieur s'effondre comme l'intérieur, les jambes sont fauchées par cet aveu.

Tu travailles... dans un bordel...

Elle glisse, la pauvre poupée blonde, le long du chambranle jusqu'au sol. L'épaule s'appuie contre le bois qui se fait soutien de fortune. Elle clôt les yeux, un sourire amer étire les lèvres ourlées. Elle en a imaginé des choses pourtant, toutes ces nuits, seule dans leur lit conjugal. Porte-parole marquisal, doublé d'un agent secret au service de sa Majesté... Contrebandier au grand coeur... Rêves naifs, d'une jeune femme toute aussi naive. La vérité est tellement plus basse, tellement plus sordide. Un bordel...

Mains crispées sur son giron, Anyya vient fixer sans les voir les lattes disjointes du parquet. La vérité, car c'en est une, elle l'a lue dans les yeux défaits, l'a entendue dans la voix vaincue, la vérité donc ballote son esprit dans un tourbillon d'interrogations, d'incompréhensions. A la lumière de cet aveu, elle remonte le fil de l'écheveau emmelé, pour essayer vainement de le dénouer. Pensées qui s'entrechoquent, comme s'entrechoquent ses mots, fruits d'une reflexion décousue et hagarde.

Pourquoi... pourquoi m'as tu menti...

Oh bien sur, elle est assez honnête avec elle même pour savoir qu'elle n'aurait pas accueilli la nouvelle en sautant de joie. Mais tout de même... Il n'y a pas de sot metier après tout ! Et puis la confiance aurait fini par triompher de la jalousie. Même sans savoir, elle a triomphé, c'est pour dire. Alors pourquoi ? Pour avoir la paix, ne pas l'avoir dans les pattes ? Et pourtant...

Tu voulais même... qu'on demenage...

Peut-être... sans doute aurait elle accepté ce démènagement. Il sait bien que leur famille passe avant le reste pour elle, même la Mairie. Oui, elle aurait pu accepter de demenager, se rassurer elle en étant à ses côtés pour le laisser lui faire ce qu'il souhaitait.
Mais au lieu de ça... Il l'a laissée à Brignoles, dans le mensonge, pour venir travailler dans un bordel, toutes ces nuits.
Toutes ces nuits...
Anyya relève les yeux, les pose sur Thufthuf. Un rayon de soleil caresse la peau halée, joue sur les marques qui y sont imprimées. Morsure, griffures.
Elle n'a même pas conscience que le gémissement étouffé et desespéré qui meurt dans la pièce s'est échappé de sa propre gorge.


Non...

Toutes ces nuits. Jusqu'à cette nuit.
Sa vue se brouille de larmes, sa respiration se fait saccadée.


Tu as... Une de ces... femmes ? Une... catin ?

Au bord du gouffre, la jolie petite poupée blonde ? Non, en plein dedans, en train de s'y noyer.
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Thufthuf
Les émeraudes s'agrandissent, de même que les lèvres s'écartent et la bouche s'ouvre. Un rire sans vigueur, sans tonalité, s'échappe de la gorge de son épouse. La belle Anyya n'est plus que l'ombre d'elle-même, effondrée dans l'encadrement de la porte qui fait face au lit sur lequel il est affalé. Des mots résonnent dans l'atmosphère lourde du petit appartement. Des mots teintés d'incompréhensions, habillés d'espoirs déçus, drapés dans la douleur.

En la voyant là, telle un jouet à l'abandon, pantelante comme une marionnette désarticulée, ThufThuf ressent plus intensément encore les conséquences de ses actes. La nuit qui vient de s'écouler, riche en émotions et en sensations, perd d'un coup toute sa saveur. Sa femme est là, devant lui, détruite, et cette vision le détruit lui aussi, le fait fondre plus sûrement que les flammes dévorent la forêt quand elle s'embrase. A ce stade, seule la vérité peut se frayer un chemin entre eux, aussi sonore que le gémissement plaintif qui vient de se répandre dans l'air saturé de chagrin.

Les perles de lune qui glissent le long des joues d'albâtre sont arrêtées par deux mains masculines posées dessus, encadrant le visage. Les billes brunes tentent d'accrocher leurs jumelles vertes, de leur offrir un point d'amarrage, une corde vers le haut des falaises qui entourent l'esprit perdu de sa compagne devant le Très Haut.


Non.

Un mot, unique, rauque. Les secondes s'égrènent, le temps que la fureur monte dans le ventre d'Anyya. Avant que la colère n'explose, les autres suivent.

Je n'ai jamais payé pour cela, tu le sais. Celle qui a partagé ma nuit ne m'a rien réclamé en échange. Et si je voulais qu'on déménage... c'était pour vous garder près de moi, toi et les enfants... Parce que ma vie ne se fera pas sans vous... Parce que je t'aime.

Si peu a été dit, les mots étaient sincères. ThufThuf a toujours été taiseux, mais ses paroles, aussi rares soient-elles, ont toujours été empreintes de l'amour qu'il porte à sa famille. A voir si, dans l'état actuel des choses, la jolie blonde peut s'en souvenir.
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Anyya
Celle qui a partagé sa nuit.
C'est dit, cette fois.

Un sanglot étrangle la gorge blanche. Sur les joues, les mains masculines se font douces, et tentent d'épancher les larmes qui débordent des yeux agrandis par la douleur.
Celle qui a partagé sa nuit...
La pression chaude des mains de son époux sur sa peau a toujours été un baume pour le coeur et l'âme de la jeune femme. Jusque là. Anyya ferme les yeux, pour échapper au vertige qui la fait pâlir un peu plus, pour échapper aux images qui se forment dans son esprit et se reflètent dans les billes brunes en face d'elle. Les mains viriles... posées sur la peau d'une autre... la caressant... la...
Un spasme lui tord l'estomac, un flot de bile amère lui brûle la gorge, et d'un mouvement brusque elle se recule, pour couper court à ce contact. Pour la première de tout ce qu'elle peut se souvenir, Anyya ne supporte plus que ces mains qu'elle aime tant pourtant la touchent , et les fuit, se recroquevillant sur elle même, pauvre petite chose brisée par la souffrance, ballotée par les pleurs silencieux.

Mais au coeur de l'amas de cendres que lui semble être devenu son coeur, couvent les premières braises de la colère.


Elle ne t'a rien réclamé... Je devrais peut-être la remercier de t'avoir fait faire des économies à notre ménage...
Mais tu ne réponds pas. C'est la-bas que tu l'as rencontrée, c'est ça ? Elle officie dans ce... bordel, elle aussi...


Les joues blafardes se colorent d'un soupçon de rose, alors que l'incendie de la colère se propage.

Mais pourquoi Thuf ? Pourquoi ?! T'ai je jamais refusé mon corps, t'ai je jamais repoussé, que tu ais du aller te soulager dans d'autres draps ?

Les yeux d'émeraude se plantent dans leurs homologues marrons, brillants de larmes de rage. Les mots se bousculent maintenant, acides, ironiques, expression d'une fureur de façade qui comble pour l'heure tant bien que mal le gouffre d'incompréhension, de doute et de peur dont elle tente, si ce n'est de s'extraire, d'au moins ne pas s'y noyer.

Et tu m'aimes... La belle affaire ! Où était cet amour, cette nuit, avec elle ? Tu vas me dire que même là tu m'aimais ? Oh, mais tu étais sans doute trop occupé avec ton amour pour elle !
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Thufthuf
Ce qui est dit est dit, ce qui est fait est fait. Remords à foison, un peu moins de regrets.

Un sursaut plus fort que les autres agite le petit corps féminin, qui échappe aux mains abimées pour se pelotonner plus loin. Le reflet du dégoût se peint dans les yeux de la jolie blonde et perce le coeur de ThufThuf bien plus sûrement que ne l'aurait fait une lame. Juste retour des choses, pensez-vous, et je vous l'accorde. Il n'empêche que ce genre de regard, surtout quand il s'agit du premier, suffit à vous glacer l'âme et le sang.

Le langage des mots suit vite celui des yeux, tout aussi terrible, voire plus. Il rend coup pour coup, exploite les mauvais choix de vocabulaire, roue l'adversaire déjà au tapis. Nouvelle explosion de colère à chaque nouvelle phrase prononcée, que ce soit par elle ou par lui.


Je l'ai rencontrée à Aix, oui, mais elle n'est pas une catin, même si elle les fait travailler. Et ce n'était pas par... frustration... que j'ai fait ce que j'ai fait. Nos nuits ont toujours été parfaites et je n'ai aucune reproche à te faire... aucun. Je n'ai été poussé que par... l'attrait de la nouveauté... Le goût de l'inconnu...

Tu t'enfonces, ThufThuf, tu t'enfonces. Tant pis pour toi, tu boiras ton calice jusqu'à la lie, et même au-delà. Toi qui sais si bien choisir tes mots, en général, te voilà empêtré dans les erreurs et les approximations. L'hallali est proche.

Et je t'aime, oui! Toi et pas une autre, et surtout pas elle. Elle n'est... n'a été... que l'objet d'une convoitise purement charnelle, qui n'a rien à voir avec l'amour et ne change rien à mes sentiments pour toi!

Le gong sonnant la fin du round est prêt de retentir. L'éclopé, KO debout, pourra-t-il résister jusqu'à ce qu'il résonne?
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Anyya
Eclat de rire grinçant, presque hystérique, qui secoue la poupée de chiffons.

L'attrait de la nouveauté ? Le goût de l'inconnu ? Oh je vois... Pauvre, pauvre Thufthuf, obligé de partager ses nuits avec la même femme depuis presque trois longues années déjà... C'est vrai qu'il y a de quoi avoir fait le tour de la question ! Et quoi de mieux qu'une mère maquerelle pour se changer les idées, mhm ? Sûr qu'avec toute son ...expérience, on ne doit pas s'embêter !

Elle darde sur lui un regard orageux, les émeraudes virant à l'océan déchainé, contraste avec le ton de la voix qui se fait dangereusement doucereux.

Mais explique moi quelque chose... Ta vie ne se fera pas sans moi dis tu... Ne crains tu pas de périr d'ennui dans ces conditions ? A moins que tu escomptes renouveler ton expérience récréative. Il faut dire qu'avec tes arguments, il faudrait être une bien mauvaise épouse pour te contester ce droit...

L'orage gronde, comme les mots.

Malheureusement pour toi, je crains d'être une très mauvaise épouse.

Elle se relève, une main appuyée au chambranle pour s'aider, le corps douloureux tellement il est raide de colère. Qu'il n'y ait pas eu d'amour dans l'histoire est une bien maigre consolation, trop maigre à cet instant. Elle contemple son époux, les poings serrés. Elle a beau l'aimer plus que tout, elle n'est pas loin de ne plus répondre de rien tant elle est fachée, et elle préfère encore se retourner, s'éloignant de lui de quelques pas dans la pièce principale, cherchant à briser l'étau qui oppresse sa poitrine par de grandes inspirations.
Une tache colorée sur le buffet attire son intention. Les doigts graciles tremblent en se tendant vers elle. Un dessin d'enfant. Une petite fille, son papa, sa maman, son petit frère. Portrait d'une famille heureuse. Sa colère s'effrite devant la représentation enfantine simpliste mais joyeuse, ne laissant derrière elle que du vide. Une larme tombe sur le papier, diluant un trait de crayon. Anyya s'avance jusqu'au fauteuil, se laisse choir dessus, ne pouvant détacher ses yeux du dessin. Elle repense aux épreuves qu'ils ont du affronter. A ces dernieres années où ils ont pu goûter au bonheur. A leur amour. A leurs enfants. Tout ça pour ça... Plus encore que la trahison de la chair, c'est la souillure sur leur bonheur qui l'achève.


On etait enfin heureux. Et toi... toi tu as tout gaché... Tout ça pour quoi ? Ca te ne suffisait donc pas ?

Elle serre le dessin contre son coeur, la voix brisée.

Tu as tout gaché... Je ne sais pas si je pourrais te le pardonner...
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Thufthuf
"... 8... 9... 10, KO! Ding ding ding ding ding! Fin du match! Anyya vainqueur par KO au troisième round, à une seconde du terme. ThufThuf semble complétement à plat, incapable de se relever suite au terrible enchaînement que le challenger lui a asséné..."

Tel aurait pu être le commentaire du speaker si nous avions été en train d'assister au championnat du monde des poids lourds. Or, ce n'est pas le cas, et au lieu de l'immense salle du Caesar's Palace de Las Vegas où sont organisés les dits combats, nous nous trouvons à Aix, dans l'appartement du couple Anyya - ThufThuf, en pleine scène de ménage. Enfin, pour être honnête, elle est terminée... Et, pour la première fois depuis très longtemps, elle ne se réglera pas immédiatement dans les draps.

Debout lui aussi, s'appuyant à l'encadrement de la porte pour ne pas tomber, l'adultère regarde avec désespoir sa femme s'éloigner de lui et se recroqueviller dans son fauteuil, dans une position qu'il ne lui connaît que trop bien. Elle a accompagné chacune de leurs désillusions, chacun des écueils qui ont parsemé leur vie. La différence majeure est que, pour une fois, il est totalement responsable de cet état.

Que dire, quand votre épouse vous regarde avec autant de colère? Que faire, quand la mère de vos enfants, larmes aux yeux, vous fait comprendre que vous la dégoutez? Si vous le savez, je vous enjoins d'envoyer rapidement la réponse à l'homme dépourvu qui se tient au milieu d'un appartement plus vide que jamais, perdu en plein milieu d'Aix la belle. En attendant, il fait un pas vers celle qui lui a apporté plus de joie que toute autre. Et un second, vers celle qui restera à jamais la jeune fille qui n'osait rire de le voir fesses par terre - car à l'époque, il était encore intact - en plein milieu de la salle des fêtes de St Dié à cause d'une chaise par trop vermoulue. Un troisième, vers la propriétaire d'un chat et d'un mouton plus agressifs que Charybde et Scylla. Un dernier, enfin, vers celle qui un jour lui avait dit "oui".


Anyya... Je... suis désolé.

C'est tout? Eh bien oui. Il n'est pas doué le Thuf, dans ce genre de situation. Mais ce que ses paroles ne peuvent exprimer, ses yeux et son visage le crient. Si elle pleure, il n'est pas en reste, et le visage tanné par le soleil et anguleux par nature est défait, dénaturé par le chagrin qu'il éprouve de se savoir proche de perdre à nouveau celle qu'il a déjà perdu une fois. Toujours torse nu, il est impossible de ne pas remarquer l'affaissement des épaules musculeuses et le ventre contracté par l'angoisse éprouvée.

Je t'aime... et je ne veux pas te perdre... pas encore... Dis-moi ce que je peux faire, je t'en prie!

Cri du coeur.
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Anyya
Plus encore que le cri du coeur, ce sont les larmes sur le visage buriné qui touchent la jeune femme en plein dans le sien, même si il est pour l'heure morcelé.
Son homme pleure... lui qui ne pleure jamais. Si elle devait compter, les fois où elle l'a vu s'épancher ne suffiraient pas à faire se lever tous les doigts d'une seule main. La dernière fois, c'était à la naissance de leur fils. Quelques larmes de joie et de soulagement, rien à voir avec celles de chagrin qui coulent à flot aujourd'hui le long des joues halées. Thufthuf pleure, et si Anyya pouvait avoir jusque là quelques doutes sur sa sincérité, ils sont emportés par la crue salée qui se déverse des yeux bruns.

Son coeur, bien qu'en piteux état, se serre à cette vision. Elle l'aime, que voulez vous, elle l'aime, malgré tout. Avant, le voyant ainsi, elle serait déjà debout, l'enlaçant, le berçant, inquiète, consolatrice. Et déjà une main blanche se lève vers lui, avant de se rappeler que l'on n'est plus avant. La menotte fine hésite, et finit par se rétracter piteusement. Anyya baisse la tête, vaincue devant le fossé qui semble s'être creusé entre eux. Y-a-t-il seulement quelque chose à faire pour le combler ? Que pourrait elle donc lui demander ? Remonter le temps ? Effacer ce qu'il a fait ? Cela risque d'être ardu. Alors quoi ? Et puis déjà, qu'est ce qu'elle veut, elle ? Qu'il la perde ? Le quitter là sur le champ, avec perte et fracas, drapée dans sa dignité de femme bafouée... Tentant certes. Après tout il ne pourrait s'en prendre qu'à lui même. Mais à chaque face d'une médaille, il y a son revers. Le quitter... et ne plus vivre avec lui, ne plus rien partager.
Renier leur amour.
A cette pensée, son estomac regimbe, et une douleur vive oppresse sa poitrine. Tout bien réfléchi, il se pourrait que ce qu'elle vit en ce moment ne soit pas le pire qui pourrait arriver à notre poupée blonde.


Thuf...

Les doigts se lèvent à nouveau, tremblants, vers l'homme défait en face d'elle. Il est celui qui lui a donné son premier baiser, sa première nuit d'amour, deux enfants merveilleux, des années de bonheur. Et celui qui vient de commettre une erreur. Mis dans la balance, qu'est ce qui compte le plus ? Doit elle laisser l'écartade d'une nuit occulter tout le reste ?
Cette fois la main ne recule pas, et effleure un instant sa jumelle masculine. Contact fugace, fragile comme les ailes d'un papillon, elle ne peut guère plus pour l'instant, trop tôt, coeur trop à vif. Mais ce premier papillon a réussi, il a traversé le fossé.


Je ne veux pas te perdre... moi non plus... mais je ne sais pas... que faire...

Les billes de jade rendues translucides par les pleurs laissent entrevoir dans leurs profondeurs l'angoisse et la crainte. Angoisse devant ce nouvel obstacle à franchir, crainte de ne pas trouver comment s'y prendre et d'échouer.
Et peut-être, au fond, tout au fond, une étincelle... d'espoir ?

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