Kernos
Résumé des épisodes précédents:
A la recherche de la femme qu'il aime, disparue des mois, Kernos Rouvray, noble dauphinois, chevauche sur les routes de France sur les traces de sa Dame. En quête d'espoir et de rédemption, il traverse le pays en proie à la guerre avec pour seule compagnie sa monture, ses doutes et ses espérances.
Parti depuis quatre mois de ses terres, il laisse derrière lui le Duché de Bourgogne où ses recherches l'ont conduit à une impasse, pour se rendre dans celui du Berry, terre où son amour vivait avant leur rencontre, habitée par les souvenirs et les fantômes de son ancienne vie et par le spectre, bien présent lui, de la guerre que se livrent l'Alliance du Ponant et les fidèles de la Couronne royale de France.
Franchissant la Loire, il ignore encore ce qu'il trouvera en Berry, ombres du passé ou bien le fil d'une lame...
Chevauché au milieu des fantômes de ton passée et de la campagne désolée
Un halo argenté flottait au sommet des eaux sombres, dansant, ondulant au rythme des clapotis qui résonnaient tout autour de lui, s'accordant avec le claquement régulier des sabots de Grayswandir sur les pavés, le bruissement de leurs souffles et le tintement du métal. Kernos leva les yeux quelques instants, abandonnant le reflet trouble pour contempler l'astre directement et sans intermédiaire trompeur. Pleine, lointaine, étincelante, la Lune était encore présente dans le ciel obscur, son règne ne s'achèverait que dans une pincée d'heures, et c'était ce qu'il avait escompté en abandonnant Cosne bien avant que les laudes ne soient chantées. Voyager de nuit était une arme à double tranchant qu'il fallait utiliser avec précaution: certes le voile des ténèbres vous rend plus difficile à repérer mais la réciproque est valable également, les ombres pouvant accueillir vos ennemis embusqués aussi bien que vous maquer... un risque à courir, mais le jeu en valait la chandelle pour traverser cette région occupée sans trop de dégâts et, dans le cas inverse, c'était une belle nuit pour mourir.
Une foulée de plus. Quelques toises encore et il aurait atteint l'autre rive. Une foulée de plus. Pas de feu de camp aux alentours, ni de torches à l'autre bout du pont, sans doute les armées tourangelles d'occupation préféraient assurer le contrôle des routes menant à Bourges, n'est-ce pas ce qu'ils avaient fait durant la dernière guerre berrichonne? Une foulée de plus. Peut être que la position de Sancerre, entre Domaine Royale et Bourgogne loyale, leur permettait cette liberté, les deux duchés voisins garantissant la stabilité de cette marche pendant que le Conseil de Régence s'occupait de celle du centre de la province. Une foulée encore. Le pont était presque franchi, dans quelques instants il serait sur le sol berrichon, et dans moins de deux heures à Sancerre si tout se passait sans anicroche. Encore une autre foulée. Par sécurité, il vérifia que son épée jouait librement dans son fourreau, même avec un laissé passer de la Régence, on lui avait conseillé d'être prudent, ce qu'il avait fait avant de quitter Cosne en amenuisant sa bourse pour se procurer un gambison neuf et une dague supplémentaire, pas de quoi faire face à une armée mais utile face aux brigands de grand chemin. Une foulée de plus...le sabot avant de Grayswandir résonna d'un son plus mat, ça y est: ils étaient en Berry.
Kernos tira légèrement sur les rênes et tendit l'oreille pour étudier le silence environnant. Pas d'autres bruissements que celui du vent glacial dans les hautes herbes, pas de cris d'alarmes, ni de cliquetis métalliques, pas de flèches s'abattant des cieux pour le clouer à sa monture... rien que le silence de la nature endormie. Le Rouvray se surprit à soupirer de soulagement. Il remit son palefroi au pas et poursuivit son chemin, mieux ne valait pas s'endormir sur ses lauriers, une cible mouvante est plus difficile à atteindre.
Il chevaucha ainsi sur plusieurs arpents. Observant les ténèbres environnantes dans l'espoir de ne rien y déceler d'anormal. Epiant le moindre bruit perçant le silence la main sur la poignée de son épée mais, rien ne se produisit. Tout n'était qu'ombres et quiétude. La voie était déserte et, mis à part le hululement d'une chouette, le ronflement d'un sanglier et les hurlements lointains de quelques prédateurs nocturnes, rien ne venait troubler son avancée. Ce n'était pas pour autant qu'il fallait baisser sa garde, Sancerre était encore loin devant lui et il n'avait emprunté cette route qu'une fois par le passé, de jour qui plus est. La vigilance s'imposait donc pour éviter de se perdre et/ou de tomber dans un traquenard.
Kernos resserra le col de sa cape, un vent glaciale s'était engouffré dans le val qu'il traversait, charriant avec lui quelques nuages qui vinrent voiler l'oeil d'argent. Les ombres s'allongèrent et dansèrent tout autour de lui, tandis que sa perception du monde et la route s'étendant devant lui rétrécissaient à mesure que les nuées se faisaient plus nombreuses à la noce. En quelques minutes, on y voyait comme dans le fondement d'un taureau, le monde n'était plus qu'un vaste brouillard ténébreux, sans haut ni bas, seul subsistaient lui et sa monture, ilot solitaire d'existence au sein du chaos. Le chemin n'existait qu'au moment où Grayswandir posait le sabot dessus, sitôt franchi, il disparaissait derrière eux comme englouti dans l'obscurité qui les suivait à la trace. C'était comme chevaucher à travers l'Ether ... l'Infini... le Néant ou l'Absolu (selon vos convictions du moment).
C'était l'année passée. Ils venaient de parcourir la Bourgogne main dans la main. Comme deux amants nouveaux pour qui le monde existe seulement pour accueillir leur amour. Partageant le même souffle, la même vie, faisant de deux corps et de deux âmes un même Tout, ils avaient laissé l'empreinte de leur passion dans chaque lit d'auberge qu'ils avaient rencontré, parfois sur le sol même de cette terre nourricière et étrangère qu'ils foulaient... La Création était à eux et ils l'emplissaient de leur "Nous", La peignaient à leurs couleurs, L'animaient de leur propre musique. C'était il y a plus d'un an, ils se tenaient tous les deux non loin d'ici, la Lune et le Chêne, Terwagne et Kernos, à la frontière jouxtant le Berry et la Bourgogne. Elle se tenait debout, la main dans la sienne, le visage contemplant les terres de son passé s'étendant face à eux. Si proche et à la fois si lointaine, perdue dans les fantômes anciens de son existence, dans les méandres de cette vie où lui n'existait pas encore, où un autre homme se tenait à sa place... Amour perdu, amour abandonné, vestige d'un conditionnel à jamais révolu... Ils étaient venus pour qu'elle puisse enfin tourner la page, pour fondre ses tourments passés en un présent et un avenir nouveau, plein de promesses et rien qu'à eux. Il fit un pas auprès d'elle, l'enveloppa de ses bras et lui murmura quelques mots ... Tomber... relever... Noyer... plonger... Ses yeux dans les siens, ses lèvres , son souffle et ses mots au creux de son oreille... Ut... La... S'envoler... Sa chaleur, son corps contre le sien, ses bras... Un nouvel horizon s'ouvrait à eux.
Des hommes, il y en avait eu dans sa vie avant qu'ils ne se rencontrent au coeur de l'hiver et de la nuit, dans cette auberge briançonnaise au fin fond des montagnes. Certains ne lui étaient pas inconnu, d'autres que des noms, des ombres sans visage et sans autre consistance que les mots qu'elle avait pu prononcer à leur sujet. Tous ces fantômes qui tournoyaient autour de lui, glissant à la surface des ténèbres. Figures blafardes et fugitives venant se rire de lui, le hanter, le tourmenter, le décourager... Etait-il devenu comme eux? Un souvenir parmi d'autres? Un de ces hommes en qui elle avait cru et qui l'avait abandonné? Etait-il devenu un de ces hommes qu'il avait maudit pour l'avoir brisé? Une source de larmes en plus pour elle?
Etait-ce la fatigue ou la tension engendrées par une vigilance prolongée, ou bien le fait d'errer au travers de l'Abîme enveloppé dans les vapeurs de leurs respirations? Kernos n'en avait pas conscience, mais son esprit s'était égaré dans la nuit, au milieu de ses souvenirs - dont une partie ne lui appartenait pas d'ailleurs- et de ses doutes. Le froid ambiant avait engourdi son corps et sa tête dodelinait au rythme lent du pas de son cheval sur la route droite, l'entraînant inexorablement dans les brumes du sommeil.
Ce n'est qu'une heure plus tard, quand les rayons du soleil naissant vinrent disperser les ombres, que les paupières du Rouvray s'ouvrirent pour découvrir les murailles de Sancerre qui se profilaient au loin, au sommet de leur promontoire.
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A la recherche de la femme qu'il aime, disparue des mois, Kernos Rouvray, noble dauphinois, chevauche sur les routes de France sur les traces de sa Dame. En quête d'espoir et de rédemption, il traverse le pays en proie à la guerre avec pour seule compagnie sa monture, ses doutes et ses espérances.
Parti depuis quatre mois de ses terres, il laisse derrière lui le Duché de Bourgogne où ses recherches l'ont conduit à une impasse, pour se rendre dans celui du Berry, terre où son amour vivait avant leur rencontre, habitée par les souvenirs et les fantômes de son ancienne vie et par le spectre, bien présent lui, de la guerre que se livrent l'Alliance du Ponant et les fidèles de la Couronne royale de France.
Franchissant la Loire, il ignore encore ce qu'il trouvera en Berry, ombres du passé ou bien le fil d'une lame...
Chevauché au milieu des fantômes de ton passée et de la campagne désolée
Un halo argenté flottait au sommet des eaux sombres, dansant, ondulant au rythme des clapotis qui résonnaient tout autour de lui, s'accordant avec le claquement régulier des sabots de Grayswandir sur les pavés, le bruissement de leurs souffles et le tintement du métal. Kernos leva les yeux quelques instants, abandonnant le reflet trouble pour contempler l'astre directement et sans intermédiaire trompeur. Pleine, lointaine, étincelante, la Lune était encore présente dans le ciel obscur, son règne ne s'achèverait que dans une pincée d'heures, et c'était ce qu'il avait escompté en abandonnant Cosne bien avant que les laudes ne soient chantées. Voyager de nuit était une arme à double tranchant qu'il fallait utiliser avec précaution: certes le voile des ténèbres vous rend plus difficile à repérer mais la réciproque est valable également, les ombres pouvant accueillir vos ennemis embusqués aussi bien que vous maquer... un risque à courir, mais le jeu en valait la chandelle pour traverser cette région occupée sans trop de dégâts et, dans le cas inverse, c'était une belle nuit pour mourir.
Une foulée de plus. Quelques toises encore et il aurait atteint l'autre rive. Une foulée de plus. Pas de feu de camp aux alentours, ni de torches à l'autre bout du pont, sans doute les armées tourangelles d'occupation préféraient assurer le contrôle des routes menant à Bourges, n'est-ce pas ce qu'ils avaient fait durant la dernière guerre berrichonne? Une foulée de plus. Peut être que la position de Sancerre, entre Domaine Royale et Bourgogne loyale, leur permettait cette liberté, les deux duchés voisins garantissant la stabilité de cette marche pendant que le Conseil de Régence s'occupait de celle du centre de la province. Une foulée encore. Le pont était presque franchi, dans quelques instants il serait sur le sol berrichon, et dans moins de deux heures à Sancerre si tout se passait sans anicroche. Encore une autre foulée. Par sécurité, il vérifia que son épée jouait librement dans son fourreau, même avec un laissé passer de la Régence, on lui avait conseillé d'être prudent, ce qu'il avait fait avant de quitter Cosne en amenuisant sa bourse pour se procurer un gambison neuf et une dague supplémentaire, pas de quoi faire face à une armée mais utile face aux brigands de grand chemin. Une foulée de plus...le sabot avant de Grayswandir résonna d'un son plus mat, ça y est: ils étaient en Berry.
Kernos tira légèrement sur les rênes et tendit l'oreille pour étudier le silence environnant. Pas d'autres bruissements que celui du vent glacial dans les hautes herbes, pas de cris d'alarmes, ni de cliquetis métalliques, pas de flèches s'abattant des cieux pour le clouer à sa monture... rien que le silence de la nature endormie. Le Rouvray se surprit à soupirer de soulagement. Il remit son palefroi au pas et poursuivit son chemin, mieux ne valait pas s'endormir sur ses lauriers, une cible mouvante est plus difficile à atteindre.
Il chevaucha ainsi sur plusieurs arpents. Observant les ténèbres environnantes dans l'espoir de ne rien y déceler d'anormal. Epiant le moindre bruit perçant le silence la main sur la poignée de son épée mais, rien ne se produisit. Tout n'était qu'ombres et quiétude. La voie était déserte et, mis à part le hululement d'une chouette, le ronflement d'un sanglier et les hurlements lointains de quelques prédateurs nocturnes, rien ne venait troubler son avancée. Ce n'était pas pour autant qu'il fallait baisser sa garde, Sancerre était encore loin devant lui et il n'avait emprunté cette route qu'une fois par le passé, de jour qui plus est. La vigilance s'imposait donc pour éviter de se perdre et/ou de tomber dans un traquenard.
Kernos resserra le col de sa cape, un vent glaciale s'était engouffré dans le val qu'il traversait, charriant avec lui quelques nuages qui vinrent voiler l'oeil d'argent. Les ombres s'allongèrent et dansèrent tout autour de lui, tandis que sa perception du monde et la route s'étendant devant lui rétrécissaient à mesure que les nuées se faisaient plus nombreuses à la noce. En quelques minutes, on y voyait comme dans le fondement d'un taureau, le monde n'était plus qu'un vaste brouillard ténébreux, sans haut ni bas, seul subsistaient lui et sa monture, ilot solitaire d'existence au sein du chaos. Le chemin n'existait qu'au moment où Grayswandir posait le sabot dessus, sitôt franchi, il disparaissait derrière eux comme englouti dans l'obscurité qui les suivait à la trace. C'était comme chevaucher à travers l'Ether ... l'Infini... le Néant ou l'Absolu (selon vos convictions du moment).
C'était l'année passée. Ils venaient de parcourir la Bourgogne main dans la main. Comme deux amants nouveaux pour qui le monde existe seulement pour accueillir leur amour. Partageant le même souffle, la même vie, faisant de deux corps et de deux âmes un même Tout, ils avaient laissé l'empreinte de leur passion dans chaque lit d'auberge qu'ils avaient rencontré, parfois sur le sol même de cette terre nourricière et étrangère qu'ils foulaient... La Création était à eux et ils l'emplissaient de leur "Nous", La peignaient à leurs couleurs, L'animaient de leur propre musique. C'était il y a plus d'un an, ils se tenaient tous les deux non loin d'ici, la Lune et le Chêne, Terwagne et Kernos, à la frontière jouxtant le Berry et la Bourgogne. Elle se tenait debout, la main dans la sienne, le visage contemplant les terres de son passé s'étendant face à eux. Si proche et à la fois si lointaine, perdue dans les fantômes anciens de son existence, dans les méandres de cette vie où lui n'existait pas encore, où un autre homme se tenait à sa place... Amour perdu, amour abandonné, vestige d'un conditionnel à jamais révolu... Ils étaient venus pour qu'elle puisse enfin tourner la page, pour fondre ses tourments passés en un présent et un avenir nouveau, plein de promesses et rien qu'à eux. Il fit un pas auprès d'elle, l'enveloppa de ses bras et lui murmura quelques mots ... Tomber... relever... Noyer... plonger... Ses yeux dans les siens, ses lèvres , son souffle et ses mots au creux de son oreille... Ut... La... S'envoler... Sa chaleur, son corps contre le sien, ses bras... Un nouvel horizon s'ouvrait à eux.
Des hommes, il y en avait eu dans sa vie avant qu'ils ne se rencontrent au coeur de l'hiver et de la nuit, dans cette auberge briançonnaise au fin fond des montagnes. Certains ne lui étaient pas inconnu, d'autres que des noms, des ombres sans visage et sans autre consistance que les mots qu'elle avait pu prononcer à leur sujet. Tous ces fantômes qui tournoyaient autour de lui, glissant à la surface des ténèbres. Figures blafardes et fugitives venant se rire de lui, le hanter, le tourmenter, le décourager... Etait-il devenu comme eux? Un souvenir parmi d'autres? Un de ces hommes en qui elle avait cru et qui l'avait abandonné? Etait-il devenu un de ces hommes qu'il avait maudit pour l'avoir brisé? Une source de larmes en plus pour elle?
Etait-ce la fatigue ou la tension engendrées par une vigilance prolongée, ou bien le fait d'errer au travers de l'Abîme enveloppé dans les vapeurs de leurs respirations? Kernos n'en avait pas conscience, mais son esprit s'était égaré dans la nuit, au milieu de ses souvenirs - dont une partie ne lui appartenait pas d'ailleurs- et de ses doutes. Le froid ambiant avait engourdi son corps et sa tête dodelinait au rythme lent du pas de son cheval sur la route droite, l'entraînant inexorablement dans les brumes du sommeil.
Ce n'est qu'une heure plus tard, quand les rayons du soleil naissant vinrent disperser les ombres, que les paupières du Rouvray s'ouvrirent pour découvrir les murailles de Sancerre qui se profilaient au loin, au sommet de leur promontoire.
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