Aereldil
- C'est encore une journée froide sur les routes du Royaume... Cela fait des jours que je n'ai mangé à ma faim. Mon estomac me tiraille en tous sens, semblant crier, grogner même. Depuis que j'ai quitté Labrit, loin en Gascogne au sud-ouest, je cherche à éviter les villages au maximum en prenant à travers champs ou en passant par des endroits sauvages et dangereux pour une frêle vagabonde sans défense comme moi.
Il pleuvait en ce jour placé sous le signe d'un... nouveau départ, enfin, peut-être. Aereldil était une fille meurtrie dans son corps comme dans son âme, cela remontait à ses jeunes années alors qu'elle n'était qu'une enfant. Son propre père, un ancien noble déchu qui avait croupi dans les sombres cachots d'une austère prison Angevine, la força à servir d'agréable compagnie à des personnes souvent louches et peu recommandables à qui il devait nombre de piécettes sonnantes. Elle connut déjà à cette époque de nombreux sévices qui l'ont en partie détruite. Lorsque sa mère succomba à une maladie, elle dut la remplacer en tant que femme avec tout ce que cela impliquait, la pauvre jeune fille jura à ce moment de faire payer son père dans la vie comme dans la mort pour tout ce qu'il lui avait infligé durant son enfance gâchée. Enfant destinée à une vie noble et opulente qui finit dans la rue, abandonnée par ses gens, déchue de tous titres, son nom, Du Lorien, souillé et traîné dans la boue, chassée de sa ville par un Vicomte abusé par son vassal. Son père, le Baron Du Lorien, jeté en prison pour abus sur les taxes et autres vols à l'encontre de son seigneur, évadé puis livré à une vie de débauche avec sa femme et sa fille aidé en cela par des « amis » à qui il dut rapidement beaucoup d'argent.
Un jour où son père dépassé par les évènements, prit l'ultime décision de partir, quitter ce duché d'Anjou pour rejoindre des terres plus clémentes pour lui, fuir ses créanciers aussi loin que possible dans le fol espoir de leur échapper. Aereldil avait eu une fille de son père, Aeriana, une enfant non désirée ni par elle, ni par lui. La pauvre petite était traînée de campement en campement comme un fardeau en plus à supporter. Aereldil n'attendait que le bon moment pour se venger de son père, elle en était arrivée à ne penser plus qu'à cela jour et nuit, sa fille représentait le fruit immonde qu'elle avait dû porter pendant neuf horribles mois en elle, une souffrance et une souillure de plus, la pire, la plus abjecte de toutes. Cette fois, elle n'en pouvait plus, ce porc devait expier ses crimes et la mort seule serait bien trop douce pour sa peine. Il devait connaître des tourments éternels, jamais il ne reposerait en paix ! Un soir d'été, lors d'une belle nuit étoilée dans le ciel du Poitou loin de toute civilisation, elle mit son terrible plan à exécution.
Ils avaient établi un petit camp de fortune dans la région au sud-est du village de Saintes, une tente de mauvaise facture avec un des pans déchiré les protégeant au moins du vent. La route n'était pas loin, ils étaient situés en lisière de forêt, celle de Saintes pour être précis qui débouchait sur un grand champ sauvage qui offrait maintes cachettes de par son terrain accidenté et relativement privé de toute surface plane. La petite dormait paisiblement, le vieux Baron était dehors près du feu à ressasser tous ses problèmes comme chaque nuit depuis qu'ils avaient quitté l'Anjou. Aereldil était songeuse, c'était le moment de frapper, l'occasion rêvée ! Elle regarda une dernière fois l'enfant étendue, sa fille, sa douleur, sa damnation, son profond dégoût. Son idiot de père s'était enfin séparé de son poignard qu'il n'avait jusqu'à lors jamais quitté. Elle le trouva dans son sac parmi toutes les babioles inutiles qu'il avait emporté certainement pour tenter de les refourguer au premier crédule venu contre quelques piécettes bienvenues. Le saisissant, elle appliqua délicatement sa douce main maternelle sur la bouche de sa fille pour ne pas la réveiller avant de plonger la pointe émoussée d'un coup sec et féroce dans la poitrine de la pauvre enfant qui n'aurait jamais dû venir au monde. Un seul coup suffit, elle n'eut pas le temps de crier. Relevant son étreinte macabre d'un air soulagé, Aereldil sortit de la tente sans se retourner avec l'arme enduite de sang qui s'écoulait lentement par gouttes sur le sol terreux de la plaine comme pour nourrir ses entrailles desséchées qui réclamaient leur pitance très longtemps attendue. Le porc était assis sur une pierre plate aux côtés réconfortants du feu, il se tourna en entendant la jeune femme approcher en lui lançant des avances obscènes comme à son habitude. Aereldil souriait étrangement, elle ne souriait jamais en temps normal mais cela ne sembla pas sauter aux yeux du Baron qui ne remarqua même pas qu'elle dissimulait quelque chose dans son dos. Une fois à sa hauteur, elle se baissa sur ses épaules déposant une main sur l'une d'elles comme pour la masser. Elle y était, après tant d'années de souffrance, d'humiliation, elle tenait enfin sa revanche sur l'être qui avait fait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui. La suffisance du Baron déchu ne lui permit pas de déceler que son plus grand péril venait de l'intérieur, il en était à ses derniers souffles, ses dernières obscénités, son heure était arrivée et le sourire jouissif de son bourreau était à la mesure de sa délivrance depuis longtemps espérée. Elle le saisit brusquement à la gorge l'enserrant de son bras avec toute la force de sa rage puis lui planta la pointe de son poignard dans l'abdomen rapidement avant qu'il puisse se dégager, un coup de taille qui ouvrit son ventre bedonnant en deux dans un hurlement de douleur perceptible à des lieues à la ronde. Il tomba à terre en avant, ses tripes à l'air sur le sol gisant dans ce qui devint bientôt une marre de sang d'un rouge presque pourpre, reflétant toute la pourriture fermentée de nombreuses années de dépravation. De tout ce qui lui passa par la tête en cet instant, sans doute dans un sursaut d'orgueil, le pauvre bougre se demanda pourquoi et comment elle avait pu faire une chose pareille après tout ce qu'il avait bien fait pour elle et sa fille. Il était à l'agonie mais ce n'était pas fini pour autant, Aereldil voulait qu'il sente, qu'il perçoive tout le mal qu'il avait pu lui faire. Il leva la tête jusqu'à elle mais fut bien tôt ramener face contre terre d'un coup de pied écrasant donné sur son dos. S'ensuivit une torture cruelle faite avec détermination et sans aucune âme, Aereldil n'en avait plus, perdue dans sa souffrance, jubilant dans son rôle de tortionnaire impitoyable. Elle prit un malin plaisir à couper les doigts de son père, hurlant de douleur dans la plaine, un à un jusqu'à ce que mort s'en suive du fait de sa blessure première qui l'avait vidé de son sang durant plusieurs longues minutes qui parurent une éternité.
Elle l'avait fait, enfin il poussa son dernier soupir dans cette plaine à jamais témoin de cette barbarie sanglante qui abreuva la terre d'une souillure impie. Elle resta longuement là à contempler la dépouille mutilée de son père, du porc qui avait abusé d'elle depuis l'enfance. Elle avait l'impression de se sentir un peu mieux maintenant, un poids en moins à peser, mais ce n'était que le début en ce qui le concernait. Il devait payer ses horreurs par delà la mort ! Point de tombeau pour lui, point de sépulture aristotélicienne, il n'avait pas droit à tout ceci, il sera maudit pour l'éternité. Le manche du poignard ensanglanté fut serré très fort, elle était emplie de haine, une haine féroce envers lui, envers tous ceux de son espèce. D'un geste léger, elle posa un genou à terre puis vint l'autre. Les cheveux du cadavre furent empoignés avec force et à l'aide de gestes vengeurs et sadiques, elle arracha la tête du malheureux comme on sciait un arbre. Son regard était sombre, très dur, elle ne montrait aucune faiblesse, aucun remord, rien n'émanait plus d'elle que de la rage et de la rancoeurs. Son oeuvre morbide achevée, elle brandit la tête par les cheveux vers le ciel en lançant d'une voix forte qu'il ne trouverait jamais le repos auprès d'Aristote, que le Sans-Nom le torturerait pour l'éternité. Elle passa la nuit couchée à côté du corps sans vie de sa fille puis au petit matin, la tête mutilée du père fut rangée dans son sac, enveloppée d'un tissu sous plusieurs couches.
Aereldil avait peur, elle était seule maintenant, frêle, sans défense et totalement démunie. Mais cela ne dura pas, il fallait regagner la population pour tenter de survivre et trouver un coin pour s'installer. Son courage pris, tout doute évaporé, elle avait enfin la vie qu'elle cherchait depuis tout ce temps. Elle gagna Bordeaux en Guyenne où elle fit une rencontre qui allait une fois de plus bouleverser son existence malheureuse. Un homme du nom de Marxton, juste Marxton, qui cherchait une fille pour un travail de vendeuse sur le marché de la ville. La pauvre était totalement inexpérimentée et ne vit pas le coup venir. En fait, cet homme appartenait à une bande de brigands à la petite semaine qui voyant cette pauvre femme égarée, s'était mis en tête de la vendre comme esclave au marché de Bayonne en Gascogne plus loin dans le Sud. C'est ainsi qu'elle fut une fois de plus embarquée dans une galère dont elle était la victime. La bande comptait trois hommes et une femme totalement délurée qui se vendait à ceux qui recherchaient un peu de bonne compagnie contre rémunération bon marché. Aereldil passa également entre les mains des trois bandits à tour de rôle ce qui la rendit encore plus furieuse intérieurement, elle qui commençait à se dire qu'elle était vouée à cela pour le restant de ses jours. Le groupe prit la route pour Labrit, faisant un petit détour pour le plaisir. La tête tranchée était restée dans le sac que ces simplets n'avaient fouillé qu'en surface ne trouvant rien d'intéressant, lui laissant à disposition. A Labrit, ils s'étaient installés dans la cave d'une vieille maison qu'ils connaissaient bien à première vue, peut-être était-ce là une de leurs planques. Ce soir là, deux des ravisseurs quittèrent le repère avec Bianca, la femme du groupe ne laissant qu'un gardien seul avec Aereldil qui vit là une chance de s'évader. Elle sauta sur l'occasion en prenant l'idiot du village par sa plus grande faiblesse. Elle l'attira à elle avec ce qu'elle savait faire de mieux, le crétin portait une dague à sa ceinture qu'elle avait bien entendu repéré. Ce fut très simple pour elle de se saisir de l'arme pendant qu'il était perdu dans son long cou oubliant tout le reste. Puis, pendant qu'elle l'embrassait avec vigueur comme elle ne l'avait jamais fait auparavant, la lame glissa d'un coup puissant dans son ventre suivit d'un coup de taille vers la gauche pour l'éventrer comme son père dans un cri de douleur perçant mais cette fois-ci, elle plongea directement sa main dans ses entrailles fumantes pour lui arracher les tripes avec bestialité provoquant sa mort dans d'atroces souffrances. Il gisait au sol, la scène avait un air de déjà vu, comme si l'histoire se répétait inlassablement, elle tenait ses intestins dans sa main pleine de sang. Coupant les derniers morceaux encore attachés à l'estomac, elle mit tout dans son sac, gardant la dague pour se défendre et pour manger... les tripes. Elle aura faim durant son voyage. En voulant partir, un livre posé sur une petite table attira son attention. Les pages étaient reliées par un cuir noir, le titre « La tombe » était gravé en rouge illustré par un pentagramme possédant un crâne en son centre. Sans même l'ouvrir, elle le rangea dans ses affaires avant de s'enfuir. Mais où aller à présent ? Labrit et sa région n'étaient pas sûrs, elle serait sans doute pourchassée. Le Sud ne lui disait rien du tout, elle prit alors la direction du Nord...
Il pleuvait alors qu'Aereldil marchait avec faiblesse, clopinant presque sur la route menant au village de Castillon, elle était entrée en Périgord. La route suivait un grand fleuve qui donnait sur le petit village au loin, le traversant en faisant face à une immense forêt. La jeune femme ne quittait pas des yeux le toit de l'église qui dominait la plaine en se disant qu'elle ne pourrait aller plus loin, que se serait sa destination pour le moment. Le temps déciderait du reste, si la route devait se poursuivre ou non, mais elle devait s'installer et l'endroit lui plaisait. Le paysage était agréable à observer, certainement encore plus beau lorsque le soleil brillait au zénith. La pluie réveillait les senteurs des arbres, de la terre et des plantes alentours mais cette humidité avait atteint ses os fragiles, elle était frigorifiée, tremblante et affamée. Elle devait trouver refuge dans ce village avant de pouvoir travailler pour correctement s'y installer en espérant qu'elle ne tombera pas une fois de plus sur des gens comme ceux qu'elle avait connu auparavant. Les portes étaient passées, certaines personnes allaient et venaient en courant pour échapper au flot inquisiteur qui pouvait traverser le tissu le plus épais. Aereldil trouva le repaire du Tribun sans tarder, elle ne fut pas très bonne impression au premier abord, prêtant plus à la pitié qu'autre chose, vêtue de haillons déchirés en de nombreux endroits comme une mendiante, un visage aux traits tirés et fatigués. Ses yeux étaient en partie cachés par une capuche elle aussi déchirée, elle ne semblait pas vouloir croiser les yeux de la femme en face d'elle qui lui posait des questions avant de lui attribuer une petite maisonnette abandonnée en bordure des murs du village en contrepartie de journées de travail à la mine plus loin sur la route ou à l'église du coin. La mendiante s'efforça d'être le plus poli possible, ses jeunes années avaient été marquées par un début d'éducation assez stricte qui lui aura au moins permis d'apprendre à lire et à parler aux gens.
L'endroit en question paraissait austère et vieillot, mais c'était une aubaine pour une fille comme elle qui n'avait plus rien à part ses vieux haillons odorants et son sac souillé. La maisonnette était une bicoque délabrée avec des trous dans la toiture qui laissaient désespérément l'eau envahir une partie de la pièce. L'intérieur était composé d'une simple salle contenant une paillasse faisant office de couchette dans un des coins heureusement au sec, une petite commode cassée mais pouvant encore servir ainsi qu'une petite table carrée au centre avec une chaise en bois pourri qui se casserait certainement à la première tentative de repos fessier. Bien sûr, tout ceci recouvert d'une poussière coriace. La jeune femme n'eut rien à dire, trop contente d'être au sec. Elle ôta ses haillons détrempés laissant apparaître une silhouette élancée, fragile et maigrelette portant des traces de fouet sur le dos ainsi que des cicatrices sur les cuisses et des marques de brûlure sur les bras en plusieurs endroits. Les guenilles furent essorées et déposées sur la table pour sécher, la demoiselle tout juste vêtue d'un pagne s'allongea sur la paillasse avec une vieille pomme dans la main lui restant de son voyage en pleine nature. Elle croqua dedans à pleines dents, affamée qu'elle était puis finalement, s'assoupit éreintée.
Il pleuvait en ce jour placé sous le signe d'un... nouveau départ, enfin, peut-être. Aereldil était une fille meurtrie dans son corps comme dans son âme, cela remontait à ses jeunes années alors qu'elle n'était qu'une enfant. Son propre père, un ancien noble déchu qui avait croupi dans les sombres cachots d'une austère prison Angevine, la força à servir d'agréable compagnie à des personnes souvent louches et peu recommandables à qui il devait nombre de piécettes sonnantes. Elle connut déjà à cette époque de nombreux sévices qui l'ont en partie détruite. Lorsque sa mère succomba à une maladie, elle dut la remplacer en tant que femme avec tout ce que cela impliquait, la pauvre jeune fille jura à ce moment de faire payer son père dans la vie comme dans la mort pour tout ce qu'il lui avait infligé durant son enfance gâchée. Enfant destinée à une vie noble et opulente qui finit dans la rue, abandonnée par ses gens, déchue de tous titres, son nom, Du Lorien, souillé et traîné dans la boue, chassée de sa ville par un Vicomte abusé par son vassal. Son père, le Baron Du Lorien, jeté en prison pour abus sur les taxes et autres vols à l'encontre de son seigneur, évadé puis livré à une vie de débauche avec sa femme et sa fille aidé en cela par des « amis » à qui il dut rapidement beaucoup d'argent.
Un jour où son père dépassé par les évènements, prit l'ultime décision de partir, quitter ce duché d'Anjou pour rejoindre des terres plus clémentes pour lui, fuir ses créanciers aussi loin que possible dans le fol espoir de leur échapper. Aereldil avait eu une fille de son père, Aeriana, une enfant non désirée ni par elle, ni par lui. La pauvre petite était traînée de campement en campement comme un fardeau en plus à supporter. Aereldil n'attendait que le bon moment pour se venger de son père, elle en était arrivée à ne penser plus qu'à cela jour et nuit, sa fille représentait le fruit immonde qu'elle avait dû porter pendant neuf horribles mois en elle, une souffrance et une souillure de plus, la pire, la plus abjecte de toutes. Cette fois, elle n'en pouvait plus, ce porc devait expier ses crimes et la mort seule serait bien trop douce pour sa peine. Il devait connaître des tourments éternels, jamais il ne reposerait en paix ! Un soir d'été, lors d'une belle nuit étoilée dans le ciel du Poitou loin de toute civilisation, elle mit son terrible plan à exécution.
Ils avaient établi un petit camp de fortune dans la région au sud-est du village de Saintes, une tente de mauvaise facture avec un des pans déchiré les protégeant au moins du vent. La route n'était pas loin, ils étaient situés en lisière de forêt, celle de Saintes pour être précis qui débouchait sur un grand champ sauvage qui offrait maintes cachettes de par son terrain accidenté et relativement privé de toute surface plane. La petite dormait paisiblement, le vieux Baron était dehors près du feu à ressasser tous ses problèmes comme chaque nuit depuis qu'ils avaient quitté l'Anjou. Aereldil était songeuse, c'était le moment de frapper, l'occasion rêvée ! Elle regarda une dernière fois l'enfant étendue, sa fille, sa douleur, sa damnation, son profond dégoût. Son idiot de père s'était enfin séparé de son poignard qu'il n'avait jusqu'à lors jamais quitté. Elle le trouva dans son sac parmi toutes les babioles inutiles qu'il avait emporté certainement pour tenter de les refourguer au premier crédule venu contre quelques piécettes bienvenues. Le saisissant, elle appliqua délicatement sa douce main maternelle sur la bouche de sa fille pour ne pas la réveiller avant de plonger la pointe émoussée d'un coup sec et féroce dans la poitrine de la pauvre enfant qui n'aurait jamais dû venir au monde. Un seul coup suffit, elle n'eut pas le temps de crier. Relevant son étreinte macabre d'un air soulagé, Aereldil sortit de la tente sans se retourner avec l'arme enduite de sang qui s'écoulait lentement par gouttes sur le sol terreux de la plaine comme pour nourrir ses entrailles desséchées qui réclamaient leur pitance très longtemps attendue. Le porc était assis sur une pierre plate aux côtés réconfortants du feu, il se tourna en entendant la jeune femme approcher en lui lançant des avances obscènes comme à son habitude. Aereldil souriait étrangement, elle ne souriait jamais en temps normal mais cela ne sembla pas sauter aux yeux du Baron qui ne remarqua même pas qu'elle dissimulait quelque chose dans son dos. Une fois à sa hauteur, elle se baissa sur ses épaules déposant une main sur l'une d'elles comme pour la masser. Elle y était, après tant d'années de souffrance, d'humiliation, elle tenait enfin sa revanche sur l'être qui avait fait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui. La suffisance du Baron déchu ne lui permit pas de déceler que son plus grand péril venait de l'intérieur, il en était à ses derniers souffles, ses dernières obscénités, son heure était arrivée et le sourire jouissif de son bourreau était à la mesure de sa délivrance depuis longtemps espérée. Elle le saisit brusquement à la gorge l'enserrant de son bras avec toute la force de sa rage puis lui planta la pointe de son poignard dans l'abdomen rapidement avant qu'il puisse se dégager, un coup de taille qui ouvrit son ventre bedonnant en deux dans un hurlement de douleur perceptible à des lieues à la ronde. Il tomba à terre en avant, ses tripes à l'air sur le sol gisant dans ce qui devint bientôt une marre de sang d'un rouge presque pourpre, reflétant toute la pourriture fermentée de nombreuses années de dépravation. De tout ce qui lui passa par la tête en cet instant, sans doute dans un sursaut d'orgueil, le pauvre bougre se demanda pourquoi et comment elle avait pu faire une chose pareille après tout ce qu'il avait bien fait pour elle et sa fille. Il était à l'agonie mais ce n'était pas fini pour autant, Aereldil voulait qu'il sente, qu'il perçoive tout le mal qu'il avait pu lui faire. Il leva la tête jusqu'à elle mais fut bien tôt ramener face contre terre d'un coup de pied écrasant donné sur son dos. S'ensuivit une torture cruelle faite avec détermination et sans aucune âme, Aereldil n'en avait plus, perdue dans sa souffrance, jubilant dans son rôle de tortionnaire impitoyable. Elle prit un malin plaisir à couper les doigts de son père, hurlant de douleur dans la plaine, un à un jusqu'à ce que mort s'en suive du fait de sa blessure première qui l'avait vidé de son sang durant plusieurs longues minutes qui parurent une éternité.
Elle l'avait fait, enfin il poussa son dernier soupir dans cette plaine à jamais témoin de cette barbarie sanglante qui abreuva la terre d'une souillure impie. Elle resta longuement là à contempler la dépouille mutilée de son père, du porc qui avait abusé d'elle depuis l'enfance. Elle avait l'impression de se sentir un peu mieux maintenant, un poids en moins à peser, mais ce n'était que le début en ce qui le concernait. Il devait payer ses horreurs par delà la mort ! Point de tombeau pour lui, point de sépulture aristotélicienne, il n'avait pas droit à tout ceci, il sera maudit pour l'éternité. Le manche du poignard ensanglanté fut serré très fort, elle était emplie de haine, une haine féroce envers lui, envers tous ceux de son espèce. D'un geste léger, elle posa un genou à terre puis vint l'autre. Les cheveux du cadavre furent empoignés avec force et à l'aide de gestes vengeurs et sadiques, elle arracha la tête du malheureux comme on sciait un arbre. Son regard était sombre, très dur, elle ne montrait aucune faiblesse, aucun remord, rien n'émanait plus d'elle que de la rage et de la rancoeurs. Son oeuvre morbide achevée, elle brandit la tête par les cheveux vers le ciel en lançant d'une voix forte qu'il ne trouverait jamais le repos auprès d'Aristote, que le Sans-Nom le torturerait pour l'éternité. Elle passa la nuit couchée à côté du corps sans vie de sa fille puis au petit matin, la tête mutilée du père fut rangée dans son sac, enveloppée d'un tissu sous plusieurs couches.
Aereldil avait peur, elle était seule maintenant, frêle, sans défense et totalement démunie. Mais cela ne dura pas, il fallait regagner la population pour tenter de survivre et trouver un coin pour s'installer. Son courage pris, tout doute évaporé, elle avait enfin la vie qu'elle cherchait depuis tout ce temps. Elle gagna Bordeaux en Guyenne où elle fit une rencontre qui allait une fois de plus bouleverser son existence malheureuse. Un homme du nom de Marxton, juste Marxton, qui cherchait une fille pour un travail de vendeuse sur le marché de la ville. La pauvre était totalement inexpérimentée et ne vit pas le coup venir. En fait, cet homme appartenait à une bande de brigands à la petite semaine qui voyant cette pauvre femme égarée, s'était mis en tête de la vendre comme esclave au marché de Bayonne en Gascogne plus loin dans le Sud. C'est ainsi qu'elle fut une fois de plus embarquée dans une galère dont elle était la victime. La bande comptait trois hommes et une femme totalement délurée qui se vendait à ceux qui recherchaient un peu de bonne compagnie contre rémunération bon marché. Aereldil passa également entre les mains des trois bandits à tour de rôle ce qui la rendit encore plus furieuse intérieurement, elle qui commençait à se dire qu'elle était vouée à cela pour le restant de ses jours. Le groupe prit la route pour Labrit, faisant un petit détour pour le plaisir. La tête tranchée était restée dans le sac que ces simplets n'avaient fouillé qu'en surface ne trouvant rien d'intéressant, lui laissant à disposition. A Labrit, ils s'étaient installés dans la cave d'une vieille maison qu'ils connaissaient bien à première vue, peut-être était-ce là une de leurs planques. Ce soir là, deux des ravisseurs quittèrent le repère avec Bianca, la femme du groupe ne laissant qu'un gardien seul avec Aereldil qui vit là une chance de s'évader. Elle sauta sur l'occasion en prenant l'idiot du village par sa plus grande faiblesse. Elle l'attira à elle avec ce qu'elle savait faire de mieux, le crétin portait une dague à sa ceinture qu'elle avait bien entendu repéré. Ce fut très simple pour elle de se saisir de l'arme pendant qu'il était perdu dans son long cou oubliant tout le reste. Puis, pendant qu'elle l'embrassait avec vigueur comme elle ne l'avait jamais fait auparavant, la lame glissa d'un coup puissant dans son ventre suivit d'un coup de taille vers la gauche pour l'éventrer comme son père dans un cri de douleur perçant mais cette fois-ci, elle plongea directement sa main dans ses entrailles fumantes pour lui arracher les tripes avec bestialité provoquant sa mort dans d'atroces souffrances. Il gisait au sol, la scène avait un air de déjà vu, comme si l'histoire se répétait inlassablement, elle tenait ses intestins dans sa main pleine de sang. Coupant les derniers morceaux encore attachés à l'estomac, elle mit tout dans son sac, gardant la dague pour se défendre et pour manger... les tripes. Elle aura faim durant son voyage. En voulant partir, un livre posé sur une petite table attira son attention. Les pages étaient reliées par un cuir noir, le titre « La tombe » était gravé en rouge illustré par un pentagramme possédant un crâne en son centre. Sans même l'ouvrir, elle le rangea dans ses affaires avant de s'enfuir. Mais où aller à présent ? Labrit et sa région n'étaient pas sûrs, elle serait sans doute pourchassée. Le Sud ne lui disait rien du tout, elle prit alors la direction du Nord...
Il pleuvait alors qu'Aereldil marchait avec faiblesse, clopinant presque sur la route menant au village de Castillon, elle était entrée en Périgord. La route suivait un grand fleuve qui donnait sur le petit village au loin, le traversant en faisant face à une immense forêt. La jeune femme ne quittait pas des yeux le toit de l'église qui dominait la plaine en se disant qu'elle ne pourrait aller plus loin, que se serait sa destination pour le moment. Le temps déciderait du reste, si la route devait se poursuivre ou non, mais elle devait s'installer et l'endroit lui plaisait. Le paysage était agréable à observer, certainement encore plus beau lorsque le soleil brillait au zénith. La pluie réveillait les senteurs des arbres, de la terre et des plantes alentours mais cette humidité avait atteint ses os fragiles, elle était frigorifiée, tremblante et affamée. Elle devait trouver refuge dans ce village avant de pouvoir travailler pour correctement s'y installer en espérant qu'elle ne tombera pas une fois de plus sur des gens comme ceux qu'elle avait connu auparavant. Les portes étaient passées, certaines personnes allaient et venaient en courant pour échapper au flot inquisiteur qui pouvait traverser le tissu le plus épais. Aereldil trouva le repaire du Tribun sans tarder, elle ne fut pas très bonne impression au premier abord, prêtant plus à la pitié qu'autre chose, vêtue de haillons déchirés en de nombreux endroits comme une mendiante, un visage aux traits tirés et fatigués. Ses yeux étaient en partie cachés par une capuche elle aussi déchirée, elle ne semblait pas vouloir croiser les yeux de la femme en face d'elle qui lui posait des questions avant de lui attribuer une petite maisonnette abandonnée en bordure des murs du village en contrepartie de journées de travail à la mine plus loin sur la route ou à l'église du coin. La mendiante s'efforça d'être le plus poli possible, ses jeunes années avaient été marquées par un début d'éducation assez stricte qui lui aura au moins permis d'apprendre à lire et à parler aux gens.
L'endroit en question paraissait austère et vieillot, mais c'était une aubaine pour une fille comme elle qui n'avait plus rien à part ses vieux haillons odorants et son sac souillé. La maisonnette était une bicoque délabrée avec des trous dans la toiture qui laissaient désespérément l'eau envahir une partie de la pièce. L'intérieur était composé d'une simple salle contenant une paillasse faisant office de couchette dans un des coins heureusement au sec, une petite commode cassée mais pouvant encore servir ainsi qu'une petite table carrée au centre avec une chaise en bois pourri qui se casserait certainement à la première tentative de repos fessier. Bien sûr, tout ceci recouvert d'une poussière coriace. La jeune femme n'eut rien à dire, trop contente d'être au sec. Elle ôta ses haillons détrempés laissant apparaître une silhouette élancée, fragile et maigrelette portant des traces de fouet sur le dos ainsi que des cicatrices sur les cuisses et des marques de brûlure sur les bras en plusieurs endroits. Les guenilles furent essorées et déposées sur la table pour sécher, la demoiselle tout juste vêtue d'un pagne s'allongea sur la paillasse avec une vieille pomme dans la main lui restant de son voyage en pleine nature. Elle croqua dedans à pleines dents, affamée qu'elle était puis finalement, s'assoupit éreintée.