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[RP] Le Lynx de Judas

--Lynx_rouge


«Judas, c'est par un baiser que tu trahis le Fils de l'Homme !» Luc 22, 47-48

[Dans un village des environs de Montauban, quelques jours avant l'assaut]

Une petite tête parsemée de tâches de rousseur se risqua à jeter un furtif regard hors de sa cachette avant de disparaitre aussi vite au coin de la rue. Le « client », encore au bout de la ruelle, approchait. Rapidement, le gamin tira la précieuse missive de sa poche et la dissimula habilement dans la manche de sa petite chemise de toile rapiécée. Puis, la tête en l’air et les mains dans les poches, prétendant l’insouciance d’une anodine ballade, il sortit de son abri et se dirigea vers l’homme, au milieu de la chaussée. Il frôla ce dernier l’air de rien, puis dés qu’il l’eut dépassé de deux pas, il se pencha vers le pavé et s’écria de sa voix aigrelette en se retournant :

« M’sire ! M’sire ! Vous avez laissé choir vot’ papelard ! »

Feignant de ramasser ladite lettre, il la lui tendit. L’autre, surpris, haussant du sourcil, aurait répondu par la négative si le marmot n’avait poursuivi sans lui laisser le temps de dire quoique ce soit.

« Ca vient de tomber de vot’ poche. »

L’homme prit la missive. Le tour était joué. Il l’ouvrit avec étonnement puis après l'avoir survolé du regard, chercha de ce dernier son drôle de porteur. Le gamin avait disparu.

Plus que cette scène étrange cependant, ce serait sans doute le contenu de la lettre qui surprendrait son destinataire :


Citation:
Messire,

J'ai ouï dire que vous tentiez de reprendre Montauban. Sachez que cela est bien vain et que vous feriez mieux de rentrer bien vite en votre château de Bordeaux. Vous avez odieusement, si j'en crois des informations qui sont très probablement dignes de confiance, refusé d'écouter la plainte du bon peuple de Montauban, humilié ses bourgeois et ses maires successifs, craché votre fiel répugnant sur Sancte et la Comtesse de Saint-Just. Et voila que vous n'hésitez pas à venir les armes à la main détruire notre bonne ville. Sachez, Messire, que les vaillants Montalbanais seront au rendez-vous, oui, il sauront tenir tête à de telles ignominies. Songez aussi au Ciel qui vous regarde, à l'Eternel qui vomit avant tout l'iniquité des superbes, au Glaive qui s'abattra sur le méchant, aux sept trompettes qui sonneront l'arrivée du Juge Tout-Puissant, et tremblez. Car c'est sur vous, oui, c'est bien sur vous tous que se répandra la coupe des colères du Très Haut quand s'approchera l' heure dernière. A cette heure là, je vous en avertis, il n'y aura plus rien pour vous secourir. Plus de refuge ni de sanctuaire, plus de havre, plus de solide forteresse et plus de palais, pas la moindre auberge pour cacher vos misérables mensonges, vos crimes éhontés au regard terrible du Créateur de toutes choses.

Du chêne royal, autrefois, le grand et saint Roy Louis rendait justice aux âmes de son royaume. A présent, le noble trône de France est sous la coupe de la vicieuse catin de Babylone. Et c'est très amicalement que vous osez pactiser avec elle... La justice vous poursuivra, dans ce monde ou dans l'autre.

Le Lynx


Au dos de la missive, avaient été griffonnés à la hâte les quelques mots suivant :

Citation:
Post Tenebras Lux


Un tissu de platitudes, d'imprécations haineuses, et d'exhortations pseudo-apocalyptiques, remis à la sauvette plutôt que placardé à la vue de tous. Quiconque connaissait le Lynx mécréant eut trouvé cette missive plus que surprenante. Archybald de Louvelle, qui le connaissait fort bien, se fût douter de la supercherie. Restait à espérer que l'intermédiaire judicieusement choisi par le mercenaire pour lui faire parvenir son message saurait lire entre les lignes...
Salveo
[Dans un village des environs de Montauban, quelques jours avant l'assaut]

La Guyenne allait frapper. Et non pas d'un timide soufflet mais d'une gifle monumentale la joue de Toulouse. Ces malheureux apprendraient à leurs dépends qu'on ne plaisantait pas avec Archybald de Louvelle.
Pour l'heure, l'homme de main du Duc établissait avec une partie des troupes l'avant poste de la coalition dans un bourbier aux allures de village, séparant d'à peine une lieue les bottes de la soldatesque des murailles de la ville sécessionniste.
Partagé entre l'ivresse des combats à venir et la lassitude d'une marche soutenue depuis la capitale, Salveo quitta la compagnie de ses camarades dans une dernière plaisanterie graveleuse, ne manquant pas d'insister sur l'avantage que son précieux collier de secrétaire d'état conférait à la séduction d'une donzelle plus habituée à côtoyer la crasse de sa fraternité que l'or indécent d'un officier royal.

Aussi ce fut presque nonchalant qu'il traversa la rue principale, à la recherche d'une auberge où établir ses quartiers, quand on l'interpella.
Une histoire insolite de vélin égaré. Sur le coup, il ne pipa mot, tenta de se souvenir s'il avait reçu un message important pendant la journée puis finit par décacheter la missive pour en en connaitre la teneur.
Une lecture en biais lui suffit à comprendre qu'il tenait un torchon truffé d'injures et menaces. Il leva son regard et constata, navré, que son facteur s'était évanoui dans la cohorte écarlate.

- Encore un égaré perdu dans les mensonges de la Réforme.

Il soupira et finit par oublier que la lettre trônait maintenant dans la poche droite de son mantel crotté.

[Peu après]

La chambre était lugubre et les murs décrépis, mais une quinzaine d'écus et un regard torve à l'aubergiste lui avait évité le déplaisir d'une couchette collective et les ronflements de Gregor.
Instinctivement, il débarrassa son mantel des diverses pacotilles accumulées pendant le voyage et en extirpa le pli précédemment reçu. Le hasard faisait bien les choses puisque le côté verso se porta sous yeux, révélant une inscription inconnue jusque là.


- Post Tenebras Lux

Il marmonna le proverbe latin d'une voix placide, parcourut de nouveau, incrédule, la missive et prononça derechef la locution. Il ne comprenait pas. Un sens caché ?

- Post Tenebras lux... Après les ténèbres, la lumière.
La lumière...

D'un geste hasardeux, il porta l'objet près de la flamme d'une bougie dont les propriétaires des lieux, visiblement peu coquets, avait doté la pièce comme unique décoration. La magie opéra opportunément : l'encre s'épaississait sur certains mots, dévoilant le véritable message dans une parfaite illusion.


Citation:
Messire,

J'ai ouï dire que vous tentiez de reprendre Montauban. Sachez que cela est bien vain et que vous feriez mieux de rentrer bien vite en votre château de Bordeaux. Vous avez odieusement, si j'en crois des informations qui sont très probablement dignes de confiance, refusé d'écouter la plainte du bon peuple de Montauban, humilié ses bourgeois et ses maires successifs, craché votre fiel répugnant sur Sancte et la Comtesse de Saint-Just. Et voila que vous n'hésitez pas à venir les armes à la main détruire notre bonne ville. Sachez, Messire, que les vaillants Montalbanais seront au rendez-vous, oui, il sauront tenir tête à de telles ignominies. Songez aussi au Ciel qui vous regarde, à l'Eternel qui vomit avant tout l'iniquité des superbes, au Glaive qui s'abattra sur le méchant, aux sept trompettes qui sonneront l'arrivée du Juge Tout-Puissant, et tremblez. Car c'est sur vous, oui, c'est bien sur vous tous que se répandra la coupe des colères du Très Haut quand s'approchera l' heure dernière. A cette heure là, je vous en avertis, il n'y aura plus rien pour vous secourir. Plus de refuge ni de sanctuaire, plus de havre, plus de solide forteresse et plus de palais, pas la moindre auberge pour cacher vos misérables mensonges, vos crimes éhontés au regard terrible du Créateur de toutes choses.

Du chêne royal, autrefois, le grand et saint Roy Louis rendait justice aux âmes de son royaume. A présent, le noble trône de France est sous la coupe de la vicieuse catin de Babylone. Et c'est très amicalement que vous osez pactiser avec elle... La justice vous poursuivra, dans ce monde ou dans l'autre.

Le Lynx


Il sentit le coup fourré. Mais que risquait il dans une ville bondé de soldats ? Que faire ? Ignorer la demande ? L'envie de coincer Sancte lui refusait cette alternative. Prévenir Archy ? Non, il avait mis trop de temps à déchiffrer l'invitation et l'heure fatidique approchait : c'était seul qu'il affronterait ce mystérieux informateur.
Il tira de sa besace un stylet finement taillé qui trouva aussitôt refuge dans l'une de ses larges manches. Par précaution enfin, il laissa la lettre en évidence sur le meuble en bois humide. On ne manquerait pas de fouiller son logis si son absence se prolongeait inopinément.


[Devant l'auberge du chêne royal]

Il poussa fébrilement la porte de l'établissement. Plusieurs fois sur le chemin, il avait pris soin de vérifier que personne ne le suivait, apparemment non.
Il resta encapuchonné quand le tenancier lui adressa un "senher" aussi morne que l'ambiance, tandis qu'il lustrait d'un chiffon sale un verre usé par les nombreuses beuveries des habitués.
Le Montalbanais laissa glisser une pièce sur le comptoir en guise de salut.


- Un pichet de vin. Pas trop épicé, j'ai horreur de ça.

Il prit place à la tablée la plus proche et, ignorant si son homme était déjà là, balaya discrètement d'un regard l'ensemble de la salle, anxieux et mal à l'aise.
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Secrétaire d'état de Guyenne.
«Rien n’est plus mobile, plus léger que la multitude » T.-L.
--Lynx_rouge


L’auberge du Chêne Royal, malgré son nom pompeux, n’était pas ce que l’on pouvait appeler un lieu bien fréquenté. Quelque peu éloigné de la maréchaussée montalbanaise, c’était tout au contraire le rendez-vous des soudards et des magouilleurs de la région. Son patron, Bertrand Tonnerre, faisait régner une paix parfois musclée sur ce petit monde bagarreur et dangereux. Ce soir cependant, ses drôles d’habitués n’auraient pas le loisir de s'insulter comme de coutume : il attendait un client auquel il tenait fort et qu’il n’aurait su mécontenter. Quelques minutes avant sept heures sonnantes, un inconnu entra dans son établissement. L’arrivée d’un inconnu était rare ici. C’était généralement parrainé qu’on s’introduisait au Chêne. Celui là n’avait pas l’air bien assuré : petite mine, jeune, la mise cossue sous son capuchon, pas le genre de la maison en somme. Si Bertrand se fiait à la description qu’on lui en avait fait, c’était à n’en pas douter, l’Invité.

Imperturbable, il le laissa s’asseoir et s’en fut cherche un pichet de vin vieux. Une fois de retour, il posa le pichet sur la table du nouveau venu et frappa trois fois dans ses grosses mains.

« Messieurs, je crains fort qu’il soit l’heure de partir. » tonna-t-il de sa voix rocailleuse à l’adresse des divers soiffards de la pièce, « Je ferme ! Tout le monde dehors ! »

Un brouhaha de grognements et de protestations accueillit la fâcheuse nouvelle.

« Senher peut rester, bien entendu… » ajouta-t-il en aparté à l’adresse du jeune nouveau, posant sa lourde main sur le bois rance de la table comme pour lui intimer de rester assis.

« Et pourquoi donc que tu fermes si tôt ?!» brailla un client plus éméché que les autres

« Et ta mère ? » répliqua l’aubergiste « Casse toi, Gringoire, tu veux… Allons Messieurs, dépêchons ! »

On ne manqua pas de grommeler mais on craignait cependant la carrure et la poigne du maître des lieux. Quelques instants plus tard, l’auberge se trouva vide. Tonnerre ferma les volets et la porte à double tour, puis, de sa lourde démarche, entreprit d’éteindre torches et chandeliers.

« Voila. Un peu de calme… vous pourrez discuter à loisir comme ça. Si vous le rencontrez pour un meurtre, vous avez bien choisi votre homme, Senher. Ce bougre de bretteur n’a encore jamais raté sa cible. Et puis il fait ça bien. Le genre artiste, voyez ?»

D’un geste bourru, il déposa le dernier chandelier encore allumé sur la table, à coté du pichet.

« Bien. Je vous laisse. Bonne soirée à vous, Senher. » conclut-il avant de retourner vers son comptoir et de disparaître par la porte des cuisines, laissant l’Invité seul dans la pénombre.

Ce dernier n’eut pas longtemps à attendre. Une ombre entra bientôt dans la salle commune par cette même porte et s’approcha silencieusement de sa table. Elle était vêtue de rouge de pied en cape et son visage était caché par un masque de la même couleur qui ne laissait entrevoir que sa bouche grimaçante. A sa main gauche, deux griffes de métal semblaient avoir poussé, en place de son index et de son majeur, comme à quelque erreur de la nature. Sans mot dire, le Lynx s’assit en face de Salveo.


« Ainsi, voici donc l’âme damnée de notre bien-aimé Duc. Je regrette qu'il n'ait pu se déplacer en personne, mais j'imagine qu'il est occupé en ce moment. Je ne puis que me satisfaire qu'il m'envoie un de ses plus proches collaborateurs.» finit-il par prononcer en observant attentivement son vis-à-vis d’un œil amusé. « Comment se porte-t-il ? J’ai ouï dire que son début de mandat était pour le moins éprouvant… »

Un sourire inquiétant vint percer le silence qui suivit, dévoilant les crocs du félin qui jetaient, sous la lueur tremblante des bougies, le même éclat diabolique que ses deux griffes de fer.
Salveo
Le petit manège du taulier lui fit rapidement comprendre que le lieu n'avait pas été choisi au hasard et la complicité du gérant dans cette entrevue n'en parut que plus évidente.
Le dépeuplement organisé de l'auberge lui fit perdre le peu de confiance qu'il conservait avant son entrée ; à dire vrai, il espérait qu'en cas de grabuge, quelques piécettes suffiraient à mettre dans son camp des ivrognes à l'ardoise bien remplies et peu soucieux des conséquences devant la promesse d'une récompense dorée. Mais non, il devrait compter uniquement sur lui même et l'hypothèse que son hôte ne possédait aucune mauvaises intentions à son égard.

Le cliquetis de la serrure finit par provoquer un sursaut incontrôlable, le sentiment d'enfermement fut d'autant plus intense que sa peur grandissait. Et les dernières paroles bourrues qu'on lui lâcha ne réussirent pas à le rassurer. Ainsi avait il affaire à un meurtrier ? A cette simple idée, sa main se crispa aussitôt sur la lame habilement dissimulée dans l'un des plis de sa manche.

Tandis que la pénombre s'installait, il repéra le déplacement furtif d'une silhouette bientôt éclairée par le mince filet de lumière qui s'échappait des écoulements de cire : le Lynx. Le Montalbanais eut tout le loisir de l'observer pendant qu'il prenait place : tenue intégrale de rouge, sourire carnassier ; sans doute l'homme le plus effrayant qu'il ait pu voir.
Comme pour rendre plus intime la scène, Salveo choisit de dévoiler son visage en rabattant son capuchon en arrière, laissant apparaitre une oreille écorchée par les affres d'une défense acharnée à Bordeaux.


- Et voici donc le Lynx, ingénieux poète capable d'artifices dignes des contes d'espionnage venus d'Orient. Vous raviriez tous les régnants avec vos talents à leur disposition.
Il joignit ses mains.
Oui Sa Grâce a du supporter la traitrise et la rébellion de bien-pensants épris de liberté, mais ils ont fait l'erreur de mettre en doute sa capacité à les rayer de la carte. Il est d'autant plus combatif que l'affront fût grand.

Il porta un regard sur les doigts métalliques juchés sur la table.


Soyons franc, senher Lynx, et n'ayons pas peur de la vérité. Devant vous l'âme damnée d'Archybald, et moi, qu'ai je ? Un reître, un réformé... serrant sa machoire ... un assassin ?

Il prononça ses derniers mots sans flancher.
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Secrétaire d'état de Guyenne.
«Rien n’est plus mobile, plus léger que la multitude » T.-L.
--Lynx_rouge


Un regard débordant de sournoiserie répondit à l’injonction du jeune homme de faire preuve de franchise.

« Qui je suis ? » répondit le félin, dont la moue cynique s’était mue en un franc et inquiétant croissant de lune.

« Certains paysans prétendent que je suis l’infâme rejeton d’une vierge et d’un incube, d’autre préfèrent colporter que je suis l’odieux surgeon d’un prêtre et d’une succube. Ce qui, ma foi, revient plus ou moins au même. Pour d’autres encore je suis quelque fléau d’origine divine ou l’un de ces cavaliers dont certaines prophéties annoncent la venue en les temps derniers. Je dois dire que cette perspective prophétique ou divine m'amuse assez. Les vieilles femmes quant à elle s'accordent pour dire que je suis certainement un mangeur d'enfants. Voila les fables les plus pittoresques qui sont véhiculées par le bas peuple de la Champagne à la Guyenne. »

Son hideuse main alla chercher le pichet de vin pour en verser dans la coupe que Tonnerre avait laissé là à son intention.

« Pour ceux qui sont adeptes d’histoires plus rationnelles, je suis tour à tour un mercenaire sans scrupule, un dangereux fou à lier échappé d’un hospice charitable, un noble déchu en quête de vengeance, un sorcier ou quelque alchimiste versé dans les sciences occultes, ou un de ces cruels docteurs de la Sorbonne à la recherche de quelque cadavre à disséquer. Voyez, vous avez le choix en ce qui me concerne, mais je ne saurai malheureusement vous dire qui je suis en vérité car c’est là ma sauvegarde et la clef de mon succès, comprenez-vous… Je suis en quelque sorte celui qui n’a de nom que celui de Lynx, c’est tout ce dont il faudra vous satisfaire quant à mon identité, j’en ai bien peur… »

Il éleva sa coupe comme pour porter un toast à leur discussion avant d’y tremper ses lèvres.

« Quant à mes intentions et à mes allégeances, disons que je n’ai de maître que moi-même. Je puis être l’aide la plus précieuse qui soit pourvu qu’on y mette le prix et que j’y trouve quelque bénéfice. Ainsi il est possible que j’aie pu prêter de temps à autres main forte à la Réforme si elle s’est montrée généreuse par le passé. Mais entre nous, qu’importe si j’aide à présent notre noble Duc. Ma fidélité et mon zèle s'élèveront à la mesure du prix que l’on m’accordera. »

Le Lynx déposa sa coupe sur la table et laissa sa main luisante reposer sur la table. Son sourire s’était évanoui.

« Pour être tout à fait franc, comme vous me le demandiez tantôt de l'être, je me dois de vous avouer qu'en ce moment même, Sancte lit sans doute une lettre assez similaire à celle que je vous ai faite parvenir, lui proposant de même un agréable rendez-vous dans les jours prochains afin de discuter du prix et de l'heure qui conviendraient le mieux à la suppression de notre cher Duc et peut être de la vôtre par la même occasion. Je me rangerai du côté du plus offrant."

Un pesant silence tomba sur la salle obscure et l'atmosphère y devint brutalement statique.

" Autant vous dire, Maitre Salveo, que vous avez tout intérêt à me proposer une tâche de valeur et une récompense qui lui soit plus que proportionnée. Il y va au mieux de votre prompt succès, au pire de votre fragile survie.»

Amusé, le Lynx se resservit une rasade et leva de nouveau sa coupe avec désinvolture.

"Faites vos jeux. Rien ne va plus !" conclut-il avant de l'engloutir d'un trait.
Salveo
Plusieurs fois il voulut l'interrompre mais plusieurs fois il se contenta d'avaler une gorgée du vin cuit, rompant son mutisme par de brefs claquements de langue sur le palais.
Le breuvage eut l'avantage de le décontracter et d'adoucir le discours menaçant du Lynx. Pour Salveo, il n'était plus question de meurtre et d'assassinat mais d'une simple négoce entre client et vendeur.
Aussi fut ce avec le plus grand flegme qu'il s'entendit répondre.


- Vous avez beaucoup d'imagination, senher Lynx !

Une envie de sourire le démangea et il força son visage à rester le plus impassible possible.

- Cependant, votre proposition est alléchante. Supprimer Sancte serait le moyen le plus efficace pour conclure rapidement cette rébellion. La méthode peut paraitre vile mais pour le bien de tous, nous nous passerons des beaux principes qui régissent notre société.
Honneur, justice et loyauté ne sont que des chimères malléables aux intérêts communs, et tous deux, personnages de l'ombre, l'avons compris.

Ses mots fusaient tandis qu'il caressait docilement sa chaine.

- Parlons du prix maintenant ! Retenez ceci : notre offre sera deux fois supérieur à la sienne, quoiqu'il soumette.

Il adopta un ton plus mielleux.

- Vous êtes un ambitieux, je n'en doute pas. Quel est votre vœu le plus ardent ? Hommes, femmes, argent, pouvoir, noblesse ? Nous saurons vous combler.

D'une voix plus tranchante enfin.

- Sachez toutefois qu'en dépit de notre souplesse à céder à vos fantaisies, vous avez tout intérêt à choisir notre camp.
Personne n'est indéfiniment inaccessible. Les chasseurs ont l'habitude de traquer leurs proies aux empreintes qu'elles laissent sur le sol. Si votre masque permet de soustraire votre identité aux yeux du monde, vos griffes laissent des traces malheureusement ineffaçables.
Ne doutez pas trop de la puissance ducale.

Et de laisser choir son stylet sur la table en guise d'avertissement.
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Secrétaire d'état de Guyenne.
«Rien n’est plus mobile, plus léger que la multitude » T.-L.
--Lynx_rouge


“Vous avez beaucoup d’imagination, Senher Lynx ! »

Et tient donc ! Bien plus que tu ne peux le concevoir, mon garçon, pensa le mercenaire en silence. Les paroles du conseiller ne manquèrent cependant pas d’étonner et de réjouir le Lynx. Le vin commençait à assouplir les langues et à rendre la discussion plus chaleureuse. Quel âge devait avoir ce jeune coq ? Dix sept ou dix huit printemps tout au plus. Le jouvenceau ne manquait pourtant ni d’aplomb ni d’intelligence. Ce pendard d’Archybald avait su bien choisir sa jeune garde. Ce Salveo avait, si le félin en croyait ses oreilles, bien de l’avenir…

« Voila un langage qui me parle, jeune homme. Je suis un ambitieux, en effet, et comme tout ambitieux je ne me soucis en premier lieu que d’argent, voyez vous. Les femmes et les honneurs s’achètent, comme tout hélas en ce bas monde. L’argent, lui, peut tout, si tant est qu’on en use avec bon sens et au moment opportun. »

Son masque rouge se rapprocha lentement du visage du jeune homme et de la flamme, et sa voix se fit plus secrète.

« Dés à présent je puis vous dire que j’exige cent écus avant l’ouvrage. Pour ce qui est de la somme finale, j’attendrai donc de rencontrer le sieur Sancte pour vous en faire part. »

Se redressant sur sa chaise grinçante, il poursuivit :

« Quant aux menaces, je déplore qu’elles viennent quelque peu gâcher votre proposition qui eut été sans cela le témoignage d’un parfait sens des affaires. Comprenez : j’ai du entendre cent fois de semblables avertissements et ceux qui les ont proféré ont toujours disparu avant moi. Quant à moi, je suis toujours là, bien présent. »

Sans crier gare, le Lynx abattit ses griffes en un mouvement fulgurant vers le bois de la table, à quelques centimètres de la chandelle. Les redoutables couperets vinrent se ficher tout net dans l’échine d’un rat affamé qui venait à passer imprudemment par là. Il n’eut pas le temps d’émettre le moindre couinement.

« Nous ne sommes que deux dans une auberge vide et fermée à double tour, dont les murs sont très épais et qui dispose dans l'arrière-cour d’un petit accès fort pratique vers une de ces larges rivières qui se déversent dans le Tarn, et qui a vu passer dans son lit bien des cadavres trop encombrants. » poursuivit le Lynx comme si de rien n’était, en poussant nonchalamment du revers de son gant la pauvre bestiole hors de la table.

« Il était donc fort peu avisé de votre part de recourir à une rhétorique menaçante pour parvenir à vos fins. Mais je mets volontiers cette petite erreur de stratégie sur le compte de votre jeunesse… "

Ayant essuyé ses griffes sur sa cape écarlate, le Lynx tourna de nouveau son regard vers Salveo.

"En vérité, votre caractère et votre politique me plaisent, Senher le Conseiller. »

Et, disant ces mots, il lui tendit son hideuse main comme pour l'inviter à sceller leur accord en bonne et due forme.
Matalena, incarné par Scath_la_grande


Puisque devoir se doit d'être fait ; Et ce, quoi qu'il nous en coute, et si éloignée que l'envie se puisse être.

Derrière la barrière de ses boucles brunes libérées du carcan de leurs tresses, deux prunelles d'Onyx se fixent, transperçant la pénombre. Sous la tente de toile, une chandelle combattait, de sa délicate auréole, la noirceur et le froid qui mordaient étoffes et chairs de leur inhumaine dureté. L'intérieur dévasté témoignait de la hâte à dormir qui harasse les combattants dont les corps fourbus se souviennent trop bien que le lendemain, à la même heure, ils seront encore ailleurs, trainés jusqu'au bout de leurs forces. Des sacs de cuir en travers de la terre battue, pelisses et bottes de voyage, quelques quignons de pain sec... A l'exception des armes, fort nombreuse pour une chambrée de dimensions si modestes, rangées avec un soin aussi religieux que leurs propriétaires.
La réformé se sentait un peu honteuse de ce qu'elle s'apprêtait à commettre. Tout autant que de la manière de ce faire : en pleine nuit, se dissimulant comme une criminelle avant un terrible forfait. Et surtout...
Tournant la tête tout à fait, son regard glissa jusqu'au lit de camp, unique meuble de la pièce, sur lequel une silhouette s'abandonnait au bras d'un sommeil tourmenté. Roulée sur le côté, libérant au bord de la couche la place mince qu'occuperait la réformée.
Mais pas encore.
Depuis de longues semaines déjà elle repoussait cet instant, causant peut-être la mise en danger de ceux qui lui étaient chers. Il était temps d'agir, fut-ce cachée et sans mot dire à qui que ce fut. Il est des pans de nos existences qu'il vaut mieux savoir garder pour soi.




S.
Montauban la Réformée, Guyenne

Où que vous puissiez vous cacher...

Je prends la plume ce jour afin d'alléger mon âme d'une révélation qu'il me faut vous confier, tentant par la présente de vous préserver de quelques dangers que ce soit.
Je vous sais homme prudent au delà de toute chose, soucieux de vos intérêts et de leurs préservations, aussi j'ose croire que vous ne prendrez point ces lignes à la légère, croyant en votre faculté à distinguer les futiles alarmes du sexe faible d'un avertissement réel qu'il ne faudra écarter de vos plans.

Compte-tenu du commerce que vous eûtes avec l'individu en question, je suppose que votre confiance s'agissant de celui que nous nommerons, par commodité, le Lynx, se limite vraisemblablement à l'aune des intérêts que vous fûtes susceptibles de partager. Néanmoins, celui-ci fut amené à apparaitre dans votre société et celle d'A.S.J avec quelques commodités qui me laissent à penser qu'une certaine accointance, quoi qu'elle ne fut jamais partagée de moi, existait.
Sachez sans plus tarder que tantôt, me trouvant à la Teste en la compagnie d'icelieu et icelle sus-cités, j'ai découverts quelques courriers de la main du sombre sir, rédigés à l'attention de notre bon duc A, élu aux urnes après la régence de K. J'ose croire que vous avez fiance suffisante en ma jugeote pour comprendre que je n'invente point les révélations traitreuses que j'y pu lire et, en temps de grande guerre et de calculs politiques, vous imaginez fort bien l'impact que de telles informations ont pu et peuvent encore avoir, placées entre des mains impies.
Et je songe ici non seulement à notre bonne ville et ses habitants, mais également à vous, sans besoin de vous en expliquer le pourquoi.

Croyez bien que ces quelques mots m'ont coutés. J'aurais de loin préféré vous écrire ou vous lire en de moins sinistres circonstances, mais c'est ainsi.
Soyez sur vos gardes, accordez autant de foi en sa parole qu'au venin de vipère dont il se nourrit. Enfin, à vous d'en juger : quoi qu'il en soit, j'aurai accompli mon devoir.

Prenez soin de vous. Deos vous garde en ses faveurs.

M.L.


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