Mes yeux ont dansé, accompagnant les flammes du Gaucher... J'en aurais mouillé mes braies de rire à voir La colombe dompter des puces...Et je suis resté hypnotisé devant la bien nommée Jolie. C'est qu'ils sont bons, et ce n'est pas sans orgueil que je les appelles frère et surs.
Je profite du calme installé par la Jolie. Sa danse a déposé comme un voile de chaleur sur l'assemblé, et c'est l'atmosphère pour une chanson, de celle qui raconte une histoire aussi belle que tragique.
Je m'approche du public pour chanter, accompagné de quelques accords d'un vieux psaltérion, l'histoire de la Fiancée du timbalier.
" Monseigneur le duc de Bretagne
A, pour les combats meurtriers,
Convoqué de Nante à Mortagne,
Dans la plaine et sur la montagne,
L'arrière-ban de ses guerriers.
Ce sont des barons dont les armes
Ornent des forts ceints d'un fossé ;
Des preux vieillis dans les alarmes,
Des écuyers, des hommes d'armes ;
L'un d'entre eux est mon fiancé.
Il est parti pour l'Aquitaine
Comme timbalier, et pourtant
On le prend pour un capitaine,
Rien qu'à voir sa mine hautaine,
Et son pourpoint, d'or éclatant !"
Sur ce couplet je saute, agile, sur un tonneau et je bombe le torse, me présentant conquérant. Puis j'en descend aussitôt, pour me mettre en prière.
"Depuis ce jour, l'effroi m'agite.
J'ai dit, joignant son sort au mien :
- Ma patronne, sainte Brigitte,
Pour que jamais il ne le quitte,
Surveillez son ange gardien ! -
J'ai dit à notre abbé : - Messire,
Priez bien pour tous nos soldats ! -
Et, comme on sait qu'il le désire,
J'ai brûlé trois cierges de cire
Sur la châsse de saint Gildas.
À Notre-Dame de Lorette
J'ai promis, dans mon noir chagrin,
D'attacher sur ma gorgerette,
Fermée à la vue indiscrète,
Les coquilles du pèlerin."
Redevenant sautillant, je danse de quelques pas gracieux, et devient acteur, jouant le rôle du timbalier dans tout ses états.
Il n'a pu, par d'amoureux gages,
Absent, consoler mes foyers ;
Pour porter les tendres messages,
La vassale n'a point de pages,
Le vassal n'a pas d'écuyers.
Il doit aujourd'hui de la guerre
Revenir avec monseigneur ;
Ce n'est plus un amant vulgaire ;
Je lève un front baissé naguère,
Et mon orgueil est du bonheur !
Le duc triomphant nous rapporte
Son drapeau dans les camps froissé ;
Venez tous sous la vieille porte
Voir passer la brillante escorte,
Et le prince, et mon fiancé !
Venez voir pour ce jour de fête
Son cheval caparaçonné,
Qui sous son poids hennit, s'arrête,
Et marche en secouant la tête,
De plumes rouges couronné !
Mes surs, à vous parer si lentes,
Venez voir près de mon vainqueur
Ces timbales étincelantes
Qui sous sa main toujours tremblantes,
Sonnent, et font bondir le cur !
Venez surtout le voir lui-même
Sous le manteau que j'ai brodé.
Qu'il sera beau ! c'est lui que j'aime !
Il porte comme un diadème
Son casque, de crins inondé !
Je finis ces trois couplets à cheval sur sur un tonneau renversé, levant mon instrument tel une épée, avant de me lever pour continuer, mettant de l'impatience dans ma voix:
L'Égyptienne sacrilège,
M'attirant derrière un pilier,
M'a dit hier (Dieu nous protège !)
Qu'à la fanfare du cortège
Il manquerait un timbalier.
Mais j'ai tant prié, que j'espère !
Quoique, me montrant de la main
Un sépulcre, son noir repaire,
La vieille aux regards de vipère
M'ait dit : - Je t'attends là demain !
Je m'écarte brusquement, je marche tel une fanfare entière, mimant à moi seul tout le cortège.
Volons ! plus de noires pensées !
Ce sont les tambours que j'entends.
Voici les dames entassées,
Les tentes de pourpre dressées,
Les fleurs, et les drapeaux flottants.
Sur deux rangs le cortège ondoie :
D'abord, les piquiers aux pas lourds ;
Puis, sous l'étendard qu'on déploie,
Les barons, en robe de soie,
Avec leurs toques de velours.
Voici les chasubles des prêtres ;
Les hérauts sur un blanc coursier.
Tous, en souvenir des ancêtres,
Portent l'écusson de leurs maîtres,
Peint sur leur corselet d'acier.
Admirez l'armure persane
Des templiers, craints de l'enfer ;
Et, sous la longue pertuisane,
Les archers venus de Lausanne,
Vêtus de buffle, armés de fer.
Le duc n'est pas loin : ses bannières
Flottent parmi les chevaliers ;
Quelques enseignes prisonnières,
Honteuses, passent les dernières...
Mes surs ! voici les timbaliers !... "
J'arrête ma fanfare, et je m'éteins pour le couplet final, tombant à genoux pour prononcer ces derniers vers:
Elle dit, et sa vue errante
Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ;
Puis, dans la foule indifférente,
Elle tomba, froide et mourante...
Les timbaliers étaient passés.
Je me relève et remercie le public de son attention, posant l'instrument et prenant une chope en lieu et place. Je lève le récipient plus pour moi-même et trinque avant de boire.
Je m'en retourne m'assoir à la lisière ténue entre public et artiste, le cur encore battant et les yeux humides d'émotion.