Desiree.

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« Je ne me souviens que d'un mur immense, mais nous étions ensemble, ensemble nous l'avons franchi »
[JJG, Ensemble]
Il est des nuits qui ne finissent pas.
Les hommes se succèdent et se ressemblent, et son corps souple s’arque à leur rythme, toujours. Il est si facile de geindre et gémir fort à propos, de se cambrer et de s’essouffler. Même quand on en a dans la tête un seul. Le seul, l’unique.
Quelques semaines seulement, et ses pensées s’obscurcissaient dès qu’il était loin d’elle. Comme chaque nuit. Comme toujours.
Quelques semaines et sa vie avait été bouleversée.
Quelques semaines et elle s’arque encore sous l’homme, les yeux tournés vers le paravent qui cache le nid du seul qui compte.
Quelques semaines, quelques dizaines de centimètres et à peine quelques livres. Son fils.
Il est des nuits qui ne finissent pas. Surtout quand elles sont rythmées de pauses pour nourrir l’affamé qu’elle avait mis au jour. Aucun répit, donc. Car il lui fallait gagner leurs vies à tous les deux, et elles lui semblaient de plus en plus incertaines.
Si incertaines qu’elle en vint à…
Emilla ! Pssst ! Viens par ici !
Oui, vous l’avez bien entendue. Elle hèle une de ses camarades.
Il faut dire que la blondine a finit par comprendre l’intérêt d’avoir des alliés. Depuis son retour de bourgogne et le violent assaut qui l’avait accompagné, et tout au long de sa grossesse, elle avait essayé de ne plus être aussi hautaine. Au moins avec les travailleurs ayant le même rang qu’elle au sein de la maison.
Et Emilla… Emilla ressemblait tant à ce qu’elle était quelques années plus tôt qu’elle ne pouvait pas ne pas s’attacher à la gamine. Même si elle faisait son possible pour ne pas le montrer. Elle savait, au fond d’elle, qu’elle savait ce que ressentait l’infante. A ceci près que l’entrée dans le monde des bordiaux avait été plus douce que celle de la blonde.
On en était donc là. Une blonde incertaine de son avenir, un enfançon affamé, et une porte entrebâillée.
La soirée était finie. Les derniers clients, sortis. Les prostitués de la maison, dans leurs chambres.
Désirée avait attendu, près de la porte à peine entrouverte, guettant l’arrivée de la plus jeunes d’entre eux. Ayant attiré son attention, et vérifié l’absence de quiconque dans le couloir, elle ouvrit plus franchement la porte et attira la gamine par le bras, refermant la porte derrière elles et s’y adossant.
Presque timide, la blondine chuchota, dévisageant la jeunette :
Il faut que j’te parle, c’est important. Tu as un moment tant que tout le monde dort ?
Dans le dos de la catin, l’index et le majeur se croisent. Superstition…
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© Victoria Frances et Andy Fairhurst, création Atelier des doigts d'Or.