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Information and comments (2)

Info:
Aimelina de Sìarr se tape l'incruste au château de Crussol, d'où est absent le baron, mais où se trouve Ayena d'Alquines, sa promise et couturière de renom.

[RP] A Crussol, on ne mélange pas torchons et serviettes

Aimelina
[Depuis Paris]

Macarel, qu'il était malaisé de voyager en ces temps de guerre ! Quand on est une jeune vicomtesse qui a eu la faiblesse d'aller faire des emplettes à Paris, et s'y trouve coincée, de peur des malencontres que le voyage retour laisse entrevoir, on se trouve à faire et refaire et refaire encore les boutiques, à s'endetter jusqu'au cou, et devoir en sus revenir en Languedoc avant l'heure... pour récupérer une robe ? Wtf ?

Hmm. Lecteur, pardon, ton narrateur s'égare. Il est tard.
C'est une sociopathe endettée. Quoi de plus ?

Résumons en un télégramme : jeune vicomtesse fauchée cherche TGV bon marché pour descendre la vallée du Rhône.
Parce que bon, pour revenir de Paris en évitant la guerre, en faisant ce que l'on peut, on passe par la Bourgogne, on soudoie quelques marchands pour embarquer sur une inconfortable sisselande* - mais à fort bon marché, point important pour ladite jeune vicomtesse fauchée - et l'on se laisse débarquer à Valence avec sa camériste, ses trois francs si sous (trois écus six deniers, ça sonne moins bien) et sa malle de robes. On cherche un muletier, sans lequel la malle resterait à quai, sans lequel l'ascension de la forteresse de Crussol userait une paire de poulaines.

Et vous y voilà, une vicomtesse, une camériste, une malle et plus grand chose en poche. Heureusement, on porte une robe Attia Di Juli, ça vaut tous les titres du monde. Bien chaude parce qu'on vient du grand nord, mais là dans le Sud, on transpirerait presque, si ce n'était ce petit vent du nord battant les pierres du donjon.

Là, comme une mendiante, on - frappe à la porte - demande à sa camériste de frapper à la porte.

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*Bateau à fond plat naviguant sur la Saône et le Rhône au Moyen-Âge, rudimentaire, principalement pour le transport du bois.
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En dòl... Meu Paire visquèt e moriguèt en eròi.
Ayena
[Crussol. J'ai arrêté de voyager, ça fait trop mal aux pieds.]


- Mais qui donc est-ce ?

On ne lui répond pas. Alors, à sa fenêtre, la jeune demoiselle espionne. Ça l'occupe. C'est que depuis qu'elle s'est installée au château du Baron, elle a un peu peur de prendre trop de place et qu'on se lasse d'elle, au bout d'un moment. Alors parfois, elle se fait oublier : elle se cache dans sa chambre où elle a une vue imprenable sur la cour, et espionne les domestiques et autres visiteurs impromptus. Cela dure des heures, et jamais elle ne s'en fatigue. Mais là...
Ayena ne connait pas la jeune femme qui se présente, accompagnée d'une suivante. Seulement, elle reconnait la "patte" d'une de ses concurrentes, à savoir ADJ. Cette robe ne vient pas de DECO. Ça va finir par devenir indécent de se présenter à Crussol en étant vêtu par quelqu’un d'autre qu'Ayena elle même. Elle devrait mettre un écriteau, à l'entrée... Pouarf ! Ayena rit doucement, en imaginant la tête d'Adrien Desage face à ses préoccupations toutes féminines. N'importe quoi...

En bas, on a ouvert à la visiteuse, en silence. C'est que l'on ne sait plus trop comment recevoir du gratin (oui, c'est du gratin, regardez quand même sa coiffe ! N'importe qui ne peut pas s'en payer une aussi belle) puisque le château a été vide de tous Seigneurs trop longtemps. Seul un valet ose prendre la parole, un peu comme un coq au milieu de toutes les poules curieuses qui se sont attroupées.


- Qui devons nous annoncer ?

Accessoirement, il a oublié aussi "à qui". Parce que si c'est une visite pour le Baron, ben il est pas là, il est en train d'inspecter ses terres et si c'est pour d'Alquines, franchement, elle est pas de la gueule d'inviter du monde en l'absence du Baron.

De son côté, Ayena a décidé de descendre, curieuse elle aussi. C'est dans un bruit de tissu frottant les pans de mur qu'elle arrive. 'Tention !

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Aimelina
La camériste avait son rôle de heurtoir, et s'effaçait désormais devant sa maîtresse. Le muletier était reparti, la malle était en travers de la cour. Tête haute, paupières lourdes d'orgueil, Aimelina entra, tentant d'effacer par son maintien la pauvreté de son arrivée. Elle observa un instant les silencieux gens de la maison, attroupés là comme s'il était jour de fête, que d'avoir un hôte, et répondit au courageux valet qui avait fait son devoir - triste époque que celle où il faut du courage pour seulement faire son devoir !

-« Aimelina de Sìarr, Vescomtessa de Fenolhedès, Baronessa de Sant-Féliç. La dòna d'Alquinès me fit mander ici par lettre. »

La lettre ? Fourrée dans la malle, qui était toujours au milieu de la cour. Aimelina espérait presque que le valet exigeât d'elle qu'elle montrât patte blanche avec icelle, car celui lui eût procuré le prétexte pour commander à ces gens qui n'étaient pas les siens de transporter la malle à l'abri. Elle les défiait du regard, confiante en son droit d'être là et d'y être bien accueillie, attentive à tout rire ou tout effroi qui se dessinerait sur un visage à la vue de son bras gauche, qui la faisait à demi manchote, à demi créature du Sans Nom.
Le vent caressait la cour, à cette altitude, et quoique l'avenir n'eût rien de certain, la Sìarrette goûtait le plaisir d'être arrivée à bon compte, de respirer un air languedocien, et de bientôt revoir Mende et les bras protecteurs de sa soeur, Magalona, désormais seule restant avec elle... La mort n'avait pas épargné la famille Alanha, qui avait vu tomber une fille et un fils, en si peu d'années.

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Ayena
En claudiquant, Ayena rejoignit l'entrée où la scène se passait. Puisqu'elle avait l'ouie fine, elle entendit le valet puis la réponse. Ha oui, Aimelina, ça lui disait quelque chose... Euh... Mais quoi ? La jeune femme stoppa son avancée pour mieux se souvenir. C'est qu'il serait mal approprié de ne pas se souvenir qui était Aimelina qui se disait convier par elle même. Erf. Et puis, le déclic : mais oui ! Une de ses clientes, qui venait sans doute pour quelques retouches à une robe envoyée plus tôt.
D'Alquines entre alors sur l'estrade où se joue une pièce qui l'aurait presque fait rire. Un attroupement de gens regarde en coin une jeune noble qui semble vouloir repartir le plus vite possible. Pour se donner une constance et faire savoir qu'elle est là, la Demoiselle frappe deux fois dans ses mains, et à l'adresse des domestiques, lance un bref :


- Retournez à vos tâches.

Le tout en français, puisque la langue d'Oc n'est pas encore son fort. Mais depuis quelques semaines qu'elle est là, les employés de maison ont su apprendre quelques phrases et le ton de celle-ci ne laisse pas de place à la mollesse.

Puis elle se tourne vers son invitée, qu'elle rencontre en fait pour la première fois. Comme elle a compris qu'il s’agissait d'une Vicomtesse et Baronne en sus, elle se fend d'une révérence bien respectueuse.


- Bienvenue à Crussol, Aimelina de Siarr. Je suis Ayena d'Alquines.

Un sourire, franc. Avoir de la visite n'est pas courant ici, et c'est fort agréable, même si on ne connait pas toujours les invités...

- Pardonnez-moi, je ne parle pas la langue du Sud.

Autant être directe. Faudrait pas non plus que la Vicomtesse se mette à lui parler en occitan, elle se sentirait perdue... Et honteuse.

- Mais je gage que comme vous avez réussi à passer commande à Paris, vous, vous manier bien les deux parlers.
Je ne sais ce qui vous amène, mais peut être pourrions nous commencer par boire un verre au salon ? Je sais que monter jusqu'ici n'est pas de tout repos.


Et d'un geste, elle encourage la jeune femme, sans doute plus jeune qu'elle-même d'ailleurs, à la suivre. En boitant, Ayena parvient au salon où elle glisse à une domestique d'apporter du vin de pays. Elle se retourne alors vers Aimelina et ce n'est qu'à ce moment qu'elle remarque le bras gauche, étrangement court et affublé d'une main qui n'en a que le nom. Poliment, mais avec de la gène, elle détourne les yeux.

- Depuis quand êtes vous de retour en Languedoc, alors ?
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Aimelina
Le claquement de mains pour renvoyer à leurs tâches les domestiques, c'est quelque chose de digne, classe et efficace. Le genre de choses qu'une manchote peut difficilement exécuter, toute classe qu'elle voulût être. Le regard d'Aimelina fut illuminé d'un éclair d'envie, d'admiration, de jalousie, d'empathie - de tout et son contraire, en vérité, comme souvent lorsqu'un élan de sentiments la prenait.
L'admiration est pondérée par le dédain à l'ouïe du langage ; le Baron de Crussol se compromettrait-il avec une désespérante d'oïl, le plus oïl que l'on pût faire, l'oïl d'Artois - car les Flandres déjà ont le bon goût de parler une autre langue encore, d'assumer leur septentrionalisme exacerbé - ? Dieu ! S'il n'étaient les quelques rencontres de Septentrionaux gracieux, s'il n'était Yolanda et sa preuve qu'à huit années à peine révolues, l'on peut parler autant de langues, et sans accent prononcé, sans doute aurait-elle écrasé la Dame d'Alquines de toute sa superbe de Vicomtesse méridionale.
Mais non ; elle avait trop besoin d'être la bienvenue en ce château, ce soir au moins. Ce soir et les autres soirs. En vérité, l'on gagne à être en bons termes avec celui qui tient l'entrée du Languedoc, face au pont de Valence, car des ponts et des ports sur le Rhône, il n'y en a point tant ! Et au bout d'un voyage et pour toute étape, l'on gagne à avoir de bonnes adresses, de bonnes tables auxquelles s'inviter, de bons matelas à se faire prêter. Les auberges de province soit ne valaient rien, soit étaient hors de prix, qu'une endettée comme la Vicomtesse de Fenouillèdes ne pouvait se permettre.

Et puis, les présentations commençaient bien : la dame d'Alquines avait le mérite de connaître son rang et de savoir sourire. Sans doute même était-elle ravie d'avoir un prétexte à quitter sa tour-pas-tout-à-fait-d'ivoire-mais-haut-perchée, à faire quelques connaissances. Aimelina voulait le croire. Autre point à son avantage, elle ne péchait pas par orgueil et confessait son ignorance, ce qui, encore, plut à Aimelina, à laquelle allait si bien la sentence de La Fontaine :

    « ... Mais parmy les plus fous
    Nôtre eſpece excella : car tout ce que nous ſommes,
    Lynx envers nos pareils, & Taupes envers nous,
    Nous nous pardonnons tout, & rien aux autres hommes.
    On ſe void d’un autre œil qu’on ne voidſon prochain.
    Le Fabricateur ſouverain
    Nous créa Beſaciers tous de meſme maniere,
    Tant ceux du temps paſſé que du temps d’aujourd’huy.
    Il fit pour nos défauts la poche de derriere,
    Et celle de devant pour les défauts d’autruy. »


En vertu de quoi la Sìarrette se garda bien de confesser les difficultés linguistiques qu'elle avait eues à communiquer avec le gourd vendeur de la boutique parisienne. Car enfin la langue de sa mère était l'occitan, et le français, langue étrangère à peine mieux maîtrisée que le portugais, l'espagnol ou le latin.


-« C'est bien courtois à vous, Dame, de nous accueillir. »

Ne surtout point trop s'épancher et se compromettre en l'amitié, quand la courtoisie suffit ; et la jeune Vicomtesse de suivre la Dame d'Alquines, coiffe bicorne tanguant au sommet de son crâne. Lorsque les deux femmes furent installées, il fut temps de répondre :

-« Je viens en vérité d'arriver, par le fleuve. De Paris, et Crussol a vu mon premier pas en Lengadoc depuis... macarel... Longamai ! »

« Et ma malle est encore en votre cour, car le muletier n'a pas eu le zèle de la décharger sur le pas de la porte. »

-« C'est un doux plasèr que d'être ici où l'air est encore doux, en cette année... Enfin, point à étouffer, mais c'est l'odeur qui me fit m'escamper de Paris ! Il plaît par chance au cèl qu'il s'y trouve une Reine coquette et de cour gracieuse, dont l'odeur enivre tout un chacun passant près du Louvre, n'est-il pas ? L'on comprend aisément que, sirène, ce ne soit de sa voix mais de ses effluves qu'elle attire tant de pregadors ! Ah, que j'aimerais en être telle ! »

Et l’œil bleu de la jeune fille guetta la réaction de son hôte, dont elle ignorait bien des choses, sinon qu'elle avait renoncé à sa charge au Louvre ; allez chez les gens et insultez-les ? Non, elle n'oserait pas, la coquine Linèta !
C'était pourtant aspiration sincère qu'être l'objet d'attentions des hommes, elle qui avait physique si ingrat, et seulement pour elle son regard et sa dot ; car le reste, de la peau sombre olivâtre aux cheveux bruns à mille lieues de la mode au blond vénitien, son visage légèrement carré et sa poitrine trop opulente aux goûts de ses contemporains faisait d'elle une bien piètre égérie.

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Ayena
La malle a eté ramassée. Elle a été entreposée dans le hall grace au valet courageux. "On verra c'qu'on en f''ra !", mais laissez ça dehors n'est pas très sur.

Ayena s'est assise, en invitant Aimelina à faire de même. L'usage veut sans doute qu'on reste debout plus longtemps, mais avec tous les escaliers qu'il y a dans le château, la hanche de notre Demoiselle la fait souffrir plus que de coutume. Et assise, elle se sent mieux. Et plus à l'aise pour penser et répondre en ayant tourné sa langue plusieurs fois dans sa bouche avant. Car oui, Ayena est tendue : elle ne sait pas quelle relation Adrien entretient avec la famille de son invité et elle ne souhaite pas créer d'incident diplomatique. C'est donc avec des pincettes qu'elle réagit, un peu sur la réserve.


- Vous devez être fatiguée, si vous arrivez tout juste. Enfin, c'est toujours l'effet qu'ont sur moi les longues routes.

Quoique, en y réfléchissant, les soubresauts des chemins diffusent une souffrance insidieuse dans toute sa jambe droite. Et en réflexe de survie, le corps se plonge dans le sommeil. Voilà donc pourquoi les voyages la fatiguent...

- Peut être avez vous faim ?

Mais la jeune femme qui est son hôte raconte Paris avec un accent chantant et quelques mots qu'Ayena doit décrypter ponctuent d'Oc le parler d'Oil. S'entendre raconter la capitale donne un certain sentiment de nostalgie à d'Alquines. Elle a tant apprécié vivre au Louvre, voir y évoluer toute sorte de gens et servir la Reyne... Enfin, Béatrice, pas la Male Mort. Aussi, c'est après un petit silence réflexif que l'ancien Maitre de la Garde Robe Royale répond à la question.

- Je suis navrée de vous contredire. Mais la Reyne n'est ni coquette ni gracieuse. Et je prierai pour que vous ne lui ressembliez jamais.

Vlan. Au moins c'était dit. Mais Ayena ne pouvait compromettre ses ressentis pour se faire une amie. Après tout, la jeune fille qu'elle avait devant elle accepterait d'Alquines comme elle était ou non, mais elle aurait au moins une raison de l'apprécier... ou non.
Comme pour détendre l'atmosphère, une servante arriva avec un plateau où trônait une bouteille de vin et des verres. La Demoiselle entreprit de verser le liquide dans les récipients, et en tendit un à son hôte, du côté de son bon bras. Les deux regards azurs se croisèrent (c'était une mode dans le coin, les yeux bleus ?) et Ayena demanda par se biais ce qu'avait De Siarr à répondre à sa réplique précédente.

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Aimelina
Aimelina avait la politesse de qui se sait débiteur de son hôte, de qui craint à juste titre qu'un faux pas ne le conduisît sur le perron. Son audace l'avait tout juste conduite à sonder le terrain et prendre la mesure des relations qu'il serait possible d'établir avec l'Alquines ; il est si aisé de se méprendre sur quelqu'un, et la Sìarrette veut être certaine de chacun de ses mouvements. Si ce n'était pas une partie d'échecs, c'était bien une forme de jeu stratégique, que les demoiselles jouaient l'une face à l'autre. Point tout à fait ennemies, mais le temps ne leur avait pas encore laissé l'occasion d'être amies ; et l'une cliente, l'autre maîtresse, quand l'une dame, l'autre vicomtesse, l'une survenue, l'autre hôtesse... Il y avait tant de rapports hiérarchiques contraires dans ce duo pour ne pas avoir de raisons de se méfier. De prendre la température. De sourire à une réponse bien sentie.

La Vicomtesse, en effet, éclata de rire sitôt son verre en main ; non un rire moqueur, mais un rire de cristal, court et joyeux, un rire de ravissement mutin.


-« Oh, mais nul ne voudrait d'une engaumala* pour Reine ! Ah, mais... Si, en vérité, ils l'ont fait... Avoir besoin de parfum, n'est-ce pas que c'est pour cacher bien de la crasse puante ? »

Elle avala une gorgée de vin, le gosier bien en pente, qui buvait depuis longtemps - et sa première fois, à onze ans, à la table d'un Primat !
Dans le souvenir de cet épisode, qui s'imposait à elle à chaque fois qu'elle goûtait un vin, elle poursuivit :


-« Le Louvre est baigné d'une bien triste lueur lunaire, depuis qu'y règnent les lunes des Malemort...
Dame, votre vin est fort mucós, parfait pour clore un grand voyage.. D'où vient-il ? »


Ayant hérité de vignes en Fenouillèdes, la Sìarrette se devait de connaître ses clients ou... la concurrence.

*"engaumala" = infirme, mais aussi peut être rapproché de "engaumir" = encrasser, d'où la suite des propos de Linèta.
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Ayena
Un peu tendue, Ayena se rasséréna à la naissance du rire de son hôte. Elle même découvrit ses dents d'amusement dans un sourire soulagé : sa réponse avait en effet du paraitre rude !
La phrase qui suivit avait pour centre de gravité un mot qu'Ayena ne saisit point. "Engaumala". Aimelina venait sans doute de se dévaloriser, mais Ayena ne saurait jamais à propos de quoi. Mais cela fut bien vite oublié à l'allusion du parfum et cette fois c'est Ayena qui éclata de rire. Oh, c'était mal de rire ainsi d'une personne, son éducation le lui soufflait. Mais, Grand Dieu, que cela faisait du bien, aussi, au fond, de pouvoir médire en compagnie !


- C'est vrai. Quand feue Béatrice régnait l'endroit était vraiment magnifique, vivant, joyeux. Quel déchéance !

Un soupire au souvenir de cette reyne qu'elle a appréciée. Au moins, servir cette Majesté là avait été un réel plaisir et non pas une angoisse de tous les instants à la peur qu'une rapace tombe méchamment et en traitre sur ceux qui voulaient la servir.

- Merci. On le doit aux vignerons de Saint Peray. Je suis d'ailleurs ravie de voir qu'il y a beaucoup de productions seigneuriales dans le Sud. Dans le Nord d'où je viens, les nobles sont moins enclins à faire profit de ce qu'offre la nature. Les cultures sont beaucoup plus... mh... traditionnelles.

C'était vrai : au fur et à mesure qu'on lui faisait visiter les alentours, elle s'en ravissait, comme découvrant une nouvelle façon de vivre. Dans le Nord, on subissait la nature, dans le Sud, on semblait la louer pour les bienfaits qu'elle offrait à ses habitants.

- Et quoique je sois plus habituée à boire de la bière que du vin, entre vous et moi, j'avoue que je m'y habituerai facilement, je crois.

Et pour illustrer ses dires, elle bu à son verre, avec délectation, regardant la Vicomtesse un peu moins froidement que cela avait pu l'être au tout début de leur entretient. C'est que le vin aidant, Ayena était assez sociable. Et pouvoir parler de tout et de rien à une jeune fille qui avait presque son age n'y était pas pour rien dans son amabilité grandissante.
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Aimelina
Ah, louer sa terre d'òc ! Ce qu'elle savait le mieux faire. Ses lèvres s'étirèrent, elle goûta encore au vin local. Puis elle retroussa les lèvres et soupira :

-« Ce Saint Pierre d'Ay, comme l'on dit ici, ne vaudra jamais le L'Anglade qui se fait dans la Vicomté de Cauvisson, mais nul ne l'égalera*... Un vin de roi ! Je crois d'ailleurs que la Vicomtesse le présenta à Sa Majesté Béatrice, au Louvre, voici quelques si longs mois. »

Et il semblait qu'un monde les séparait de cette époque.

-« Et voyez que j'ai hérité d'une vicomté fournisseur royal, et d'une baronnie, et je me complais à ne point livrer le Louvre ! Mais il faudra que je vous fasse porter du vin doux des Fenouillèdes, il pourrait bien concurrencer ce Saint Pierre d'Ay ! »

Ah, petite fleur... Tu ne peux pas t'en empêcher, de tirer la couverture à toi ! Tu ne serais pas du Sud, sinon ! Il ne te reste plus qu'à parler de la salicorne produite à Saint-Félix, et tu auras fait le tour de tout. De quoi parleras-tu alors ? De ta malle que tu crois toujours dans la cour ? De tes dettes à n'en plus finir ? De ton ravissement à la réception de la robe pour laquelle, non, tu n'as aucune retouche à réclamer... De la raison de ta venue, en vérité ?

-« A tant entendre de bien de la défunte et bienheureuse Béatrice, par mon paire au premier chef, j'en oublierais presque que je n'ai jamais été à Paris sous son règne... Juste au sacre à Reims, et sinon une fois à Vincennes, mais ni l'une ni l'autre ne sont tant vomitals que Paris.
Je l'ai en revanche jadis rencontrée en Lorraine, où elle nous reçut avec ma sœur, qui était promise à son cousin et vassal le Vescomte de Randon. »


Il est temps de laisser parler ton hôte, Aimelina ; un mot de plus serait même impoli, tant tu en as dit déjà. Pourtant ce n'est pas le scrupule qui t'arrête ; c'est la soif, c'est l'étourdissement du bon vin, c'est le souvenir de cette visite dans la froide Lorraine... C'est le souvenir de ce petit bout d'homme tout blanc comme la neige, ce défunt Aymeric. Et sa défunte sœur. La mort n'épargne pas les jeunes gens, en Languedoc !

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*De manière authentique, le vin de l'Anglade est cité comme étant servi à la Cour du roi René d'Anjou lorsque celui-là était en séjours à Tarascon
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Ayena
Tilt. Le fameux concours de fournisseurs royaux pour la bouche. Un bon souvenir.

- Ca sera avec joie que nous gouterons votre vin. J'étais moi même fournisseuse royale. J'ai privé la Malemort de mes si réputées pâtes de fruit en même temps qu'Elle s'est privée de ma présence.

Petit rire.

- Oeil pour oeil, dent pour dent. On se défend comme on peu...

Envie de soupirer, tout de même. Le Comté de Thérouanne sur Lys était sortit de sa langueur grâce aux âde fruits qui, ayant perdu la renommée royale, avait perdu de l'ampleur. D'ailleurs, il serait temps de demander un compte rendu des bénéfices, là bas. Note mentale.
Retour à ce dont parle De Siarr. Ha, Béatrice. Mh... Qu'en dire ? Car si la jeune fille qui est en face d'Ayena a connu feue Sa Majesté en tant que relation, d'Alquines n'a jamais été qu'une employée du Louvre qui habillait et déshabillait la Reyne. Même en tournant ça différemment, le fond reste le même. Alors, changeons de sujet.


- Vous avez ainsi pu vous rendre à l'atelier DECO, à Paris ?

Dis oui, et dis-en du bien. Ayena est fière de la dernière chose où elle peut encore s'investir.
La jeune femme se retient de dire qu'une robe attend la Vicomtesse à Saint-Félix. La discussion couperait court et là n'est pas son but. Au contraire, si elle pouvait tirer de cet entretient une nouvelle commande, ça lui rendrait bien service : elle est loin de son fief, et donc loin de toute rente. Lui reste la couture. Et ses clientes.

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Aimelina
Entre deux mesquines à la fierté placée (qu'elle le fût bien est une autre question), on se comprend. Aimelina était fort heureuse de découvrir, par petites touches, le caractère de son hôtesse à demie invitée, elle aussi, dans cette demeure.
Enfin, invitée. Aimelina s'était elle-même invitée... Et songeait toujours à sa malle, convaincue qu'elle prenait le frais au milieu de la cour. Bien sûr qu'elle était convaincue de cela ! N'est-ce pas que tous les gens qui ne sont pas de votre mesnie sont des bons à rien ? N'est-ce pas que chez les autres, c'est toujours moins bien que chez soi ?

Aimelina aurait voulu pouvoir dire une telle chose ; force était pourtant de constater qu'elle avait hérité d'un austère et étroit donjon au milieu d'un petit lopin de terre, pour baronnie, et d'une forteresse non moins austère et point encore achevée de rebâtir, à des lieues de toute mondanité, dans les contreforts pyrénéens ! Non, vraiment, elle était mieux chez les autres. Chez sa sœur, chez ses amies, ou celles qu'elle appelait avec complaisance ses amies, pour les besoins de la cause. Quand on n'a pas les moyens de payer l'hôtel, on se console en mondaine.

Aimelina avala une nouvelle gorgée, finissant son verre, avant de répondre. Elle n'avait ni la sobriété, ni l'élégante distinction de la Reine passée et de bien d'autres nobles dames de l'époque ; élevée par une folle et un ancien berger qui n'avait jamais été consolé de la perte de son troupeau et du carcan de convenances qui s'était abattu sur lui, son éducation n'avait été que laisser-aller... Celui dont on gratifie bien volontiers les derniers nés des longues fratries ; le laisser-aller de parents usés par le temps et las de se battre contre la nature qui ne fait jamais pousser les arbres droits, car ils sont dans un couloir de vent, car ils sont sur un versant de soulane et tendent en biais leurs branches vers le soleil...
Aimelina, connue aussi comme Linèta, petite Fleur de Lin, qui pousse comme-ci comme-ça, pas vraiment droit.


-« L'huissier de la boutique est le dernier des amòrris, il m'a escagacée, j'ai cru que j'allais quitter la boutique ! L'adage qui prétend que le Client est roi a mal été compris par ce drôle-là, macarèl ! Je m'en serais escampée sans rien commander, s'il n'y avait eu cette charmante petite, qui a pris le relais... »
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Ayena
Ne pas montrer qu'elle est mécontente de la réponse de la Bras-plus-court. Surtout, ne pas faire apparaitre qu'elle est froissée qu'on critique son atelier, la prunelle de ses yeux, son bébé. D'Alquines tourne la tête vers la fenêtre pour garder une contenance. Cette jeune femme a la langue trop pendue, ça la perdra, à coup sur. Ou alors il faudra qu'elle apprenne à la retenir, sa langue : or, ce n'est pas Ayena-la-gentille, la délicate, la souvent mièvre qui va lui faire la leçon. Déjà elle n'en a pas la force de caractère, ensuite elle n'en a pas l'envie, enfin, elle n'en a pas les moyens. Car c'est avant tout une cliente qu'elle a sous le nez.

- C'est qu'à Paris, on ne comprend pas la langue d'Oc. Sans doute a t-il pensé que son parler à lui valait mieux que le votre. Esprit étroit.

Rattraper les erreurs des autres. Elle détestait. Pour la peine, l'agent d'accueil en question serait remercié. Quoiqu'il fut tout à fait compréhensible de confondre l'Oc avec un quelconque patois de province...

- La petite est une vraie perle, je l'ai dénichée dans les fins fonds de la misère. Voyez comme on peut changer les gens avec un minimum d'éducation donnée dès le plus jeune age.

Voilà. Elle s'est justifiée, elle ne pourra faire plus. L'exercice est trop désagréable.

- Vos commandes ont été envoyées. Sont-ce quelques retouches qui vous amènent ?

Or, faire une retouche sur une tenue qui n'a pas été amenée avec celle qui doit la porter va s'avérer plus difficile. Mais comme le Très Haut aime aussi à jouer, l'instant d'après, une servante entre discrètement et lance un regard un peu décontenancé à la Demoiselle.

- Un souci ?
- Ben... On n'sait pas trop quoi faire d'la malle et c'est qu'on a pas envie d'la laisser à l'entrée, comprenez...
- Une malle ?
- Celle d'la Grandeur..., confirme la domestique
.

Ayena tourne alors son jeune visage vers celui, encore plus jeune de la Linèta. Elle lève son sourcil droit, ne comprenant pas pourquoi on ne l'a pas avertie qu'une malle mystérieuse était restée en arrière. Sans doute contient-elle les robes à retoucher... Mais c'est à l'invitée de se justifier à présent. Chacune son tour, poupette !

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Aimelina
Esprit étroit, plutôt deux fois qu'une ! Car la langue d'òc est la plus belle langue du monde, au monde ! L'Alquines devrait d'ailleurs l'apprendre, si elle songeait vivre à demeure en occitanie !
Aimelina se gratta, discrètement, inconsciemment, son bras gauche, au-dessus de ses doigts, prête à répondre non sans embarras à son hôtesse qu'elle n'avait pas encore pris possession de la robe, car elle se rendait justement dans le sud, à Saint-Félix, où il semblerait qu'elle ait été livrée. La survenue de la servante et l'échange sur la malle fit foncer les joues de la Vicomtesse.

Son verre était vide : elle ne pouvait même pas s'accorder l'ultime gorgée pour se donner du courage.


-« Je suis... Arrivée par le Rhône, voici quelques heures. Avec cette malle. Je me rendais justement à Sant-Féliç, où je trouverai, je suppose, votre superbe robe, et où vous êtes la bienvenue !
Je profitais de l'invitation que vous avez formulée dans votre courrier pour vous rendre visite, et... bénéficier, si cela se peut, de l'hospitalité du Baron de Crussol. Si cela se peut. »

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En dòl... Meu Paire visquèt e moriguèt en eròi.
Ayena
Ayena leva les sourcils, étonnée. De là où elle venait, les nobles se gardaient bien de demander hospitalité : cela aurait été s'exposer à la merci de l'hote, et là était bien leur dernier désir. La fierté plus haute que la couronne. Mais bien vite, Ayena vit muer son étonnement en joie : peut être ce séjour de la Vicomtesse permettrait-il de se lier d'amitié avec elle ? Quand on se sent encore étrangère à l'endroit où l'on habite, on ferait tout pour se sortir d'une solitude pesante.

- Monter la malle dans la chambre des réceptions. Et faites chauffer un grand feu.

C'était tout. Pas la peine de revenir là dessus et d'éventuellement embarrasser la Vicomtesse. Et puis, c'était à charge de revanche...

C'est donc ainsi que se noua une timide amitié entre les deux jeunes femmes. Cet après midi là, elle burent du vin, mangèrent des noisettes et finirent par se lancer dans une partie de carte. L'ambiance permit aux langues de se délier et Ayena se confia. Oh, à demis mots, certes... Elle avoua n'être là que pour son ami le Baron... Sans pour autant prophétiser sur l'avenir car d'Alquines ne savait fichtrement pas ce que cette "amitié" donnerait. Aimelina fut ainsi la première récipiendaire languedocienne du secret bien gardé. Secret troublé par les rumeurs, mais on ne peut pas tout avoir...
Le soir, Adrien dû diner sans la présence d'Ayena : elle s'excusa avec un mal de tête, oubliant de préciser que le vin n'y était peut être pas pour rien.

Lorsque le départ de la Vicomtesse survint, les deux jeunes femmes se promirent de rester en contact. Quelques temps plus tard elle prirent place sur la même liste comtale et encore un peu plus tard, elles furent en même temps conseillères comtales. Et que voguent la galère !

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