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[RP] Un enfant en hiver 1459

Blanche_
Tout commença par une naissance. C'était une soirée de novembre où tous les villageois étaient rentrés au chaud dans leur chaumière, et où le château de Donges, seul maître des environs, dardait ses tours de granite vers le ciel gris-blanc. Les marais de Crossac étaient encore complètement blancs, et vides, et la lune se reflétait sur toutes les rigoles glacées. La bruyère, figée dans un mouvement du vent, n'émettait plus aucun bruit, et le seul que l'on percevait dans la campagne était celui des roues du chariot qui battaient le sol en s'approchant du château. Il n'y avait pas âme qui vive à des lieues à la ronde, parfois un petit rat traversait la route en griffant la glace et les cailloux givrés, pour s'enfoncer ensuite dans la bruyère haute des deux cotés de la route. Sur ce chemin de terre, tous les hommes avaient disparus, sauf le convoi qui se dirigeait lentement vers le château. Deux torches éclairaient la route, l'une tenue à la main d'un homme qui menait les chevaux, et l'autre maintenue à l'harnachement des bêtes, et bien que le petit groupe avançait vite, les visages arrivaient à voir les reflets renvoyés par la glace vers leurs flammes. Tout était tamisé, même la chaleur qui brûlait au devant d'eux, même leur fatigue, même leur peur. Lorsque l'un d'eux parlait, il se mouvait à peine pour ne pas prendre le froid. Il ne levait pas le nez de son col, chuchotait un ordre que le vent avalait, et puisque les mots ne servaient plus l'on utilisait surtout des gestes. Il fallait avancer, guider les bêtes, prévenir. Aider à l'arrière, là où se passaient les choses et là où le silence se brisait, là où, malgré les circonstances, les marais de Crossac n'avalaient pas tout. Peut-être y avait-il trop de force et qu'il ne pouvaient pas tout prendre...
La femme hurla encore. Et le froid refusa de happer son cri. Elle était trop chaude pour l'hiver, elle était trop vivante.
Elle hurla.
Son souffle brûlant s'embrumait dans l'air et devenait un nuage tiède aussitôt saisi par les glaces. Aux commissures de ses lèvres, les gouttes de fièvre se mêlaient aux gerçures blanches, puis fondaient dans la fourrure qui entourait son cou. Elle haletait, cœur crépitant et battant à tout rompre, et parfois la douleur en l'atteignant basculait sa nuque à l'arrière et ployait son corps dans une convulsion tétanique. C'était terrible cette nature provocatrice, qui affirmait tous les traits de son corps et tous ses vices, ses défauts, qui faisait se dessiner les muscles de sa mâchoire et le sang à ses tempes, qui avait rajouté à son front et au coin de ses yeux, des rides nouvelles. Et c'était pire encore quand le froid en s'y ajoutant, pétrifiait le portrait d'une immatérielle immortalité ; quand les muscles s'endolorissaient, quand les mains se vidaient de chaleur et s'engorgeaient de sang bleu, quand le duvet de sa peau se raidissait un peu plus...
Fort heureusement, il ne neigeait pas, mais la température n'était pas descendue pour autant, et toute la route était gelée. L'habitacle de fortune qui menait l'enfant et la mère jusqu'à leur délivrance tanguait et buttait contre les pierres, cognant le dos cambré et son poids béni contre les planches du chariot.


Holà, du château ! S'agita le cavalier à la tête du convoi. Voici la baronne !
Voila la baronne, c'était vrai. Blanche rentrait chez elle, presque à l'ultime moment, dans une détresse terrible, achevée au fond du chariot en gémissant et en pleurant pour Bélénos, dieu du Soleil, afin qu'il la mène dans un monde ou dans l'autre, mais ne l'abandonne pas dans le vide qui sépare les deux. Nous revenons de Paris, comme il était prévu, holà !
Le cri qui retentit à nouveau lui coupa la parole. Mais en un sens, il avait suffit à lever le doute sur les événements qui auraient lieu dans la nuit. Dans le chariot qui avait arrêté son avancée, on s'activait, et sous les fourrures bourgeonnaient des gémissements plaintifs, et des conseils inquiets. Il appela à nouveau, mais les créneaux ne détachèrent aucune ombre amicale, le château restait muet.

Holà, ouvrez-nous ! Cria-t'il encore. Il serrait l'enfant au plus prêt de lui.

Lui répondant enfin, les crissements métalliques de l'entrée qu'on leur ouvrait retentit. A cent ou deux-cent pas de tous ces gens, les deux tours du châtelet d'entrée élevaient leur grille. On vit des ombres passer devant les fenêtres de la bâtisse principale, on entendit d'autres portes s'ouvrir et Crossac se réveiller. Les lueurs s'intensifièrent comme un brasier ravivé, et d'une seule flamme vive les torches s'amoncelèrent à l'entrée, menées par des voix et des hommes. La première tour, celle de Samson, vomissait une cohorte armée qui trottinait à leur rencontre. Les heaumes vinrent à eux, comme si à partir de la tour de Dol, c'était la duchesse Azilliz qui les menait, et, lances abandonnées derrière eux, et ils portaient une litière de linges à six bras. Aussi, comme ils étaient à hauteur des chevaux, tout le monde s'activa à installer la douloureuse arrondie dessus, et à la mener à l'intérieur.

Crossac, selon la coutume, était le seul endroit où pouvait naître l'enfant.


[Inspiré du Roi de l'hiver, de Bernard Cornwell]
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--Lestan
" - Alors, tu nais?!
- Oui, je nais"

Et naitre n'est pas une mince affaire. Fardeau de chair, j'entrevois la lueur d'un jour nouveau, enfin. Laissons aux adultes les soucis de l'enfantement et à la Créature les douleurs qui l'accompagnent. Moi je me tais, l'oeil bouffi et le coeur transi d'insouciance. Où me posera-t-on, moi qui n'ai su que me poser sur les jours d'une femme? On dira langes de laine, dans le berceau de Crossac, sauf que... Naitre dans une écurie ne fait pas de soi un cheval. Dans la vie la vraie chance consiste à naître fils unique d'une famille riche. Sauf que pour ma part, je suis bastard, je naitrai bastard. Baptisé des larmes d'une meyre en souffrance, j'accompagnerai peut-être ses cris des miens en m'époumonant presque avec empathie. Je ne me presserai pas, naître c'est toujours précipiter un peu les choses, et j'aurai appris que je n'étais plus à un jour près. Puis je le ferai par curiosité, n'est-ce pas là une bonne raison? J'aurai eu droit, tout comme mon père, à neuf mois de vie privée avant cela. Cela devrait me suffire.

L'avenir? Ils y penseront pour moi, lorsque les encouragements feront place aux félicitations et aux prières murmurées. Je suis un mâle, un petit d'homme qui de parasite accèdera au statut de membre de la famille, c'est presque beau. J'ignorerai longtemps qu'il n’y a pour l’homme que trois événements : naître, vivre et mourir. Je ne me sentirai pas naître, je souffrirai à mourir, et j'oublierai de vivre. Puis l'idée qu'il faille naître deux fois pour vivre un peu, ne serait-ce qu’un peu, n'effleurera pas mes premières sensations. Naître par la chair et ensuite par l’âme; deux arrachements. La première jette le corps dans ce monde, la seconde balance l’âme jusqu’au ciel. Emballé c'est pesé, l'affaire de la vie est toujours rondement menée.

Mes cheveux sont toujours aussi bruns et raides, mes poings serrés comme si le combat de ma vie s'avançait. J'ai quelques gènes singuliers, que je garde en réserve pour ces jours prochains, ainsi ma cour ira de surprise en surprise. On n'est pas encore tombé d'accord sur l'idée que le génie est la perfection de ce qui va mourir, ou la singularité de ce qui va naître. Je suis frêle, chétif, et ma croissance a oscillé entre le raisonnable et l'aberrant. Une tâche de naissance s'est coulée sur mon cou, et mon brun duvet n'a même pas su la dissimuler. Une fossette sur la joue, des futures traces de baisers sur l'autre.

Je sors ce jour du cloître avec la rage d'un évanoui, lente et désespérante. Jour de liesse, sonnez haut bois, résonnez musettes. Je me laisse porter, puisqu'il faut naitre.


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