Lithium
Très cher Lithium,
Je vous écris car il me sera difficile de venir vous voir à lauberge aujourdhui. En effet, hier soir très tard, jai reçu ordre de bouger et de me diriger vers une autre ville du duché. Tandis que javais dis que je vous prendrais sous mon aile durant mon séjour à Avranches, je ne peux tenir parole malheureusement ou d'une façon si courte qui ne me plait guère et vous désavantage.
Aussi, et si vous lacceptez cher Lithium, vous pouvez bénéficier en toute tranquillité de votre chambre à lauberge. Votre pension est payée pour la durée que vous souhaitez. Jai donné des instructions au patron de létablissement et la bourse que je lui ai confiée est amplement suffisante pour que vous puissiez être à labri un bon moment.
Voilà cher Lithium, jai été très heureuse de croiser votre route et Jespère sincèrement que nous aurons encore loccasion de nous rencontrer. Après tout, jai passé commande du portrait de mon fils et jaimerais pouvoir admirer votre talent car si vous êtes aussi doué avec les mots quavec des pinceaux, je gage que vous avez de lor dans les mains.
Maintenant, il est temps pour moi de me remettre en route mais soyez assuré de mon amitié Lithium. Et si, à la fin de cette guerre, vous navez toujours point de mécène, je serais honorée de vous ouvrir les portes de ma maison afin de vous offrir gîte et protection en échange de votre talent.
Prenez soin de vous Lithium et surtout restez en vie. Le monde a tant besoin de couleurs que le moment venu je suis certaine que vous ferez des merveilles.
Avec toute mon amitié.
Fait à Bayeux, le 6 novembre 1459.
Ana.lise di Favara dIzard,
Duchesse de Sedan, Baronne de Chaumont, Dame de Dienville.
Il relut la lettre pour mieux sen imprégner, sattarda sur certaines syllabes, un étrange sourire aux lèvres. Un sourire de déception suivit le survole des premières lignes, un sourire sensible illustra la suite, touché par les mots de Dame Ana.
Voilà quelques jours seulement quil avait franchi les portes dAvranches, cité normande et ville côtière. La mer lavait instantanément transportée, il sétait senti si léger, si insignifiant, comme si son cur lui était arraché par le ressac avant dêtre à nouveau rejeté sur la plage parmi les débris jonchant la grève. Tristes témoins des combats navals. Mais la guerre navait pas sa place en lui, aucun souffrance nhabitait les profondeurs de son être. Il avait posé ses yeux bleus sur des villages dévastés, des corps décharnés, des ruines enflammées... Il avait vu les horreurs de ce monde, avant, après et parfois pendant... Mais jamais aucune douleur navait envahi définitivement son cur ; car quelques soit laffliction qui le gagnait à chaque scènes, ses pas le menaient vers un lendemain. Son cur se vidait de son chagrin, trop empli despoir et de rêves pour abandonner son âme aux affres guerriers.
A Avranches il avait été accueillit avec un tel enthousiasme, une telle chaleur... Avec bienveillance. Il est artiste, il est peintre. Tout ce quil désire cest de quoi vivre, soit en vendant son art mais en ces périodes troubles, la beauté nest quillusoire. Soit sous la coupe dun mécénat qui lui permettrait de vivre décemment et de pratiquer son humble talent.
Et il avait rencontré Dame Ana. Elle ne voulait pas quil lappel ainsi, son titre lui était sans importance. Elle était plus Dame que tous les nobles quil avait croisés dans sa jeune existence. Elle était plus noble que toutes les dames quil avait rencontrées dans sa longue errance. Cétait une femme respectueuse, belle et généreuse, elle faisait preuve dhumilité et assumait son devoir bien quelle détestait guerroyer. Comme sa lettre le lui réaffirmait, elle avait aimé son verbe et ses idées, peut-être aussi son innocence qui navait pas encore été violée. Sa liberté...
Il avait parcouru les routes durant deux ans, deux longues années entières. Allant de ville en ville, de village en village, de virage en virage... Parfois il était invité par des riches bourgeois ou des nobles fortunés afin de lui commander un portrait ou un paysage. Jamais bien longtemps et il reprenait ensuite les routes avec lespoir quau détour du prochain chemin il trouverait son destin.
Dame Ana sans même avoir pu juger ses couleurs lui avait offert une chambre à lauberge. Logé, nourri avec pour seul contrepartie une commande, le portrait de son fils.
Dun geste gracile il trempa le bout de sa plume dans lencre et traça de son écriture souple et élégante une réponse.
Dame Ana,
Je ne peux nier quune certaine tristesse trahisse cette heure, ne plus vous revoir mest une amer déception. Mais quel égoïsme que de penser ainsi, vous devez être soulagé de rentrer, bientôt vous embrasserez votre époux et bercerait à nouveau votre fils. Bientôt cette terre qui vous renie ne pourra quaccepter votre retour, je sais quil ne pourrait en être autrement et jy crois ardemment. Votre présence ne peut être réellement repoussée, votre bonté ne peut être ignorée.
Je sais quen ce monde les forts gouvernent et il ny a que dans la noblesse titré, dans la richesse déraisonnée ou dans le pouvoir daliéné que lon vous reconnaît. Pourtant soyez-en assurée, vous êtes bien plus digne dêtre noble que ces gens, vous êtes bien plus honorable queux tous. En vous la noblesse retrouve un sens, en vous les valeurs qui jadis guidaient les curs chevaleresques retrouvent droit et raison. Quimporte ce que peuvent soupirer tous ces nobles affamées, quimporte ce quils peuvent penser de vos frasques. Je sais quelles ne sont rien. Laigreur de la jalousie alourdie leur mensonges, mais ne les laisser pas tromper vos songes.
Jaccepte avec le sourire le confort dune cheminée pour encore de nombreuses soirées, jaccepte avec ma plus sincère gratitude votre prévention à mon égard. Votre générosité vous honore. Je ne pourrais loublier. Ce sera pour moi une joie que de peindre la beauté de votre jeune enfant, dimmortalisé cet être cher à votre cur. Quand vous aurez pu reposer vos pas du voyage et que le temps ne vous fera plus défaut, vous me direz où et à quelle date il vous serait agréable de me convier à rencontrer lhéritier de votre mari, ainsi que ce dernier sil vous plait quil en soit ainsi. Et à cette occasion je mettrais mon art à votre disposition, Ana.
En attendant, je joins à cette missive, une petite toile, du moins assez pour pouvoir voyager, représentant locéan, cette étendu infinie qui est entrée dans ma vie. Jy ai mis mon amour soudain pour cette vaste entité, jespère quelle trouvera quelques échos en vos souvenirs. Voire une place sur vos murs mais cest là un rêve que je naurais même pas du couché sur le papier.
Mon affection la plus pure pour une Dame des ancien temps,
Merci,
Lithium.
Avranches, le 11 novembre 1459.
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Je vous écris car il me sera difficile de venir vous voir à lauberge aujourdhui. En effet, hier soir très tard, jai reçu ordre de bouger et de me diriger vers une autre ville du duché. Tandis que javais dis que je vous prendrais sous mon aile durant mon séjour à Avranches, je ne peux tenir parole malheureusement ou d'une façon si courte qui ne me plait guère et vous désavantage.
Aussi, et si vous lacceptez cher Lithium, vous pouvez bénéficier en toute tranquillité de votre chambre à lauberge. Votre pension est payée pour la durée que vous souhaitez. Jai donné des instructions au patron de létablissement et la bourse que je lui ai confiée est amplement suffisante pour que vous puissiez être à labri un bon moment.
Voilà cher Lithium, jai été très heureuse de croiser votre route et Jespère sincèrement que nous aurons encore loccasion de nous rencontrer. Après tout, jai passé commande du portrait de mon fils et jaimerais pouvoir admirer votre talent car si vous êtes aussi doué avec les mots quavec des pinceaux, je gage que vous avez de lor dans les mains.
Maintenant, il est temps pour moi de me remettre en route mais soyez assuré de mon amitié Lithium. Et si, à la fin de cette guerre, vous navez toujours point de mécène, je serais honorée de vous ouvrir les portes de ma maison afin de vous offrir gîte et protection en échange de votre talent.
Prenez soin de vous Lithium et surtout restez en vie. Le monde a tant besoin de couleurs que le moment venu je suis certaine que vous ferez des merveilles.
Avec toute mon amitié.
Fait à Bayeux, le 6 novembre 1459.
Ana.lise di Favara dIzard,
Duchesse de Sedan, Baronne de Chaumont, Dame de Dienville.
Il relut la lettre pour mieux sen imprégner, sattarda sur certaines syllabes, un étrange sourire aux lèvres. Un sourire de déception suivit le survole des premières lignes, un sourire sensible illustra la suite, touché par les mots de Dame Ana.
Voilà quelques jours seulement quil avait franchi les portes dAvranches, cité normande et ville côtière. La mer lavait instantanément transportée, il sétait senti si léger, si insignifiant, comme si son cur lui était arraché par le ressac avant dêtre à nouveau rejeté sur la plage parmi les débris jonchant la grève. Tristes témoins des combats navals. Mais la guerre navait pas sa place en lui, aucun souffrance nhabitait les profondeurs de son être. Il avait posé ses yeux bleus sur des villages dévastés, des corps décharnés, des ruines enflammées... Il avait vu les horreurs de ce monde, avant, après et parfois pendant... Mais jamais aucune douleur navait envahi définitivement son cur ; car quelques soit laffliction qui le gagnait à chaque scènes, ses pas le menaient vers un lendemain. Son cur se vidait de son chagrin, trop empli despoir et de rêves pour abandonner son âme aux affres guerriers.
A Avranches il avait été accueillit avec un tel enthousiasme, une telle chaleur... Avec bienveillance. Il est artiste, il est peintre. Tout ce quil désire cest de quoi vivre, soit en vendant son art mais en ces périodes troubles, la beauté nest quillusoire. Soit sous la coupe dun mécénat qui lui permettrait de vivre décemment et de pratiquer son humble talent.
Et il avait rencontré Dame Ana. Elle ne voulait pas quil lappel ainsi, son titre lui était sans importance. Elle était plus Dame que tous les nobles quil avait croisés dans sa jeune existence. Elle était plus noble que toutes les dames quil avait rencontrées dans sa longue errance. Cétait une femme respectueuse, belle et généreuse, elle faisait preuve dhumilité et assumait son devoir bien quelle détestait guerroyer. Comme sa lettre le lui réaffirmait, elle avait aimé son verbe et ses idées, peut-être aussi son innocence qui navait pas encore été violée. Sa liberté...
Il avait parcouru les routes durant deux ans, deux longues années entières. Allant de ville en ville, de village en village, de virage en virage... Parfois il était invité par des riches bourgeois ou des nobles fortunés afin de lui commander un portrait ou un paysage. Jamais bien longtemps et il reprenait ensuite les routes avec lespoir quau détour du prochain chemin il trouverait son destin.
Dame Ana sans même avoir pu juger ses couleurs lui avait offert une chambre à lauberge. Logé, nourri avec pour seul contrepartie une commande, le portrait de son fils.
Dun geste gracile il trempa le bout de sa plume dans lencre et traça de son écriture souple et élégante une réponse.
Dame Ana,
Je ne peux nier quune certaine tristesse trahisse cette heure, ne plus vous revoir mest une amer déception. Mais quel égoïsme que de penser ainsi, vous devez être soulagé de rentrer, bientôt vous embrasserez votre époux et bercerait à nouveau votre fils. Bientôt cette terre qui vous renie ne pourra quaccepter votre retour, je sais quil ne pourrait en être autrement et jy crois ardemment. Votre présence ne peut être réellement repoussée, votre bonté ne peut être ignorée.
Je sais quen ce monde les forts gouvernent et il ny a que dans la noblesse titré, dans la richesse déraisonnée ou dans le pouvoir daliéné que lon vous reconnaît. Pourtant soyez-en assurée, vous êtes bien plus digne dêtre noble que ces gens, vous êtes bien plus honorable queux tous. En vous la noblesse retrouve un sens, en vous les valeurs qui jadis guidaient les curs chevaleresques retrouvent droit et raison. Quimporte ce que peuvent soupirer tous ces nobles affamées, quimporte ce quils peuvent penser de vos frasques. Je sais quelles ne sont rien. Laigreur de la jalousie alourdie leur mensonges, mais ne les laisser pas tromper vos songes.
Jaccepte avec le sourire le confort dune cheminée pour encore de nombreuses soirées, jaccepte avec ma plus sincère gratitude votre prévention à mon égard. Votre générosité vous honore. Je ne pourrais loublier. Ce sera pour moi une joie que de peindre la beauté de votre jeune enfant, dimmortalisé cet être cher à votre cur. Quand vous aurez pu reposer vos pas du voyage et que le temps ne vous fera plus défaut, vous me direz où et à quelle date il vous serait agréable de me convier à rencontrer lhéritier de votre mari, ainsi que ce dernier sil vous plait quil en soit ainsi. Et à cette occasion je mettrais mon art à votre disposition, Ana.
En attendant, je joins à cette missive, une petite toile, du moins assez pour pouvoir voyager, représentant locéan, cette étendu infinie qui est entrée dans ma vie. Jy ai mis mon amour soudain pour cette vaste entité, jespère quelle trouvera quelques échos en vos souvenirs. Voire une place sur vos murs mais cest là un rêve que je naurais même pas du couché sur le papier.
Mon affection la plus pure pour une Dame des ancien temps,
Merci,
Lithium.
Avranches, le 11 novembre 1459.
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