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[RP]Troisième à gauche après le pont... Rue des Tisserands.

Cymoril
Imagine-t-il combien elle a retenu sa main de le gifler ? "Maîtresse"... "Dans tes rêves alors"... De plus en plus souvent la Voix revenait, lancinante, sursaut de vie contre le poison. Amusant qu'il s'emploie à lui donner ce titre qui l'agace. Lui qui sans doute était venu là, présumant d'une situation dont il n'avait appréhendé toute la complexité. Lui qui certainement pensait déjà être en terrain conquis.

Elle ne peut réprimer un petit rire. Contenu. "Maîtresse"... "Tu ne sais rien de moi.. Même pas mon nom !"


Blablabla...Puéril peut être, mais le propos lui semble si plat.

Bien sûr elle n'a pas entendu le reste. Tout juste deviné le regard fouillant les formes sous les jupons, alors qu'elle sourit, satisfaite quelque part. Qu'il rumine. Elle n'en a cure. Il ne sait qu'au final, elle l'épargne quelque part. Bienveillante. Si si... "Maîtresse"... "T'es pas outillé pour..." "Suffit la Voix..."
Elle prendrait bien une décoction made in Lance ce soir contre un peu de répit.

La porte de la chambre se referme sur elle, après un Faites de beaux rêves aux accents moqueurs et sur un clinquant tour de clef annihilant toute forme de sursaut d'espoir de venir y gratter.
Nul doute que sa nuit est agitée, de rêves tortueux où elle s'égare en cherchant la Lumière, oubliant la bluette qui trône dans son salon.

Le lendemain, avec Berthilde elles débarrassent toute trace du festin avorté. Donnant ordre d'aller faire don de tout aux pauvres. Elle s'en fiche, n'accordant que peu d'importance aux biens matériels.

En forge, l'épée sera terminée. Sous l'aiguisage précis, la lame de cinq pouces de large prendra toute sa beauté, d'un bleu acier brillant au fil tranchant. Elle y laissera sa marque, en légères arabesques ciselées près de la garde.
Qu'au moins il soit équipé comme il le faut. En parfait duo de lames avec le petit écuyer. Pour la route. L'escorte parfaite, l'hydreux et l'unijambiste. Pas à dire, l'est vernie la Fourmi.^^

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Cymoril
Ca y est.
Elle y était enfin.
Le verrou qui cède sous le tour de clef le confirme. C’est bien là sa maison. Et si le cœur de la Fourmi bat la chamade, c’est autant d’avoir passé une bonne partie de la matinée, pif en l’air, à suivre le vol chaotique d’un faucon dans le ciel embrumé de la capitale, que de pousser enfin cette porte. Elle avait eu un doute l’instant précédent quand la première clef s’était révélée inefficace, comme si au moment d’accéder enfin à une partie de ce passé envolé il se dérobait à nouveau.

La main sur la poignée, elle en oublie ces dernières heures, à heurter les passants dans les rues bondées, à s’attirer les foudres de matrones bousculées en traversant le grand marché, l’invasion de ses narines par tant d’odeurs, le bruit incessant qui empêchait de réfléchir, la crainte qui s’était instillée au fil de ses pas et le regard d’une malveillance rare d’une vieille femme dans la rue précédente. Comme si elle la connaissait et la maudissait en la voyant passer.

Et dire que ces derniers mois elle avait désespéré de trouver un moyen de venir, surtout après la défection du seul qui semblait connaitre les lieux, alors qu’elle l’avait finalement toujours eu. Simplement trop bête pour voir l’évidence même. Il était là depuis si longtemps. Depuis Jenn. Son plus vieil ami finalement. Du moins le seul sur lequel elle pouvait compter sans qu’il ne s’offusque de ses écarts. Encore que… Elle avait cru déceler un air de dépit dans l’œil jaune du faucon. Il était comme elle, et n’aimait pas la ville.

La porte de la ruelle cède, alors que derrière elle passe une charrette lourdement chargée, menée par un marchand qui grogne et claque du fouet pour faire avancer la bête qui rechigne à avancer, tançant un petit commis en haillon. Un sourire lui échappe à cette vue de vie qui grouille et lui donne le courage ultime de pousser enfin cette porte.

A sa vue s’offre une arrière cour pareille à des centaines d’autres, mais au détail unique qui fait qu'elle sait être chez elle : Hawk posé en sommet de puits. Indifférent à tout ce qui peut bien envahir sur l’instant l’esprit de sa maîtresse, le bec plongé dans le duvet sous son aile, trônant majestueux, prêt à fondre sur le premier rongeur qui aurait la bêtise de pointer son museau. Elle poursuit en avançant, détaillant les portes, cherchant à deviner ce que chacune renferme, tout en se concentrant sur celle de la maison. Les dépendances attendront bien quelques heures de plus.
La distance est abolie et une nouvelle porte s’ouvre…

Même pas étonnée de pénétrer dans la cuisine. Comme si ça tombait sous le sens. Si elle ne reconnait pas les lieux, les gestes machinaux du quotidien arrivent presque malgré elle. La cape et le ceinturon où pend son épée sont ôtés et déposés sur un meuble non loin, les bottes trempées prennent place à côté de la cheminée éteinte, alors qu’elle pose une main caressante sur la table de chêne, seule donnée connue de la pièce. Elle en suit le bois, effleure chaque nœud, sentirait presque l’odeur de bois coupé de ce jour là, l’odeur d’humus frais de la forêt labritoise… Jusqu’à passer dans la pièce suivante.

Vaste pièce à vivre. L’ameublement recouvert de draps blancs, à croire qu’elle avait eu un lot tombé d’une charrette. Mais aucun n’attire son regard comme la grande cheminée, ou plutôt les objets accrochés au dessus. Les yeux s’embrument alors qu’elle va effleurer la grande épée du bout des doigts.
L’épée d’Eilith, donnée par Zouz à Bergerac.. reviennent les images jamais oubliées de rires et de paris plus idiots les uns que les autres faits par une bande de folles dans les tavernes les plus improbables, d’assauts burlesques et autres facéties, jusqu’à la chute enflammée de la Châtaigne à jamais gravée dans les yeux de la Fourmi. De cette quasi Sœur qui ne riait jamais…
La hache, relique de la prise de Bazas, qui devait revenir au bucheron berrichon, est aussi effleurée, avant qu’elle ne ferme les yeux pour contenir une cochonnerie de montée lacrymale. Les filles et leur sensiblerie à la con…
Une inspiration profonde, puis une autre, et le calme revient, et les noisettes se posent sur un bouclier cabossé, sans armoiries, qui lui ne lui évoque absolument rien. Un haussement d’épaules s’en suit, et elle abandonne le reliquaire pour parcourir la pièce d’un pas lent, retirant à chaque fois le tissu qui recouvrait les meubles. Arrivée au pied de l’escalier qui monte à l’étage, elle embrasse la pièce d’un regard d’ensemble, avec un sourire amusé. Luxueusement spartiate, sans fioriture ni dentelle. Bien loin d’imaginer toutefois qu’assise dans l’un de ces fauteuils au bois délicatement travaillé, elle avait tenu tête à une inquisitrice*. Ou du nombre d’heures passées le nez dans les livres qui siègent sur les étagères. Elle s’en sent presque rassurée ne sachant ce qui avait été son quotidien dans cette maison. Au moins, sa reconversion en marchande ne l’avait pas changée en greluche à pompons…
Restait à en comprendre les motivations.

L’escalier est gravi d’un pas lent, presque solennel, la main affleurant la rampe, le visage pâle et grave alors que dans son crâne une foule de sentiments se bouscule, sous le règne dominant d’une appréhension croissante. Une fois arrivée sur le palier, une longue inspiration est prise avant d’aller ouvrir la première porte. Un sourcil qui s’arque, suivi d’un écarquillement d’yeux… Comme un choc, sous son regard, une chambre… de fille. De vraie fille. Avec des petits pots, de frous frous qui pendouillent, des rubans laissés là sur une commode empoussiérée. De quoi laisser une fourmi sérieusement sur le cul un moment.

Main légèrement tremblante, elle ouvre une armoire pour y découvrir l’étendue d’une garde robe luxueuse, dont elle tire une robe au hasard, et laisse échapper un soupir de soulagement. Trop grande.. et à vue de nez… la demoiselle devait faire une tête de plus qu’elle. Nouvelle inconnue… Chaque tentative de trouver réponse engendrait décidément plus de questions… La fouille se poursuit. La fille avait apparemment quitté les lieux sans emporter ses affaires. La maison semblait avoir été fermée de façon classique et il était donc exclu de penser qu’il avait pu s’y passer quelque drame affreux. Tout était là. Un coffret contenant de la correspondance, des livres, tout l’univers d’une fille d’une certaine qualité…
C’est avec le front soucieux qu’elle quitte la pièce pour passer à sa voisine. La crainte d’y trouver quelque chose de similaire voir pire..

Un apaisement certain la gagne lorsqu’elle découvre une chambre nette et vide de présence humaine. C’est donc le cœur un peu plus léger qu’elle gagne la troisième chambre, ouvrant la porte d’un geste vif. Et les battements de cœur qui s’accélèrent… Une longue inspiration avant d’avancer plus… un sourire las s’accrochant à ses lèvres alors que la main épouse le montant du lit. Bon sang, elle avait oublié combien il était grand… Tout est là… le coffre ouvert sur ses affaires en vrac, blason cartel élimé, un bordel monstre de parchemins, de courriers épars jusqu’à une vieille pipe oubliée avec sa blague et le mélange d’herbes… Une boule lui monte à la gorge… La maison n’a pas d’odeur, la chambre encore moins… il n’est jamais venu ici. Pourtant dans l’armoire trône une partie de ses affaires aux côtés de celles si petites de la Fourmi. Elle retient son geste alors qu’elle voudrait jouer du briquet pour faire brûler ces herbes, comme une illusion qu’elle se refuse à la laisser envahir… Au lieu de ça, la lassitude gagnant, elle s’étend sur le lit pour prendre le temps d’intégrer toutes les données, oubliant pour l’instant la porte plus petite qui semble communiquer avec la dernière pièce encore inexplorée. Et laissant son esprit se poser, vagabonder à son gré dans tout ce qu’elle avait vu jusqu’à présent, envisageant déjà un emploi du temps pour explorer de façon plus méthodique la chambre de la fille, d’en découvrir l’identité… Et de finir par s’assoupir…



*Cf : Quand l'infamie est dans nos murs.

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Horkos
La France n'est plus qu'un souvenir, de long en loin, jeune silhouette à flanc de destrier poursuit le voyage entamé.Il va à contre sens d'un vol puissant de faucon. C'est en passant la frontière qu'il lacha le messager racé. Il porte en son sang le goût des défis, d'autres paysages, d'autres contrées et c'est d'un galop soudain qu'il sollicite la monture. Fougueux de son âge, un cadavre laissé dans une ruelle crasse italienne, son maigre paquetage sauvé à la lame, à la rage de survivre. Il met la distance entre lui et la potence aussi.


Il va.. il vole.. il fuit vers demain, ces aubes froides et lacérées d'étrange. D'autres langues sont venues chanter dans ses oreilles leurs accents étrangers, d'autres moeurs aussi, différent en tout,des parfums de saison au teint des filles des marchés avec leurs yeux noirs tout velours. Il est chaudement vétu, méthodique pour qui a quitté sa terre sur un coup de destin. Une besace chiche, un mantel quelques fûts contre un cheval, un matin à peine différent des autres.


Il est parti sur des traces qu'une autre ombre a laissé sur ces chemins accidentés et fort peu fréquentés.
A tire d'aile néfaste et de mauvais augure le messager dressé avec rigueur trouvera sa destinée.


Citation:
Mère.

Ces quelques mots pour te dire. Je pars là bas. Je vais le retrouver ou du moins ce qu'il restera de lui. Cet homme qui fût mon père, j'ai besoin de savoir ce qu'il en reste. Voir ce qu'il a vu, comme une ombre je marche dans ses pas.
Ne t'inquiète pas, j'ai pour amie une épée qui m'a rendu déjà service. Je travaille pour mes provisions en quelques haltes instructives.
Génova est ville prospère, le pain y est sucré et peu cher, Vérone, ah.. Vérone on y a le cotillon léger. Venise fait rougir sa légende, l'imposture est d'importance. On y creve la faim et on vend le joyau de famille pour survivre. J'espère que le collier te plaira je n'ai que toi à qui l'offrir ( dans le harnais).
Devant moi le désert dans cette ligne droite qui mène au bout du monde connu. Je me rapproche de lui dans cet hiver infernal, ici il traine en longueur et la neige prend des hauteurs extravagantes. Y a quelques jours j'ai tourné le dos pour longtemps à la mer Adriatique, je l'ai traversé sur une coquille de baltringue au bord d'un capitaine de fortune et d'occasion. J'ai pris la barre...

Aujourdh'ui mère l'enfant s'envole, il te reviendra un homme pour fils.
Ne m'attend pas, les saisons passeront et un jour je serai là.

S'il existe quelque chose de bon dans ce monde qu'il veille sur toi.

Ton fils.

Horkos de Thunes.
Cymoril
Chronos dans sa grande mansuétude avait laissé couler la clepsydre au fil de sa somnolence, alors qu’elle se recroquevillait dans un coin de l’immensité en draps de soie. La main trainante dans le sommeil se perdait dans le vide à ses côtés, froissant le soyeux jusqu’à ce que le tintement de cloches lointaines ne vienne la tirer doucement de sa langueur. Les paupières s’entrouvrent dans la pénombre alors que les pupilles encore hésitantes envisagent le plafond à la lueur du crépuscule, et que son estomac gronde doucement, lui rappelant les rigueurs de besoins incompressibles, comme de se nourrir de temps à autre. Comme le frisson léger qui se fait sentir d’une maisonnée non chauffée au cœur de l’hiver. La petite carcasse se déplie et s’étire longuement, avant de se décider à se lever, pieds nus se crispant au contact de la fraicheur du sol boisé s’approchant de la fenêtre pour y regarder la ruelle sombre et désertée, puis de soupirer et de sortir de la chambre d’un pas lent pour gagner la cuisine, souriant doucement en entendant craquer le parquet de chêne sous ses pas.

Curieux comme chaque chose est trouvée avec une facilité déconcertante dans la cuisine qui voit les cierges d’un candélabre s’illuminer un à un pour donner un peu plus de lumière à la pièce. Une moue, et les bottes sont renfilées, et elle sort dans l’arrière cour, en quête d’une réserve de bois pour relancer les cheminées. Lentement le regard passe sur les dépendances, et elle avise la porte la plus proche, suivant une logique certaine, avant de la pousser et d’y découvrir, non sans une certaine satisfaction, qu’elle avait raison. Tonneaux, bois, caisses pleines… Un soupir… une maison de fourmi… Alors qu’elle commence à se charger de bois, quelques huissements et bruits d’ailes attirent son attention. Elle ressort, persuadée de trouver Hawk en train de déchiqueter un rongeur égaré, et se trouve légèrement déconcertée de la scène qui se joue. Certes le faucon bat des ailes, mais c’est surtout la présence d’un second animal auquel il semble faire bon accueil qui l’interpelle…

Le pas lent, elle s’approche, tendant une main en sifflant doucement. Et de voir les deux faucons sautiller de la même façon… Circonspecte la fourmi sur le coup. Une main se pose dans le plumage délicat du premier, avant d’oser la même caresse au second, découvrant du bout des doigts le harnais et l’étui à rouleau… Un sourcil qui se hausse, et l’étui est ouvert pour en extraire le vélin… et le glisser en poche. Nouveau regard aux deux faucons qui semblent copains comme… Rien ne l’étonne ce jour, alors elle laisse couler, et retourne à son bois. Vite empilé, le froid aidant, et la cuisine est réinvestie. Le briquet à amadou s’active dans l’âtre et bientôt le feu commence à répandre sa douce chaleur dans la pièce. Un sourire en esquisse, et la besace est fouillée, viande séchée en main elle retourne apprécier le spectacle des faucons côte à côte, leur tendre à leur tour un peu de nourriture… Avant de s’en retourner une fois pour toutes à l’intérieur.

Une miche de pain atterrit sur la table, alors qu’elle y prend place, commençant à picorer en déroulant le rouleau, et de s’étrangler dès le premier mot.

"Mère !" Le mot claque et résonne avec violence dans sa tête.
"Mère !" Et les mâchoires de se serrer pour éviter de penser à la pièce qui soudain s’est mise à tourner.
"Mère !" Et la lecture de se poursuivre au fil de larmes qui s’écoulent sans bruit…Les mots s’entrechoquent et heurtent son esprit. Fils, père..
"Mère !" Qui revient lancinant comme un hurlement silencieux. Une main vient tenter d’endiguer le flot salé, en vain.

"Fils".. comme si la chose lui était impossible. Comment aurait-elle pu, si petite, si malingre parfois… La main indépendamment va effleurer la poitrine, d’un corps qui se souvient quand la mémoire est envolée…
"Fils"… et de continuer de pleurer doucement, d’avoir un fils et la honte de l’avoir oublié.
"Fils"… comme une merveille, un trésor, et l’idée d’avoir fait au moins une chose de bien dans sa triste existence, de lui avoir donné un fils, à Lui…
Au père… et lentement l’échine se glace. A se demander ce qu’elle avait bien pu lui dire à son sujet, pour qu’il se décide à partir au bout du monde…


Le vélin est lâché, la main sur le front passe sur la cicatrice, maudissant l’Alençon de lui avoir volé ce qu’il pouvait y avoir de meilleur dans sa vie. La seule chose qui devait importer…
L’évidence d’une vie ennuyeuse et monotone qu’elle s’était imposée durant ses longues années s’éclaire soudain. Le Fils expliquant la reconversion. Le Père le choix de la maison.
Incapable de bouger, elle reste là. La tête entre les mains, renonçant à comprendre plus, l’esprit trop envahi et la gorge nouée d’une envie de hurler… les heures couleront encore une fois, avant que d’épuisement d’avoir trop pleuré elle ne s’endorme sur la table… Demain elle chercherait plus de réponses. Alors peut-être oserait-elle répondre à ce fils…

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--Berthilde...



L’aube.

Berthilde, à son habitude, va faire le marché. Sans nouvelle de ses maîtres, elle avait fini par prendre un emploi auprès d’un commerçant du quartier, et c’est à cette heure qu’elle a pris coutume d’arpenter les étals. Produits frais et peu de monde. Ce qui simplifiait la tâche. Surtout que son employeur était nettement moins exigeant que ceux qui l’avaient amenée à Paris…
Pourtant, chaque jour elle passait devant la maison en revenant. Espérant revoir le Fourmilion ou sa mère… Et chaque jour la même déception… Jusqu’à ce matin là… Elle avait failli ne pas remarquer le filet de fumée qui s’échappait au dessus du toit, avant de stopper net.
La nourrice resta incrédule un court instant, avant de se décider à pousser la porte de l’arrière cour… Et de découvrir les signes évidents du retour. Charrette, faucon… Elle accélère le pas sous les premiers rayons hésitants et pénètre dans la cuisine. Pour y découvrir le spectacle de sa maîtresse endormie sur la table.



Madame…

C’est moi… Berthilde ! Je suis là…



Une main maternelle passe dans la sombre chevelure. Combien de fois l’a-t-elle coiffée ? Une mère de substitution autant pour sa jeune maitresse que pour son fils… Voilà ce qu’elle avait été. Et elle avait aimé ça, faire partie à nouveau d’une famille… Un doigt repousse une mèche sur le front de l’endormie qui papillonne des paupières, s’éveillant doucement, et elle découvre la fine cicatrice…


Oh… Madame… qu’est-ce qu’ils vous ont fait ?...


Le ton est empreint de cette compassion non feinte qu’ont les gens qui vous aime.. Et la main tout doucement se perd en une caresse sur la joue marquée par les larmes versées…
Cymoril
[La tête dans un étau, le cœur sous le rouleau compresseur…]

Quelques rares rayons filtrent au travers de la fenêtre. Pâles et hésitants, rendant à la pièce une faible luminosité. Le feu de cheminée est éteint depuis des heures quand la nourrice ouvre la porte laissant entrer un air glacé qui la fait frissonner dans son sommeil. Dans le lointain, une voix telle celle d’un ange la tire peu à peu des limbes où elle s’était perdue…

Peu à peu les paupières tentent de s’ouvrir, quelques battements de cils collés par trop de larmes, alors que l’esprit refuse encore l’éveil. L’éveil c’est revenir à la réalité. Dure, froide.. Implacable… Réalité où elle a un fils. Son fils.. et elle l’a oublié. Et ça… C’est pire que l’évènement qui a provoqué la perte de mémoire. Pire que tout. Quelle mère oublie son enfant ? Quelle genre de mère peut faire ça… L’esprit est réveillé, toujours aussi douloureux, aussi torturé de n’avoir pu remettre ce fils dans la chronologie de ces années effacées.

Les yeux gonflés peinent à se lever sur la voix, et se referment sous la caresse. Une voix aimante, une main douce… et le sel humide reprend lentement son cours au travers des cils, glissant sans bruit sur les joues. Ouvrir les yeux… sur un visage inconnu et pourtant si tendre penché sur elle. Parler.. mais pour dire quoi… Aucun mot ne lui semble adapté, ou à la mesure de ce qu’elle ressent.

Elle se redresse lentement, l’abattement profond qu’elle ressent se lit sur son visage. Détresse criante dans ses prunelles pâlies, quelques mots à peine susurrés alors qu’une main tremblante passe de son front au vélin abandonné sur la table :


J’ai oublié… Je l’ai même oublié.. Lui…

Sans attendre de réponse, le visage se plonge dans les jupons de l’inconnue, pour y pleurer sa peine, et sa honte…
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--Berthilde...



La nourrice s’était préparée à pas mal de choses dans le genre mauvaise nouvelle, mais ça… Elle n’arrivait même pas à imaginer… Elle appréhendait le désarroi de sa maîtresse tout en réfléchissant à la meilleure façon de l’aider…

Berthilde laissa les pleurs se tarir un peu, passant une main réconfortante dans la chevelure noire et murmurant qu’elle était là… puis, lorsqu’elle fut enfin calmée, la nourrice se détacha doucement. Un coup d’œil sur la lettre fit malgré tout naître une inquiétude profonde pour cet enfant qu’elle avait élevé depuis sa naissance. Elle resta un moment à songer, avant de commencer à s’activer dans la cuisine. Le feu à nouveau flamba, et elle sortit alors dans l’arrière cour, récupérer l’étui accroché au harnais du faucon, en gestes maladroits et en regards inquiets sur le volatile. Ceci fait, elle retourna dans la maison, abandonnant l’objet sur la table devant Cymoril et entreprit alors de préparer le baquet pour sa maîtresse.


Ca va vous faire du bien…

Efficace dans les gestes, rassurante dans la voix, elle mena le petit brin de femme jusque devant le baquet et l’aida à se dévêtir, avant de la laisser se glisser dans l’eau chaude, le regard triste sur la petite silhouette.

…………..

Les heures, les jours avaient passé.

Berthilde avait soutenu sa maîtresse lorsqu’elle avait découvert la chambre abandonnée de son fils, séchant ses larmes chaque fois qu’il était nécessaire.
Elle lui avait fait redécouvrir leur passé, lui narrant leur histoire commune à tous trois. Tout ce qui pouvait être dit, l’amour inconditionnel d’une mère et la façon dont elle avait éduqué son fils, la Franche Comté, la Bourgogne après la fuite de Dôle.. les leçons… Tous les jours que la mère avait manqué et qu’elle avait noté au fil du temps, jusqu’à celui où l’enfant s’était enfui et perdu dans Paris, retrouvé in extremis par sa mère rue St Martin et ramené au bercail.
Cymoril
Hebetantem pectore Lethen : donne-moi, s’il en existe, de cette eau de Léthé qui tue la mémoire du cœur...


Dans son crâne résonnaient les notes d’une douce mélodie mélancolique qui glissaient lentement, d’une beauté inégalée et que personne n’entendrait jamais. Tristes et douloureuses, une ode à sa mémoire inaccessible.

Des heures durant, elle restait silencieuse, ne bougeait ni ne pleurait.
Le cœur et la tête ailleurs. Un ailleurs vide. Elle laissait s’éloigner le monde tout doucement, repoussant les limites du supportable à force de jusquiame, indifférente aux regards inquiets et réprobateurs de la nourrice. Le mal était trop profond pour une fille finalement si ordinaire… Tant d’années qu’elle s’était établie dans l’indifférence, sous le masque confortable de la Fourmi, à se perdre pour mieux oublier la fragile Cym. Comme tout le monde… Combien en restait-il à avoir connu cette fille capable de rire de tout et de rien ? De cette fille gauche qu'elle était encore et qui n'arrivait à trouver sa place nulle part. Trop ceci, pas assez de cela... Jamais sûre d'elle. Qu'un rien blessait sous le masque.

Son univers qui finalement n’était composé que de fantômes et de souvenirs avait mené l’ironie à son terme le plus cruel en la privant du seul souvenir qui pouvait justifier l’inutilité de son existence, et qu’elle n’ait encore franchi le Styx. En vérité… Mnémôsé est une belle enflure, qui ne lui a laissé qu'un cimetière en toile de fond. Chaque pas lui rappelait combien elle était seule... qu'elle l'avait toujours été et le serait toujours.

Entre les murs douillets de son esprit calfeutré, la Fourmi s’effaçait et elle se laissait couler, presque avec délice, s’abandonnait aux confins d’une immatérialité où rien ne pouvait plus la blesser vraiment. Retrouvant des bras chaleureux, les voix aimées d’un chant ancien.
Là, la gifle d’Eris était un acte d’amour et la légèreté des Grâces lui ravissait le cœur et les caresses de ses Frères la réchauffaient… Seul Serment se dérobait encore. Il lui semblait l’apercevoir parfois, une fraction de seconde, et elle voudrait implorer Chronos de figer le temps pour pouvoir s’approcher, effleurer sa joue et enfin le reconnaitre. Mais à peine le visage esquissé il disparaissait en fumée, et ne restait qu’un regard intense, parfois implacable et glacé. Ses yeux à Lui.

Sortir des voiles vaporeux devenait de plus en plus douloureux, et se posait la question lancinante de rajouter juste ce qu’il fallait de poison pour rester de l’autre côté…
Ne plus s’égarer en culpabilité aussi… Le seul mensonge de sa vie avait envoyé un fils aux confins du monde connu, à la recherche d’une chimère. Sa Lumière à elle… éteinte depuis longtemps déjà. Et si sa mémoire restait close à cause de cette erreur… Ou peut-être parce qu’il lui semblait que son cœur battait un peu plus vite ces derniers temps.. Qu’elle avait l’impression de vivre, ou plutôt de revivre, même fugacement, même silencieusement.

Un poids immense semblait s’être abattu sur la fragile silhouette, alors qu’elle se mettait à marcher dans la maison, errant sans but perdue, cherchant à comprendre si elle devait y voir une punition divine, le prix à payer pour une faute insoupçonnée. Alors qu'à l'ancien poison qui sommeillait en elle s'en ajoutait un autre, aussi dévastateur, aussi délicieux.

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Cymoril
Tempus Fugit…

Des semaines pour elle, des années pour lui sans doute. Le temps s’écoule d’une façon étrange, elle le retient tandis qu’il le laisse filer, impatient d’atteindre l’âge des premières meurtrissures de l’âme…

Elle l’a senti au travers du courrier de ce fils dont elle cherche désespérément la trace dans sa mémoire. Elle qui reste la même, cette jeune femme encore si enfantine parfois. Combien de sacrifices avait-elle fait pour cet enfant ? Mettre sa vie en suspens, revêtir un masque de plus, jouer à la marchande pour qu’il ne manque de rien, qu’il grandisse loin de toutes les vicissitudes et de la laideur de leur monde.
Qu’il soit plus grand.

Quelles leçons avait-elle dispensé ? Quels enseignements avaient été transmis puisque finalement elle lui avait tant caché à ce fils bien aimé…

S’il était parti sur les traces de son père, c’est qu’elle avait du lui en dire suffisamment pour qu’il sache quel genre d’homme il était. Combien il était grand, et le poison qu’il lui avait insufflé… Et l’envie de vivre plus que jamais malgré tout.

Parce que c’était dans toute cette horreur alençonnaise qu’elle avait enfin compris la dernière leçon, la plus importante... seule la vie était importante. Ne jamais renoncer, quoi qu’il arrive, quoi qu’il en coûte. Et elle se sentait vivante à présent…

Lui écrire reste un acte douloureux, comme de prolonger encore le mensonge qui lui fait honte…



Citation:
Puisque ta maison
Aujourd’hui c’est l’horizon
Dans ton exil, essaie d’apprendre à revenir…
Mais pas trop tard…

Fourmilion,

Il semble loin le temps où je t’appelais ainsi… Plus loin même que tu ne peux l’imaginer.

Ta mère dans sa grande sottise, a manqué de vigilance… Je vais t’éviter les détails sordides qui m’ont laissée pour morte au bord du lac d’Alençon, et ne t’en dire que l’essentiel… Mnémosûné se joue de moi et m’échappe. Je voudrais retrouver en souvenir les traits de ton visage, le son de ta voix… Mais je ne puis que les imaginer grâce à Berthilde…

Je sais combien tu es grand déjà, comme Lui, combien tu lui ressembles et c’est tant mieux… Que tu aies pris de moi aurait été un désastre et s’il peut être une chose dont je puisse m’enorgueillir, c’est bien de ça…
La douceur n’apporte rien d’autre que plus de tristesse encore…

As-tu trouvé quelque chose de lui dans ton périple ? Sa Lumière a-t-elle brillé là où tes pas t’ont mené ?

J’aurais tant de questions, tant de choses à te dire, d’excuses à faire sans doute que le faire par écrit serait bien trop long…

Le collier est magnifique... trop peut-être pour quelqu’un d’aussi simple que moi… Tu aurais du le conserver, il aurait pu te servir en situation difficile…


Serment, puisse Dieu s’interposer entre toi et le mal, sur tous les chemins obscurs où tu auras à marcher*…


Ta mère.

Cymoril du Lethé…


Elle relit, ne sachant qu’ajouter à ces mots qui lui semblent insuffisants, toujours… De cette suite de phrases sans accroche, qu’elle a couché sur le vélin comme le fil décousu de ses pensées…
Taisant encore beaucoup…

A force de se dissimuler au regard des autres, elle finissait par le faire à chaque instant, ne laissant parler son cœur qu’en de rares occasions et sans que cela ne soit perceptible…
Ses larmes ont cessé, elle vit. Il vit. Et c’est au final tout ce qu’il y a d’important. Le reste.. n’est que fioritures.



* : B5 pour les initiés.
_________________
--Berthilde...



A nouveau les semaines s'étaient écoulées dans le silence retombé sur la maison et les murs vides.
Pourtant Berthilde était restée. Fidèle au poste. Entretenant de son mieux une maisonnée où aucun bruit ne venait troubler sa routine quotidienne.
Chaque semaine les draperies étaient changées, lavées, renouvelées, afin qu'à tout moment sa maîtresse puisse profiter d'une literie délicatement parfumée...
Les fleurs dans les vases étaient fraîchement coupées et les meubles de bois ciselé étaient cirés avec soin.

Toutefois, ce matin là, Berthilde s'affairait avec encore plus d'énergie qu'à l'ordinaire. Le court pli reçu reçu de sa maîtresse trainait encore sur la table de la cuisine...


Citation:
Berthilde,

Je serais bientôt de retour.
Préparez aussi la chambre d'amis je vous prie.


Certes, bientôt était flou. Mais cela pouvait aussi bien être le lendemain que plusieurs semaines plus tard.
Peu importait à la nourrice.
Elle serait fin prête et la maison aussi à accueillir comme il se devait sa jeune maîtresse.
--Berthilde...


Les semaines avaient passées. Et une nouvelle fois, pas l'ombre de sa maîtresse.
La nourrice s'était à nouveau enfoncée dans une routine monotone, entretenant une maisonnée vide sans grand entrain.
Le silence inquiétant ne lui disait rien qui vaille, et chaque jour qui se terminait sans la moindre nouvelle de ses maîtres faisait croître cette angoisse sourde.
Elle qui avait déjà connu la peine de voir mari et enfants s'éteindre et s'était retrouvée une famille en élevant le petit garçon, en rassurant la mère, pressentait un malheur.
Comme une poigne glacée qui vous étreint le coeur sans que vous sachiez réellement pourquoi.

Ce soir là, elle referma le verrou de la porte d'entrée après avoir regardé les escaliers qui formaient la ruelle une dernière fois, soupirant longuement avant de monter les escaliers pour rejoindre sa chambre, le pas lourd du poids des années qui semblait s'abattre chaque jour un peu plus sur ses épaules.
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