Gnia
La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.
[Fin Novembre 1459 - Entre Quercy et Toulousain - Amères transhumances.]
Comme le tombereau chargé de corps en partance pour la fosse commune, comme la charrette menant le supplicié à l'échafaud, le coche cahotait lentement sur les chemins.
Non que ce que l'on quittait soit plus engageant que ce que l'on trouverait au bout de cette première étape, mais le coeur était lourd.
De quitter la Cité des Saules et tant d'espoirs déçus. Mais contrainte et forcée.
De quitter un nid, certes instable, mais qui était le sien.
D'aller vers un inconnu appelé vie de couple dont l'unique expérience ne lui avait laissé qu'un goût amer.
De fuir l'oppression pour perdre la liberté.
Atmosphère lugubre, en somme, dans ce coche qui aborde les faubourgs de Tolosa, pourtant riante comme seules peuvent l'être les villes des Pays d'Oc.
Atmosphère lourde que n'arrivent pas à dissiper les babillements discrets d'enfants, bridés par une nourrice effrayée à l'idée de susciter la colère de sa maîtresse.
Touffeur qui ne se dissipe pas à l'instant où la Saint Just pose le pied à terre dans la cour de l'auberge cossue où le Duc de Bouillon a pris ses appartements..
Et tandis que la petite troupe qui compose sa maigre suite s'égaye pour prendre ses quartiers le temps d'une nuit, elle reste plantée aux bas du marchepied du coche, sans se résoudre à avancer vers cette nouvelle page de sa vie.
Profonde inspiration, lourd soupir lorsqu'enfin elle monte les marches qui la séparent de la chambrée de son époux, ultime appréhension lorsque les doigts toquent à l'huis et ouvrent la porte.
Et de saluer son époux avec qui elle n'a encore jamais vécu d'une mine glaciale, si tant est qu'elle puisse la protéger de ce qui va advenir ensuite.
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Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.
- Bohémiens en voyage. Charles Baudelaire.
[Fin Novembre 1459 - Entre Quercy et Toulousain - Amères transhumances.]
Comme le tombereau chargé de corps en partance pour la fosse commune, comme la charrette menant le supplicié à l'échafaud, le coche cahotait lentement sur les chemins.
Non que ce que l'on quittait soit plus engageant que ce que l'on trouverait au bout de cette première étape, mais le coeur était lourd.
De quitter la Cité des Saules et tant d'espoirs déçus. Mais contrainte et forcée.
De quitter un nid, certes instable, mais qui était le sien.
D'aller vers un inconnu appelé vie de couple dont l'unique expérience ne lui avait laissé qu'un goût amer.
De fuir l'oppression pour perdre la liberté.
Atmosphère lugubre, en somme, dans ce coche qui aborde les faubourgs de Tolosa, pourtant riante comme seules peuvent l'être les villes des Pays d'Oc.
Atmosphère lourde que n'arrivent pas à dissiper les babillements discrets d'enfants, bridés par une nourrice effrayée à l'idée de susciter la colère de sa maîtresse.
Touffeur qui ne se dissipe pas à l'instant où la Saint Just pose le pied à terre dans la cour de l'auberge cossue où le Duc de Bouillon a pris ses appartements..
Et tandis que la petite troupe qui compose sa maigre suite s'égaye pour prendre ses quartiers le temps d'une nuit, elle reste plantée aux bas du marchepied du coche, sans se résoudre à avancer vers cette nouvelle page de sa vie.
Profonde inspiration, lourd soupir lorsqu'enfin elle monte les marches qui la séparent de la chambrée de son époux, ultime appréhension lorsque les doigts toquent à l'huis et ouvrent la porte.
Et de saluer son époux avec qui elle n'a encore jamais vécu d'une mine glaciale, si tant est qu'elle puisse la protéger de ce qui va advenir ensuite.
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