Sindanarie
"L'alcool purifie tout, comme le feu."
(Roger Fournier, A nous deux)
Une Etincelle déçue, peut-être, une. Sans doute, même. Le regard sinople de la Carsenac glisse sur elle avant de revenir dans se perdre dans la danse des flammes. Reposant, enivrant, apaisant spectacle... Machinalement, la Vicomtesse a reporté la dextre sur son ventre pas encore gonflé par la vie qu'il abrite pourtant. Le discours se dévide en retour, comme un écheveau de paroles. Peu à peu, la Carsenac se laisse aller, se détend. Pour un peu, elle se sentirait s'humaniser de nouveau. Retrouver les bonheurs simples, comme la chaleur de ce feu qui brûle devant elle. La chaleur, elle la sent, mais ne ressent plus le plaisir qui autrefois l'accompagnait. Tout a changé, malheureusement, et le monde est devenu gris. Tellement triste.
Même les guerres et missions prolongées ne lui avaient ordinairement pas porté pareils coups. Etre loin de chez elle, loin du Comté qu'elle chérissait, loin de personnes qu'elle appréciait avait parfois été douloureux, mais au moins il y avait du sentiment. Depuis l'abandon de Pierre-Louis de Villefort, Sindanarie vivait en ombre, comme en secret. Sans trop se mêler à ses Frères et Soeurs, qui pour certains savaient sa douleur sans pour autant en connaître l'origine, elle faisait passer les jours. Parfois un verre dans une quelconque taverne la déridait un peu. Le plus souvent, elle s'était cantonnée dans la solitude des camps et des remparts, chargeant sans espoir quand le combat s'annonçait inéluctable ou était nécessaire pour tenir ces ennemis engagés dans une guerre civile à distance de provinces encore épargnées. Elle ne s'en moquait pas, non... Sur le plan intellectuel, elle vivait encore. Mais il y avait comme une pierre au centre de sa poitrine.
Et arrive la question qui fait mal. Proposition d'alcool... Aristote, créer des tentations pareilles relevait de la torture ! Souvent, le Traître avait répété à la Vicomtesse qu'il prétendait aimer qu'il fallait prendre soin d'elle, éviter les chevauchées autant que possible, éviter qu'elle se mette en danger, et éviter qu'elle boive. Même la mirabelle avait été prohibée. Mais ce temps où elle devait tant faire attention devait bien être révolu, n'est-ce pas ? Il l'avait condamné lui-même, en la trompant entre les cuisses généreusement ouvertes de son ancienne fiancée. Le pincement au coeur à cette pensée, à cette image fut tel que la dextre du Lys tressaillit, alors que tout mouvement l'avait abandonnée depuis des instants qui lui avaient paru sortis du temps. La pierre s'alourdit encore, tant que pour un peu elle se serait inclinée en avant pour compenser le retour de la douleur. Peut-être se laissa-t-elle légèrement aller, sans en avoir conscience. La douche était froide, le réveil difficile. Une catin et un traître...
Sans balancer plus, l'encore assez jeune femme hocha la tête. Oui, un verre de vin lui ferait le plus grand bien, le doute n'était pas, ou plus, permis sur la question. Aussi se leva-t-elle, espérant n'avoir rien laissé filtrer sur son masque, d'ordinaire si neutre et si maîtrisé, de ses émotions encore vives malgré les mois écoulées depuis la tromperie dont elle avait été la dupe. Un pâle sourire vint orner ses lèvres alors qu'elle répondait, simplement :
Je vous suis, Etincelle.
Seule une prière monta ensuite vers le Très-Haut, dans le secret de l'âme de la Licorne. Par pitié, ô mon Créateur, par pitié, fais qu'elle ne relève rien de ce que j'ai pu laisser paraître ! Qu'ai-je fait, Seigneur, qu'ai-je fait ? Libera me, Domine, a dolore mea ! Libère-moi, Maître, libère-moi de ma douleur !
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(Roger Fournier, A nous deux)
Une Etincelle déçue, peut-être, une. Sans doute, même. Le regard sinople de la Carsenac glisse sur elle avant de revenir dans se perdre dans la danse des flammes. Reposant, enivrant, apaisant spectacle... Machinalement, la Vicomtesse a reporté la dextre sur son ventre pas encore gonflé par la vie qu'il abrite pourtant. Le discours se dévide en retour, comme un écheveau de paroles. Peu à peu, la Carsenac se laisse aller, se détend. Pour un peu, elle se sentirait s'humaniser de nouveau. Retrouver les bonheurs simples, comme la chaleur de ce feu qui brûle devant elle. La chaleur, elle la sent, mais ne ressent plus le plaisir qui autrefois l'accompagnait. Tout a changé, malheureusement, et le monde est devenu gris. Tellement triste.
Même les guerres et missions prolongées ne lui avaient ordinairement pas porté pareils coups. Etre loin de chez elle, loin du Comté qu'elle chérissait, loin de personnes qu'elle appréciait avait parfois été douloureux, mais au moins il y avait du sentiment. Depuis l'abandon de Pierre-Louis de Villefort, Sindanarie vivait en ombre, comme en secret. Sans trop se mêler à ses Frères et Soeurs, qui pour certains savaient sa douleur sans pour autant en connaître l'origine, elle faisait passer les jours. Parfois un verre dans une quelconque taverne la déridait un peu. Le plus souvent, elle s'était cantonnée dans la solitude des camps et des remparts, chargeant sans espoir quand le combat s'annonçait inéluctable ou était nécessaire pour tenir ces ennemis engagés dans une guerre civile à distance de provinces encore épargnées. Elle ne s'en moquait pas, non... Sur le plan intellectuel, elle vivait encore. Mais il y avait comme une pierre au centre de sa poitrine.
Et arrive la question qui fait mal. Proposition d'alcool... Aristote, créer des tentations pareilles relevait de la torture ! Souvent, le Traître avait répété à la Vicomtesse qu'il prétendait aimer qu'il fallait prendre soin d'elle, éviter les chevauchées autant que possible, éviter qu'elle se mette en danger, et éviter qu'elle boive. Même la mirabelle avait été prohibée. Mais ce temps où elle devait tant faire attention devait bien être révolu, n'est-ce pas ? Il l'avait condamné lui-même, en la trompant entre les cuisses généreusement ouvertes de son ancienne fiancée. Le pincement au coeur à cette pensée, à cette image fut tel que la dextre du Lys tressaillit, alors que tout mouvement l'avait abandonnée depuis des instants qui lui avaient paru sortis du temps. La pierre s'alourdit encore, tant que pour un peu elle se serait inclinée en avant pour compenser le retour de la douleur. Peut-être se laissa-t-elle légèrement aller, sans en avoir conscience. La douche était froide, le réveil difficile. Une catin et un traître...
Sans balancer plus, l'encore assez jeune femme hocha la tête. Oui, un verre de vin lui ferait le plus grand bien, le doute n'était pas, ou plus, permis sur la question. Aussi se leva-t-elle, espérant n'avoir rien laissé filtrer sur son masque, d'ordinaire si neutre et si maîtrisé, de ses émotions encore vives malgré les mois écoulées depuis la tromperie dont elle avait été la dupe. Un pâle sourire vint orner ses lèvres alors qu'elle répondait, simplement :
Je vous suis, Etincelle.
Seule une prière monta ensuite vers le Très-Haut, dans le secret de l'âme de la Licorne. Par pitié, ô mon Créateur, par pitié, fais qu'elle ne relève rien de ce que j'ai pu laisser paraître ! Qu'ai-je fait, Seigneur, qu'ai-je fait ? Libera me, Domine, a dolore mea ! Libère-moi, Maître, libère-moi de ma douleur !
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