Zohadez
[Avignon, Cour Suprême, Bureau de Zohadez.]
Zohadez était de très mauvaise humeur. Il avait récemment commis une grossière erreur lors d'un procès et se devait de s'en excuser personnellement auprès de l'accusé.
Tout le monde commet des erreurs se disait-il. Oui. Mais celle-ci était particulièrement fâcheuse. On lui en voudrait. Et à juste titre. Comment avait il pu ?
Son cerveau était en ébulition tellement il ne parvenait pas à croire qu'il ait pu commettre telle erreur.
TOC TOC
QUOI ? Aboya-t-il.
Clodius. Hersende le demandait. C'était urgent...
Zohadez
Zohadez avait immédiatement demandé à ce que des serviteurs viennent prendre ces dossiers et les apportent à Cassis. Il achèverait tout là-bas, une opportunité de rentrer plus tôt auprès de sa femme et de son fils.
Alors que les serviteurs chargeaient ses affaires Zohadez pris seul la route pour Cassis. Il y avait manifestement urgence, mais pourquoi Hersende ne l'avait-elle alors tout simplement pas demandé dans son bureau à Avignon ?
Étaient-ce encore des affaires qui ne pouvaient être discutées dans les enceintes d'Avignon, mais qui nécessitaient un lieu plus discret, moins officiel ? Soudainement une idée horrible envahit Zohadez. Il la chassait rapidement.
[Cassis]
Il faisait calme. Trop silencieux et Zohadez savait immédiatement que quelque chose n'allait pas. Où était Arystote ? Ou était sa femme ?
Soudainement il fut pris de panique, quelque chose d'anormal était en train de se produire. Il arriva au salon, ouvra la porte...
Hersende ! Enfin quelqu'un de familier. Il se détent : Sais-tu où sont à Arystote et Constance ?
Zohadez
Le regard de sa cousine, le silence, il comprit.
Elle commençait à lui parler, mais il n'entendait plus rien. Il la voyait, ouvrir la bouche, probablement prononcer des mots de réconfort, de soutien, mais il n'entendait rien. Un instant passa sans qu'il puisse dire s'ils étaient la depuis une minute ou depuis deux heures.
Il s'assied dans un fauteuil et regardait le feu-ouvert. Ces yeux suivirent les flammes, pensant à elle. Oui, il la savait malade, mais il avait toujours refusé d'admettre le sérieux de sa maladie... la relativisant chaque fois que ces symptômes se montraient. Prétendant la maladie inexistante lorsqu'elle allait bien...
Il s'était menti à lui-même et quelque part il en avait toujours eu conscience, mais il s'était toujours refusé d'admettre la fragilité de l'état de sa femme. Aujourd'hui, il n'avait plus de choix...
Où est-elle ? Murmura-t-il soudainement, interrompant Hersende. Il devait la voire, sinon il n'en croirait rien. Quelque chose en lui, s'accrochait toujours et refusait d'admettre l'éventualité...
Zohadez
Zohadez s'était laissé guider par sa cousine dans la pièce où reposait le corps sans vie de sa femme. A l'entrée et à la vue de son corps, il ressentit et réalisa pleinement ce qui était survenu. Quelques minutes plus tôt il n'avait pas réellement réalisé les choses, mais là... à la vue de son corps il n'y avait plus qu'une réalité inacceptable.
En s'approchant du corps, il pris la main de Constance, déjà froide...
Il la regarda un instant, puis leva la tête vers Hersende, il sentait qu'il craquerait bientôt et dis d'une voix fébrile.
Puis-je avoir un moment, seul... s'ilteplaît ? Sachant que Hersende ne serait pas vexé, il s'assied sur une chaise, serra fort la main de sa femme, et cacha son visage.
Zohadez
Les larmes avaient commencé à couler dès que Hersende avait fermé la porte. Il avait serré la main de sa femme et avait murmuré des pardons lamentables pour ces absences alors qu'elle était malade.
Constance avait été faible, il le savait mais il avait laissé d'autres choses moins importantes préoccuper son esprit et aujourd'hui il ne pouvait que se lamenter de ne pas avoir été là. Il sentait une fureur jamais ressentie se former en lui et soudainement il sentait une envie de crier mais aucun son ne parvenait à retentir de sa bouche. Alors les larmes coulèrent tandis qu'il perdait son calme. Ses mains tremblèrent et serraient de plus en plus fort celle de constance. Puis il perdit le contrôle de son souffle.
Sa respiration était saccadée, les larmes coulèrent et il était incapable de crier ou de hurler alors que pourtant il n'avait jamais connu telle souffrance. Un être humain souffre le plus lorsqu'il ne parvient plus qu'à exprimer sa douleur par le plus puissant des cris... Le silence.
Puis soudainement, signe de son refoulement, du refus, du désespoir le plus grand il supplia d'une petite voix d'enfant à sa femme de se réveiller, mais rien y fut. Elle restait là, immobile, partie à jamais.
Jusqu'à ce qu'il entendit soudainement du bruit. Sous le lit. Il recula. Se doutant de quelque chose. Essuya ses larmes d'un revers de manche. Pris une grande inspiration et dit d'une voix qu'il voulait confiante, pas déstabilisé.
Arystote ?
Zohadez
Ils se regardaient, sans dire quoi que ce soit. Arystote était fatigué et regardait Zohadez sans pitié. Comme on regarde une personne dont on est terriblement déçu et à qui on ne sait quoi dire tellement les mots manquent à exprimer la douleur de notre déception. Le petit paraissait soudainement, à travers ce regard glacial, beaucoup plus âgé qu'il ne l'était réellement.
Zohadez n'était pas doué avec les émotions et encore moins avec les enfants. Lui qui n'avait jamais connu ces parents ignorait encore comment on éduquait des enfants, mais il ne lui fallait pas grand chose pour comprendre qu'Arystote ne le lui pardonnerait jamais. Il ne savait pas quoi dire, mais savait qu'il devait dire quelque chose, prendre l'enfant dans ses bras, le consoler... mais à quoi bon ? Arystote l'aurait rejeté, il aurait refusé et l'expression violente de sa haine à l'égard de Zohadez, traduit par ce regard glacial, retint Zohadez de faire quoi que ce soit... de peur pour sa réaction.
Finalement, Zohadez se lança...
Tu n'es pas partie avec marraine ? C'était plus une affirmation qu'une question en réalité... Voyant toujours ce regard, Zohadez continua Je sais ce que tu ressens... Attendant une réaction qu'il savait imprévisible à cette remarque que l'enfant ne pouvait que trouver arrogante. Car, non. À cet âge-là, il ne pouvait imaginer que qui que ce soit comprenne quoi que ce soit à sa douleure...
Zohadez
Je ne veux pas l'abandonner moi...
Ces mots, tels un poignard, transpercèrent le coeur de Zohadez. Il ignorait si l'enfant qui était si jeune se doutait de la torture qu'infligeaient de tels mots, mais il se devait de rester stoïque. À partir de aujourd'hui Zohadez devrait prendre en main à lui seul le devoir de père et de mère, alors qu'il ignorait tout de ce travail. Il en était néanmoins ainsi, il l'avait promis à Constance, si quoi que ce soit devait lui arriver, lui se chargerait de son fils comme du sien et comme Constance l'aurait voulu.
Il s'approcha donc d'Arystote, tout en regardant Constance pendant un instant qui semblait si long et murmura...
Moi non plus... Il prit la main d'Arystote, croisant les doigts que celui-ci ne le rejetterait pas et le regardé dans les yeux tout en lui disant d'une voix plus claire et qu'il voulait à la fois impérative et suggestive :
- Il faut que tu manges quelque chose et que tu te reposes maintenant. Je sais que tu as ni faim, ni sommeil, mais il le faut.
Il savait qu'il était lâche de fuir à une conversation qui permettrait au petit d'exprimer ses sentiments, sa douleur et ses angoisses, mais Zohadez n'avait en ce soir pas la force d'affronter cette conversation, pas si tôt. Pas alors que lui-même n'avait pas encore eu le temps de réaliser pleinement ce qui était arrivé. Dans quelques semaines lorsque la haine d'Arystote à son égard ce serait un peu dissipée, oui peut-être. Mais pas la maintenant alors que l'animosité d'Arystote était encore si palpable.
Il fit un pas vers la porte en tenant toujours la main du petit, attendant de voir si celui-ci laisserait Zohadez l'amener en cuisine ou pas...