--Rose
J'ai peur.
J'ai peur pour ma vie depuis des semaines.
Depuis ce matin, j'ose enfin espérer que je verrai encore le printemps.
Il y a de cela trois ou quatre mois, nous avons repris la route, mon père, ma soeur et moi, pour nous en aller vers le sud-ouest.
Mon père est, était, tailleur de pierre et nous allions d'une ville à l'autre, là où le besoin était, pour son travail. Il était habile, souvent ceux qui l'employaient le recommandaient à un autre qui en faisait de même avec un troisième et ainsi de suite...jusqu'à ce jour où Bayonne devint notre nouvelle ville, pour quelques semaines.
Hélas, à peine arrivés, des rumeurs de guerre commencèrent à circuler autour de nous et le chantier sur lequel mon père travaillait alors fut arrêter, le maître d'oeuvre partait à la guerre et préférait garder son argent pour payer ses soldats.
Nous quittâmes le sud-ouest, sans aucun projet cette fois.
Rentrer chez nous nous parut le plus logique. Mais pour rentrer chez nous, il nous fallait traverser les régions en guerre. De ville en ville, montrant patte blanche, payant parfois grassement un garde qui nous laissait passer, nous remontâmes lentement mais sûrement vers le centre, trouvant refuge dans des bergeries ou même des grottes où nous nous cachions lorsque nous croisions des individus louches. Car en ce temps de batailles, les brigands, eux, ne s'arrêtent pas.
C'est ainsi que nous arrivâmes du côté du Poitiers. Là, les combats faisaient rage et il nous fallut rester cachés, de peur de nous faire tuer. Mon père essayait de garder le sourire, pour nous, ses filles, mais je voyais bien l'inquiétude au fond de ses yeux.
Léa, ma soeur, se serrait tout contre lui, elle avait tellement peur, elle aussi, du haut de ses six ans.
Un matin, mon père partit vers la rivière, il allait chercher de l'eau tandis que nous, les filles, nous restions cachées dans cette vieille grange dont le toit avait brûlé sans doute depuis quelques mois.
Nous étions en train de faire les rations de nourriture lorsque nous entendîmes mon père accourir.
- Courez, mes enfants, courez vite, cachez-vous dans la forêt !
Je pris ma soeur par la main et je sortis, en courant, en direction de la forêt, sans me retourner, sans rien demander, courant devant moi, loin, très loin.
Alors que je m'échappai, j'entendis le galop des chevaux, j'entendis le bruit d'une lutte inégale et un cri que je n'oublierai jamais.
Combien de temps avons-nous couru, ma soeur et moi ? Je ne sais pas. Léa pleurait. Elle me suppliait d'arrêter mais je courrais et je courrais encore et encore.
Lorsque la nuit tomba, je serrai Léa contre moi et nous nous endormîmes, cachées derrière une église.
Quelques jours plus tard, j'embrassai ma soeur et la rassurai sur le sort qui l'attendait.
Elle resterait ici, dorénavant, elle serait la fille de ses braves gens angevins. Car oui, même en Anjou, il y a de braves gens. Tous ne sont pas pourris, tous ne sont pas les objets du sans nom. Ceux qui ont accepté de garder ma petite soeur sont des anges.
Moi, je voulais rentrer chez moi.
Il y a la maison de mon père, nos affaires, quelques biens dont mon père m'a révélé la cachette.
Il fallait que je rentre.
Ce matin, alors que j'entrai enfin à Chinon, je pleurai de joie.
J'avais réussi.
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(*)Aragon/Ferré