Felryn
La chaumine
Pour peu que vous ayez la jambe longue, la route qui vous mène vers la chaumine, depuis la sortie Est des remparts, vous prend à peine quinze minutes de marche en terrain plat. Au détour d'un parcours d'edelweiss consciencieusement piétinées et de quelques buissons que n'ont pas touché mains humaines depuis des années, elle apparait entourée d'un enclos branlant: la chaumière. Assez haut pour surmonter deux étages, le toit pâlit au soleil. Une partie de la chaume semble prête à fiche le camp à la première averse. Seule une volonté à toute épreuve la tient cramponnée à la solide charpente.
Le rez-de-chaussée tient une vaste place, encadré par trois murs de boiserie, et un mur de pierres au fond, surmonté d'un étage ouvert. Les fenêtres aux vitres épaisses diffusent dans la pièce une lumière douce et avare dans laquelle valsent des grains poussiéreux dans une nuée hypnotique. Une longue table envahit la pièce, entourée de buffets et d'argentiers inusités. Au fond, renfoncée dans la pierre, la cheminée tient compagnie à un large fauteuil en toile de jute, dans une retraite d'ombre et de silence propice au monologue.
Chevauchant cette partie obscure de la pièce, une échelle monte vers la mezzanine au plancher grinçant, sécurisée par un simple garde-corps. Là haut, ce n'est que désertion, entre les tentures murales, pourpres et sombres, qui confèrent aux murs un aspect flottant. Un guéridon, trois paillasses, et un lit fermé ayant appartenu au patriarche restent tels qu'ils ont été, quelques années auparavant. Ils ont été six à habiter les lieux. Il a suffit d'une décennie pour en voir s'éteindre quatre. L'âge a emporté la matriarche quatre ans auparavant. Aussi Felryn demeure-t-il seul depuis la mort de Marianne, la fiancée allègre, et attend patiemment son tour, tuant le temps au service d'Embrun, quoique la cause servie n'ait pas toujours été des plus louables. Que foutre. Il s'agit de s'occuper l'esprit et de délaisser un lieu familièrement triste, laissant aller les choses en déréliction.
En levant les yeux au plafond, ce que la mezzanine ne dissimule pas laisse voir une grande constellation entre les poutres. Tissés par les mains daronnes, des paniers en osier se balancent à des cordages de lin, formant un plafond opaque et vertigineux de centaines de panières. La vieille Felryn a tué le temps comme elle a pu. Et le dernier de la fratrie, seul habitant de la Combe, n'y voit guère usage; tout au plus un souvenir omniprésent qu'il s'amuse à jaunir à la fumée de son chanvre. Enfin, le désordre règne en minutie et la poussière s'accumule, sur les buffets, sur les cornes de cerf, sur une vielle suspendue au mur. Felryn, là aussi, laisse les choses telles quelles, n'ayant pas reçu d'éducation musicale. Aussi ne sait-il pas en jouer et, du reste, tient les choses de la musique dans une indifférence proche du néant.
En contrebas du courtil fuit un ruisseau qui semble n'avoir autre vocation que de rincer les bottes souvent crasseuses de l'habitant. En outre, un mannequin de paille trône devant la bâtisse: relique que lui a laissé la tante Zoyas pour quelques entrainements confus, exutoire à ciel ouvert. Mais il tient bon. Et ses membres emplis de fétus de paille se rient des vents, se rient des tempêtes et des neiges, eux qu'ont essuyé des coups de plommée autrement rageurs. Au moins éloigne-t-il la présence des volatiles indésirables qui auraient fondu sur les récoltes alentour, elles-même délaissées au profit d'un élevage de cochons, souvent absents. Si la présence de ce garde dépourvu de toute vie ne vous effraie pas, sans doute irez vous frapper à la porte de Felryn. On dit qu'il y a toujours là de quoi se rincer le gosier en divaguant sans but.
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Pour peu que vous ayez la jambe longue, la route qui vous mène vers la chaumine, depuis la sortie Est des remparts, vous prend à peine quinze minutes de marche en terrain plat. Au détour d'un parcours d'edelweiss consciencieusement piétinées et de quelques buissons que n'ont pas touché mains humaines depuis des années, elle apparait entourée d'un enclos branlant: la chaumière. Assez haut pour surmonter deux étages, le toit pâlit au soleil. Une partie de la chaume semble prête à fiche le camp à la première averse. Seule une volonté à toute épreuve la tient cramponnée à la solide charpente.
Le rez-de-chaussée tient une vaste place, encadré par trois murs de boiserie, et un mur de pierres au fond, surmonté d'un étage ouvert. Les fenêtres aux vitres épaisses diffusent dans la pièce une lumière douce et avare dans laquelle valsent des grains poussiéreux dans une nuée hypnotique. Une longue table envahit la pièce, entourée de buffets et d'argentiers inusités. Au fond, renfoncée dans la pierre, la cheminée tient compagnie à un large fauteuil en toile de jute, dans une retraite d'ombre et de silence propice au monologue.
Chevauchant cette partie obscure de la pièce, une échelle monte vers la mezzanine au plancher grinçant, sécurisée par un simple garde-corps. Là haut, ce n'est que désertion, entre les tentures murales, pourpres et sombres, qui confèrent aux murs un aspect flottant. Un guéridon, trois paillasses, et un lit fermé ayant appartenu au patriarche restent tels qu'ils ont été, quelques années auparavant. Ils ont été six à habiter les lieux. Il a suffit d'une décennie pour en voir s'éteindre quatre. L'âge a emporté la matriarche quatre ans auparavant. Aussi Felryn demeure-t-il seul depuis la mort de Marianne, la fiancée allègre, et attend patiemment son tour, tuant le temps au service d'Embrun, quoique la cause servie n'ait pas toujours été des plus louables. Que foutre. Il s'agit de s'occuper l'esprit et de délaisser un lieu familièrement triste, laissant aller les choses en déréliction.
En levant les yeux au plafond, ce que la mezzanine ne dissimule pas laisse voir une grande constellation entre les poutres. Tissés par les mains daronnes, des paniers en osier se balancent à des cordages de lin, formant un plafond opaque et vertigineux de centaines de panières. La vieille Felryn a tué le temps comme elle a pu. Et le dernier de la fratrie, seul habitant de la Combe, n'y voit guère usage; tout au plus un souvenir omniprésent qu'il s'amuse à jaunir à la fumée de son chanvre. Enfin, le désordre règne en minutie et la poussière s'accumule, sur les buffets, sur les cornes de cerf, sur une vielle suspendue au mur. Felryn, là aussi, laisse les choses telles quelles, n'ayant pas reçu d'éducation musicale. Aussi ne sait-il pas en jouer et, du reste, tient les choses de la musique dans une indifférence proche du néant.
En contrebas du courtil fuit un ruisseau qui semble n'avoir autre vocation que de rincer les bottes souvent crasseuses de l'habitant. En outre, un mannequin de paille trône devant la bâtisse: relique que lui a laissé la tante Zoyas pour quelques entrainements confus, exutoire à ciel ouvert. Mais il tient bon. Et ses membres emplis de fétus de paille se rient des vents, se rient des tempêtes et des neiges, eux qu'ont essuyé des coups de plommée autrement rageurs. Au moins éloigne-t-il la présence des volatiles indésirables qui auraient fondu sur les récoltes alentour, elles-même délaissées au profit d'un élevage de cochons, souvent absents. Si la présence de ce garde dépourvu de toute vie ne vous effraie pas, sans doute irez vous frapper à la porte de Felryn. On dit qu'il y a toujours là de quoi se rincer le gosier en divaguant sans but.
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