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[RP]La Combe, demeure des Felryn

Felryn




21 fevrier 1446

    J'ai eu tellement froid cette nuit. Tellement que ça m'a réveillée. Il était là quand j'ai ouvert les yeux. Pourquoi est-ce toujours moi qu'il vient déranger?

Comme Gustou n'est plus là c'est papa qui me porte jusqu'à l'église. Le sermon d'aujourd'hui portait sur Kosmas et Damianos*. Deux frère jumeaux érigés en saints. Mais avant d'être des saints ils pratiquaient la médecine. Selon des connaissances que même aujourd'hui nous avons perdues. Ils avaient des connaissances immenses. Des connaissances qu'on n'enseigne même pas à l'université de Lyon. L'Histoire raconte qu'un roi qui était tombé lors d'une bataille avait demandé leur aide. Ensemble, ils accomplirent un miracle. Alors qu'on pensait que le roi allait perdre ses deux jambes à cause d'une trop grosse infection, les deux frères sont parvenus à les remettre en état. C'était comme si le roi avait des jambes neuves. Mais c'était un roy de Cicilie. Et le père Pobelcourt raconte bien mieux l'histoire dans ses litanies.
    Je sais bien pourtant que je ne rêvais pas. C'est toujours le même. Comme nous dormons tous dans la même pièce, ils devraient aussi s'en rendre compte, pourtant. Garrett dormait profondément. Le lit paternel était clos. Mais je sais que lui aussi l'a vu. Il était recroquevillé. Il ne dort jamais recroquevillé. Le sale menteur!

Pendant la messe, Garrett a suggéré à mama d'inviter Kosmas et Damianos à venir manger à la maison. Comme ça, ils pourraient faire revenir son chat. Je crois qu'il n'a pas bien compris que les saints sont morts en général. L'Histoire raconte aussi qu'ils sont morts en martyrs. Leur propre père, adepte pratiquant de la médecine, était jaloux de leurs capacités. Il a fini par les tuer. Pobelcourt nous a exhortés à la compassion et à l'entraide. Cela m'a donné une idée. J'ai pensé que *ratures* Comme papa était occupé à discuter avec notre tante d'Azayes j'ai voulu demander à Georges de m'emmener voir le père Pobelcourt pour lui demander s'il pensait que les saints pouvaient toujours être parmi nous. J'ai vite regretté. Il m'a traitée de sotte et m'a dit que ce qui était mort ne pouvait pas revenir.
    C'était toujours le même. Il n'avait pas changé. Il a l'air d'être un peu plus âgé que Garrett. Je le voyais sans le voir. Pourtant je ne pourrais pas dire à quoi il ressemble. C'est une sensation étrange. Il était à la fois lumineux et invisible. Sa bouche remuait, comme s'il me parlait. Il était juste au pied de mon lit. Debout. Il tendait les mains. Je crois qu'il tenait quelque chose. C'était comme un symbole. Un cercle et une croix. Une croix inscrite dans un cercle. On dirait que c'est **taches d'encre** À chaque fois que je crois que je vais me rappeler ce que c'est, ça m'échappe.

Il a été virulent. J'ai bien cru qu'il allait me bousculer. Il a dit que j'étais folle. Que les morts ne reviennent pas nous parler. Alors que je ne lui en avais même pas encore parlé! Je le savais, lui aussi l'a vu. Il l'a vu et il a fait comme si de rien n'était. Il a continué à me traiter d'idiote. Il s'est énervé tout seul. Il m'a menacée de dire au père Pobel que j'étais folle si je continuais à parler de mes visions. Et il est parti se perdre dans le cortège des gens qui quittaient l'église. Je le déteste.
    Je suis sûre d'avoir vu ce symbole quelque part. Pourquoi me l'a-t-il montré? Qu'est-ce qu'il attend de moi? Si je l'aidais, peut-être qu'il me laisserait tranquille. Ce symbole, il m'attire autant qu'il me repousse. Je voudrais l'oublier mais j'ai peur de l'oublier. Est-ce que je l'ai imaginé? Non je suis sûre de l'avoir vu distinctement. Le souvenir se fait de plus en plus diffus. J'ai peur qu'il disparaisse. Que la forme disparaisse. Je n'arrive plus à penser de manière cohérente. Ça m'obsède!



22 fevrier 1446


*La page ne contient aucune écriture. Le même dessin griffonné noircit le vélin*



23 fevrier 1446

Tout est lié! Comme il n'a pas trop neigé hier et que papa est toujours de bonne humeur, il a bien voulu m'emmener au presbytère pendant qu'il aidait à installer un nouveau meuble pour les moines. J'ai pu consulter quelques livres pendant l'après-midi. J'ai repensé au sermon de Pobelcourt et à Kosmas et Damianos. D'après ce que dit papa on a rebâti la maison sur les décombres d'une ancienne ferme. Elle était à l'abandon depuis quelques années. Les gens qui habitaient là avant avaient un petit garçon. Il s'appelait Damien. Comme Damianos en grec. D'après ce que j'ai pu lire dans les codex** les frères saints sont morts décapités. Les gens du village prétendent que le corps du petit Damien a été retrouvé sans sa tête. Et il se trouve que les reliques de Kosmas et Damianos n'ont pu être commémorées que lorsqu'on a réuni l'intégralité de leurs ossements à Cyr. Depuis c'est un lieu de pèlerinage pour les gens de tout là bas. Peut-être que Damien aussi cherche sa tête! Il n'apparaît pas souvent. Mais le plus marquant c'est toujours vers cette période de l'année. Je viens de le remarquer. C'est toujours la nuit de la Saint Damianos. Heureusement que cette année était un dimanche. C'est le sermon qui m'a mise sur la voie. Mais que voulait dire ce symbole? Je ne comprends pas. Ça représente un objet? C'est une croix pour dire où se trouvent les restes de Damien? Mais elle n'indique rien! De toute façon toute seule je ne pourrai rien faire. Et je n'ai pas envie de demander de l'aide à Georges pour l'instant. Il m'évite depuis l'autre jour. Comme la peste.


Le journal ouvert tenait dans le creux de sa main, bien qu'il voulût s'en défaire. Soit que la reliure adhérait dans sa large paume, soit que ses yeux ne pouvaient se détacher des dessins qui dansaient sous ses yeux, muets. Ce symbole, Felryn ne le connaissait que trop bien. Il l'avait haï des années durant. Il l'avait pourchassé pendant des mois, quand la Tour Brune, quelques années plus tard, lui laissait quelque répits pour des divagations plus personnelles. Mais il était alors trop tard. Elle avait été ses yeux quand lui aurait pu être son ouïe, complémentaires à bien des égards. Mais il avait été lâche.
S'il avait su à ce moment là ce que signifiait ce symbole, s'il avait su le reconnaître, sans doute aurait-il pu la sauver. Sans doute aurait-il pu les arrêter à temps. S'il avait su se montrer moins lâche au bon moment, il aurait pu empêcher tout cela. Mais il était trop jeune, trop plein de peur et d'égarements.

L'odeur viciée de l'âtre fumant le tira de sa torpeur. Il ne se souvenait pas s'être endormi.

-Grumbl. L'a b'soin d'êt' ramonée, c'te ch'minée.


*Kosmas et Damianos: véritables saints selon le calendrier grégorien. Mais l'histoire contée ici dérive de l'originale. C'est une reprise de la vie de Miach, dieu guérisseur de la mythologie celtique irlandaise.
**codex: rassemblement de feuilles qui forment des pages (=livre). En opposition à volumen: parchemin qui se déroule.

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Felryn




25 fevrier 1446

J'ai le goût de l'aubépine. M Louy a dit que ça irait bien. Que je pourrai me lever demain.


28 fevrier 1446

Pas de messe pour moi aujourd'hui. Je me sens encore fatiguée. Ce matin je me suis endormie pendant la leçon de mama. J'ai un peu de mal à me tenir éveillée encore. Ça fait rire Garrett et ça fait grogner papa. L'autre nuit, il est revenu me voir. J'étais restée calme la première fois mais cette fois j'ai eu peur. Je l'ai senti en colère. Je ne sais pas si j'ai rêvé ou non cette fois. Mais j'ai senti sa colère dedans moi. C'est important pour moi de rester calme. Mais cette fois je n'ai pas réussi à contrôler ma peur. J'ai paniqué et je me suis emballée. Et puis j'ai crié. Je n'ai pas crié parce que j'avais peur. J'ai crié parce que j'avais mal. C'est comme si on m'avait enfoncé une aiguille dedans. Une toute petite aiguille, comme si elle n'allait jamais partir ou qu'elle était si petite qu'on n'allait jamais pouvoir la retrouver pour l'enlever. Quand le mal est parti j'étais rendue dehors, de la neige pressée sur le front. C'était papa qui l'avait chassé. Il m'a secouée en me disant de me calmer. De respirer. Moi j'ai bien cru qu'il allait me coller une gifle. Il avait l'air furieux. Ça m'a rappelé les histoires sur ma naissance. Ce jour là il avait bousculé l'accoucheuse en la traitant d'incapable. Il avait insulté tous les saints sauf Christos. Il m'avait claquée en lui promettant que si avec ça je 'voulais bien nom-de-dieu de respirer', il promettait de ne jamais plus me frapper. L'accoucheuse n'est jamais revenue. Christos a tenu sa promesse. Papa aussi. Sur le coup j'ai pleuré parce que j'étais contente qu'il ait fait partir l'aiguille. Aussi un peu parce que j'ai eu peur. Le garçon n'est pas revenu depuis. J'ai la paix.


3 mars 1446

Nous avons reçu une lettre de Gustou! Son installation à Lyon s'est bien passée. Son poste de factotum à la prévôté semble lui plaire. On lui promet d'ici quelques mois une mutation dans le castel de Lyon. Il doit avoir accès aux archives. Je me demande si là bas ils emmagasinent les affaires d'ici. Je devrais lui demander. Mais ça risque d'être compliqué. Si je lui dis la vérité, il ne me prendra jamais au sérieux. J'ai un mois pour y réfléchir. Il dit qu'il va revenir fêter la Saint Georges avec nous au printemps. Mais qu'il ne sera peut-être pas seul.

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Felryn




6 mars 1446

Je m'ennuie. J'ai pu arrêter les infusions d'aubépine hier. On dit que la plupart des gens trouvent la guérison en effectuant des retraites chez les moines. Chez nous on s'y refuse. Mama dit qu'il faut être frappé d'une foi extraordinaire pour en revenir. Que les prières spirituelles ne profitent pas à tous. Qu'il vaut mieux attendre et prier en sa propre demeure. Qu'au moins ceux qui partent ont le loisir de passer leurs derniers instants avec les leurs. Je sais que sa façon de penser ne plait pas à tous le monde au village. Pourtant je la crois. Je n'ai rencontré personne dont la foi égale la sienne. Et bien qu'elle n'ait toujours pas été acceptée de tout le monde ici, je la crois dans le vrai. Elle n'a jamais baissé les bras pour quoi que ce soit. Se pourrait-il que la simple force mentale puisse guérir les maladies du corps? Se pourrait-il qu'un esprit assez persistant puisse demeurer parmi les nôtres?


7 mars 1446

10:38 La rédemption au centre. La clé.
im:39 De difficiles questions. La croix n'en est peut-être pas une.
14:6 La ligne horizontale. Le plan terrestre. Elle accueille la matière qui est nôtre.
Ligne verticale. Ce qui est debout. Un lien entre la terre et le ciel.
Le cercle. Un symbole de perfection, de continuité, d'infini. Le divin.
Mais suis-je sur la bonne voie? Au printemps, je me rendrai sur la stèle des Combe. J'espère trouver de quoi étayer mes suppositions.


8 mars 1446

Comme d'habitude, Georges se renfrogne et refuse de parler à quiconque. Cette fois il ne s'en sortira pas à si bon compte. Ça lui apprendra à traîner avec n'importe qui. Nous ne l'avions pas vu de la journée. Il était parti déjà quand je me suis réveillée. En attendant, papa a une discussion animée avec le voisin. Il y a de quoi. Comme c'est la saison de ponte des vautours, il fallait s'y attendre. Ce soir on a frappé à la porte alors que nous n'attendions pas de visite. Quand papa a ouvert il s'est retrouvé nez à nez avec le lieutenant Agravain. Il ramenait Georges par les poings. Mama s'est précipitée sur sa boîte à pansage dès qu'elle a vu les plaies et les bleus qu'il avait sur la figure. Papa a dit qu'il serait heureux de lui en rajouter s'il ne filait pas se coucher tout de suite. D'après le rapport du lieutenant, sa bande se serait battue avec d'autres jeunes gens avant de se lancer dans un défit absurde. Heureusement que quelqu'un est allé le prévenir. Ils sont allés se perdre au Bosquet par un temps pareil. Quelle bande d'inconscients. Il y a une forêt de pins par là, et les vautours moines aiment faire leurs nids sur le faîte des arbres ou dans les crevasses, où ils sont mieux atteignables. Rien n'est joli comme les oeufs de vautours peints en rosace. Et les enfants sont souvent tentés d'aller en chercher. Même au printemps comme les sentes sont à pic quelquefois le pied leur glisse. Ils tombent et se tuent. Pour cette fois ce sont mes parents qui prennent un avertissement. Je sais que les fils du voisin comptent parmi les amis de Georges. Ce sont de sales types. En tout cas Georges refuse de s'expliquer. Il est tant borné! S'il croit que se taire arrangera les choses il se trompe. En attendant, c'est nous qui avons à supporter l'humeur de papa par sa faute. Non lo sopporto più. J'espère que Garrett ne prendra pas exemple sur lui.

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Felryn
« Tu viens voler mes nuits du fond de mon sommeil et fais pleurer mes jours. »


Ainsi chantonnait-il, comme pour chasser la solitude, une vieille fredonnelle d'antan. La porte se referma derrière lui.


    Tu en as mis, du temps.

Tais-toi.
    Ce sera bientôt mon tour, tu sais?

Silence.
    Il faudra te rendre à l'évidence.

SILENCE!


Le jour se levait à peine et Felryn rentrait chez lui, les bottes enduites de terre encore fraiche, et reposa la pelle contre le mur. Faire le ménage. C'était là ce qu'il s'était promis avant d'entamer les travaux de la bestiole. Seulement, le ménage dont il s'occupait n'avait pas franchement de lien avec les affaires du commun des mortels. Walik en son temps aurait pu lui porter main forte. Les affaire de 'croque-mort', comme il aimait à se surnommer, lui seyaient à merveille. Mais voilà, Walik avait rejoins les siens, à présent. Et Felryn ne pouvait plus compter que sur lui-même. Débarrassé de sa dépendance à l'alcool, son fardeau lui était revenu, plus pesant encore que dans ses souvenirs. Et s'il voulait encore dormir du sommeil du juste, il fallait bien faire cesser ces voix qui s'accumulaient de nuit en nuit, ragaillardies par l'absence du soleil et la certitude de se faire entendre. Était-ce folie? Lui-même l'ignorait. Mais il n'avait que ce seul moyen pour recouvrer un peu de paix. Juste un peu.
Il avait été absent ces temps-derniers, manquant parfois à son devoir de conseiller. Mais Embrun était modeste et la fouine faisait bon ouvrage. Les maires se succédaient, se croisaient, aussi remarquables les uns que les autres de bon sens. Peut-être faudrait-il leur dire, un jour.

Le regard cerné de l'Embrunais parcourut la pièce. Et d'un pas lourd, il allait s'asseoir sur la première marche de l'escalier -très raide- qui menait à la mezzanine quand son pied buta contre le vieux journal. Quand l'avait-il laissé là? La dernière page lue en était encore ouverte, comme une invitation à lire la suivante. Alors, se posant sur la marche, il tourna mécaniquement la feuille encore rèche.






    9 Mars 1446

    Je suis assise à côté de la fenêtre. La neige ne tombe plus. Mais la pluie n'arrête pas. Elle tombe sans cesse depuis trois jours. Comme si elle n'allait jamais s'arrêter. Elle forme des bassins dans les vallées et on dit que certaines maisons ont du être abandonnées le temps que cela cesse. Hier matin papa a attrapé Georges au saut du lit. Il comptait encore faire une escapade mais papa l'en a empêché. Il est désormais privé de toute sortie et papa a du poser un verrou à la porte et condamner les deux fenêtres le temps que ça lui rentre dans la tête. À ce qu'on dit une rixe a éclaté hier matin dans le village, entre jeunes gens. C'est sans doute là qu'il devait se rendre. Le clapotis de la pluie me donne sommeil.


    12 Mars 1446

    La pluie s'est calmée mais on voit encore des bassins d'eau un peu partout. Papa était à une réunion au village aujourd'hui. Le maire Regimon a convoqué tous les hommes d'Embrun. Parce qu'on déplore la perte de nombreux moutons dans la région. Certains ont vu des loups les attaquer. Papa dit que ce n'est pas normal. Que les battues intempestives que font nos voisins de la Savoie les ont repoussés jusqu'ici. Il dit qu'à présent, c'est à nous de les chasser à nouveau. Mais que ça devrait être aux bannerets de faire ce genre de chose, pas qu'aux gens du peuple. Pour l'instant personne n'est tombé d'accord. Mais les bergers risquent de perdre patience avant longtemps.

    15 Mars 1446

    Le printemps est de retour et ça se sent. Garrett était fou de joie. Il a pu passer l'après-midi à jouer dehors. J'espère cette année que je pourrai planter quelques fleurs de lin. Je les trouve tellement jolies. J'en mettrai un par-terre, juste là devant la maison. Mais pour l'instant ils ne veulent pas queje sorte. Alors mama nous prodigue des leçons. Garrett est si fier d'avoir compris les multiplications qu'il compte aider papa à tenir le compte de sa récolte de blé cet automne. Avec toutes les erreurs d'inattention qu'il fait, il ne va pas falloir le laisser écrire à l'encre, au moins on pourra rectifier derrière. Georges étudie avec nous mais il rechigne un peu. Mama dit que c'est de la mauvaise volonté. Qu'il parle tout aussi bien l'arpitan et le florentin que nous, et qu'elle-même. Que s'il le voulait, il pourrait être tout aussi intelligent que Gustou, mais que s'il continue dans la voie de l'indiscipline, on n'en fera même pas un conseiller de conseiller de maire. Et bien ça ne m'étonne pas. Et moi? Je ferai quoi plus tard?


La voix s'anima encore. Elle avait le doux d'une caresse craintive et la fragilité d'un échos perdu.


    Tu regrettes?

Silence. Par pitié, silence.
    Regrettes-tu ce que nous avons fait?

On était jeunes.


Un souffle de vent siffla à travers la cheminée, et le bois chanta un peu.


Arrêtes de faire ça.
    Tu m'as appris à rire. Apprends-moi à voler enfin.

Non. Jamais.
    Tu ne me garderas pas éternellement. Tu as déjà commencé à te détacher de moi. L'as-tu seulement remarqué?

J'en mourrais.
    Non. Tu n'es plus seul.

Et si je fais tout rater, encore une fois?
    Je t'entends, quand ton prononces son nom. Aie confiance. Tu le dis toi-même. Tu veux que je me taise.

Gigi...


Gémissement rauque et vain. Un premier rayon de soleil fit rayonner un morceau de carreau et le silence revint. Sa tête plongea dans ses mains. Si fatigué.
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Axelle
[arrivant du repaire]

Elle n’avait même pas fermé sa porte, rien prit, laissant derrière elle la masure plongée dans la nuit, une seule idée en tête, s’en éloigner le plus vite possible et ne jamais plus y revenir, seule du moins.

Mais tes affaires ? Demain, demain… oui, demain plus vite, cours plus vite !

Elle filait dans la forêt, terrorisée comme si elle avait le diable aux trousses sans même remarquer les branches éraflant ses joues et accrochant sa chemise. Devant ses yeux fous se bousculaient des images des visages grimaçants, son imagination crachant ses pires cauchemars.

Ce n’est qu’en apercevant la silhouette de la Combe qu’elle parvint à se calmer un peu, en entrant dans le jardin qui l’avait impressionné il y a peu, elle se sentit cette fois ci rassurée et arrêta sa course reprenant lentement son souffle. Prenant garde au parterre de lin, elle s’approcha de la porte, priant de la voir s’ouvrir.

Qu'vas-tu lui dire ? Quelle excuse vas-tu trouver pour débarquer ainsi ? La vérité nan ? Nan, va te croire démente. Ton toit enfin ! On verra, tant que j’ai ses pattes autour de moi, peu m’importe.


Nauséeuse, tentant de prendre une voix posée et un ton taquin, mais la terreur toujours présente dans son regard et gênée de troubler son intimité, elle toqua doucement à la porte.


Fel’, t’es là ? Je viens t’envahir…. un peu.

Faites qu'il soit là, par pitié, faites qu'il soit là...

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*Traduction de Fire and Ice de Robert Frost
Felryn
Pour uniques sons, le vent d'Est qui leur fouettait le visage, les tintements diffus des cloches suspendues aux larges cous des vaches et les voix lointaines des paysans et saisonniers qui, en contrebas, amassaient la paille en larges bottes. Assis sur le rebord d'une barrière, ils contemplaient en silence l'étendue paisible qui entourait Embrun. Puis son rire monta bientôt. Interloqué, il tourna la tête vers elle. « Quoi? » Mais, comme prise en faute, elle se contenta de remuer la tête en étouffant ses derniers gloussements derrière sa main. Il ne s'en formalisa pas et reprit de plus belle son mâchouillement d'épis de blé. C'était un tableau de paix qui s'étendait devant leurs yeux. Et c'était un sentiment de paix qui lui apaisait la poitrine. Une paix que rien n'aurait pu troubler. Rien, mis à part...

Elle retourna vivement la tête. Il fit de même mais n'aperçut rien.


    -On t'appelle!


Plissant le front, il la regarda à nouveau. Mais les traits de son visage commençait à danser devant ses yeux, comme un mirage d'air sous l'effet d'une chaleur intense. Ses traits semblaient se diluer étrangement et le malaise s'empara de lui. Bientôt, elle n'eut plus de visage. Et comme si de rien n'était, elle reposa ses pieds sur la barre inférieure de l'enclos et s'élança à terre. Un instant, il eut peur qu'elle ne se retourne plus dans sa course. Il eut peur que son visage ne lui revienne jamais. Il voulut la suivre.

Le rebord du guéridon lui fut salutaire, quoiqu'il manqua se renverser sous sa poigne. Toujours est-il qu'il le prévint de la chute qui l'attendait en basculant de son large fauteuil. Une fois malhabilement rattrapé, il se pinça l'arrête du nez. Depuis combien de temps dormait-il? Peut-être une journée entière, à en croire le mal de dos qu'avait du infliger sa mauvaise position. C'est un mal de tête épouvantable qui l'avait pris la veille. Sans doute s'était-il laissé aller. Avec précaution, il referma le journal ouvert sur son giron et le posa sur le guéridon, avant d'entendre une voix familière s'élever derrière la porte.

D'un bond, Felryn se releva au mépris de quelques vertèbres qui craquèrent en se remettant en place. Lorsque la porte s'ouvrit sur lui, il se massait maladroitement la nuque, le regarde rivé sur la bestiole. La porte alla cogner contre le mur intérieur, grande ouverte. Les circonstances depuis la dernière visite de la bestiole n'étaient plus les mêmes. Très peu versé dans l'analyse des comportements, il ne remarqua rien de suspect dans l'attitude d'Axelle. Mais d'une poigne accueillante, il l'invita à venir le voir de plus près.


-'jour la prunelle. Si l'bon vent t'ammène, tu me f'ras l'plaisir d'entrer?
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Axelle
Mon indépendance semble avoir disparu dans la brume.

La porte s’ouvrait, s’ouvrait, s’ouvrait… Il était là, avec ses manières d’Ours et sa poigne chaude. C’est une bestiole chancelante, qui d’un pas, passa le seuil pour s’enfouir dans la patte tendue, s’y blottissant, y prenant appui mine de rien. Là, rien ne pouvait plus lui arriver de mal, elle le sentait, et se lassa aller quelques instants, museau enfoui dans son cou.

R'prends-toi enfin ! T’vas pas faire ta douillette !

Elle releva son visage cherchant son regard, et se rendit compte qu’elle était entrée dans son antre. Vivement elle rebaissa la tête, fixant la pointe de ses bottes, craignant que son regard soit indiscret. Le souvenir de sa première visite, de cette impression étrange qu’elle avait ressenti en voyant la porte qui semblait se refermer seule restaient gravé dans sa mémoire. Mais aujourd’hui la porte était ouverte.

Elle toussota, pour s’éclaircir la voix, ou simplement se donner un peu d’assurance, le regard toujours planté sur ses bottes.


J’t’dérange? J’sais qu’l’est tard. Lora m’avait donné de beignets, mais j’l’es ai oublié, j’suis partie trop vite, t’sais comme j’suis, quand j’ai une idée en tête j’l'ai pas ailleurs, pis voila quoi, j’ai voulu ramoner ma cheminée, pis j’ai trouvé un drôle d’truc, oh, c’tout sale maintenant, car quand le coffret qu’était coincé c’est décoincé, ben paf, j’ai lâché l’hérisson, ‘lors avec la pierre, j’te dis pas l’carnage ! Bon, j’ai du m’laver chez Lora, t’l’as connais, on peut rien lui refuser, pis j’me sentais pas très bien, ‘lors m’suis dit j’vais aller chez Fel, vu qu’j’dois y aller pour ma toiture d’toute façon. T’sais si y avait quelqu’un avant dans la masure ? C’qu’elle est devenue ? L’habitante j’veux dire. Y a eu des trucs pas normaux ici ? … T’veux toujours bien m’la refaire ma toiture ? ‘fin si tu veux plus, c’pas grave, j’vais p’tet m’installer plus près d’la ville finalement, j’ai peur…. ‘fin non, juste qu'c’est un peu loin, tous ces allers retours, c’fatiguant t’vois, pis en ce moment, j’sais pas, c’plus dur qu'd'habitude, j’dois couver quque chose, enfin bref j’verrai, et donc v’la, m’suis dis, vais aller voir Fel pis v’la, j’ai oublié les beignets d’Lora et…

LA FERME !

La voix basse, embarrassée par ce flot de paroles incontrôlable.


'Soir ... j’te dérange pas trop?

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*Traduction de Fire and Ice de Robert Frost
Felryn
L'étonnement était toujours le même. La première fois qu'il avait aperçu la bestiole, à peine avait-il posé un regard sur ses frusques qu'il s'en était désintéressé. Et ses pensées n'avaient pas divergé de son opinion générale à l'apparition de têtes inconnues: « Tiens, m'fait penser à la Scath celle-là. Elle va piétiner un moment dans l'coin avant d'aller s'perdre Arisote sait où en quête d'herbe plus verte. » Rien de plus qu'une miséreuse de passage, une enfant sans doute, pour laquelle il n'aurait pas rechigné à porter un peu d'aide avant de la voir filer vers d'autres pâturages. Autant ne pas s'y attacher. Recevoir, abriter, laisser filer. Parce qu'elle, comme les autres, n'aurait rien vu rien des beautés que recélaient les monts du Dauphiné, serait restée sourde à l'appel des montagnes.

Seulement voilà, il avait découvert que l'enfant n'en était pas tant une, et que ses bras ne pouvaient, eux, s'y leurrer. L'ours était dompté et, au lieu d'écraser la fouine d'une patte distraite, il venait lui manger dans la main dès que l'occasion se présentait. Rien de tel qu'un bon repas pour y voir clair. C'est bien connu, la panse pleine éclaircit les idées. Et sitôt un jambonneau consommé avec la bestiole, il avait miré la ligne de ses lèvres en échappant une drôle de requête: « J'goûterais bien à ça. » Et c'était addictif. À l'instant, Felryn aurait bien récidivé contre sa bouche, si le flot de paroles qui s'en déversait n'était pas si vif. À peine éveillé, il n'y entendit pas grand chose. Une histoire de beignets, de cheminée, de hérisson et de boîte et, malheur, de bain chez Lora?


-Huh? Tu m'déranges jamais. Mais tu vas m'expliquer ça plus en détails.

Sans brusquerie, mais non moins ferme, il l'attira à l'intérieur, porte refermée à la volée, et la fit asseoir sur le fauteuil encore chaud.

-Tu veux une tisane? Ou du lait d'chèvre. J'ai ça, du lait d'chèvre. S'il a pas tourné.

Il n'y avait plus d'alcool, ici. Guère qu'une vieille bouteille d'eau de vie égarée il ne savait où, et c'était aussi bien. L'endroit n'était habité que de poussière et d'une odeur tenace de bois et de vieux renfermé. Axelle était, mise à part Bounette, la seule à être entrée dans la Combe depuis -diantre!- des années. Quelque part dans le mur à côté de l'entrée, la parois avait été cassée quelques années plus tôt pour y enchâsser une porte communicante avec l'atelier.

-J'saurais plus dire exactement qui habitait dans les bois. Y'avait plusieurs maisons là d'dans, y'a dix ou quinze ans. Mais, tu connais la chanson, y a eu les neiges, y a eu des loups, y a eu l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'ours. Les gensses préfèrent vive en ville. C'plus sûr. Chez toi, d'vait y avoir une pauvre fille. J'sais plus si elle vivait seule. Pourquoi?

Tout en parlant, il tentait de ranimer les braises depuis longtemps agonisantes dans l'âtre.
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Axelle
Sans avoir réalisé comment, se laissant simplement guider par la patte de l’Ours, elle se pelotonna, fluette, dans le large fauteuil de jute de l’Ours. Elle s’y sentait bien, il était chaud, accueillant.

Elle se laissait doucement bercer par sa voix, alors que ses billes noires se perdaient au plafond, intriguée par la multitude des paniers d’osier qui y étaient suspendus, puis glissant curieux et attentifs sur la grande table et les buffets et argentiers qui l’entouraient. Et distraite, la voix un peu lointaine :


S’t’as du lait, voui, j’veux bien, oui.

Puis finalement son regard vint se poser sur le large dos qui s’affairait à la cheminée. Elle avait retrouvé son calme et cette tranquillité qu’il lui faisait partager parfois en lui tendant sa pipe.

P’quoi….

Elle baissa son regard sur le pendentif de cristal qui jouait sur sa peau avec un trait de lumière, au rythme lent de sa respiration, un moment silencieuse.


J’te passe les détails, c’pas d’importance, j’ai trouvé c’pendentif dans la masure, pis une lettre surtout. Une certaine Clothilde, elle disait qu’il y avait quelque chose qui l’observait, qui l’approchait, qu’elle devait partir. L’était terrorisée, j’l’ai senti.


Roulant le pendentif entre ses doigts

Et j’vais pas t’mentir, t’vas p’tet m’prendre pour une démente, c’pour ça qu’j’suis là. Sa terreur est passée d’c’tte lettre à moi. J’ai d’jà eu peur, souvent même, mais jamais comme ça. J’connaissais la peur bien réelle d’la menace d’un homme, mais là, c’tait pas pareil. Elle demandait qu’on la croie, jurait qu’elle était pas folle. P’tet qu’j’suis un peu trop émotive ces temps ci mais...


Lâchant le pendentif et cherchant le regard de l’Ours.

J’la crois moi. J’la crois.
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*Traduction de Fire and Ice de Robert Frost
Felryn
Raviver des braises qu'une journée entière a laissé le temps d'agoniser n'est pas une mince affaire. Dans le fracas du plancher, une bûche que n'avait pas réussi à consumer les flammes fut écartée des braises où l'Embrunais ne déposa que de maigres branches entassées à côté d'un tisonnier. Ceci fait, mains négligemment essuyées sur ses braies, il suspendit la marmite dans laquelle un peu de lait restait. Et de s'asseoir au bord de l'âtre en pierre, face à la Fouine, le regard soucieux lorsqu'il se posa sur le pendentif qu'elle arborait, là où la nature humaine n'aurait voulu déposer que des chapelets d'embrassements. Certes le bijou n'était pas mal, bien qu'il soit curieux que la bestiole s'en soit parée. Le regain de vie des braises le fit rougeoyer un instant.

-Clothilde? Quelque chose ou quelqu'un? C'était p't'être que les bruits d'la forêt. C'est toujours plein d'vie, une forêt.

Mais la bestiole disait avoir peur. Une peur immatérielle. Une peur qui aurait mené la précédente habitante du repaire à un accès de folie. L'Ours fronça les sourcils et se retourna vivement pour puiser le lait réchauffé jusqu'au fond d'un verre.

-Des âneries, tout ça. L'était sûrement folle pour vrai. L'a du entendre le vent souffler un peu trop fort à sa fenêtre et s'est imaginé des choses. La solitude les rend barge, si tu veux mon avis. Pour ça qu'la plupart vivent avec un chat. Z'ont l'impression d'être moins seules. Ça les rassure.

Lorsqu'il se retourna pour lui tendre le verre, un sourire presque hilare avait remplacé la barre soucieuse qui lui avait creusé le front.

-Parlons plutôt d'ton toit. Viens crécher ici le temps que j'm'en occupe, ça t'évitera au moins d'te faire des idées. Mais j'veux être sûr de c'que tu veux. Si tu souhaites habiter plus près de la ville, c'est ton droit.

Le dilemme se posait là. Si Axelle souhaitait changer d'habitat, il n'aurait pas spécialement à s'occuper de la charpente de son actuel repaire. Mais, quelque part, son histoire l'intriguait. Et passer un peu de temps là bas l'aiderait sûrement à se faire une idée sur ce dont elle parlait, bien que, pour l'heure, il n'y croyait pas vraiment.

-Et puis. Si tu prends une masure en ville, ça sera moins pratique pour toi. Tu sais, pour, hem. Faire c'que tu fais.

Possible qu'il la croit, finalement. Accourir ici et parler autant en si peu de temps ne lui ressemblait pas. Tâchant d'effacer l'espèce de sourire idiot qui lui barrait la figure, Felryn abandonna son coin de cheminée pour venir au plus près de la bestiole. Là, assis sur le peu d'espace qu'il restait du fauteuil, l'ours invita la fouine à laisser aller ses peurs contre lui.

-Mais si tu crois qu'il se passe vraiment quelque chose, j'vais pas rester sans rien faire. Si j'peux faire en sorte de chasser tes peurs, j'le ferai. As-tu découvert autre chose, mis à part la lettre?
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Axelle
Calée au plus près de lui, se faisant plus petite sur le fauteuil, elle sirotait doucement le verre de lait, jouant distraite avec le cristal de l’autre main. Puis se léchant les babines pour effacer les moustaches blanches, elle ôta le pendentif.

T’as surement raison, rien que des histoires et une vielle folle ! Comment un bout d’roche pourrait protéger d’quoi que soit en plus ?


Posant le verre au pied du fauteuil, elle faisait tourner le cristal entre ses doigts.

Pour mon toit… Oui, j'voudrais toujours qu’t’l’refasses. C’ma masure… C’chez moi.


T’sais très bien qu’t’arriveras jamais à y retourner seule, t’as eu trop peur pour réussir à y repasser une nuit, et t’le sais. Oui, j’l’sais, mais demain, ça ira mieux. Non, et t’le sais aussi. Il t’propose de rester ici, dis oui, t’verras bien après.


M’suis paniquée, c’va me passer, j’suis un peu patraque ces temps ci, c’doit être la fatigue après l’mandat, pis tout ces brigands qui m’rendent anxieuse. Rien d’plus…

Arrête ! T’y crois à son histoire à la Clothilde ! Tant qu’tu sauras pas c’qu’y s’passe, t’pourras pas y retourner ! C’est vrai…

Et ses doigts qui s’agitent nerveusement sur le cristal, le regard fixé dessus, silencieuse.

Et arrête d’t’voiler la face, t’es fatiguée, oui, t’sens pas bien, bizarre, oui mais ça n’a aucun rapport avec l’mandat ou les brigands, et ça aussi tu l’sais. Arrête de t’mentir à toi-même, et t’dois lui dire, de toute façon t’pourras pas le cacher bien longtemps… Si, si j'vais voir une faiseuse d’anges…. Pour t’vider de ton sang comme une truie ! T’y penses pas ! C’pas pire que d’risquer d’crever en couche. Ca arrivera pas, arrête donc de tout voir en noir. Mais j’suis pas prête…. Je ferrai quoi d’un marmot dans les pattes ? Tu débrouilleras. Pis, il est là, il vient d’te l’dire. On en a jamais parlé, s’il en veut pas, j’fais quoi ? T’t’ débrouilleras. Mais s’il le veut et qu’t’fais passer l’bidule sans rien lui dire, t’arriveras encore à t’regarder en face ? Non… Et lui, t’arriveras encore à l’regarder dans les yeux, lui ? Non… ‘Lors fais lui confiance.


Voui, il y a aut’chose qu’tout ça... d'différent… Fel’….


Lentement, les onyx se relevèrent, cherchant le regard de l’Ours pour s’y plonger, fébrile, ses doigts se figeant.

… j’attends un petiot d’toi…
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*Traduction de Fire and Ice de Robert Frost
Felryn
« Petiot: fruit qu'on fit? »*


Le fauteuil, n'étant pas bien large, convenait parfaitement à l'une des distractions favorites de l'Ours, à savoir comprimer la Fouine contre lui. Lorsqu'il ne s'agissait pas de l'étreindre trop fort -et bien sûr, ce n'était jamais complètement volontaire- c'était en roulant sur elle, par pure inadvertance, les soirs qui les avaient parfois conduits à partager un même sommeil, la faute aux fièvres passagères.
Pour pallier à ce problème d'importance majeure, il eut fallu engager un ou deux manutentionnaires pour le faire rouler comme un tonneau, sans le réveiller. Mais en général, une simple rebuffade sur le nez permettait de se débarrasser de l'Ours gêneur, étant quitte pour quelques ronflements. Cruel dilemme: entre ronflements et compression, il fallait choisir. Encombrant, l'Ours? Certainement. En attendant, il se distrayait à regarder les moustaches lactées de la Prunelle. Réfléchissant au sens de cette histoire.


-J'sais pas s'il existe vraiment des objets protecteurs. Que ce soit des pierres, des chapelets ou Piula, ça n'aide pas à prévenir des évènements, m'est avis; simplement à être paré en cas d'malheur. Tu sais, un peu comme un réconfort des derniers instants. Y'en a qui s'sentent pas tranquilles, sans leur objets fétiches. 'peuvent pas être en paix sans eux. Si tu penses qu'il te protège, garde-le. En tout cas, tu peux compter sur moi pour tes travaux.

Elles étaient nombreuses, les choses que Felryn auraient faites pour Axelle, aller se faire cuir un œuf incluse. Il tentait distraitement d'énumérer ce qu'il n'aurait pas fait pour elle -ce qui était plus rapide- lorsqu'elle profita de capter son regard pour y planter la nouvelle, laquelle le traversa insidieusement de part et d'autre. Durant un laps de temps indéterminé, l'Embrunais sentit les limites du monde vaciller et le transporter très loin. Sans même prendre la peine de s'arrêter pour résilier ses livraisons hebdomadaires de pain et gazette dauphinoise. Et dans son cerveau bien étriqué, les neuronnes tinrent un conseil extraordinaire:

Raison: Sa langue a fourché?
Conscience: Elle a pas plutôt voulu dire: J'l'attends si tôt mon toit?
Raison: Ou: J'aimerais y r'tourner bientôt, grouille toi?
Nerf auditif: Hum...On ne déplore pas de bouchon dans la circulation des canaux auriculaires. Message reçu cinq sur cinq.
Envie: ...'fait chaud, vous trouvez pas?
Cerveau n°2: Cette fois les gars, j'y suis pour rien!
Conscience: Fais pas l'innocent, on t'as vu déraper l'autre fois.
Raison: Ça y'est, elle est venue réclamer une pension.
Conscience: Dis adieu à tes économies.
Raison: Dis bonjour à la future chose bruyante et fripée.
Conscience: Vogue la galère.
Envie: J'sais pas vous, mais j'boirais bien un coup.

Une crampe lui monta aux zygomatiques. Avec l'air heureux d'un simplet à qui l'on aurait jeté une orange surprise à la saint Noël, Felryn se noyait distraitement dans les yeux d'onyx de la bestiole, dévot parmi les dévots, prêt à se faire offrir en pâture à la moindre de ses exigences.

-C'est, euh...Fort midable. Mais pas prévu. Mais fort midable. Content j'suis. Tellement. Très. Huh...J'te d'mande pardon?

N'eut été l'air inquiet d'Axelle, il se serait laissé aller à un condensé de joie plus atomique. Mais ne voulant ni la froisser, ni l'effrayer, il tenta, veinement, de rester sobre. Soudain, c'était comme l'arrivée du printemps. Die saccagée et la duchesse décapitée n'auraient pas provoqué autant de satisfaction. Et Bounette allait l'engueuler. S'écartant avec affolement pour ne pas incommoder la bestiole, il lâcha maladroitement:

-Huh. On peut dire qu'y a une part de toi qui m'appartient, alors.



*Léo Campion
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Axelle
Il est toujours là ? Ben oui ! L’a pas fui ? Ben non ! T’es sure ? Ben oui j’suis sure, regarde, y sourit même. Ha ? L’est content ? L’a l’air oui, t’as pas entendu c’qu’il a dit ? Heu… non… mais c’vrai qu’il sourit. Y t’demande pardon. P’quoi ? D’prendre soin d’moi ou d’me comprimer ? L’un ou l’autre t’dérange ? Nan. Tu vas arrêter de douter maintenant ? Oui ! T’vas lui faire confiance ? Oui ! T’es heureuse ? Oui, j’crois bien….

Le front soulagé de la bestiole vint se reposer contre celui de l’Ours, le regard noir se faisant limpide, se perdant volontairement dans son gris.


Voui, y a une part d’moi qui t’appartient, mais c’pas nouveau…. Et pas forcement seulement celle qu’t’crois…

Plus de mot, elle n’en avait plus envie, ils lui semblaient vides de sens comme jamais, et elle avait déjà bien suffisamment parlé pour la journée, voire pour les jours à venir. Les mots, c’est sur sa peau qu’elle voulait les égrener, se souvenant, léger sourire aux lèvres, de quelques lettres tracées sur un vélin.

Doucement, son menton se releva, les lèvres se frôlant, alors que le pendentif glissait mollement de sa main pour tomber dans un cliquetis au sol.


Et demain est un autre jour… Il devra être patient…

[suite au repaire]
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*Traduction de Fire and Ice de Robert Frost
--Lui..
[Au beau milieu de la nuit]

C'était là qu'il se cachait ... c'était jusque là qu'il s’était réfugié.

Il avait fallu passé les grands murs de pierres, mais cela n'avait pas été compliqué. Il savait où passé pour éviter ceux qui guettent. La nuit c'était plus facile. Les ombres cachent presque aussi bien que dans les bois. Humant l'air pour détecter le danger, il se dirigeait vers là où il avait été emmené.

Il avançait silencieux comme la mort, se faufilant de l'obscurité vers les ténèbres. Invisible, il doit être. Il avait fait la moitié du chemin, évitant les cabots qui grogne aux moindres sons. Il n'aimait pas les chiens ... on il ne les aimait pas. Il se rappelait quand il a tué le premier. Le sang ... du sang partout ... et la colère. Il n'était plus très loin.

plus que quelques foulées à faire. Mais du bruit venait. De la lumière aussi ... D'un bond, il fallait se cacher. Un homme en fer ... il n'aimait pas les hommes en fer. S'attendant au pire, il se prépara à frapper avec la pierre qu'il avait ramassé. Frappé, frappé, frappé encore et encore jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de tête, mais pas ce soir, l'homme de fer est passé sans le voir. Attendant que la lumière disparaissent, il ne bougeait pas.

Après avoir poser la pierre, il repartais à sa recherche. Il avait vu où il était allé. Personne il n'y avait personne hormis un chat qu'il chassa d'un coup sec. Il grognait, le félin avait fait du bruit et fuyait en renversant tout sur son passage. La prochaine fois, lui tordre le cou comme pour les livres. Encore quelques pas et franchir un petit mur de bois coupé. Dissimulé derrières de hautes herbes il observait la grande cabane de pierre.

C'était dedans qu'il était. Mais il y a du bruit. Du monde était dedans la cabane. Peut-être rentrer et le reprendre et tant pis pour eux fallait pas le prendre. Mais l'homme était fort avec sa hache. Dangereux ... trop dangereux. Attendre qu'ils dorment pour aller le chercher. Il attrapait un bout pointu du mur de bois. Cela fait du bruit, mais il était caché. Cette nuit ... il serait à nouveau avec lui quand il le lui aura pris car il était avec elle. Elle était avec lui depuis la maison dans les bois.
Axelle
[plusieurs jours après sa dernière visite au repaire]

La ville était tranquille, la légature aussi. Bon signe, mauvais signe ? La bestiole avait sa petite idée sur le sujet, sans que cela ne la touche plus que cela. Elle savait bien que courir dans tous les sens ne servirait à rien et préférait garder du recul et surtout son calme. Car même si elle prenait sa tâche à cœur, son esprit, lui, vagabondait dans tous les sens.

Quoiqu’il en soit, elle était assez contente de ce calme qui lui permettait d’avoir du temps pour elle. Petit à petit elle se familiarisait avec la Combe, et l’apprivoisait en même temps qu’elle se laissait apprivoiser par ce lieu si particulier. Elle s’y sentait bien, étrangement protégée, avec, lorsque la porte se refermait sur elle, un étrange sentiment que rien de mauvais ne pouvait lui arriver. Là encore, elle ne cherchait pas comprendre pourquoi, elle se laissait simplement porter par le présent.

Voila donc pourquoi, en ce midi de début de printemps encore frais, bien que le soleil lui faisait cligner de l’œil, penchée sur ses semis au fond du jardin de la Combe, Axelle observait, petit sourire aux lèvres les feuilles aux limbes découpés et légèrement crantées s’étirer doucement. D’un doigt attentif, elle suivait les nervures, cherchant les premiers signes des fleurs blanchâtres espérées.

Son regard se mit à pétiller quand enfin elle aperçut un renflement bien caché dans son nid vert.


Faut qu’j’montre ça à Fel quand y reviendra d’repaire ! L’a intérêt à être content, hein l’têtard !

C'va pas non, t'parles toute seule maintenant ! Non j’parle au têtard ! Bien ce qu’je dis, l’entend rien ! L’entend rien, mais y te pique la nuque ! Y m’pique la nuque ? Ben oui, t’sens pas s’picotement depuis tout à l’heure ? Nan… mais maintenant qu’tu le dis…. Pfff, trop occupée à préparer ta débauche ! Hannn, dis qu’t’aimes pas p’tet ! Si… n’empêche qu’ça picote, t’devrais p’tet rentrer, t’es p’tet allergique. Nan… c’autre chose. Ha, non, t’vas pas recommencer avec ces histoires ! Nan, mais j’aime pas savoir Fel au repaire. J’sais, mais bon, t’as pris les devants hein. Voui… Rentre maintenant, fait froid. Voui.


Lentement, elle se redressa dans un craquement de genou et resta un instant immobile avant de se diriger vers la bâtisse protectrice.


[suite au repaire]
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*Traduction de Fire and Ice de Robert Frost
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