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[RP]La Combe, demeure des Felryn

Felryn
[Plusieurs jours plus tard]

    « L’erreur est humaine, le pardon divin. »
    Alexander Pope.


La porte s'ouvrit lentement et Felryn entra en silence. Dehors, un feu de nuit crépitait sur la bordure d'un enclos. Tout ce qu'il y avait d'herbes étranges plantées entre les sillons de blé avaient été arrachées et posées là. Et voilà qu'elles se consumaient au regard de la nuit, rejetant des travées de fumées qui en aurait rendu joyeux plus d'un.
La porte fut refermée avec une douceur équivoque. La poigne resta fermement cramponnée à la poignée, et le regard parcourut le décor sans le voir. Avec un automatisme serein, il relâcha sa prise tranquille pour se diriger à pas lents vers le buffet. Là patientaient un verre encrassé et une cruche à demie remplie d'eau. Ses doigts s'insinuèrent dans la hanse et le bras souleva la vieille amphore pour emplir le verre, avant d'être reposée calmement.


    Tu mérites pas mieux que mon crachat sur ta vilaine figure. T'as jamais été aussi belle, ni aussi laide.


Victime des tremblements de la main, le verre vint abreuver la gorge asséchée de l'ours. Quelques sillons d'eau égarés lui coulèrent le long du menton. Et bien que la langue fut heureuse de pouvoir s'ébattre au contact du liquide, les papilles la trouvèrent bien trop fade. Il leur fallait quelque chose de pimenté. Quelque chose comme de l'éther. À l'aune de sa fureur. Avec résignation, la main reposa le verre encore à moitié plein, dans un élan qui toutefois le fissura. La faute à quelques réminiscences toutes fraiches.

    Si tu portais pas en toi quelque chose d'aussi sacré à mes yeux, par ma foi, j'promets que le portrait de Laki après mon passage aurait r'semblé à une Diane à côté du tiens.


Sans crier gare, le calme s'évapora. L'ire fit valoir ses droits d'expression. Dents serrées, Felryn empoigna le haut du buffet et d'une traction irraisonnée, la fit basculer contre le plancher. À son contact, les portes se démirent, et tout ce qu'elle pouvait contenir de verre, de céramique ou de vieille porcelaine se brisa dans un fracas glaçant. Mais rien qui ne soit aussi glaçant que ce qu'il ressentait depuis une heure. Rien d'aussi tranchant que les mots proférés depuis une heure. Rien d'aussi brisé que lui-même, depuis cette même heure.

    Si tu pars d'Embrun, j'jure que jamais plus t'y remettras les pieds.


Car il était brisé, l'ours. Loin d'être en porcelaine, mais brisé tout comme. Son être était, à cet instant, comme une poupée de chiffon emplie de tessons de verre. Et cela cisaillait ses chaires avec une ardeur incomparable. Il avait aimé sans conditions. Et pour la première fois, on peut le dire. Il avait livré son palpitant sur un plateau d'argent, pour n'en récolter que des entailles. Le coup avait été porté avec grâce, rapide et sans fioritures. Un condamné en aurait su gré à son bourreau. Mais sa souffrance à lui promettait de durer pour des éons. Jamais l'ours n'avait accordé telle confiance. Jamais il n'avait été trahi de la sorte non plus. Il ne s'y était pas attendu. Pas une seule seconde.

    Quel con j'ai été!


Lou, Enguerrande, Marianne, Uo, Orinthia. Tous ces noms, fades et sans signification particulière, faisaient pâle figure à côté du sien. Cette fois, il s'était livré aveuglément, avait porté un espoir jamais imaginé par lui. Et au fond de son poitrail, un feu brûlant le consumait, sur la plaie béante qu'avait laissé l'emprunte d'une fouine. Belles de nuit, jamais son cœur n'aurez. Son coeur. Tseuh! Cette charpie! Il la lui laissait volontiers. Qu'elle l'emporte et continue de le torturer. Loin, très loin. Le pardon n'avait pas sa place cette fois.

    Un enfant souillé, j'en veux pas. Une femme infidèle, encore moins. Pars. Pars donc forniquer avec le tout venant. Tu f'ras fortune.


La face blême, il enjamba les débris de l'armoire et vint s'agenouiller devant l'âtre, prenant, par nervosité, plus de temps qu'il ne lui en fallait d'habitude pour y allumer un début de feu. Puis il le laissa prendre, l'alimentant d'une bûche. D'une de ces foutues bûches coupées de la main des Embrunais. Ils étaient d'ailleurs les seuls à savoir y faire proprement. Qu'avaient-ils eu besoin de laisser venir des étrangers à la ville faire le travail et empiéter sur leurs territoires? Il grinça en son for: Venez à Embrun, venez! Vous verrez comme nous avons le sens de l'hospitalité, vous verrez! Vous ne serez pas déçus. Venez vous frotter aux manches de nos haches et suer au cœur de notre forêt. Venez partager les souffrances de nos corps. Vous y trouverez plaisir. Car quoi de mieux que la satisfaction d'une journée bien remplie? Venez à Embrun, la sereine. La sauvage! La puterelle!

D'imaginer la scène qu'il ne saurait jamais, et pour laquelle il n'aurait jamais d'explications, la nausée le prit. Il aurait voulu hurler pour la libérer, mais rien ne parvenait à lui sortir des entrailles. Il se contentait de regarder indéfiniment le feu danser devant lui, muet de douleur.

Comme il l'aimait. Pour qui le connaissait un tant soit peu, cela crevait pourtant les yeux. Mais ça n'avait pas suffi. Sans doute avait-il manqué de mots. Et voilà qu'il la haïssait, d'une haine qu'il sentait intarissable. C'était un miracle de ne l'avoir pas touchée à ce moment là. Un miracle, pour lui, de s'être contenté de mots, vains et spontanés. Sa colère cesserait-elle un jour? Ses désillusions se dissiperaient-elles? Rien ne le laissait présager. Et sans même y réfléchir, il avança sa main droite dans l'âtre pour y enfoncer une bûche dans les cendres, comme on enfoncerait ses tourments dans le néant. Sa main prise aux flammes ne le fit pas réagir.

    Disparais.


Les craquelures se répandirent sur sa paume. Sa peau gondola au contact prolongé des flammes, noircit, et bientôt quelques morceaux de chair se soulevèrent et éclatèrent à gros bouillon. La douleur finalement se rappela à lui, et l'ours hurla enfin. Longuement, puissamment. Il hurla comme une bête prise aux enfers, tourmentée dans le Styx. Sa voix ne se tarrit que quand, à bout de supplice et dans un sursaut de raison, son corps bascula en arrière pour gésir à terre. Dehors, la flambée nocturne agonisait dans ses propres cendres, tranquille. L'esprit consentit enfin à lui échapper pour ne laisser que paix et repos.

Et plus rien ne fut.

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Engherran
C'était au beau milieu de la nuit. Galopant sous le regard de sa déesse, regard voilé par les nombreux nuages. Il avait reçu la visite de la Bestiole, avait échanger quelques mots avec sa fiancée et avait décidé d'aller voir son ami. Pourquoi courrait-il ? Sans doute les auspices nocturnes lui faisait penser que quelque chose de néfaste allait se produire. Le loup d'Embrun filait à travers les rues, ne prenant gardes aux patrouilles nocturnes, faisant fi des chiens aboyant sur le chevalier.

Pourquoi le monde semblait-il devenir aussi fou autour de lui ?

Engherran arriva devant la porte de la Combe après avoir enjambé d'un bond la clôture, là où la haie était la moins haute. Il frappait à la porte, mais aucune réponse ne vint. Il appela son vieil ami, mais sans succès. Tambourinant à la porte, il essayait espérait une réponse de l'Ours, mais aucune ne se fit entendre exceptée celle du voisinage furieux d'être réveiller dans la nuit par les hurlements du Loup.

La fureur répondait à l'inquiétude.

Alors qu'il allait battre en retraite, ne prêtant aucunement attention aux quolibets d'une acariâtre matrone, il sentit cette odeur de bois brûlé mais pas uniquement. Se retournant vivement pour se trouver face à la porte, le chevalier donna un violent coup de pied dans celle-ci faisant voler la serrure en éclat. Une épaisse fumée se faufila à l'extérieur. Sans réfléchir il se glissa dans la masure à la recherche de la source de cet épais brouillard. Engherran repéra la masse de l'Ours près de la cheminée. Felryn semblait inconscient. Quelques morceaux de bois et de braises qui avaient du rouler au moment de la chute du bûcheron se consumaient doucement, brûlant également le planché de la demeure. D'un coup de pied le Loup envoya les bûches dans l'âtre et se saisissant d'une carafe d'eau pris soin d'éteindre les braises et le feux naissant.

La fureur et la rage amène à la démence.

Attrapant sans ménagement son ami par le col, Engherran le fit sortir pour l'emmener en un endroit plus sûr, le temps que la fumée s'échappe de la Combe. L'Ours terrassé respirait. Il présentait une vilaine blessure à la main. Le chevalier le déposa au sol doucement, la tête sur le côté et alla chercher de l'eau afin d'en verser sur la brûlure. Assis par terre, après l'avoir couvert de son mantel de laine en veillant à laisser la plaie à l'air libre, il installa la tête de son ami sur ses jambes. Prenant délicatement la patte de l'Ours il commença à verser l'eau pour que les chairs cesse de brûler.

Qu'as tu fait vieux fou ?
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Felryn
La paix ne fut que de courte durée. Le voile du sopor, trop fin, menaçait de se déchirer pour le ramener à la réalité. À travers elle, un ballet de fumée lui dansait au nez comme un vol de corbeaux flottant au dessus des rives d'agonies. Ils disparurent et l'air nuiteux vint les remplacer quand claqua soudain au dessus de lui, telle une danse entre toutes agréables, le crin brun d'un loup qui ne lui était pas inconnu. Un râle lui échappa au retour de la douleur. Le contact de l'eau calma le feu qui lui vrillait les chairs. Mais lorsqu'elle fut tarie, ce fut pire encore. Jusqu'au dessus du poignet, la peau s'était faite la belle. Ne restait à la place que des crevasses calcinées d'où surgissaient des flux de sang ne sachant plus où aller, comme de petits volcans étonnés de voir l'air libre. Les os des phalanges saillaient à l'air libre, et au bout des doigts, chaque ongle s'en était allé. N'en restait qu'un, brinquebalant et consumé, menaçant de se détacher lui aussi d'une seconde à l'autre.

-'gherran...

La main gauche agrippa le col du chevalier.

-Le rapport. Il m'faut le rapport. M'le faut. L'rapport de garde du dernier jour d'Avril. M'le faut tout d'suite.

La fureur lui bouillait au fond de l'œil aussi sûrement que le bout de ses doigts. Que fait un ours lorsqu'il est blessé? Il charge. Et dans la masure, un courant s'abattit sur le journal pour en tourner une nouvelle page.





    22 Mars 1446

    Comme c'est dimanche, après la messe Gustou et Georges ont d'habitude le droit d'aller où ils veulent du moment qu'ils sont rentrés avant la nuit. Mais cette année, Gustou n'est plus là et Georges est puni. Ce n'est pas vraiment une punition mais c'est l'effet que ça fait. Papa doit terminer une bergère avant mercredi. Elle doit aller rejoindre le palais St Pierre où se trouve la bibliothèque ducale et être tout à fait identique aux autres qu'il y a là bas. Pour ça, pendant que papa termine ses gravures, mama et moi nous occupons de coudre et rembourrer la tapisserie du fauteuil. Elle est belle! En motifs dorés et douce comme de la soie. Ça doit valoir une fortune. Peut-être que j'irai à Lyon un jour! Je demanderai à Gustou comment c'est. Quant à Garrett, il...fait du bruit. Comme ça l'agaçait papa a ouvert la porte pour qu'il puisse se défouler dehors. Georges est dans un coin pour commencer l'ouvrage d'une commande moins importante. À voir ça tête ça n'a pas l'air de le réjouir. Je comprends assez, il fait très beau aujourd'hui. J'ai un peu prétendu avoir mal aux yeux pour aller m'asseoir un moment dehors et écrire ces quelques lignes. Je vais aller me remettre au travail.

    24 Mars 1446

    Les saisonniers sont de retour! Depuis hier. Comme il a beaucoup plu et que le soleil est apparu très fort et très tôt, le blé est en avance cette année. Il va y avoir du travail. Je guette comme je peux les passages au loin. J'espère que Victorine sera encore là cette année. La bergère est terminée. Elle embarque demain dans un convoi en direction de Lyon qui véhicule du bois aussi.

    25 Mars 1446

    Il m'énerve! Je voulais juste être me montrer gentille. Comme il avait l'air d'avoir du mal à tenir une équerre en prenant ses mesures je lui ai demandé s'il voulait que je l'aide. Ce n'est pas comme si j'avais autre chose à faire. J'ai été rabrouée aussi sec. Si papa avait été là, ça ne se serait pas passé comme ça. De toute façon ce sont des copies conformes tous les deux. Ce n'est pas pour rien qu'ils portent le même nom.

    27 Mars 1446

    Il fait toujours aussi beau. Je passe ma journée dehors en revoyant mes déclinaisons latines. Au moins ça m'évite la mauvaise humeur de papa et de Georges. On dit qu'une troupe de saisonniers en route pour Briançon aurait croisé de ces loups vers Gap. Et que les bergers sont obligés d'embaucher pour garder constamment un œil sur les troupeaux. La laine sera chère cet hiver si ça continue.

    31 Mars 1446

    Quelle journée étrange j'ai passée. « Tiens, mais c'est-y pas la fille à Zheurzhou? » on dit des gens au marché. J'ai du rougir comme une pivoine. Je ne savais pas que les villageois me connaissaient aussi bien. Alors que je ne les vois quasiment jamais autrement que le dimanche. Ce matin comme on était tout seuls à la maison je prenais soin de ne pas adresser la parole à Georges pour ne pas le déranger. Mais je le regardais tailler un pied de chaise, comme je n'avais rien de particulier à faire. Au bout d'un moment il s'est tourné vers moi avec un air fâché. Il m'a demandé tout d'un coup ce que ça me faisait d'être tout le temps obligée de rester enfermée à la maison. Si j'étais pas un peu siphonnée de là haut. J'ai cru qu'il se moquait de moi. Puis il a jeté son outil par terre en disant que lui, ça l'embêtait. Je ne sais pas trop s'il parlait de moi ou de lui. En tout cas ça doit sacrément l'embêter. Ça fait plus d'une semaine qu'il est forcé d'apprendre le métier au lieu de vagabonder à sa guise. Il s'est dirigé droit sur la porte et m'a embarquée au passage. Sur le coup je n'ai pas réagi, un peu surprise. Et je ne pense pas que mon avis aurait compté. On a passé la journée dehors. J'avais une peur bleue qu'on tombe sur les parents et qu'on se fasse remonter les bretelles. Mais ça m'a beaucoup divertie. À midi les gens allaient et sortaient des tavernes. Georges nous a acheté des pommes qu'on a mangées assis sur un muret devant l'Embruncévous. Il a rigolé bêtement quand un homme s'est fait sortir de la taverne en marchant bizarrement, comme les jours où papa est joyeux. Je trouve ça effrayant. Puis on a fait le tour des étales. Il y en avait un qui vendait du nougat. J'aurais bien voulu en goûter mes c'est un peu cher. Et quand j'ai voulu aller voir un étalage de tapisseries, Georges m'a forcée à dévier ma trajectoire. J'ai compris pourquoi quand j'ai vu une bande de jeunes gens qui déboulait d'une rue. Je crois qu'il s'agissait de ses amis. Soit il les évite pour obéir à papa, soit c'est pour que je ne les connaisse pas. C'est tant mieux. C'est de la racaille à ce qu'on dit. Et puis en rentrant on a longé les remparts d'Embrun. Tout là haut il y avait garde à l'air joyeux. Peut-être aussi joyeux que celui de l'Embruncévous. Comme à ce moment là le père Pobelcourt passait sous l'arche devant nous, le garde est monté au créneau et a baissé ses braies pour lui montrer son derrière. Je me suis caché les yeux, je ne sais pas ce qui lui a pris. Nous sommes passés à côté et un autre garde plus lucide tentait d'excuser son collègue auprès du curé qui gesticulait d'horreur. En rentrant, j'en riais encore.... Les parents étaient là. Ils nous en regardés d'un drôle d'air. J'ai senti que papa allait nous passer un savon, puis finalement il n'a rien dit. En passant la porte Georges s'est immédiatement remis à faire la tête pour coller à l'ambiance. Moi j'ai filé dans un coin en essayant de me faire aussi petite que possible.

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Axelle
[Bien des jours et des jours plus tard]

Depuis son retour, la bestiole avait soigneusement évité de passer devant la Combe. Ce jour ci, peut être car le temps était beau, et son humeur plus distraite, ses pas avaient repris le chemin habituel. Et c’est seulement lorsque la chaumine se dressa devant son regard qu’elle le réalisa.

Longtemps elle resta là immobile devant le jardin ravagé, légèrement nauséeuse, le regard bas. Au moins, d’une certaine façon, une partie du désherbage avait été faite. Elle en aurait certainement ri, un autre jour.

Elle allait partir quand son regard fut attiré par un vert tendre, là, presque violent au milieu du noir. Elle s’avança et s’agenouilla pour regarder la frêle tige déployer, arrogante, deux ridicules petites feuilles crantées. Elle sourit et frôla d’un doigt pensif l’objet de fierté.


Si tout pouvait être aussi simple.


Elle secoua la tête, légèrement amusée, et se força à reprendre son chemin, lointaine.

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*Traduction de Fire and Ice de Robert Frost
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