Mahaud
[ Genève - L'an de grâce 1459 - Taverne de "L'embuscade Genevoise"]
Mahaud est assise sur une escabelle à dossier. Jambe droite repliée sous elle. Elle a étalé sur la table quelques feuillets de vélin. Il y a disposés aussi un petit encrier conique en corne, pratique pour le voyage et deux plumes taillées. A coups vifs et précis, elle entreprend d'en aiguiser une troisième à la lame de sa miséricorde.
Elle se penche un peu, pose le coude gauche sur la table, sa joue dans la paume de la main qui n'écrit pas.
Le titre d'abord pour conjurer la malédiction de la page blanche.
" Mémoires d'une Peau de Mouton"
« Il était une fois, une jeune princesse, belle comme le jour, sombre comme la nuit, qui pour échapper à la déraison et à l amour furieux de son père, senfuit de son château pieds nus, solitaire, avec pour tout vêtement une peau miteuse et sale. » Le conteur pourrait commencer ainsi. Mais cette histoire-là vous la connaissez déjà. Cest une histoire pour les ânes. Moi, je vous ferai un conte pour les moutons. Un conte que vous pourrez vous raconter seuls, les yeux grands ouverts sur lobscurité, les nuits dinsomnie.
Il était une fois, une femme plus toute jeune mais pas encore blette qui, sentant sa fin prochaine, décida de prendre du bon temps.
Quelques années auparavant, elle aussi avait sauté du haut des créneaux de son château dans leau croupie des douves pour fuir la furie familiale puis avait roulé toutes ses bosses et ses creux par monts et par vaux. Elle avait vu le loup plus dune fois, portait à de nombreux endroits de son anatomie diverses traces de morsures laissées par des râteliers plus ou moins catholiques, ne craignait point de marcher seule et longtemps, frappait des poings, des talons, des genoux, buvait comme un trou, jurait comme un charretier et ne sen laissait pas compter.
Pendant que dautres pondaient et couvaient sagement au coin du feu, en veillant dun il farouche et maternel sur le chaudron où mijotait la potée, elle sen allait sur les chemins, détroussant les arrière-boutiques* et les voyageurs. Ayant renié la sienne, elle avait choisi les malandrins pour famille. Je crois donc inutile de préciser que la vie lui avait donné quelques enseignements bien sentis. Elle voyait le monde comme une fange quelle balayait de lourlet de son manteau.
La route étant le lot commun de toute existence aventureuse, elle en avait parcouru beaucoup dans un sens puis dans lautre, de pillages en saccages, frôlant, au passage, le bois vermoulu des fourches patibulaires. Mais nous sauterons de nombreux épisodes, dont certains sont même totalement dénués dintérêt, pour arriver là où mon propos demande quon soit. A Genève. Ici même.
Le Fameux Tournoi de Genève avait attiré en cet an 1459 une foule de soldats, chevaliers, routiers, Cavaliers et barons. Tous étaient venus pour en découdre et tous, dans leur sommeil agité par la fièvre du combat, faisaient des rêves de gloire.
Elle avait fourbi sa bâtarde, renforcé sa rondache, recousu aux coudes la brigantine et briqué le bassinet. Elle était fin prête et le jour du Tournoi, ne lui manqua que son partenaire. Faux borgne. Vrai barbu. Dit « Le Glabre ». Elle lattendit. Il ne vint jamais.
Les autres allèrent se foutre sur la gueule sur un nud et elle, elle alla faire un tour du côté du Lac, envoyant des coups de botte rageurs dans les cailloux lisses de la berge.
« Le lac est bon, fraîche est son eau, cest délicieux !
Ce que nous voulons cest du poisson fort bien goûteux ! » **
De dépit et dun geste large elle fit voler la rondache qui décrivit au-dessus des eaux un arc de cercle gracieux, flotta un instant à la surface avant de couler à pic. Elle était sur le point d'envoyer par le fond son bassinet lorsque deux commères sapprochèrent, caquetant.
* Citation de Museau
** Gollum ! Gollum !
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Mahaud est assise sur une escabelle à dossier. Jambe droite repliée sous elle. Elle a étalé sur la table quelques feuillets de vélin. Il y a disposés aussi un petit encrier conique en corne, pratique pour le voyage et deux plumes taillées. A coups vifs et précis, elle entreprend d'en aiguiser une troisième à la lame de sa miséricorde.
Elle se penche un peu, pose le coude gauche sur la table, sa joue dans la paume de la main qui n'écrit pas.
Le titre d'abord pour conjurer la malédiction de la page blanche.
" Mémoires d'une Peau de Mouton"
« Il était une fois, une jeune princesse, belle comme le jour, sombre comme la nuit, qui pour échapper à la déraison et à l amour furieux de son père, senfuit de son château pieds nus, solitaire, avec pour tout vêtement une peau miteuse et sale. » Le conteur pourrait commencer ainsi. Mais cette histoire-là vous la connaissez déjà. Cest une histoire pour les ânes. Moi, je vous ferai un conte pour les moutons. Un conte que vous pourrez vous raconter seuls, les yeux grands ouverts sur lobscurité, les nuits dinsomnie.
Il était une fois, une femme plus toute jeune mais pas encore blette qui, sentant sa fin prochaine, décida de prendre du bon temps.
Quelques années auparavant, elle aussi avait sauté du haut des créneaux de son château dans leau croupie des douves pour fuir la furie familiale puis avait roulé toutes ses bosses et ses creux par monts et par vaux. Elle avait vu le loup plus dune fois, portait à de nombreux endroits de son anatomie diverses traces de morsures laissées par des râteliers plus ou moins catholiques, ne craignait point de marcher seule et longtemps, frappait des poings, des talons, des genoux, buvait comme un trou, jurait comme un charretier et ne sen laissait pas compter.
Pendant que dautres pondaient et couvaient sagement au coin du feu, en veillant dun il farouche et maternel sur le chaudron où mijotait la potée, elle sen allait sur les chemins, détroussant les arrière-boutiques* et les voyageurs. Ayant renié la sienne, elle avait choisi les malandrins pour famille. Je crois donc inutile de préciser que la vie lui avait donné quelques enseignements bien sentis. Elle voyait le monde comme une fange quelle balayait de lourlet de son manteau.
La route étant le lot commun de toute existence aventureuse, elle en avait parcouru beaucoup dans un sens puis dans lautre, de pillages en saccages, frôlant, au passage, le bois vermoulu des fourches patibulaires. Mais nous sauterons de nombreux épisodes, dont certains sont même totalement dénués dintérêt, pour arriver là où mon propos demande quon soit. A Genève. Ici même.
Le Fameux Tournoi de Genève avait attiré en cet an 1459 une foule de soldats, chevaliers, routiers, Cavaliers et barons. Tous étaient venus pour en découdre et tous, dans leur sommeil agité par la fièvre du combat, faisaient des rêves de gloire.
Elle avait fourbi sa bâtarde, renforcé sa rondache, recousu aux coudes la brigantine et briqué le bassinet. Elle était fin prête et le jour du Tournoi, ne lui manqua que son partenaire. Faux borgne. Vrai barbu. Dit « Le Glabre ». Elle lattendit. Il ne vint jamais.
Les autres allèrent se foutre sur la gueule sur un nud et elle, elle alla faire un tour du côté du Lac, envoyant des coups de botte rageurs dans les cailloux lisses de la berge.
« Le lac est bon, fraîche est son eau, cest délicieux !
Ce que nous voulons cest du poisson fort bien goûteux ! » **
De dépit et dun geste large elle fit voler la rondache qui décrivit au-dessus des eaux un arc de cercle gracieux, flotta un instant à la surface avant de couler à pic. Elle était sur le point d'envoyer par le fond son bassinet lorsque deux commères sapprochèrent, caquetant.
* Citation de Museau
** Gollum ! Gollum !
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