--Masque_rouge
Les routes et les cartes détruiront l'aventure. Réduiront le monde à une simple plaine que l'on peut traverser en moins de temps qu'il n'en faut pour rosser un gueux. Et surtout, où nul ne sera plus anonymé par les lieux et les pieds.
Limoges, une nuit de novembre, an de Grâce 1459.
La guerre ruine les paysans aux terres maraudées, l'avenir des oiselles, esforcées dans leurs villages sous les yeux des pères, les coffres des cités, larronés par des hordes de mercenaires aux poches trouées. Et fait la fortune des taverniers et des maquereaux.
Dans les sombres ruelles de Lemòtges, la Basse-Cité s'éveille aux lueurs du soleil couchant. Ribaudes à l'étalage, la marchandise est de sortie, et s'allonge au coin pour espèce trébuchante. D'un regard à la ronde, l'observateur curieux notera bon nombres d'errants qui, la main sous la cape, bouclent le quartier de leur dissuasive présence : c'est que les affaires rapportent tant, dernier soutien de l'économie citadine, qu'on ne badine pas avec la sécurité des filles comme des clients qui les fourrent. La rue de l'Abbessaille se pare de feux de pailles jetés contre les trottoirs, lanternes et bougies aux fenêtres qui invitent le chaland, guerrier en permission ou noble à bourse large, à venir se divertir le pendeloche pour quelques heures. Peut-être mourront-ils demain. Peut-être le jour d'après... Dieus gart la vila e sent Marsals la gent.* Un peu de plaisir, c'est toujours ça de volé au sommeil éternel.
Plusieurs portes dérobées mènent aux temples des réjouissances, leurs portes d'entrée obligeamment encadrées de mamerons aux cottes lâches. Mais parmi ceux-ci, il en est de plus courus, et de moins bon marché. De ceux auxquels ne s'adresse qu'une clientèle particulière, fortunes torturées à l'âme vide dont l'érotisme requiert d'autres formes de dépravation.
Vous verrez, Moussu lo Barón*, l'alberguière est de mes amies, vous serez reçu à hauteur de ce qui vous est du.
L'on raconte que Monsieur aurait perdu l'esprit. Qu'il serait frappé d'accès de violence aussi imprévisibles et soudains que ses larmes d'enfant. L'on raconte que Monsieur serait fou, et que ses foudres ne pardonnent pas. De ces commérages, le soldat n'a cure. Mais il se tient coi quand, derrière la barrière de ses innocents cils blonds, le regard du jeune noble s'illumine, brûlant comme l'enfer. De sa main gantée, il ouvre le passage pour son seigneur, une bourrasque de parfums capiteux et drogues volatiles emplissant ses narines... Mais le jeune homme lève la main, impérieux, et commande. Inutile de protester, on ne s'oppose point aux désirs de l'angelot. Sur un coup d'il chargé de regrets aux voluptueuses que l'on devine, ombres aux courbes affolantes derrière les voilages de rideaux mordorés, la garde se retire.
Que le bal commence.
La tenancière n'avait pas quarante ans, le cheveux brun et luxuriant, la bouche souriante, et le parpal encore ferme et haut porté contre son corsage, quoique l'usure d'un labeur trop fournit se devinât aux ridules de ses yeux, et à la lassitude dans son balancement de hanche. Fort accorte néanmoins, elle aborda le nouvel arrivant d'une illade qui, sous le velours, dissimulait l'analyse experte à laquelle elle le soumettait.
Bòn sera*, nous avons tout justement de nouveaux arrivages qui, je gage, vous mettront en appétit.
Et sur les banquettes jetées à travers la pièce dans le plus parfait chaos s'enlacent et se frôlent acquéreurs et fleurs monnayables, pipes d'opium et d'herbes, tenues de satin ? Mais aussi tenues de cuir, la dentelle affronte les chaines, et des couloirs qui mènent aux chambres particulières, bains et salles de jeux, parviennent aussi bien des soupirs d'aise que des cris. Qu'on se le dise, l'endroit n'est pas qu'affaire de bon goût et de luxe, en témoignent les loups que tous portent ici, et que l'on tend au jeune homme afin que, serein dans son anonymat, il se puisse divertir à loisir.
Occitan « Dieu protège la ville et saint Martial son peuple. »
Occitan « Monsieur le Baron »
Occitan « Bonsoir »
Limoges, une nuit de novembre, an de Grâce 1459.
La guerre ruine les paysans aux terres maraudées, l'avenir des oiselles, esforcées dans leurs villages sous les yeux des pères, les coffres des cités, larronés par des hordes de mercenaires aux poches trouées. Et fait la fortune des taverniers et des maquereaux.
Dans les sombres ruelles de Lemòtges, la Basse-Cité s'éveille aux lueurs du soleil couchant. Ribaudes à l'étalage, la marchandise est de sortie, et s'allonge au coin pour espèce trébuchante. D'un regard à la ronde, l'observateur curieux notera bon nombres d'errants qui, la main sous la cape, bouclent le quartier de leur dissuasive présence : c'est que les affaires rapportent tant, dernier soutien de l'économie citadine, qu'on ne badine pas avec la sécurité des filles comme des clients qui les fourrent. La rue de l'Abbessaille se pare de feux de pailles jetés contre les trottoirs, lanternes et bougies aux fenêtres qui invitent le chaland, guerrier en permission ou noble à bourse large, à venir se divertir le pendeloche pour quelques heures. Peut-être mourront-ils demain. Peut-être le jour d'après... Dieus gart la vila e sent Marsals la gent.* Un peu de plaisir, c'est toujours ça de volé au sommeil éternel.
Plusieurs portes dérobées mènent aux temples des réjouissances, leurs portes d'entrée obligeamment encadrées de mamerons aux cottes lâches. Mais parmi ceux-ci, il en est de plus courus, et de moins bon marché. De ceux auxquels ne s'adresse qu'une clientèle particulière, fortunes torturées à l'âme vide dont l'érotisme requiert d'autres formes de dépravation.
Vous verrez, Moussu lo Barón*, l'alberguière est de mes amies, vous serez reçu à hauteur de ce qui vous est du.
L'on raconte que Monsieur aurait perdu l'esprit. Qu'il serait frappé d'accès de violence aussi imprévisibles et soudains que ses larmes d'enfant. L'on raconte que Monsieur serait fou, et que ses foudres ne pardonnent pas. De ces commérages, le soldat n'a cure. Mais il se tient coi quand, derrière la barrière de ses innocents cils blonds, le regard du jeune noble s'illumine, brûlant comme l'enfer. De sa main gantée, il ouvre le passage pour son seigneur, une bourrasque de parfums capiteux et drogues volatiles emplissant ses narines... Mais le jeune homme lève la main, impérieux, et commande. Inutile de protester, on ne s'oppose point aux désirs de l'angelot. Sur un coup d'il chargé de regrets aux voluptueuses que l'on devine, ombres aux courbes affolantes derrière les voilages de rideaux mordorés, la garde se retire.
Que le bal commence.
La tenancière n'avait pas quarante ans, le cheveux brun et luxuriant, la bouche souriante, et le parpal encore ferme et haut porté contre son corsage, quoique l'usure d'un labeur trop fournit se devinât aux ridules de ses yeux, et à la lassitude dans son balancement de hanche. Fort accorte néanmoins, elle aborda le nouvel arrivant d'une illade qui, sous le velours, dissimulait l'analyse experte à laquelle elle le soumettait.
Bòn sera*, nous avons tout justement de nouveaux arrivages qui, je gage, vous mettront en appétit.
Et sur les banquettes jetées à travers la pièce dans le plus parfait chaos s'enlacent et se frôlent acquéreurs et fleurs monnayables, pipes d'opium et d'herbes, tenues de satin ? Mais aussi tenues de cuir, la dentelle affronte les chaines, et des couloirs qui mènent aux chambres particulières, bains et salles de jeux, parviennent aussi bien des soupirs d'aise que des cris. Qu'on se le dise, l'endroit n'est pas qu'affaire de bon goût et de luxe, en témoignent les loups que tous portent ici, et que l'on tend au jeune homme afin que, serein dans son anonymat, il se puisse divertir à loisir.
Occitan « Dieu protège la ville et saint Martial son peuple. »
Occitan « Monsieur le Baron »
Occitan « Bonsoir »