Judas
La lecture de ce RP peut choquer les âmes sensibles, RP donc réservé à un public averti.
Quais portuaires, un matin d'hiver.
Jour de marché, jour de liesse. Voilà que quinze ans plutôt le Von Frayner arpentait déjà les matins brumeux des ventes aux esclaves. Le profil n'avait que peu changé, les cheveux avaient trouvé longueur et les yeux perdu douceur. La badine caressait de son estoc chatouilleux l'humide des pavés lissés par les caprices du climat et les gants de cuir se frottaient vigoureusement l'un à l'autre pour se donner une illusion de chaleur. La neige avait recouvert le décor, donnant au regard anthracite de Judas une dimension plus froide encore. Dans son sillage, un esclave, un privilégié. Car s'il n'était point dans les bottes de son maistre, il servirait certainement de serpillère ou de chiffon dans une quelconque maison où il aurait été vendu au rabais. L'heureux élu était donc de corvée de silence, préposé aux commentaires désobligeants de son fier propriétaire. Car si l'on connait l'homme séducteur, le seigneur ou encore le courtois, peu de gens pouvaient avoir l'heur d'avoir affaire au marchand. Inflexible, féroce. Réducteur. Et peu enclin aux gentillesses.
- Regarde-moi ça Ayoub... Même le plus novice des acheteurs ne se porterai pas acquéreur pour ce tas de barbaque.
- Oui maistre.
Un reniflement dédaigneux est adressé au propriétaire du groupe visé qui est dépassé sans plus un regard. La saison est peu encline aux lots gras et frais, et Judas le sait bien, pourtant il n'abandonne pas l'espoir de trouver une perle rare ce matin là, et continue sa route. On entendra encore la voix du Frayner s'élever, cassée et chaude, pour houspiller son esclave ou critiquer ses concurrents. Le vendeur d'âme est de fort mauvaise humeur ce jour, aussi n'épargne-t-il rien à personne, de la couleur d'une dentition à la taille d'une grossière coupe de cheveux.
- Tiens, regarde ceux-là, ils ont les pieds bleus!
- c'est le froid mon seigneur...
- Tu n'as jamais le mot pour rire mon pauvre Ayoub.
Un instant fébrile, l'autre las, il fait un arrêt devant le trou béant d'une carcasse de galère, éventrée , étalant le trésor de ses entrailles sans pudeur comme une femme écartant les cuisses au plus offrant. Premier coup d'oeil, un groupe de jeunes captifs plutôt en forme, fraîchement débarqués. Un mouvement de menton interrogateur au galérien et le renseignement ne se fait pas attendre. Galère portugaise venue tout droit du Tigré.* Arrivage rare, qui attise déjà quelques convoitises, dont celle de Judas. Quelques enfants , beaucoup d'hommes. Il fait un petit tour, murmure à Ayoub d'aller se renseigner sur les enchères en cours.
-1700.
-1710!
Ecus, bien sûr. Le moment du bras de fer entre collègue est toujours le plus plaisant de la journée, entre défis et et crasses, les quais restaient le lieu le plus révélateur de la nature des hommes. Quelques boules de neige volèrent, mine de rien, elle restait bien légère aux heures d'écarter les indésirables.
*ancienne Ethiopie du nord.
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