[Geôles de Reims: que faire? ...]
Cristobal arriva rapidement à Reims - dès qu'il avait appris en fait que Bry était suspecté de Haute Trahison. Trop de questions se posaient dans son esprit. Tout d'abord, Bry était-il vraiment félon? Cristobal se doutait bien de la réponse, mais il n'arrivait pas à l'accepter: car elle signifiait la fin de tout ce en quoi il croyait, la mort probable de son maître, la fin de sa vie telle qu'il la concevait. Mais surtout, Cristobal s'en voulait amèrement. Il n'aurait jamais dû laisser Bry seul dans ce moment qui s'annonçait tendu pour lui. Il avait très bien vu à quel point les élections l'avaient passionné. Et même le résultat, une large victoire, ne l'avait aucunement comblé. Au contraire, Bry avait semblé être des plus déçu et affecté par ces résultats. Alors, pourquoi avait-il laissé son Seigneur rester seul au Castel de Reims? Si tout ce qui s'était ensuite déroulé avait pu être évité, l'Ibère ne portait-il pas une responsabilité énorme?!
Chevauchant rapidement sur la route depuis Fergus, il s'était rapidement rendu à Reims. Dans l'auberge la plus proche, il avait pu écouter différentes conversations. Holtz était emprisonné en les geôles de Reims, cela était clair. Il était heureux qu'il n'ait pas été emprisonné à la capitale, ce qui aurait rendu la suite des événements encore plus ardue. Mais à présent qu'il savait où se trouvait son maître, Cristobal se calma. Il fit discret signe au tavernier de lui procurer une bouteille de bière qu'il paya comptant. Non pas qu'il aime boire le Cristobal. Mais il savait que son maître appréciait cela; avait besoin de cela. Il était donc assis et réfléchit à la suite. L'Ibère était cartésien avant l'heure. Soit Bry était innocent - et alors il ne pourrait l'aider qu'à prouver cela. Soit il était coupable - et alors il devrait tâcher de limiter les effets de cela. S'il était coupable, il devrait déjà s'assurer qu'il avait encore envie de se battre, et là il l'aiderait. S'il n'avait plus envie de se battre, alors il devrait le convaincre qu'il devait s'en sortir.
Cristobal était très inquiet. Il avait entendu que son maître avait été blessé. Etait-il bien soigné? Il savait par expérience que les geôles de Reims n'étaient pas des plus hospitalières. Rapidement alors, il se leva, emportant avec lui la bouteille, puis filant d'une marche rapide vers le Castel Ducal à côté duquel se trouvaient les prisons et son maître.
[Geôles de Reims: joyeuses retrouvailles]
Cristobal n'eut pas beaucoup de difficultés pour soudoyer le geôlier. Il n'avait dû que lui présenter une petite bourse ainsi que lui assurer qu'il n'était pas armé. Le maître d'armes n'aurait pas pu faire grand chose dans tous les cas. Et puis, s'il voulait faire quelque chose, il devait avant tout attendre de voir quel serait l'état de son maître... très inquiet, l'Ibère se demandait à quoi il allait ressembler. Lui qui n'avait jamais été mis en geôle. Il se dirigea donc rapidement, le coeur préoccupé comme parfois certains amants le sont, vers la cellule concernée. Arrivé à hauteur, il s'arrêta un instant, fermant les yeux, et respira plus calmement. Il devait se calmer et être rassurant envers celui qui, à n'en pas douter, serait des plus désespérés. Passer du jour au lendemain du statut de futur Duc à vil félon... comment une personne normale pourrait-elle supporter cela? Et une personne qui, pis, supportait mal le manque d'alcool... cela devenait beaucoup pour un seul homme. Même si son maître était son Dieu, il restait humain - donc faillible.
Cristobal rouvrit les yeux et vit son maître. Bry avait vieilli d'un quart de siècle. Le visage était émacié et sale; une de ses jambes étaient bandée et misérable. Ses mains tremblaient, ses épaules hoquetaient. Contre le mur du fond, il donnait l'impression d'être un fou. Fanatique, et fanatisé. Mais au moins, ses yeux semblaient lucides. Tout du moins, ce fut ce que l'ascète voulait croire en voyant son maître, de loin. Il s'approcha donc des grilles, et sourit tristement à son maître. Ce dernier, qui le regardait depuis quelques secondes, réalisa enfin qu'il avait devant lui son maître d'armes, et il se leva alors. Avec hésitation; ses jambes ne le portaient pas bien, et une grimace de douleur prit place sur le visage de Bry. Il s'approcha en titubant de la grille, puis s'effondra devant, se rattrapant au dernier moment aux grilles. Cristobal saisit ses mains, espérant alors être thaumaturge. Il regarda son maître, dont les yeux étaient vides, d'espoir et de raison. Et alors, d'une voix qui se voulait rassurante, il lui demanda:
Seigneur.... comment, comment allez-vous?
Bry rit alors doucement, fou qu'il était devenu - ou presque. Le harcèlement du froid et de la douleur conjugué au manque d'alcool avaient rendu son esprit caduc. Il releva toutefois les yeux et sourit à l'Ibère.
Et bien.... Cristobal. Tu as une mine épouvantable!
Cristobal sourit alors à son tour, puis enleva sa cape, qu'il fit glisser entre les grilles. De même, il montra à son maître la bouteille de bière qui se trouvait dans le tissu.
C'est pour vous mon maître; ne vous inquiétez pas, nous allons tout bien organiser.
Mais oui.... c'est cela....
Oui mon maître! Je vais trouver qui est l'instigateur de ce complot.... vous survivrez. Je vous sortirai de cela!
Les regards des deux hommes se croisèrent. Bry secoua timidement la tête, et Cristobal comprit alors que d'autre coupable que Bry, il n'était pas. Il fronça alors les sourcils, et lui murmura qu'il le sortirait quand même de cela. Bry sourit, voyant en son maître d'armes un naïf idéaliste. Mais Cristobal était aussi un pragmatique qui savait que faire pour protéger son maître. Diverses idées germaient déjà dans son esprit. Il voyait des révoltes, une prise de Castel, une diversion pour le faire s'échapper puis retourner en Artois avec son maître qui avait l'air d'y avoir laissé toute sa vie et son espérance en l'avenir. Cristobal saurait bien trouver les solutions pour délivrer son maître, il n'en doutait pas une seule seconde. Aussi, mettant tout son courage dans ses mots, il serra fort les mains de Bry et conclut, n'acceptant pas le doute:
Faites moi confiance.
Bry fut séduit par ce qu'il entendit. Il avait mis la cape sur ses épaules, et la bouteille de bière, il la tenait bien en main, sentant au fond de lui qu'elle lui rendrait lucidité et calme. Son maître d'armes avait anticipé ses maux, peut-être parviendrait-il à l'aider? De toute façon, il avait bien trop mal pour réfléchir plus clairement à ce qui lui arrivait. Il lâcha donc les mains de Cristobal pour retourner à son mur, toujours chancelant. Bry se retourna finalement pour regarder l'Ibère, qui le fixait toujours. Il lui sourit et, haussant les épaules, lui fit comprendre qu'après tout, cela lui était bien égal désormais. Cristobal tiqua à ce message de son maître. Il fronça à nouveau les sourcils, puis se reprit, et sourit. Il se voulait apaisant, et non pas réprobateur. Alors, il recula d'un pas d'abord, puis de trois pas et laissa la tension retomber. Il réfléchit un instant; payer le geôlier? Pourquoi pas... mais il aurait besoin d'une diversion. Voilà à quoi il devait réfléchir. Et puis, contacter... oui, cela pouvait être une bonne idée.
Cristobal fit alors un petit signe de remerciement au geôler qui appréciait le poids de la bourse, puis prit rapidement le chemin de la sortie. Il devait agir vite.
Dans la geôle, la bière apaisa les tourments du félon.