Aimbaud
Paris. Décembre 1459.
Le givre donnait une couleur de mort aux pierres de l'hotel de Josselinière et contre les carreaux glacés de buée frappaient ces petits picots de grêle qui vous font mal en plus de vous donner des frissons. Toute la capitale subissait l'assaut de la neige, et tombait dans la torpeur des nuits d'hiver interminables. Volets clos, torches mouchées...
Tout Paris, sauf un petit hôtel d'irréductibles fêtards, qui résistait encore à l'endormissement !
Les fenêtres illuminées de mille feux, et les murs résonnant au son des cordes, des chants et des rires, et les cheminées vomissantes de fumée aux senteurs de gibier et de graillon. Les festivités battaient leur plein dans la grand salle. Les nappes étaient déjà grasses et tachées. Les écuelles se vidaient avec moins d'ardeur, mais plus de gourmandise. Les pieds frappaient le sol au rythme de la danse, alourdis par l'ivresse et la bonne chair. L'on parlait à tue-tete, l'on se querellait dans des débats enflammés, l'on riait à gorge déployée, l'on applaudissait quand un troubadour marchait sur les mains ou éteignait une torche avec sa langue. Quelques chiens caressaient le sol de leur truffe en quête d'os. C'était un grand tumulte, fastueux, des embrassades et des plaisanteries, des souvenirs relatés... et tous les convives en venaient à graviter autour du couple qui trônait en place d'honneur. Ils serraient l'épaule du garçon, ils baisaient la main de la fille. Ils levaient le verre en leur direction, ils tendaient vers eux leurs bras et leurs louanges. Car l'on célébrait leur mariage.
Les épousailles avaient eu lieu le matin même, et désormais Clémence de l'Épine et Aimbaud de Josselinière étaient unis à jamais aux yeux de Dieu. Un mariage très prometteur convenu par leurs familles respectives, duquel devait découler une longue descendance et la sauvegarde d'un opulent héritage. Nous ne relaterons pas ici les détails de ce banquet, mais nous nous pencherons sur un épisode très bref qui eut lieu dirons-nous entre la poire et le fromage... (Quoi que c'était plutôt entre la tourte aux pois de saison et la fricassée de cailles en sauce.) ... et qui pourrait passer pour dérisoire, si vous n'étiez pas passionné par les intérêts d'Aimbaud. Cet épisode, le voici.
Un serviteur du nom de Sulpice se tenait près des époux, avec une cruche dorée entre les mains, ciselée aux dessins d'une chasse au sanglier (symbole fort dans la famille Josselinière). Il était là, tranquille pépère, tapotant de la poulaine au son du tambour et osbervant les tours et les pirouettes des artistes pitres. Soudain deux doigts levés interrompirent sa passivité : il se pencha rapidement près du jeune marié pour emplir sa coupe d'une belle lampée de vin. Il allait ensuite s'en retourner à sa fonction de bibelot insignifiant, quand un autre geste l'arrêta. Discret, presque rien. Et puis un murmure, ainsi qu'un coup d'oeil dirigé vers une extrémité de la table...
Wahou ! Me direz-vous. Une messe basse à un serviteur en court de repas, quel événement épatant, vous en êtes tout retourné et vous n'en dormirez sûrement pas ce soir ! Non mais plus sérieusement, voici la suite. Sulpice se dirigea à pas lents le long de la tablée, évitant au possible d'écraser la queue d'un de ces abominables chiens d'apparat bouffeurs de restes (les restes, il en aurait bien fait son quatre-heure, lui !), et il s'en vint, comme n'importe quel serviteur lambda, servir en vin une invitée. Quelques mots furent répétés du bout des lèvres, couverts par le glouglou du vin.
Le maître des lieux vous fait dire qu'en tant que damoiselle d'honneur de sa Magnificence, il faut apposer votre sceau au bas d'un document avant la fin des festivités. Si vous voulez bien vous donner la peine de vous rendre au jardin.
Puis le bon Sulpice s'en retourna comme il était venu, pimpant mais anonyme dans sa livrée de larbin, décorer la partie de la salle à laquelle il était assignée... Parmi tous les autres, décortiquant des fruits et des carcasses, captivés par les danses, plongés dans leur vin, pas un n'avait prêté attention à l'échange.
*Venez avec moi, venez au sentier...
Au sentier près du bois.
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