Afficher le menu
Information and comments (8)
<<   1, 2   >   >>

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Venés apres moi

Aimbaud


Paris. Décembre 1459.
Le givre donnait une couleur de mort aux pierres de l'hotel de Josselinière et contre les carreaux glacés de buée frappaient ces petits picots de grêle qui vous font mal en plus de vous donner des frissons. Toute la capitale subissait l'assaut de la neige, et tombait dans la torpeur des nuits d'hiver interminables. Volets clos, torches mouchées...
Tout Paris, sauf un petit hôtel d'irréductibles fêtards, qui résistait encore à l'endormissement !

Les fenêtres illuminées de mille feux, et les murs résonnant au son des cordes, des chants et des rires, et les cheminées vomissantes de fumée aux senteurs de gibier et de graillon. Les festivités battaient leur plein dans la grand salle. Les nappes étaient déjà grasses et tachées. Les écuelles se vidaient avec moins d'ardeur, mais plus de gourmandise. Les pieds frappaient le sol au rythme de la danse, alourdis par l'ivresse et la bonne chair. L'on parlait à tue-tete, l'on se querellait dans des débats enflammés, l'on riait à gorge déployée, l'on applaudissait quand un troubadour marchait sur les mains ou éteignait une torche avec sa langue. Quelques chiens caressaient le sol de leur truffe en quête d'os. C'était un grand tumulte, fastueux, des embrassades et des plaisanteries, des souvenirs relatés... et tous les convives en venaient à graviter autour du couple qui trônait en place d'honneur. Ils serraient l'épaule du garçon, ils baisaient la main de la fille. Ils levaient le verre en leur direction, ils tendaient vers eux leurs bras et leurs louanges. Car l'on célébrait leur mariage.

Les épousailles avaient eu lieu le matin même, et désormais Clémence de l'Épine et Aimbaud de Josselinière étaient unis à jamais aux yeux de Dieu. Un mariage très prometteur convenu par leurs familles respectives, duquel devait découler une longue descendance et la sauvegarde d'un opulent héritage. Nous ne relaterons pas ici les détails de ce banquet, mais nous nous pencherons sur un épisode très bref qui eut lieu dirons-nous entre la poire et le fromage... (Quoi que c'était plutôt entre la tourte aux pois de saison et la fricassée de cailles en sauce.) ... et qui pourrait passer pour dérisoire, si vous n'étiez pas passionné par les intérêts d'Aimbaud. Cet épisode, le voici.

Un serviteur du nom de Sulpice se tenait près des époux, avec une cruche dorée entre les mains, ciselée aux dessins d'une chasse au sanglier (symbole fort dans la famille Josselinière). Il était là, tranquille pépère, tapotant de la poulaine au son du tambour et osbervant les tours et les pirouettes des artistes pitres. Soudain deux doigts levés interrompirent sa passivité : il se pencha rapidement près du jeune marié pour emplir sa coupe d'une belle lampée de vin. Il allait ensuite s'en retourner à sa fonction de bibelot insignifiant, quand un autre geste l'arrêta. Discret, presque rien. Et puis un murmure, ainsi qu'un coup d'oeil dirigé vers une extrémité de la table...

Wahou ! Me direz-vous. Une messe basse à un serviteur en court de repas, quel événement épatant, vous en êtes tout retourné et vous n'en dormirez sûrement pas ce soir ! Non mais plus sérieusement, voici la suite. Sulpice se dirigea à pas lents le long de la tablée, évitant au possible d'écraser la queue d'un de ces abominables chiens d'apparat bouffeurs de restes (les restes, il en aurait bien fait son quatre-heure, lui !), et il s'en vint, comme n'importe quel serviteur lambda, servir en vin une invitée. Quelques mots furent répétés du bout des lèvres, couverts par le glouglou du vin.


Le maître des lieux vous fait dire qu'en tant que damoiselle d'honneur de sa Magnificence, il faut apposer votre sceau au bas d'un document avant la fin des festivités. Si vous voulez bien vous donner la peine de vous rendre au jardin.

Puis le bon Sulpice s'en retourna comme il était venu, pimpant mais anonyme dans sa livrée de larbin, décorer la partie de la salle à laquelle il était assignée... Parmi tous les autres, décortiquant des fruits et des carcasses, captivés par les danses, plongés dans leur vin, pas un n'avait prêté attention à l'échange.


*Venez avec moi, venez au sentier...
Au sentier près du bois.

_________________
Blanche_
Hélés de toutes parts, les valets s'agitaient en tous sens ; cette effervescence déplaisait à la première demoiselle d'honneur qui goûtait, près de son époux, à des discussions plutôt lentes et en évidente opposition avec les rires et les cris tout autour. D'ailleurs, que l'on vienne à sa rencontre pour un oui ou un non, pour un peu de sauce ou de pain, un nouveau verre de vin, chaque mot glissé à l'oreille la coupait forcément au milieu d'une phrase échangée avec Astaroth, et c'était exaspérant, à la longue, de ne rien pouvoir dire en entier à cause de la rythmicité avec laquelle les autres menaient la danse.
Elle était justement prête à aborder un point d'importance avec lui, chose qu'elle aurait préféré faire en privé, mais à laquelle elle était désormais obligée. Les circonstances...

Astaroth, mon ami, pourrio... Oui c'est en effet la Princesse Armoria mais... Non je ne crois pas. Revenons en à... Si fait, il me semble, tel que vous dites... Il... Il semblerait. Mais je... Comment, et sa voisine ? Ma foy, ce ne peut être... Vous croyez ? Bien, fort bien... Tenez, revenons en à... Bien. Plus tard ? Bien.

Comprenons nous. Il y a un temps pour tout : les affaires d'un couple, et les discussions banales d'un mariage. L'instant présent se prêtait plus à de jolis commentaires sur les personnes présentes, l'intensité du sermon, la beauté des robes... On pouvait même critiquer la nourriture, si la plaisanterie s'y invitait. Mais aborder des problèmes plus personnels à l'oreille de son époux ?
Ni le lieu.
Ni l'instant.

Alors qu'il clôtura cette discussion par un sourire fort à propos, et tourna le chef vers son autre voisin, abandonnant sa femme à une contemplation sans écho de son verre presque vide.
C'est alors qu'on se pencha vers elle.


Je n'ai pas besoin de plus répondit elle immédiatement, comme en parade, en fermant son verre d'une paume de main.
Être saoule était bien la dernière chose à faire en de telles circonstances.


Clémence comprendra qu'il me faut attendre, répondit la bretonne en pinçant les lèvres d'un air désabusé.
Entre ses doigts fins, les phalanges fortes et grossières d'Astaroth, aux poils drus et bruns, labouraient sa paume et le dos de sa peau de caresses maladroites. Comme une entrave habituelle, adonnée avec peu d'attention.
Les mots lui revinrent en mémoire... Le maître, avait il dit... Un masculin ainsi employé ne pouvait être dû au hasard, c'était un détail d'importance... Et forcément dû à quelqu'un.
Qui ? Lui ?! Cela ne se pouvait.

Assaillie par le doute, elle plongea les yeux vers ses mains recroquevillées, et leur étau marital ; et puis, rongée, habitée par une folie soudaine inexpliquée, elle murmura quelques mots à l'oreille de son époux, laissa même une main douce glisser sur son cou, et recula sa chaise pour s'éloigner de table.

Honteuse, étonnée, vive et déterminée, avec à la chair de son pouce, l'empreinte brûlante de la nuque de Gondomar qui n'en voulait déloger.

_________________
Aimbaud
Un souffle un peu haletant suivait les pas du Josselinière à mesure qu'il longeait les murs d'une allée en direction du jardin. Il n'avait pas courut, bien au contraire il avançait le plus doucement possible depuis les corridors de la grand salle, ses chausses d'abord étouffées par les tapis de crin, puis raclant discrètement les dalles extérieures, sous les arcades ficelées de lierre mourant. Il gardait la bouche légèrement bée, et une main pressée sur son poitrail dans le turban de sa cape ramassée contre lui. Anxieux, c'est le moins qu'on puisse dire.

Un léger toussotement à table avait indiqué à sa (toute récente) femme qu'il devait se rendre à un lieu privé pour y faire quelque chose de privé. Jusque-là il n'avait pas mentit, quoi que toute personne sensée en aurait déduit qu'il s'agissait d'une affaire de latrines... Hors donc il s'était éclipsé à pas de loup, laissant s'estomper derrière les battants d'une porte les clameurs de la fête, et ses lumières. Il alla, l'oeil plissé, rejoindre le petit carré cerclé de colonnes et de bancs qui avoisinait la chapelle privée de la maison. Modeste lieu de paix, centré sur un puit et tracé d'allées d'aromates rendues bruns et rachitiques en la saison. Cependant la neige gommait la silhouette des arbrisseaux décharnés, et donnait au clos la couleur pure des blanc-mangers.

L'air froid saisit Aimbaud à la gorge. Ses joues rougies par le vin et la bonne pitance pâlirent immédiatement. Il ramassa mieux contre lui les pans de sa cape de velours, nouant le vêtement dans ses bras croisés. Enfin, posté dans l'ombre d'une colonne aux astragales sculptées en feuilles de vigne, il observa les lieux. La courette aux parterres enneigés était plutôt sombre, excepté dans les cercles orangés des lucarnes clouées à chaque porte. La lumière échappée des balcons ajoutaient aussi un peu de jour à la soirée. La lune enfin n'était pas trop couverte... Il ne fut donc pas difficile au jeune marié de discerner son invitée, menée au dehors par un laquais de la maison qu'elle avait du prendre pour guide. Il la vit, et il suffoqua encore d'en avoir le souffle coupé. Glacé, nerveux, il inspira l'air coupant, comme on avale des litrons d'eau après une course effrénée. Et le regard fixé sur celle qu'il devinait, il ne put que rester là à attendre... Attendre, le corps parfois agité par une étincelle d'énergie qui lui donnait envie de faire un pas en avant. Aussitôt éteinte, noyée sous un flot d'appréhension qui le clouait sur place. Ah le couard ! Le traître. L'infâme... Il craignait son impudence, et cette folie furieuse, de courir vers celle qui allait encore une fois le jeter comme un malpropre...! Il était pétrifié d'inquiétude, qu'elle se raille de lui, que des mots soient posés sur la douleur qu'elle lui avait causée. Mais enfin... Il fallait qu'il voie son visage, qu'il entende un peu sa voix. Il fallait surtout qu'il se calme.
Calme.
La tête basse, il expira.

Une dizaine de pas eurent raison de l'espace qui les séparaient. Leurs ombres tout de même, restèrent à quelques colonnes de distance, allongées et presque fondues dans la pénombre. Il avait avancé calmement pour ne pas la surprendre, mais il s'aperçut que le voir sortir silencieusement de nulle part avait du paraître encore plus inquiétant. Qu'importe ! Ça n'était sans doute que la première gaffe d'une longue série, lors de cet entretien.


Bonsoir.

Ah... Belle entrée en matière. À peine le mot prononcé — et rudement avec ça, bonjour l'amabilité — il n'eut plus que l'envie de se cacher la tête dans les mains. Toutefois il n'en fit rien, restant très stoïque et le visage fermé pour se donner quelque contenance. Façade... Intérieurement il avait le sentiment de s'émietter en petits confettis sentimentaux qui allaient bientôt lui faire trembler genoux et cordes vocales.
_________________
Blanche_
Au jardin... On traverse les couloirs, avec la peur de se faire remarquer, et on marche si vite qu'on manque de trébucher aux marches, qu'on glisse sur le rebord d'un tapis, qu'on craint jusqu'au reflet des miroirs et aux ombres renvoyées par les bougies... Que fait le Jardin de l’Hôtel, si tard le soir ? Est-ce que, comme partout dans Paris, dans la ville qui ne dort pas, tout fourmille d'animation et de vie, de lamentables effluves qui trainent leur carcasse et l'empêtreront dans son mensonge ?
Car elle n'a pas dit, elle, elle n'a pas dit qu'elle partait régler une affaire, se maquiller, respirer l'air du jardin, elle a menti pire que cela, elle n'a rien dit sur son départ... C'est un poker, un bluff, Blanche a usé de son visage du jeu pour mentir aussi effrontément qu'Il ne remarquera rien.
Souffre t'elle ? Atrocement.
Pas une seconde elle ne pense à Astaroth. Pas une seconde elle n'a en tête l'image de la Castille, de son Pays, son État, son Royaume, ou de Cyliam à qui elle a arraché sans le vouloir l'affection du castillan. Même le pas vers lui, et la caresse abandonnée contre sa nuque ne lui est pas restée en mémoire.
L'important, se dit-elle, c'est d'arriver au jardin, puisqu'il le veut.

Au jardin ?! Signer un document au jardin ??! Elle n'y avait pas vraiment songé avant d'être dehors, de passer la dernière porte, le dernier porche, et de sentir sur sa peau le vent de Paris marteler plein de petits coups en lame de verre. Il faisait froid, elle grelottait, et c'était une idée purement débile de l'avoir fait venir au jardin pour signer un parchemin. Ah, c'était bien une idée d'Aimbaud !
Elle ralentit de façon imperceptible en arrivant au niveau du puit, mais se retint d'y jeter un œil. Le vertige, elle l'avait toujours eu, ce soir l'appréhension l'aurait décuplé. Et qui sait ? Elle aurait pu finir les deux jambes en l'air, emprisonnée par l'eau, et sa robe de velours clair ! Quelle fin horrible.

Elle y pensa une seconde, et ferma les yeux, comme pour autoriser le Seigneur à laver une pensée impure. Le suicide, et son entrée au désert lunaire, c'était bien une idée que l'hiver lui apportait, ainsi qu'il glaçait sa cervelle, et en faisait ressortir de mauvaises choses... Elle serra les yeux qu'elle avait déjà clos, comme pour se défaire d'une certaine image.
Mais en les rouvrant c'est une chose bien pire, qu'elle vit.
L'opalescence ombragée de la neige derrière Aimbaud le rendait plus majestueux encore ; il avait grandi, ou grossi, ou était devenu complètement un homme, mais quelque chose en tous cas avait bien changé entre l'entrée dans la cathédrale et cet instant-ci. Elle en eut le souffle coupé, se sentait misérable, indigne de son amour. Eut-il été un Roy qu'elle n'en aurait été pas moins meurtrie de son infériorité. Était-elle presque Reyne, qu'elle ne s'en serait pas moins agenouillée devant lui. Mais elle n'était ni l'un, ni l'autre, elle n'était qu'Elle éperdue de lui.

Elle accéléra donc, et si on n'avait pas vu la baisse de cadence, le fait qu'elle coure presque désormais ne passait pas inaperçu. Elle avait vu Aimbaud, peut être était-ce pour cela qu'elle volait plus qu'elle ne marchait gentiment vers sa silhouette, peut être pour le retrouver, ou pour se rapprocher du moment où ils se sépareraient...
Ce n'était après tout qu'une question de signature.


Il est où ce papier à signer, là ? J'commence à en avoir plus qu'assez de tout ce cérémonial...

Elle ne dit pas bonsoir.
Elle ne le regarde pas.
Elle croise les bras et jure de ne pas les ouvrir, de peur de les lui tendre.
Et elle ne respire pas non plus, car l'air frais, à l’orée du jardin, lui renvoyait déjà, purifié, le parfum d'Aimbaud, ce qui lui gelait les narines et lui navrait les sangs. Autoriser le moindre de ses sens à prendre part à cette conversation revenait au suicide ; et que dirait Astaroth si Blanche s'abandonnait aussi facilement ? Il dirait qu'elle mérite de finir au fond d'un puit.
Peut être même que c'est lui qui l'y pousserait.

_________________
Aimbaud
Le papier...

Il hésita, le menton tremblotant de froid. Et pressant les contours de son habit comme pour y trouver des poches, une quelconque doublure où serait plié ce parchemin inexistant, il chercha vainement. Il voulait bien lui obéir à l'encontre de la logique... Mais c'était complètement idiot. Il s'en rendit compte en arrêtant peu à peu ses mains près de ses boutonnières. Un vent assassin fit claquer lentement leurs vêtements et frémir les buissons morts tandis qu'ils échangeaient un regard sot et un silence assez prolongé.

Il sembla à Aimbaud que dans le courant d'air parsemé de grêle, la bretonne allait mourir de froid, et qu'il fallait, qu'il devait se précipiter vers elle pour enlacer cette taille et ces épaules menues, enfoncer son visage dans la niche de son cou et mordre ses nattes blondes en les labourant vilement pour les libérer des épingles, la réchauffer toute entière afin d'empêcher son inévitable congélation, faire acte de chevalerie en lui pressant la peau à pleines paumes, la couvrir un peu de sa chaleur quoi ! C'est vrai qu'elle avait l'air très refroidie, tant pâle, si bellement blanche jusqu'aux encoignures de son col de sainte soie bien en chair... Il en avait tant rêvé que de la trouver là, et d'avoir ses yeux profonds dans les siens, et quelque chose à devoir lui répondre, et trop peu de temps, et trop d'envies inavouables, il en était tout baba.
Son geste de chevalerie exceptionnelle n'eut pas lieu. Il retomba les mains. Les mots se firent entendre à voix basse, les timbres adoucit par l'opacité de la neige.


Pardon d'avoir menti. J'entendais seulement vous parler seul à seul. Voulez-vous...

AAAAAAH. Trève de banalités ! De temps perdu ! De problèmes ! PARLE. PAAARLE VITE. Ça s'entre-choque et ça se surgèle dans sa tête. Il esquisse le geste de lever le poing à son front. Il s'agite. Il va lâcher un juron. Rien ne se passe, la main se rouvre dans un geste agacé. Ça n'a duré qu'une seconde.

Voulez-vous bien aussi me pardonner d'avoir été discourtois dans ma lettre ? Il est fort bien que vous soyez venue en définitive, je n'avais pas lieu de m'y opposer.

Distant. Détaché. Voilà... Classe, chevaleresque. Très bien, très bien... Indifférent. Retenu. Frustré. Hargneux... Laminééé ! DÉTRUIT. Chut...
_________________
Blanche_
Oppressante succession de règles, de protocole, d'étiquette, qui l'avait d'abord menée à Paris, puis en Notre Dame, puis ici, est-ce que jamais cela n'allait s'arrêter entièrement ? Il fallait pour son malheur qu'Aimbaud ait des remords à s'être montré impoli sur le papier, il fallait qu'il pousse le vice jusqu'à lui demander pardon, à Elle !
Les bras lui en tombèrent.


Oui, d'accord, dit elle très calmement. Sa voix, quoique très froide, lui sembla un instant tellement aiguë, qu'elle allait la trahir.
Mais le vent avait sans doute aidé à rendre les choses moins franches : elle parut lointaine, s'en sentit plus forte... Prête à faillir, le moindre souffle de résistance était pur prodige.

Un souffle dru dans l'air froid déversa vapeur chaude contre ses lèvres. Rosie, elle devint muette. La félicité qu'elle ressentait en profitant de sa présence l’empêtrait plus au fond de sa faiblesse ; tout ce qu'il avait fait lui revenait en pleine figure alors qu'il se trouvait à une distance de bras, de claque. Aurait-elle pu bouger la main qu'elle lui aurait tapé cinq doigts contre la mâchoires.
Le pardonner ? Elle ne savait pas, n'aurait pas même essayé. L'illusion renvoyée par sa bouche n'était due qu'à l'habitude de lui répondre oui, comme cela avait été depuis des mois ; le reste, le corps, écarté par le pacte devant Dieu, s'était désaccoutumé des caresses et de sa chaleur, et acceptait de rester à une distance respectable.


Puisque cela est dit...

Et elle rebroussa chemin, tiraillée en son intérieur, blessée jusque dans sa chair, et l'âme à vif, mais contente, oui contente, que pour une fois ses mots suivent la raison et fassent demi tour.
Un couple de pas, qui lui arrachaient chacun une terreur silencieuse, et surtout, surtout, creusaient chacun un précipice entre ce qui avait été eux, et qui était lui, et elle désormais. Oh les temps lointains, la saison oubliée, des mois, des mois seulement avaient suffi pour mettre à mort un Bellérophon. Elle se sentait comme égorgée et elle pressa le pas, bondissant, la main à la gorge, les souliers emplis d'une eau froide, les yeux d'une eau chaude.
C'était moche d'aimer.

_________________
Aimbaud
Elle allait s'en retourner et lui, comme ficelé à elle par un noeud invisible, se vit forcé d'avancer dans son sens. Trois pas de tango dans la neige...

N'avait-elle donc que du mépris pour lui, à lui tourner ainsi le dos et à briser si vite l'entretien ? Il enrageait de la voir ainsi se précipitér vers son mari, telle une chatte amoureuse. Voyez-la dont, animal docile et cintrée dans ses brocards plus précieux qu'antan, disciplinée jusque dans ses plis, emprisonnée dans ses étaux de perles qui osaient jusqu'à lui percer les oreilles ! Il aurait tout arraché et brisé sous des coups de pieds. Car cet or puait le cadeau de mariage... Chaque bijou avait été échangé contre des baisers répugnants ! Chaque jupon de soie, contre des promesses de nuits partagées ! Où était la Blanche sauvage qui cavalait sur les dunes de Donges, cheveux au vent ? Elle ne les retenait alors que par des nattes de ruban pauvre que lui, prenait plaisir à défaire pour entendre ses sermons... Il l'aimait libre car libre, elle s'était donnée à lui. Et qu'en ce temps, elle ne portrait pas les parures d'un autre...

Il l'avait vu, cet homme. Ce grand échalas presque maure, qui avait l'âge d'être son père...! Borgne. Et infoutu d'être français. C'est la barbe qu'il haïssait le plus, pour la classe indéniable qu'elle conférait à l'espagnol. Car il fallait bien reconnaître qu'il avait de la prestance, ce saligaud bouffeur de tapas... De l'allure et un rang. Et une fortune. Et c'était infect... En somme, le relevé parcheminé des individus qui provoquaient des aigreurs à Aimbaud venait de gagner une tête de liste. Et ça n'avait rien à voir avec le fait qu'il était l'époux de Blanche. Il n'était pas un gamin quand même... Ce type lui était juste antipathique de nature. C'était des choses que l'on expliquait point. Et il n'avait nullement besoin de se justifier. Il voulait lui briser les genoux et lui fendre le crâne. Là.

Fulminant et blessé à la fois, il marcha donc dans les traces des souliers bretons en tendant vers elle des mains frénétiques. Il aurait pu, pour la retenir, s'emparer de n'importe quoi, un poignet, une épaule, un morceau de soierie, mais il sembla que la belle se trouvait sous une sorte de cloche de verre qui le retenait d'aller plus loin : le bouclier mariage. Efficace contre tout geste déplacé.
Quelques crissements de neige et des souffles pleins de buée. Tremblotements de froid et d'émoi. Les tissus riches, traîne de robe et cape bleu-roy, se chargeaient d'eau par le bas, ils s'emmêlaient en plis maladroits. Un chuchotement énervé retentit entre des dents serrées.


Mais par tous les saints... ! Qu'a-t'il de mieux que moi, que vous soyez tant pressée d'aller le retrouver ?! Faut-il s'ôter un oeil pour mériter votre affection ?

Ils étaient maintenant sous une arcade. La flamme frileuse d'une lanterne éclairait la grimace désespérée du garçon et rehaussait l'or des fins cheveux sur la nuque de Blanche. Qu'il eut été simple de l'y embrasser...
_________________
Blanche_
Blême.
La pluie se mit brusquement à tomber, et pour y échapper ainsi qu'à ses bras, elle fit un pas en arrière, à l’abri. Elle n'avait pas pensé qu'il en fut capable, et voila qu'elle entendait maintenant, qu'elle comprenait la frontière qu'il avait franchie, le pourquoi de cette signature prétextée... Son "affection"... Quel rustre, quel porc ! N'eût il utilisé un ton si méprisable pour la qualifier, qu'elle n'aurait pas compris : mais il avait été assez clair via son verbe pour que l'humiliation soit immédiate.
Ainsi c'était son "affection" qu'il venait quérir au jardin. Quoi, là, un baiser sous les fleurs nimbées d'eau, l'allonger sur la pierre ou contre un mur et salir son velours de mariage pour un calicot adultère ? La cervelle à l'envers par le sermon, ou le vin, l'héritier Josselinière, désormais Marquis de Nemours semblait vouloir goûter au plaisir de la chair.
Il reçu celle de ses cinq doigts contre sa joue.


Comment, qu'a t'il ? Me reprocheriez-vous d'avoir trouvé un époux ? Pas vous, n'espérez pas une seconde que cela puisse m'atteindre. Pas après tout ce que vous m'avez fait... Elle recula encore, et puis un pas vers l'avant, comme pour le blesser encore, en fait son corps partagé entre deux envies aussi fortes l'une que l'autre était plus qu'indécis ; il autorisait l'une, puis l'autre, l'affection pour l'obéissance, et produisait ce sempiternel vas et viens dans la neige, qui gonflait la flaque et rosissait les joues. C'est du délire. Je suis en train de rêver. Vous, me disant cela, c'est un cauchemar, mon Dieu...! Les murmures passaient à peine sa gorge ; mais elle adoptait ma foi une figure si pathétique qu'il était facile de raccorder à des voyelles spécifiques un mot correspondant ; c'est ainsi d'ailleurs, qu'elle plaça impoliment, entre elle et lui, une main catégorique lorsque le "Dieu" fut nommé. Barrière infranchissable que ces phalanges dardées vers le ciel gris pour en trouver une force quelconque ; frontière chaude entre l'air glacé, quoi de plus attirant, pour une autre chape tiède, qu'un symétrique reflet à la même fièvre ?

De sa bouche brûlante, un berceau de vapeur. Haleté, le nuage clair s'éparpillait en nappes tièdes autour d'elle, saccadées, comme des points de suspensions dans leur conversation.
Elle voulait sauver la face, espéra trouvée une issue paresseuse.

Le vin vous rend fol, vous avez les idées mal agencées. Vous m'invitez au froid d'un jardinet pour me jalouser mon époux ?

Elle baissa les yeux jusqu'au sol, sentit que ses souliers, désormais trempés, laisseraient une flaque à chacun de ses pas. Difficile à justifier... Une lubie, peut être, l'envie de se trouver là, sous un porche, bercée par un souvenir que son visage lui renverrait... C'était plausible.
En retrouvant les contours du faciès d'Aimbaud, elle se dit que la chose était même très aisée. Ah, ces traits, ces marques, dédales en relief sur sa peau, ils n'avaient pas changé d'un pouce. Réaffirmés peut être, par une voix plus oppressante.
La sienne en écho se montra soudainement plus agressive.


Peu importe. Tout est de votre faute de toute façon.
Crevez de jalousie devant Gondomar, ça n'y changera rien, je suis bien heureuse, moi, qu'il y ait quelqu'un pour réparer vos erreurs !

_________________
Aimbaud
Que venait chercher Aimbaud au jardin ? Le savait-il seulement... Oh des idées il en avait, comme tout bon marié qui s'éclipse en cachette avec la damoiselle d'honneur. Vous comprendrez qu'il voulait discuter, c'est évident. Si peu d'autres alternatives avaient traversé son esprit, flèches rapides et enivrantes, noyées par la précipitation du rendez-vous et l'impatience ! Il n'avait voulu penser à rien, si ce n'était Blanche en elle-même. Blanche du bout des pieds jusqu'à la pointe des cheveux. Le son de sa voix, la saveur des essences qu'elle plaçait en goutte derrière ses oreilles et dans l'alcôve de sa poitrine. Mais pour discuter, quoi ! Juste un instant de solitude avec elle, loin des hypocrisies mondaines, pour l'avoir seule à lui... Tel joyau qu'on subtilise, le temps de le contempler il est déjà trop tard, on va vous le reprendre, l'éloigner de vos mains et vous coller une gifle.

La claque élancée manqua de le déséquilibrer. Il se redressa aussitôt sous les grains de pluie léger qui lui tombaient sur la tête, peiné mais surtout effaré. L'humiliation d'être atteint au visage n'était que peu de choses, quant à la douleur réchauffante du coup en lui-même, il en avait connu de plus dures... Mais, sans qu'il comprenne vraiment pourquoi, l'injustice du châtiment le retourna complètement. Cela le désarçonna, lui serra la gorge vilement, et il ne voulut plus que s'écraser en terre et demander grâce. Oui tout compte fait, il se sentait parfaitement misérable de porter rancune à ce Gondomar, et si c'était vers lui que Blanche avait porté son choix, qui prétendait-il être pour s'y opposer ? Il aurait voulu prononcer tout cela, mais ses lèvres étaient scellées par un tourment qu'il peinait à ravaler. Il luttait aussi contre une pleurnicherie, une honte, qu'il sentait poindre lentement jusqu'à ses yeux avec son fardeau de chaleur, et qui rendait son regard fuyant. À croire que ses larmes étaient aussi réticentes à couler que la sève. Avec un peu de chance, cela passerait pour de la pluie.

Il articula, la tête basse, mourant pourtant d'envie de l'abriter dans cette main qui avait sur lui toute autorité.


Ma faute ..! Je n'y entends rien ! Fallait-il que je ne sois jamais venu en Bretagne ? Que je ne sois pas français, peut-être !... Que je vous aime plus ?... Non ça ! Ce n'est pas possible, entendez-vous ?

Il se fendait de gestes absurdes en parlant, comme exaspéré et fou. Ses mains allèrent jusqu'à la désigner avant de revenir vers lui pour cacher un visage qu'il sentait brûlant, ridicule, tandis qu'il reculait peu à peu sous les flocons de pluie, battant en retraite pour se mettre hors de portée d'une accusation qui dépassait sa logique. Sa voix aussi lui semblait se briser. Ses pieds butèrent contre les bosquets racorni... Majorlaine et cerfeuil... Il aurait voulu faire éclater sa colère et crier sa douleur, se ruer contre les murs et le parterre. Au lieu de ça, il parla en braquant devant lui une main calme.

La faute n'est pas de mon coté !
_________________
Blanche_
Bouche ouverte, mais rien n'en sortait ; elle l'ouvrit, la referma, l'ouvrit encore, et au fur et à mesure que son désarroi augmentait, d'autant plus la fureur dans ses yeux. Une seconde claque ne s'imposa pas à elle, car la délectation ressentie pour la première n'était pas disparue. Sa main la brûlait encore délicieusement, tout comme son désir de lui faire mal.
Pas votre faute ? Arrêtez d'être aussi hypocrite, vous n'êtes qu'un couard. Vous vous cachez derrière votre mensonge, de la même façon que vous avez fui de Donges lorsque les choses sont devenues sérieuses.

Être méchante, blessante, ça n'était pas aussi plaisant que ce qu'elle avait imaginé. Bien sûr le frapper, sur le moment, avait assouvi un désir datant de plusieurs mois, mais son envie remplie, il ne restait plus que la conséquence, son visage si triste, si impressionnant, si communicatif dans sa douleur, avec le fardeau de sa culpabilité qui lui rongeait chaleureusement la paume. Qu'avait-elle fait ? Le heurter, le bousculer, le repousser, elle avait voulu lui rendre la pareille, mais oscillait entre la lui rendre physiquement, et verbalement. Au final, elle avait fait un peu des deux : une claque, et des mots. Lesquels étaient à double tranchant.
Vous ne comprenez pas qu'il n'est plus besoin de vous cacher avec moi. J'ai trop souffert par vos duperies pour que la vérité ne me soit plus douloureuse.

Ce disant, elle se frictionna les bras, grelottant brusquement. Le froid, peut être. Ou la bassesse de sa conclusion, qui n'était pas si fausse que cela. Elle réalisait ainsi qu'elle avait supporté bien plus que ce qu'elle n'aurait pu prédire, jusqu'à son mariage, même ! alors qu'auparavant, des mois plus tôt, lors d'un certain été, elle aurait juré en mourir de douleur.
Le chagrin n'était pas aussi meurtrier que cela. Lui avait-il ôté la vie ? Non pas. Le goût de, seulement.

_________________
Aimbaud
Je n'ai pas fui. Ne me jugez pas, car je me suis défendu hardiment dans l'affaire ! Pensez... pensez-vous que j'ai sciemment quitté vos terres ...?

L'incompréhension le forçait à des mimiques pataudes. Les insultes perçaient tout droit en son sein, décochées avec cruauté et intelligence. Couard, lui ? Que n'avait-elle été présente lorsqu'il s'était jeté de cheval pour tenter d'échapper aux hommes d'Armoria, à l'heure où il avait lutté seul contre deux pour ne pas se laisser enfermer... Ne savait-elle pas combien il l'avait chèrement payée, son escapade en Bretagne ? De coups reçus et de jeun dans les geôles de Ménessaire. Il avait été battu, mais pas couard...!
Là dessus, il ne savait même pas argumenter, tant la pudeur prenait le pas sur sa raison et lui passait le bâillon. Cette mésaventure passait sous silence quelqu'en soit l'auditeur... Même sa soeur, la jeune Yolanda, n'avait pu lui sous-tirer un mot sur le pourquoi du comment de ces ecchymoses qui lui avaient fait garder le lit à son retour en Bourgogne. Alors Blanche !... Pensez-vous dont.

Cette fois il pleurait pour de bon.


Je... n'ai jamais su vous mentir... Pourquoi ce fiel ? Pourquoi t'en être allée avec un autre...!

Il accusa l'air glacé alentour en y promenant des gestes impuissants. Le vin et la froidure appuyaient sur ses épaules comme un colosse et le forçaient à s'enfoncer en terre. Il n'était plus de façade entre lui et sa peine, et c'était dorénavant un soulagement chaleureux que de poser les genoux dans la neige, de se rougir les yeux à l'eau salée, les poings tremblants de colère. Il ne la regardait même plus, juste recroquevillé entre l'étau de ses épaules pour brailler la perte de l'objet de son caprice.

... Il eut suffit d'une réponse à mes lettres...!

Cependant dans la grand salle de l'hotel, on devait désormais avoir remarqué l'absence de l'époux, et trouvé longue sa revenue...
_________________
Blanche_
Couperet qui tombe et l'assomme de sa sentence.
Il n'a rien reçu de ses lettres.
Il ne sait rien du tout.
Il a épousé Clémence sans savoir.

Blafarde, l'évidente conclusion la traverse un instant, mais tout cela est trop machiavélique, trop mesquin pour que Blanche y accorde une considération réelle. Qui pourrait faire cela, hein ? Personne ne peut être aussi mauvais. Pas même le destin, ou le hasard, après que Dieu ait réuni deux âmes aussi pures, il faut quelque chose de très noir pour venir consciemment les éloigner l'une de l'autre, quelque chose qui accepte impunément de transgresser les règles et la destinée, quelque chose... qui n'a rien, à première vue, d'une femme de France aussi noble que l'est Armoria. Alors non, jamais Blanche ne songe que tout ce plan a pu être fomenté. Elle songe qu'Aimbaud ment, qu'il enjolive, ou que la guerre, qui est si noire, elle ! Que la guerre est coupable de leur malheur.


Je vous ai écrit une centaine de fois, Aimbaud. Une fois par jour depuis votre départ, sans aucune réponse de vous. Voudriez-vous me faire croire que vous n'avez rien reçu ? C'est impossible.

Le pourquoi de son mariage avec Astaroth ne fut pas relevé. Les choses, comme elle l'avait dit plus tôt, étaient devenues tellement sérieuses qu'il fallait qu'elle s'en occupe. Répondre oui à la première demande de mariage reçue, ma foi... C'était avant tout pour Lestan qu'elle l'avait fait.
Elle hésita un instant à lui dire, pour l'enfoncer dans son mensonge, mais le doute qui apparaissait brusquement, et qui l'autorisait à croire à un miracle dans son affection, ce doute-là ne lui permettait plus d'être aussi blessante. Elle l'avait aimé, l'aimait encore, et la possibilité, même insignifiante, qu'il fut étranger à son désespoir était suffisante pour le dispenser de tortures supplémentaires.


Si seulement une lettre m'était parvenue, une seule...! Il a fallu que ce soit votre haine qui me parvienne, votre colère, et l'annonce de votre mariage avec Clémence !
_________________
Aimbaud
Le tête nue sous les atomes gelés qui fondaient dans ses cheveux, Aimbaud était devenu statue. Le regard dans le vague, perdu quelque part aux pieds de Blanche... Ces petits pieds trempés couverts de fils d'or qu'il ne voyait même pas. Les épaules tombées, les mains vides, le visage fixe, froid, comme éteint... Il ne comprenait pas.
Ces lettres... Il avait placé en elles tant d'espérance, de suppliques, de découragement... Les mots avaient été tant pensés, si amoureux, lui avaient arrachés tellement de crises de colère, avaient tant exprimé son désir... Comment pouvait-on dire qu'ils n'avaient jamais existé...?

Et Blanche avait écrit. Cela non plus, ne semblait pas avoir existé... Muet, il éprouvait l'ampleur de la perte. La cause, le comment, le pourquoi, il s'en moquait bien. Seule l'amère constatation de leur échec lui apparaissait : Ils s'étaient manqués pour une histoire de parchemins... Égaré, il failli pousser un rire triste, qui mourut avant même de monter jusqu'à sa gorge. L'ironie du sort raviva à son visage une petite touche de vigueur.


J'ai écrit aussi. En vain...

Inutile de plus s'épandre sur le sujet des regrets... Ces mots étaient morts. Disparus on ne sait où... Il se frotta le visage d'un revers de manche trempé de pluie, pour des prunes, et tenta de reprendre une certaine contenance, de refroidir le feu de sa joue, brûlée d'autant plus par les cristaux de neige. L'air froid commençait vraiment à devenir gerçant, et il se mit, avec un soudain sursaut, à regretter la chaleur de la salle des festivités où Clémence et les autres devaient s'inquiéter de son absence. Frappant ses vêtements, se redressant avec empressement, il la jaugea gravement.

J'ignore ce qui a été à l'oeuvre dans l'entreprise de nous défaire l'un de l'autre...

Il chassa cette énigme et, décidé à rompre cette folie, franchit lui-aussi l'abri des arcades, s'apprêtant à lui tourner le dos dans la volonté de regagner la place qu'il devait occuper à la table des convives. Mais l'envie de repartir à la charge était la plus forte. Gagner encore une minute auprès de la bretonne, et lui dire ses quatre vérités...

Ce que je sais... C'est qu'en dépit des promesses que vous m'avez faites, vous vous êtes donnée en noces au premier marquis venu...! Votre parjure me fout le coeur en sang !

Parle, traîtresse !... Réponds à cela.
_________________
Blanche_
Que la guerre ait arrêté mes lettres, je peux le comprendre, il n'est guère aisé d'en faire parvenir jusqu'au front. Mais que les vôtres... toutes, qu'elles se soient toutes perdues, sauf celle où vous vous montriez aussi vil, cela me parait improbable !

Elle s'essaya à une mimique sérieuse, mais puisqu'il l'attaquait avec aussi peu de bon sens, si vilain, elle perdit sa face calme et devint colère. Comprenez moi ! Vous étiez parti, vous nous aviez abandonnés, brusquement, elle songea que cette pluralité lui jouerait des tours... Non encore sûre de pouvoir lui annoncer la naissance d'une nouvelle génération portant son sang, car enfin il était quand même resté silencieux des mois durant, elle mémorisa rapidement l'interdiction verbale du "nous". Car le nous, c'était elle et son fils, elle et Lestan, elle et un peu de lui. J'ai su en me rendant à la lecture du testament de Béatrice que tout était déjà prévu entre vous et Clémence ! Depuis septembre, Aimbaud, je savais tout, que vous m'aviez quitté pour elle et pour son titre. Elle fulminait, et les syllabes complètement saccadées perdait parfois de leur intelligibilité. Quand avez vous imaginé cela, cette perfidie extrême, cette trahison monstrueuse ? Tous les deux, vous me répugnez. Chez moi, sous mon propre toit, vous glissiez vous dans son lit après avoir occupé le mien ? C'est écœurant.

Hébétée, hagarde, le cœur défait, elle balbutia une phrase suivante qui se perdit dans un sanglot. Et alors, d'une voix soudain plus forte, audible du couloir, bouleversée et entrechoquée d'un pleur, elle confessa. Vous m'aviez promis l'hymen, et c'est Béatrice, d'outre-tombe qui m'éclairait sur vos desseins ! Vous... Vous et Clémence ? Comment avez vous seulement pu ? Le mot suivant ne voulut pas sortir, elle avait la gorge serrée par un trop plein de souffrance, le poids des actes manqués de l'été précédent ; une sorte de litanie agonisante, un supplice dans ses poumons qui lui coupa toute respiration.
Quand l'air lui manqua, elle posa une main tremblante contre le mur, et hoqueta doucement. Il n'était plus question de parler, son être entier ne le pouvait plus, pourtant il eut fallu lui dire toute la vérité car c'était le moment. Elle aspira à grande bouffée l'air chargé d'eau, et chercha à faire ralentir son cœur gros.


Vous m'avez trahie au plus pire des moments. A Donges, lorsque vous fomentiez votre complot, que vous riiez de moi...
Je portais un enfant de vous.


Souffre, désormais, comme moi j'ai souffert !
_________________
Aimbaud
Arrêtez de m'accuser ! J'ignorais tout des projets de Clémence et jamais je ne l'ai touchée ! C'est ridicule !

Étaient les mots d'Aimbaud alors qu'ils parlaient tous deux en même temps, ou plutôt s'aboyaient dessus en cherchant à se déchirer comme deux loups. Ils ne s'écoutaient même pas, déversant leur peine avec des haussements de ton puériles et dangereux, oublieux des risques qu'ils encouraient si on les entendait tous les deux. Tout ce qui comptait était de parler plus fort et plus violemment que l'autre pour lui faire entendre raison. C'était pitié que de voir ces deux âmes se lacérer dans un quiproquo infernal, se blesser dans l'étau de leurs certitudes, plutôt que de profiter de leurs minutes imparties pour se dire tout l'amour qu'ils se vouaient.

Au bout d'un moment, face à l'énormité des accusations qui pleuvaient sur lui, Aimbaud ne savait plus se battre qu'en fuyant la tête et en mimant de piètres "Non !" qui, gestes muets et sans autorité, n'avaient aucun pouvoir sur les reproches assassins qui perçaient des lèvres bretonnes comme autant de coups d'épée. Il bégayait, il voulait la faire taire, il réfutait avec des grondement de hargne exaspérés ! Folle ! Elle ne comprenait rien ! Imbécile ! Injuste ! ... Il l'aurait tout à la fois embrassée et poignardée, mais il n'était capable que de rester là campé dans ses bottes à se lamenter de sa misère.
L'envie de détaler comme un lapin était cependant de plus en plus prégnante, car il voyait l'entrevue tourner au désastre, en pleurs de part et d'autres, et il préférait encore s'en retourner noyer son chagrin dans une coupe de vin d'herbe à la chaleur des bûches flambantes de la fête, que de s'époumoner-là auprès de son méconnaissable amour d'été qui l'accablait de tant de torts. Tant et bien qu'il finissait par y croire, à sa médiocrité, à sa trahison, au monceau de perfidies qu'il avait commises...! Sur la fin il se trouvait même détestable, et encaissait douloureusement les sermons comme un gamin bouleversé que l'on houspille en correction de ses fautes.

Et puis il y eut l'annonce.

...

Le souffle lui manqua. Une mimique apeurée se plaqua sur son visage. Et après une hésitation, un simple...


... Hein ? ...

Ou sa pire terreur révélée au grand jour. Et le narrateur peut jurer que la température ambiante n'avait rien à voir avec le ressentit d'Aimbaud quand il fut douché de froid. Impossible de décrire avec précision ce qui se passa dans sa tête au moment où le mot "enfant" fusa, mais cela équivalait au cri puissant d'une foule en panique...

Et après un instant de parfait silence dans le petit clos de pierres et de neige, il y eut un brusque mouvement de recul, un trébuchement sur le rebord d'une dalle et un rattrapage in-extremis à une colonne de pierre, doublé d'un murmure plaintif. C'était le poids de la nouvelle, et un mécanisme de défense bien naturel : la fuite... Le mouvement de recul ! La battue en retraite !... Mais comble de l'échec, le drôle en pleine perte de sang-froid se trouvait arrêté dans sa course par un ourlet de cape bleu-roy dans lequel il s'empêtrait facilement.

Il se redressa tant bien que mal contre la colonne, oppressé au cou par un col par trop serré qu'il tenta nerveusement d'écarter. Bon Dieu, qu'il aurait voulut se trouver à des lieues de là en cet instant effroyable... Sachant pertinemment que son mouvement ne pouvait passer pour une chute, il resta planté là sans trop oser regarder la jeune femme dans les yeux.


... V...? Vous disiez ?
_________________
See the RP information <<   1, 2   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)