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[RP] II. Expiation

Anaon
- Nuit du 21 Décembre
Nuit de la Modra Necht*, Solstice d’hiver -


    *

    Le monde s’est vêtu de son voile d’ombre plongeant les campagnes de Bretagne dans le silence de la nuit. Des lambeaux de nuage se disséminent dans le ciel, voilant çà et là l’éclat glaciale de quelque étoiles, épanchant nonchalamment de petite larme solides comme des oublis de la journée. Et sur les rochers emperlés de cristal la lune reflète son scintillement blafard. Une nuit éclatante, des ténèbres blancs…Doux paradoxe hivernale.

    Le manteau diaphane crisse doucement sous le pas du cheval qui le profane d’une démarche presque religieuse. L’encolure se courbe sous la main éthérée qui tient ses rennes, le pied s‘allège, le silence se fait plus présent . La lueur chaleureuse d’une lanterne miroite sur la large épaule au poil doré, pâle point de lumière face au reflet de l‘immaculé qui brille sous l‘astre nocturne. Le cheval quitte le sentier à peine visible pour s’avancer vers l’horizon qui s’écroule à plusieurs pieds des leurs. Le bord de la falaise s’est nimbé d’un manteau encore chaste d’empreinte. La tête se relève et l’azur rencontre l’argent. Les doigts se resserrent sur les rennes de cuir et les pied retrouvent souplement la terre ferme. La lanterne est posée à même la neige puis abandonnant la monture immobile, la femme s’avance vers la chute de la falaise.

    Lamentation de la neige écrasée qui s’accompagne du froissement de velours de sa cape. Les yeux ne quittent pas la belle ronde et quand les pieds foulent les derniers pied de l’étendue d’albâtre, la femme se laisse tomber à genoux. Le regard se voile de son rideau de chair et la poitrine se gonfle d’une inspiration douloureuse. L’air glaciale aux fragrances de sel lui gèle les sangs et la bise océanique se fait un plaisir de lui claquer le visage. Les mains se resserrent contre sa poitrine et entre l’étau de ses doigts, une bourse de velours et une branchette de gui.

    Chant lugubre du vent qui s’harmonise avec la houle qui agonise contre la roche dans un ultime fracas. Et dans les complaintes, aussi clairement que si elles s’exauçait réellement, elle les entends, les voix. Elle les revit, ses cris.

      Regarde…

    Les yeux s’ouvrent de nouveaux dévoilant un regard comme elle n’en a pas montré depuis longtemps. Deux saphirs en pitié à l’éclat fragile luisant d‘humide... Et la lune brille, reyne du solstice, pâle et ronde comme le ventre d’une femme prête à l’enfantement.

      Ne trouves-tu pas Maman... Belle ?

    Le souffle expire une volute glacée alors que les yeux se ferment encore. La peau s’hérisse sous le souffle chaud qu’elle imagine. Souvenir d’une insulte dans sa nuque, aussi limpide et vivace que le froid qui lui meurtrie la peau. Les cris éclatent dans sa tête. Macabre réminiscence qui lui crève les tympans. C’est les cicatrices qui s’ouvrent. C’est les plaies qui éclatent. C’est les chairs qui brulent.

    _ Déesse-Mère… Qu’ai-je fait pour m’attirer ton courroux?

    Et la parole dont l’assurance désinvolte frôle parfois l’insolence se fait murmure tremblant entre les lèvres tailladées. Les mains se resserrent sur la bourse de velours. Si c’est moi qui t’ai offensé, pourquoi eux? Dis-le moi…

    Pour réponse, la morsure du vent qui gifle la peau hyaline et fait danser les mèche brunes. Silence qui se raille des douleurs et des remords. Et de remords, elle en nourrit un autre au creux du corps. Les mâchoires se crispent à cette pensée et tous les muscles se tendent d’une rage contenue.

    _ Vénérables Matres*, vos faveurs me sont poisons…

    Les coudes se resserrent contre le surcot épais… Contre le ventre coupable. Ecrin de chair dans laquelle grandit l’infâme germe d’une semence d’été. Une nouvelle écorchure à l’âme, une erreur de plus qui la ronge. Une vie à venir pour insulter le deuil. Indésirable.

    Les azurites se révèlent de nouveau pour contempler la lune, mainte fois blasphémer. Elle, aussi grise que les prunelle d’argent dont elle n’oubliera jamais l’éclat. Poignant et froid comme une lame. Nouveau soupire glacé. Double peine pour la misérable. Une douleur passée et une autre à venir. L’une rancœur l’autre remord. Tous deux fruits de ses entrailles.

    Elle ne bougera pas de la nuit, comme une Âme en peine gelée dans sa pénitence. Elle se remémora chaque seconde de cette nuit qui à ruiner son existence. Revivant chaque blessure, chaque morsure des mots. Et le ciel viendra la drapée d’un manteau de neige.


* " Nuit-Mère "
* Chez les celtes, déités de la fertilité.

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III ----[Clik]
La_renarde
Les feux s'étaient éteints après avoir consumé les derniers fagots de bois que l'on avait bien voulu sacrifier sur cet autel embrasé. La lune opaline était bien haute dans le ciel à présent et inondait de sa rondeur céleste les paysages alentours. Les rires et les chants vrillaient encore ses oreilles comme un écho lointain qui ne semblait connaitre de fin.

Cette cérémonie avait été éprouvante, c’était la première depuis sa mort. Elle n’avait su trouvé de repos que depuis peu. Jusqu’à présent il lui avait été trop difficile d’accorder son pardon et d’accepter. Ce soir pour la première fois elle se libérait réellement de ce deuil qu’on lui avait imposé par la force. Elle faisait place nette, table rase pour laisser à l’hiver le soin de tout ensevelir, de tout faire mourir pour tout voir renaître.

Dans la pénombre, elle avait pleuré. S’assurant que quiconque ne puisse voir cet accès de faiblesse s’écouler sur sa face imperturbable, elle avait attendu que la nuit se fasse sa complice et dissimule aux regards les plus perçants, ces ruisseaux coupables. Deux témoins incertains qui creusaient, imperturbables, leur sillon sur son visage d’adolescente comme le faisaient les ruisseaux pour éroder le granit le plus pur. Mais d’une adolescente elle n’avait plus rien mise à part cette enveloppe, que le temps achevait d’épaissir, de modeler, d’arrondir au gré de ses envies.

Quelle druidesse pour ne pas accepter la mort ? Quelle druidesse pour s’appesantir de la perte d’un être cher ? N’était-ce pas là le processus de la vie, détruire pour créer, créer pour détruire, comme le fil des saisons, cycle immuable dans lequel l’homme malgré sa maîtrise des choses ne saurait intervenir ? Etait-elle à la hauteur du statut qui était le sien en se laissant aller ainsi aux larmes et à la tristesse ? S’il lui était impossible d’accepter la mort, alors il lui était inenvisageable d’accepter la vie et par la même, le monde tel qu’il était.

A cette pensée, ses doigts que le froid avait achevé de geler, cherchèrent à tâtons l’ouverture de sa cape sans que leur extrémité insensible n’y parvienne réellement. Au bout de quelques secondes de tâtonnement intensif, elle parvint néanmoins à glisser sa main sur son ventre qui s’arrondissait de jour en jour. « S’il lui était impossible d’accepter la mort, alors il lui était inenvisageable d’accepter la vie. »

Après les pleures, l’office. Elle avait officié avec le même plaisir, la même sincérité. Ses mots avaient su trouver le chemin dans sa bouche et se faire les témoins de son émotion palpable. Sous le regard de tous ces morts, de toutes ces âmes qui lui avaient été donné de chérir, d’aimer passionnément, elle s’était donnée, entière et pleine, comme on s’offre à un amant. Sa peau s’était parcourue de mille et un frissons, son échine s’était secouée une délicieuse décharge électrique, comme une étreinte spirituelle qui valait toute les extases du monde.

Et maintenant que tout avait prit fin, que la musique, les rires et les chants n’étaient plus qu’un écho, maintenant elle se retrouvait seule à quitter la colline avec pour seule escorte sa solitude, pour seule boussole la lune, elle savourait cette nouvelle liberté, cet apaisement. Après les ébats le repos satisfait et mérité.

Elle s’était alors éclipsée sans un bruit, alors que les feux mourraient dans le chaudron et sur les bûchers. Dans une main la bride de Raoir, compagnon de toutes les aventures qui ne l’avait jamais quitté. Cadeau d’Azénor en son vivant, elle l’avait vu passer de poulain à étalon avec la même tendresse qu’une mère. Entre ses deux là, une entente tacite, silencieuse, de cette complicité qui n’existe qu’entre l’homme et l’animal. Elle flatta son encolure musculeuse en prononçant quelques mots dans une langue inconnue, mots auxquels l’animal répondit par un léger hennissement. La chaleur de son souffle se condensa dans l’air. Dans sa robe de nuit, Raoir avait tout d’un fantôme.

Préférant marcher, elle le guidait bride en main en grattant affectueusement ses naseaux. Elle savait que monter à cheval n’était guère trop conseillé dans un cas comme le sien et pourtant l’envie irrépressible, la faisait désobéir à ses propres principes médicaux.

Lorsqu’ils furent en bas de la colline, que le froid avait achevé d’embrumer son esprit comme l’aurait fait un mauvais vin, s’avançant sur la route qui les reconduiraient jusqu’aux portes de la ville, la Duchesse cru distinguer une forme dans l’obscurité. Son premier réflexe fut de s’en écarter par mesure de précaution bien qu’il lui sembla qu’il ne s’agissait que d’une souche d’arbre. Elle fut cependant rapidement détrompée lorsque ladite souche se mit à murmurer. De là où elle était il lui était bien impossible de comprendre, mais elle était en revanche suffisamment proche pour reconnaitre un langage bel et bien humain. Prudemment elle s’avança, une main à sa ceinture à laquelle pendait toujours un petit couteau. Sans autre lumière que celle de la lune, il lui était plus difficile d’identifier l’homme au sol. C’était pourtant bel et bien un homme, sa vesture ne trompait pas. Elle ne distingua pas bien son visage d’abord et pensant tout danger écarté, elle prit le parti de s’accroupir à hauteur de cet homme. Il lui semblait bien mal en point aussi ne pouvait-elle pas le laisser ici par ce froid.

La neige, fine pellicule, avait déjà commencé à recouvrir le corps immobile. Il y avait déjà un petit moment que l’homme était ici. Quand le vent fit s’écarter les feuillages persistants et les branches nues, et que la lune pu pleinement éclairer cette scène, la duchesse retint un hoquet de stupeur. Le visage qui lui était donné de voir avait été défiguré de part et d’autre de la lèvre. Ses onyx pétrifiés dans leurs orbites ne pouvaient se détacher des profondes cicatrices qui se dessiner comme des crevasses sur les joues de cet homme. Puis reprenant ses esprits elle se pencha vers l’inconnu, dont la figure était désormais baignée de lumière. La lune derrière elle, auréolait sa tête et diffusaient en halo ses pâles filaments d’argent. D’une main plus hardie que l’autre, elle s’approcha tout de même hésitante, puis vint se poser sur le front de l’homme.


- Est-ce que vous m’entendez… Avez-vous bu ?

Un filet de voix s’était échappé de sa bouche, elle redoutait d’assister à l’agonie d’un de ces soiffards trop imbibés pour se rendre compte qu’ils passaient l’arme à gauche.
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Anaon
    Accepter la vie. Accepter la mort. Mais peut-on accepter l’absence? Ce néant dans la poitrine qui fait du cœur un cimetière. Une brulure à l’âme qui fond les rires en larmes, qui transforme un foyer en mausolée. L’absence. Poison du souvenir. Gangrène de la vie. Il est dur de faire un deuil. Il est plus dur encore de ne pas trouver cadavre pour remplir ses tombes.

    L’Absence de réponse.

    L’incertitude laisse les sépulcres ouverts et les plaies béantes. Elle torture de question, noie de remords et exalte la douleur. La mort rend triste, le doute rend fou. L’incertitude conserve l’espoir. L’espoir cultive déraison. Pied et poings liés, pantin sur le fil de la falaise regard rivé sur l’abrupt des rochers . Dans les prunelles l’envie brulantes de s’écraser six pieds sous mer. Crever. Crever pour tout arrêter. Et renaitre… peut être. Mais elle est là. L’espérance. Elle a noué sa chaine chimérique à la gorge hyaline. Elle a enserré le cœur d’acide de sa poigne de velours et le fait battre d’une fantasque certitude. Battre du désir de revoir. S’abattre s’il n’y a plus à y croire.

    Au bord de la chute, retenue pas le fil ténu de l’espoir dans l’attente qu’il se réalise… ou bien se brise.

      Si Maman inspire, elle aura ses petits à la fin, bien vivants.


    Enflure. Tu m’avais promis…. Tu me l’avais promis. Fils de putain! " Personne ne retrouveras jamais ton corps de pourri! Ni tes ongles ni tes cheveux! Personne au monde ne pourra jamais retrouver la moindre trace de toi. Rien! J’avalerais avec soin chaque petit morceau de ton cadavre… " *  Si tu leurs as fait outrage…. Je te traquerais! Dans cette vie ou dans une autre jusqu’à qu’il me soit donné la jouissance de plonger ma main dans tes tripes encore brulantes!

      Tu étais ma seule ambition de la nuit.


    Tu es la seule obsession de ma vie…

    Contre la poitrine, les mains diaphanes tremblent du froid qui la transi. Les lèvres bleuies s’ébranlent de quelque paroles qui se perdent dans le vent. Maitresse de plus rien, son esprit s’embrume alors que le corps s’enfièvre de la morsure de l’hiver. Sous le manteau de neige, la peau de nacre s’est faite brulante.

    Discorde des sens. Elle ressent les souvenirs, le souffle, le feu, mais se fait ignorante de l’alcool qui le vrille les temps, du froid qui glace ses os. La muse torturée n’entend pas les pas qui crissent près d’elle. Seul le contact lui tire un faible sursaut.

    Le visage se relève. Le regard flou cherche les traits de la chose sans les voir. Vision qui se distord. Est-ce l’Ankou qui vient la chercher avant l’heure? La tête se détourne nonchalamment de la main inconnue. Les azurites retournent se poser mollement sur l’horizon puis le corps tremblant se relève difficilement. Une main vient chercher sa tempe brulante. Les paupières se referment sur le monde qui chancèle devant elle. Un instant de latence puis un demi-tour mal assuré et les yeux se révèlent de nouveau.

    Perdue.

    Les prunelles cherchent désespérément son cheval. Mais devant elle tout se trouble et tout s’efface. Un pas. Le dernier. La neige se dérobe sous elle et elle s’affale dans un bruit étouffé.

    Néant.


* " Old Boy "

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