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[RP] La dormeuse du val*

Else
Une route de campagne.

La poussière humide, les arbres poudrés, l’amère moiteur de l’air, le sifflement du vent. Un soleil morne perce sans conviction l'atmosphère blanchâtre au dessus des champs limousins. De loin en loin, des bosquets engourdis balancent doucement leurs feuilles lourdes d'eau. Enfin vous voyez le genre : la parfaite carte postale bucolique, version pré-hivernale.
Mais regardez-y de plus près… Vous ne voyez rien qui cloche ?

… Ouais. Les guirlandes dans les hêtres. Bon.
Mais encore ?

Le chemin malmené porte encore l'empreinte d'une horde de cavaliers. Rien d'étonnant, me direz-vous : en ces temps tourmentés, les hommes en armes sont monnaie courante. Fort bien.
Et là, ne distingue-t-on pas la trace d'une chute dans le magma boueux ? Oui, bon, d'accord : on ne va pas s'émouvoir à chaque fois qu'un péquenot glisse dans la gadoue... Mais regardez mieux, à la fin ! Là, tout à côté...

Voi-là ! Ah ben quand même...
Là, entre les brins d’herbes alourdis, une main blême dépasse d’une ornière. Alors, ça mérite qu'on s'y intéresse, ou non ?

Approchez-vous donc, jetez un œil en contrebas :vous pourrez voir une jeune femme allongée dans le fossé, la neige et le coma. Silhouette amaigrie, boueuse. Autour du visage hâve, une couronne de boucles blondes. Le vent d'Autan a repoussé les pans de son manteau brun et plante ses griffes à travers l'épais tissu de son surcot détrempé.

Approchez-vous encore : un frisson irrégulier agite ses membres, qui n’est pas seulement le jeu du vent. Les plus téméraires pourront même percevoir les mouvements spasmodiques de ses paupières, et sentir un souffle s’échapper de sa bouche bleuie.


*Dérivé, évidemment, du titre d'un sonnet du jeune Arthur Rimbaud, Le dormeur du val.
Aldraien
Y avait pas idée de faire aussi froid ! Pour sûr, la Capitaine du Limousin & de la Marche finirait congelée avant d'avoir eu le temps de retourner sur ses terres pour se réchauffer au coin de l'âtre. Coincée sous plusieurs couches de vêtements, elle marmonnait comme à son habitude, la Malemort : Elle n'aime pas l'Hiver.
Ce n'est pas encore l'Hiver, me direz vous. Certes, mais c'était tout comme ! Le pourpoint et la cape de laine ne suffisaient pas à lui procurer le peu de chaleur dont elle avait besoin pour être de bonne humeur. Alors rentrer à Saint Julien pour enfin pouvoir se mettre les pieds devant la cheminée, vous pensez bien qu'elle en rêvait, la rousse ! Si en plus elle pouvait se faire servir un verre de vin provenant de sa cave bien remplie en prévision de l'hiver, le programme serait parfait.

Oui mais seulement, c'est bien connu, ça ne se passe jamais comme on peut l'imaginer, ces choses là. Le Très-Haut là haut, en plus de lui infliger du froid, lui infligeait aussi des contre-temps; à croire que ça l'amusait.
A cheval, elle parcourait la distance qui séparait la Compagnie d'Ordonnance et le Castel Comtal de sa parcelle de terre, dépendante de la Vicomté des Cars. A cheval, oui, mais surtout entourée par quelques gardes portant ses couleurs d'or, d'argent, et de sable. C'est qu'on ne la laissait plus vraiment se balader seule, depuis son encore récent mariage avec un Fils de France.
Ainsi, si la Capitaine se contentait de regarder droit devant elle, attendant avec espoir de voir les murs de Saint Julien le Vendonnais se dessiner, c'était loin d'être le cas des hommes l'accompagnant, scrutant les environs à l'affût du moindre danger. Et ce ne fut pas un danger qui leur tomba dessus, mais une rencontre bien fortuite.


- HAAAAAAAALTE ! gueula l'homme d'armes en tête, à ceux qui le suivaient. Et ils s'arrêtèrent, tout comme s'arrêta la Malemort intriguée.
- Et bien quoi ? Il fait froid ! Ne peux-tu pas attendre d'arriver à Saint-Julien pour te reposer ? Maîtresse congelée et mécontente. On n'avait pas idée de vouloir soulager sa vessie à cet endroit, quand même, devant elle en plus ! Mais rapidement, elle saisit que quelque chose d'anormal se passe. Le gus met pied à terre et commence à s'approcher du fossé. La rousse fait le lien, elle, une trace de chute. Ca ne lui aurait sans doute pas sauté aux yeux, si elle était passée seule.
Mais comme ce n'était pas le cas...

- Il y a quelqu'un ! Altesse, une personne est allongée là. L'a pas l'air très en vie d'ailleurs. Et il s'approche, méfiant, comme un chasseur s'approchant d'un animal blessé.

C'était foutu, le coup du repos à Saint Julien devant la cheminée. Mais la rousse est là pour aider, et c'est plus fort qu'elle. Elle fait avancer sa monture jusqu'au bord du fossé, observant la silhouette congelée en contrebas.


- Est-elle vivante ? Le garde s'approche alors de la femme, et prend son poult, confirmant rapidement qu'elle l'est. La Malemort se décide rapidement. Elle a froid, visiblement la silhouette plus morte que vive aussi. Elle réglerait ça chez elle. Menez là à Saint Julien, installez là dans une chambre, et occupez vous de la tenir en vie !

Et c'est ce qu'ils font, les gardes. Avec toutes les précautions qu'il faut.
Ils ramènent la femme sur les terres de la Malemort-Carsenac et l'installe dans une des chambres réservées aux invités. On s'occupe d'elle, on s'inquiète de la réchauffer et de mettre à sa disposition de la nourriture et un médecin.
Puis la rousse débarqua dans la dite chambre, changée, lavée, et réchauffée. Elle s'installe dans le fauteuil, près de l'âtre. Finalement son plan n'avait pas tant changé. Elle observe la femme, attendant que celle-ci se réveille, et lui parle, pourquoi pas.
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Else
D’abord le crépitement du feu.
Puis l’épaisse chaleur des draps, sensation embrassante, presque oubliée. L’espace d’un délicieux instant, Elisabeth crut s’éveiller dans sa douillette demeure rennaise, au cœur d’un hiver breton. Ou était-ce Buzay ? Ses propres draps n’étaient pas de si bonne facture et elle n’avait pas de gens pour allumer sa cheminée. Buzay, sûrement. Mais… pourquoi ne parvenait-elle pas à se rappeler le voyage ? Ni même avoir vu Marie ? Et seulement pas, grand Dieu, que s’est-il passé, le premier flocon dans le ciel de Breizh ?

Alors tout lui revint. Tempête de souvenirs dans son crâne, déferlant d’une paroi à une autre dans un roulement de tonnerre.
Tout son périple.
Tout, jusqu’aux mots de cet inconnu à l’auberge : «
Ouaip, elle part aussi qu’il avait dit, et bon débarras ! Elle me fiche les foies ». Elle. La certitude. La terreur. La course effrénée, à la poursuite d’une cavalerie marchant au pas… Le sursaut d’espoir dans sa poitrine, au moment de voir Lys se retourner sur sa monture. Les larmes au coin de ses yeux. Les rebuffades des hommes d’armes. Le regard froid de la Flamande. La poigne rude d’un homme qui la repousse…
Et puis plus rien.

A part une question : qui l'avait ramassée ?
Fébrile, Elisa voulut se redresser, mais ses membres gourds regimbaient à la tâche ; jusqu’à ses paupières rechignaient à s’ouvrir. Ah elle avait fière allure, l’orgueilleuse ! Il lui fallut toute la force de sa volonté pour hisser le haut de son corps, et pouvoir promener un regard bleu orage dans la pénombre.

Belle pièce, de bonnes dimensions. Un feu danse dans l’âtre, et fait rougeoyer… Une chevelure.
A sa vue, le cœur de la Kermorial manqua un battement – mais la terreur se dissipa aussi vite qu’elle était venue. Car, qui que put être cette femme au visage altier, assise en silence au coin de la cheminée, une chose était certaine : ce n’était pas la Flamande.
Soulagement.
Désespoir.

Un gémissement s’échappa d’entre les lèvres sèches de la Lise. Elle se laissa retomber entre les coussins, le visage dans les mains – et écopa d’une douleur sourde, vibrant entre ses tempes comme sur le bronze d’une cloche d’église. Bingo Jackpot.
Aldraien
Mouvement. Infime, mais mouvement malgré tout. Son hôte surprise semblait s'éveiller finalement, mais la Princesse ne bougea pas immédiatement. Elle observait son hôte reprendre ses esprits, visiblement encore bien faible de son périple dans le fossé limousin; c'est qu'il ne fallait pas la brusquer, aussi elle ne lui adressa pas immédiatement la parole, pour ne pas l'effrayer et lui laisser le temps de s'habituer à son nouvel environnement.
Dans la pénombre, les iris sinoples continuaient d'observer sans qu'aucun son ne vienne perturber l'échange des regards, sinon le crépitement du feu et la respiration calme de la Malemort.

Diable ! Elle le savait. Elle aurait dû venir avec quelque chose à boire pour elle, un verre de vin, un alcool plus fort, qu'importe ! Il manquait quelque chose à son tableau pour que tout soit parfait. Cheminée, fauteuil. Il manquait de l'alcool et de la lecture...
C'était bien son genre ça, à oublier la moitié des choses. La femme d'une pâleur de mort savait elle où elle se trouvait ? Avait-elle reconnu la rousse identifiable parmi toutes par les marques de brulures qui striaient tout le côté gauche de son visage, même si celles-ci semblaient s'être quelque peu atténuées avec le temps ? Peut-être sa réputation n'était elle pas arrivée aux oreilles de son invité bien malgré elle.

Le gémissement est pris comme un signal. Le corps de la trentenaire se déplie sans un bruit en se redressant et la silhouette vêtue d'une robe simple bien loin de faire deviner sa condition s'approche du corps souffrant étendu non-loin d'elle.
Etait-ce seulement le froid qui la faisait souffrir ainsi ou y avait-il quelque chose de plus profond, elle n'en savait rien, et elle ne connaissait rien non plus de la femme qu'elle avait ramené sous son toit pour la sauver d'une mort presque certaine, se tenant à présent sur le côté du lit, sans armes, bien loin de se douter que la Princesse venait de recueillir une Bretonne. Elle prit le verre d'eau que les serviteurs avaient amené, et le tendit devant la femme, espérant que boire un peu lui délierait la langue; joignant au geste la parole, aussi douce que possible.


- Buvez un peu, ça vous fera du bien. Et on présente un visage aussi avenant que possible, malgré les cicatrices. Ce n'était pas du chouchen, ni même de la prune, et l'eau faisait rouiller; mais c'était ce qu'il y avait de mieux sous sa main pour le moment. Que pouvait-elle faire d'autre ? La rassurer sur l'endroit où elle se trouvait, peut être.Vous êtes sur mes terres, Saint Julien le Vendonnais. Mes gardes vous ont ramassé sur le bord du chemin, et je leur ai dis de vous ramener ici. Pas trop en dire, ne pas l'assaillir, c'est la clé. Aussi, elle se contente d'attendre pour voir ce que la femme pourrait lui confier ou non sur son identité et sa présence au détour d'un fossé.
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Else
Les paumes ont glissé sur la face défaite. Vus de plus près, les traits de la maîtresse des lieux n’ont décidément rien de commun avec ceux tant haïs de la Deswaard ; et la bienveillance qu’elle lui prodigue dissipe le soupçon d’une secrète intelligence.
Eh oui. On en est là. Mais qui lui jetterait la première pierre ? La fréquentation régulière d’une psychopathe notoire rendrait n’importe qui paranoïaque.

La Kermorial se dresse à nouveau, et ses doigts se referment sur le verre proposé.

Un temps.


- Alors je vous dois beaucoup, prononce-t-elle d’une voix si faible qu’elle en a un haut-le-cœur – Dieu qu’il est pénible d’être vulnérable !

Une gorgée d’eau.

C’est la deuxième fois qu’une rouquine flamboyante lui sauve le cuir. La première était bretonne, bien née, et Archidruide ; qui peut bien être la seconde ? Une femme qui a des terres, qui se promène gardée, et dont le quotidien, à vue de nez, n’est rien moins que paisible. Mais Elsa aurait beau scruter des heures le visage altéré de la Princesse, qu’elle ne s’en trouverait pas plus informée.

Deuxième gorgée d’eau, le temps de rassembler ses esprits pour un rapide calcul.
Essai reconstitutoire :
Prémisse n°1 : la moindre des choses, quand quelqu’un vous tire de la panade la plus noire, c’est de lui décliner votre blase.
Prémisse n°2 : en contexte de guerre franco-bretonne, un Breton prudent ne devrait jamais donner son nom à un propriétaire terrien françois possédant une garde.
Prémisse n°3 : c’est la guerre.
Prémisse n°4 : un Breton n’est jamais prudent.
Soit par atavisme, soit que la Blonde manque de sens tactique, soit n’en fasse jamais qu’à sa tête, soit que sa migraine naissante n’obscurcisse son jugement… la décision est vite prise.


- Elisabeth de Kermorial.

Ou comment griller la couverture qu’on ne sait pas avoir, en une leçon. Bravo, Blondine.

- Je suppose… suis même certaine que j’aurais préféré vous rencontrer dans d’autres circonstances.

Ce que dit, elle gratifie son reflet déformé dans le verre d’un regard incrédule, voire moqueur, et se corrige :

- C't'idiot, ce que je dis. Dans d’autres circonstances, je ne vous aurais même pas rencontrée.

Troisième gorgée. Ca se fait, de dire aux gens qu’on aurait préféré ne jamais avoir à les rencontrer ?
Non. Voire : préférer le monde tel qu’il aurait pu être, donc tel qu’il n’est pas, c’est déjà une ânerie, rétorque sûrement la grenouille de bénitier en elle. Le hic, c'est qu'elle n'est plus très sûre d'y croire.


- En tout cas… merci.
Aldraien
Sésame, ouvre-toi.

Et elle s'ouvrit. Oh, pas grand chose, bien sûr. Les remerciements d'usage, d'abord, preuve que la femme avait reçu un minimum d'éducation; une bonne chose, déjà. Elle la laisse se reprendre, boire un peu, et l'observer; car sans aucun doute devait-elle se demander qui pouvait bien être l'inconnue qui venait de lui sauver la vie de manière complétement désinteressée. Car désinteressée, elle l'était, assurément. Vu l'aspect débraillé de la femme lorsqu'elle était dans le fossé, il ne fallait pas espérer de celle-ci qu'elle possède de l'argent, ou quoi que ce soit qui puisse avoir de la valeur. Elle avait agi en Licorne, et tel que devait agir une femme de la noblesse française - Française, car il n'était pas dit que les nobles bretons n'auraient pas préféré achever cette pauvre femme plutot que de tenter de la sauver -, du moins dans sa conception de la chose.

Les présentations maintenant, et les choses se corsèrent. De Kermorial...Ca, c'était breton, ou elle ne s'y connaissait pas. Visage neutre de circonstance tandis que des tas de questions prennent possession de son esprit. Quoi que...Pas tant de question, mais plutôt une constatation générale, qu'Elric - le vieil Intendant de sa cousine Vicomtesse - aurait très bien pu lui dire, s'il avait été présent : Tu as le chic pour te mettre dans des situations douteuses et louffoques, fillette.
Résumons donc : Elle, Capitaine, Vice-chancelière du Limousin & de la Marche, épouse d'un Fils de France, belle-fille de la Reyne en personne. Son hôte, bretonne, ramassée sur le bord de la route un beau jour de décembre, ramenée sans aucune méfiance à l'intérieur même de sa demeure; en pleine guerre contre le Ponant.
Pas à dire...T'as fait fort, fillette.

Et la Princesse par alliance d'observer celle qui pourrait potentiellement devenir un problème pour elle, et de relativiser. Ca pourrait être pire : elle pourrait être armée. Dans cet état, elle n'était pas un danger pour la Malemort, et puis on ne tuait pas quelqu'un qui venait de vous sauver la vie, même chez les Bretons....Si ?
La suite de son propos fit naître un rictus amer sur les lèvres de la Capitaine. Elle était loin de se douter que les circonstances la servaient bien, finalement. Si elles avaient été différentes, c'était certainement qu'elles se seraient croisées sur un champ de bataille, et si tel avait été le cas, jamais elle n'aurait fait preuve d'une quelconque pitié.

Enfin, les lèvres, jusque là closes dans un raisonnement à la va-vite qui n'aboutirait de toute façon pas, s'ouvrirent pour remettre la balle au centre. Il n'y avait aucun intérêt pour elle de cacher son identité alors qu'elle était chez elle, et que la Blonde peinait déjà à tenir assise.
Oui, elle était naïve, et elle assumait.
On ne pouvait pas être parfaite à tous les niveaux non plus, ça aurait été trop beau. Mais avant...


- Vous ne me devez rien.
Autant remettre l'affaire au clair dès maintenant, surtout qu'elle refuserait sans aucun doute de lui devoir quoi que ce soit à la seconde où la rousse se sera présentée, fierté de bretons, tout ça. Oui, elle est pleine de préjugés, même si elle reste avenante malgré tout, elle n'a pas franchement que des bons souvenirs, avec les bretons. On continue ?
Vous êtes la bienvenue ici tout le temps qu'il vous faudra pour vous remettre totalement. Et oui, esprit chevaleresque, tout ça. Elle rajouterait plus tard la mention " si vous ne ramenez pas tous vos amis pour faire un feu de joie ", mais il n'était pas encore temps.

- Aldraien de Malemort-Carsenac, c'est ainsi que l'on me nomme. Les deux pieds dans le plat ! Bon, y avait aussi Altesse, Capitaine, Excellence, Cap', Ald', le Bouchon et son préféré : "Altesse Edenteuse". Vous a-t-on dit qu'habituellement, elle édentait les bretons pour faire ses chapelets ? Peut être pas un détail primordial dans l'immédiat, hm...
Je pense que nous devrions, au contraire, nous satisfaire des circonstances. Ben oui, blondie, tu es en vie, et je ne suis pas couverte de sang : c'est la fête ! Ou pas ?
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Else
Ah.

A l’évidence, la situation lui échappe plus qu’elle ne l’avait supposé. Et encore ! La réputation de l’« Edenteuse » n’est jamais parvenue à ses oreilles.
Mais quel que soit le lien familial qui unisse son hôtesse à la Reyne de France, n’aurait-elle pas eu cent occasions de l’étriper, si elle l’avait voulu ? N’en aura-t-elle pas cent autres encore, sans que la blonde anémiée puisse opposer la moindre résistance ? Passée la première surprise, Elisa garde son flegme.


- De fait, Votre Altesse, acquiesce-t-elle sobrement.

Breton ou français, un titre reste un titre.
Du reste, n’allez pas le répéter, mais la Lise n’a jamais correctement appris à détester les ennemis héréditaires. Plus par hasard biographique que par bonté d’âme, d’ailleurs ; en tout cas elle les supporte, comme elle supporte à peu près n’importe qui, sans enthousiasme mais sans animosité intrinsèque.
Oui, c’est une personne tout à fait charmante.
Un instant, elle caresse l’idée d’embrayer sur un petit compliment en forme de « c’est d’autant plus à votre honneur de vous être arrêtée sur mon insignifiante personne » ; mais l’autodépréciation, très peu pour elle, et le cirage de pompes lui donne de l’urticaire.


- Même si je continue de douter que nous aurions pu nous rencontrer autrement.

Lizzie, soldat ? Et pourquoi pas Bécassine sur un ring de catch ?

Elle n’en dira pas plus sur le sujet, pas de son propre chef. Allusive, têtue, raisonneuse… elle récupère vite, on dirait. Ou alors, c’est que discuter avec quelqu’un qui ne lui soit pas viscéralement hostile – ô ironie – lui fait du bien.
En revanche, dans sa tête migraineuse, ça tourne à plein régime. Une main se perd entre ses boucles, tâtonnant à la recherche de la partie de son crâne qui a heurté le sol. Alwenna… où peut-elle être, maintenant ? Et…
Maintenant, c’est quand ?


- Y a-t-il longtemps que vous m’avez trouvée ?

Et accessoirement, vous n’auriez pas croisé une armée ? Surtout que c'est rare...
Un trémolo dans sa voix. Elle l’a retrouvée une fois, contre toute attente et sans chercher ; cette fois, il est à craindre qu’elle ait moins de chance.
Aldraien
Elle était étrangement soulagée face à l’apparente indifférence de la jeune femme, bretonne, qui se trouvait juste à côté d’elle. Etrange ? Pas tant que ça, la Malemort avait toujours eu du mal avec les émotions qui étaient trop évidentes, pensant toujours qu’il y avait anguille sous roche. Elle-même cachait d’ailleurs systématiquement ses sentiments derrière un masque d’indifférence qui ne la quittait que rarement, lui permettant de garder sa forteresse intacte et hors de portée.
Peut-être était ce pour cette raison qu’elle se sentait sereine face à cette inconnue, ou était-ce parce qu’elle était terriblement affaiblie comparée à elle-même ? Allez savoir.
Visiblement, elle n’était pas soldat - ça, c’était la révélation du jour ! -, dans le cas contraire elle n’aurait pas soutenu ainsi qu’elles se seraient jamais rencontrées dans d’autres circonstances. Elle était curieuse la Malemort de savoir comment une Bretonne avait pu se retrouver dans cet état en Limousin & Marche, si ce n’était par la guerre; mais la bienséance l’empêcherait d’apporter réponse à cette question. Le mystère resterait donc entier, à moins que la Blonde ne se confie d’elle-même - fait beau rêver -.

Pourquoi n’aimait-elle pas les bretons, au final ? Parce qu’elle avait eu de mauvaises expériences avec certains d’entre eux, avec un en particulier, en réalité. Elle faisait donc cette erreur de généraliser et d’étendre la faute d’un seul à tous, mais qu’y pouvait-elle ?
Il y a quelques mois encore, elle était tombée amoureuse d’un Breton, petit fils du Grand Duc avec ça et lui avait donné sa chance malgré toutes les mises en garde de son entourage à son encontre; elle avait eu la naïveté de croire qu’un homme pouvait changer pour plaire à une femme mais elle s’était lourdement trompée, peut-être parce qu’elle était incapable de changer elle-même. Et puis, il y avait eu cette bataille, le regard chargé de reproches du Breton en question, et son départ alors qu’elle était elle-même entre la vie et la mort.
Il l’avait abandonné, et elle en gardait comme un ressentiment, bien qu’elle fut bien plus heureuse à présent qu’à l’époque, et que son époux était bien moins prise de tête que ne l’était Aymeric. Oui, être avec un brigand notoire lorsqu’on est Licorne, c’est toujours problématique, et ça engendre pas mal de conflits, surtout lorsque l’un comme l’autre ont un caractère…difficile - pour rester polie -.

Breeef. On ne s’étendra pas plus en détails sur ce Breton ci, ni sur l’autre qui lui avait meurtri l’âme autant que les chairs et qu’elle haïssait de manière viscérale, viscères qu’elle se ferait une joie de lui arracher si elle en avait l’occasion. Oui, elle était un peu barbare parfois, la Malemort, et encore, elle n’avait jamais parlé de son idée d’associer l’éviscération avec la poulie d’un puit. Le concept était simple : on accrochait le bazar à un crochet, puis on tournait la poulie; simple, efficace, et spectaculaire ! En plus c’était marrant. Enfin, pour elle en tout cas.
Revenons donc à nos moutons ! - la bretonne convalescente dans le cas présent -
Depuis combien de temps était-elle ici ? Quelques heures, tout au plus…Mais vu l’état, elle resterait bien là quelques jours supplémentaires, qu’elle le veuille ou non; la rousse ne la laisserait pas repartir dans la nature alors qu’elle tenait à peine assise, elle ne tenait pas vraiment à être responsable de la mort de la jeune femme même si bon, des bretons elle en avait déjà tué un paquet - en situation de guerre, ça compte pas ! -; et de toute façon au jeu de la plus têtue, c’était toujours elle qui gagnait.


- Quelques heures, tout au plus. Vous n’êtes pas restée très longtemps inconsciente.

Pas très longtemps, pas très longtemps; c’était relatif. Pour quelqu’un de pressé, quelques heures sembleraient une éternité. Mais comme beaucoup de chose, le temps était une notion toute subjective. Pour elle qui, lorsqu’elle était blessée, pouvait rester quelques jours dans le noir total, ça ne semblait effectivement pas une durée excessive, quelques heures.
Mais bon, on ne va pas se mettre à comparer une blessure plutôt superficielle à la tête avec une épée dans le ventre, ce serait excessif.
Occupons nous plutôt de la convalescente ci-présente, c’est qu’elle était plutôt douée, la Malemort, quand il s’agissait de s’occuper de ses convives. En l’occurrence…


- Souhaitez vous que j’écrive de votre part à une de vos connaissances pour la prévenir que vous êtes ici, et en vie ? Ou peut-être souhaitez vous le faire vous-même, si vous vous en sentez la force.
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Else
Elsa entend à peine la proposition de la Malemort, car un sursaut d’espoir l’a saisie. Vite, elle pose le verre, et entreprend de se lever. La piste est encore fraiche, il est encore temps, peut-être, de rattraper Lys.
La force ? Elle en aura, s’il le faut.
    S’il faut courir dans la nuit et la neige ;
    S’il faut rattraper une tripotée de cavaliers en armes ;
    S’il faut se faufiler entre leurs rangs, et arracher une gamine récalcitrante aux griffes de la Flamande ;
    S’il faut l’emmener, à son corps défendant, à travers les territoires en guerre ;
    S’il faut la sauver des maux de la terre et du ciel, la regagner, la soigner, la guérir…

    Et avec ça, il vous fallait autre chose ? Un paquet cadeau, peut-être ?
Lassitude.

Un temps.


- Marie. Il faut que j’écrive à Marie. Ma sœur.

Lui dire qu’elle me manque. Lui dire que je ne sais plus. Ou rien de tout cela. Trouver une voix amie, qui bénisse mon abandon.
Mais on ne se renonce pas si facilement à une vie de devoir et à une conscience tranquille.


- Attendez... Non. Je ne resterai pas longtemps, je ne peux pas.

Comme souvent chez les têtes de mule, l'orgueil pallie lorsque tout le reste flanche.
Elsa reprend son mouvement là où elle l'avait arrêté, et s'efforce de se lever.

Ôtez-moi d'un doute... Ne pas tenir sur ses guiboles, c'est élégant ?
Aldraien
Drôle de point commun qu’elle se découvrait avec la Bretonne. La ténacité, ou la folie ; elle ne savait pas bien elle-même. Ce sentiment bizarre qui vous fait faire des choses absurdes au péril même de votre vie parfois, et qui avait tendance à souvent prendre possession de la Malemort, allez savoir pourquoi.
C’était en tout cas ce petit - tout petit - grain de folie qui lui avait fait faire face à trois armées pleines de Ponantais en tout genre alors qu’elle était à la tête d’une vingtaine d’hommes au grand maximum et qui l’avait fait avancer vers une mort quasi certaine. C’était le même qui l’avait fait prendre d’assaut les murs de Poitiers alors qu’elle était enceinte et qui lui avait coûté une belle épée dans le bide.

C’est pourquoi elle savait que cette tendance à vouloir trop en faire ne rapportait en règle générale rien de bon : elle en avait fait l’expérience à ses dépends plus d’une fois. Vous comprendrez aisément que dans de telles conditions, il était hors de question pour elle de laisser la Bretonne fraichement sauvée retourner se jeter dans les bras de la mort aussi vite, surtout qu’elle pouvait l’empêcher. Cela dit, elle ne semble même pas en mesure de tenir debout.
La Rousse lui laisse le temps de terminer ce qu’elle a à dire, avant de poser sa main sur son épaule et d’une légère pression l’inviter à se remettre au lit. C’était évident qu’elle n’avait pas du tout l’énergie nécessaire et qui ne l’aurait pas vu aurait été complétement aveugle, ou sénile. Je vous vois venir, non la Malemort n’est pas sénile ! Naméo.


- Remettez vous au lit, vous n’êtes pas en état de reprendre la route maintenant. N’importe quel brigand serait en mesure de vous achever, je suis même sûre qu’un enfant y arriverait.

La petite pique pour appuyer ses dires. C’était là une technique qu’elle adorait employer, même si elle le faisait rarement avec des inconnus. Après tout, s’il fallait cela pour que la Bretonne prenne conscience de sa faiblesse actuelle, pourquoi pas. S’il fallait qu’elle se fasse détester pour ça, et bien soit, elle assumerait jusqu’au bout ses décisions. Quitte à sauver une Bretonne, autant la sauver jusqu’au bout. Demi-tour, elle se dirige vers une commode à côté d’un bureau situés dans un coin de la chambre et en retire un nécessaire d’écriture qu’elle ramène à sa blessée et pose près d’elle.

- Si vous souhaitez écrire, il y a ce qu’il faut ici. Si vous voulez que je le fasse à votre place, je peux aussi, il suffit que vous me le demandiez.

Ca, c’était peut-être un peu compliqué. Elle savait que l’égo pouvait parfois se poser en barrage à ce genre de demande en aide, surtout quand il s’agissait d’une « ennemie » car c’est-ce qu’elles étaient, techniquement, même si dans les faits ce n’était pas vraiment le cas.
Si elle s’était écoutée, et vue l’urgence que la femme semblait avoir à retourner sur les routes, elle serait partie avec elle pour la mener à bon port; mais la guerre, son époux et ses obligations l’en empêchaient. Alors elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour aider la femme qui semblait dans le besoin.


- Restez ici le temps de vous remettre convenablement. Ensuite, je vous fournirai la monture la plus rapide que j’ai à disposition. Ainsi vous pourrez rattraper ce à quoi vous semblez tenir assez pour vouloir vous tuer à le rechercher.
Pour le moment, autant vous le dire, personne ne vous laissera quitter le domaine dans cet état, soyez donc raisonnable.

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Else
La Malemort ne transigera pas sur la question. Alors qu'elle s'en rend compte, Lise surprend en elle-même un sentiment auquel elle n’aurait jamais cru pouvoir s’abaisser, et qu’elle ne se pardonnera pas : de la résignation.

La plume, l’encre et le papier posés à côté d’elle sont d’excellente facture et n’attendent qu’une main pour les manipuler ; mais l’envie d’écrire a passé. Elle hoche la tête tout de même, en signe de remerciement.

Ferme les yeux.
Dans sa tête, une rengaine – une enfant, une enfant, une enfant… la pointe a porté bien au-delà de ce que la rousse peut imaginer : un enfant y arriverait ? Une enfant y est arrivée.


Else sombre dans le sommeil.

***

Plus tard dans la nuit.

Ciel bleu.

Un cavalier galope sur une route déserte, soulevant des nuages de poussière blanche. Elle en reçoit dans la figure – c’est de la neige.
De la neige blanche.
C’est blanc, la neige ?

Pas le temps. Courir.

« Pourquoi ? » – quelqu’un a déréglé le volume, la question résonne, comme hurlée directement à son oreille.
Le volume ? Quelle drôle de pensée.

La neige scintille de tons cuivrés. Ciel noir.

Courir. Le cavalier s’éloigne – elle sent presque le souffle des naseaux contre ses doigts. Erreur système. Sa main agrippe la cape blanche, tire d’un coup sec pour dévoiler…
Le visage austère d'une grande femme blonde. La cape était noire. Noire ?

- Quelle pitié. Croyez-vous vraiment vous être trompée, jeune Kermorial ?

« Vous mentez » – assourdissant. Elle n’entend pas. Sourire carnassier.

« Où est-elle ? »
- Ne la voyez-vous pas ?

Erreur système.

Vient un moment où l’on doute de la réalité. Ou est-ce un rêve ?

Entre ses doigts, un pouce humain laisse une impression de déjà vu. Le cheval galope sous le ciel rouge, soulevant des torrents de flamme. Il est loin déjà. Trop loin. Le monde se brise en mille morceaux flambants. Un visage calciné rit sous la neige noire.
Ou hurle ? Sa gorge brûle.

Elisabeth s’éveille brutalement de son cauchemar. La douleur dans sa gorge ne lui dit que trop clairement qui a hurlé.
Aldraien
A-t-on besoin de préciser que la Malemort fut plus que satisfaite de voir que son petit manège avait fonctionné, et que son hôte du moment semblait - enfin - avoir baissé les armes pour accepter de se remettre au lit et se reposer ? Il faut bien le dire, la bataille ne fut pas de tout repos et pour cause, c’était à une Bretonne qu’elle faisait face, et les Bretons étaient têtus - généralisation quand tu nous tiens - en plus d’adorer avoir le dernier mot. Non, la rousse n’était pas Bretonne, loin s’en faut, mais sans doute le sang écossais qui coulait dans ses veines de par sa grand-mère - j’ai nommé Sybell Carsenac - & les années qu’elle baladait avec elle, associées à l’expérience qu’elle avait pu acquérir, faisaient qu’il était plus difficile de lui arracher le dernier mot qu’il ne l’était d’arracher un morceau de viande à un chien ; elle n’en démordait pas.

Elle est bien loin de pouvoir imaginer à quel point la pique somme toute bien innocente qu’elle a pu utiliser comme argument pour que la Bretonne se recouche avait pu atteindre son objectif, voir même le dépasser. Si elle n’avait rien trouvé de mieux sur le moment, elle était malgré tout bien loin d’imaginer l’ampleur de cette toute petite phrase balancée sans réellement penser faire du mal. Elle se serait bien abstenue, d’ailleurs, si elle avait su.
Mais enfin ; le résultat est là. Son hôte semble s’endormir et c’est bien là tout ce qu’elle souhaitait. Demain, peut-être, auraient elles l’occasion de discuter plus avant. La Princesse prend malgré tout le temps de veiller la jeune femme, à la lumière vacillante d’une bougie posée là ; elle décrit ses traits. La jeunesse était belle et bien là, sous ses yeux, bien qu’affaiblie ; et c’est toujours la même question qui s’impose dans l’esprit de la Malemort : qu’a-t-elle bien pu faire pour se retrouver dans un tel état ? Mais enfin, les minutes s’égrènent et le sommeil la gagne à son tour.

Elle ne regagnera pas sa propre chambre cette nuit, ni-même ne rejoindra son Epoux pour l’avertir de l’endroit de la demeure où elle se trouve. Il savait qu’elle pouvait s’absenter n’importe quand, pour des raisons plus ou moins obscures, mais elle finissait toujours par lui expliquer, lorsque le temps s’y prêtait. Ce n’était pas le cas pour l’instant ; elle n’était pas rassurée quant à l’état de la Blonde, et ne comptait pas quitter son chevet de plus de quelques mètres.
Elle entendait d’ici râler les gens qui veillaient sur elle, arguant qu’elle aurait très bien pu laisser un valet surveiller la Bretonne pour se reposer, voir même un garde, ce n’était qu’une Bretonne après tout, une femme qui était censée être son ennemie. Mais la Malemort, bien loin de songer à ces histoires de guerre, y voyait justement l’occasion de s’en détacher. Faire le bien et aider quelqu’un sans se soucier de ses origines, voilà qui la détendrait bien plus qu’une nuit de repos.

Il fallait bien le dire, la guerre était usante, être sur ses gardes à chaque minute de la journée également. Aider son prochain était une valeur défendue par la Licorne, son Ordre, et elle était Licorne avant d’être Capitaine. Elle était sur la voie de la Chevalerie avant d’être soldat.
Et c’est sur ses considérations qu’elle était retournée dans le fauteuil quitté plus tôt pour s’y endormir, laissant la bougie allumée pour procurer un repère à la Bretonne si celle-ci venait à se réveiller avant elle.
Mais le repos fut court, il faut bien le dire.
Un cri, un autre.
La Malemort ne réagit pas immédiatement. Sur les champs de bataille, on est habitué aux cris qui déchirent l’obscurité et le silence de la nuit. Oui mais Rouquine, tu n’es pas sur un champ de bataille, tu es chez toi, dans ta demeure ; et ici, les cris n’ont rien d’habituels. Un nouvel éclat de voix ; et les émeraudes s’ouvrent à nouveau sur la jeune femme mettant quelques secondes à resituer l’endroit où elle se trouvait.


- Elisabeth ?

Première fois qu’elle l’appelle par son prénom. Était-ce là une marque de proximité ? Non. Surtout une marque d’inquiétude. C’est qu’elle allait ameuter tout le domaine à hurler comme ça !
La silhouette trentenaire se redressa alors de son fauteuil pour rejoindre le chevet de la Kermorial et s’enquérir de la raison qui l’avait poussé à hurler. Un mauvais rêve, peut-être, ou alors était-ce plus profond ?
La Malemort ne tarde pas à réagir, elle prend le verre posé sur le chevet, et le remplit d’eau pour le tendre à son hôte. Que la nuit promettait d’être longue…Mais il fallait voir les choses du bon côté, ce n’était pas comme si elle n’était pas habituée à rester éveillée et cette fois au moins, elle ne l’était pas sur des remparts.
Et si tu t’ouvrais, blondie ?


- Calmez vous, Elisabeth. Vous ne risquez rien ici. Buvez un peu, ça vous fera du bien.
Voulez vous parler de ce qui vous fait hurler ainsi ? Peut-être pourrais-je vous aider.


Ou l’art de poser les bonnes questions au bon moment, ou pas. Elle prenait le risque d’avoir posé la question de trop, et de voir la Bretonne se refermer comme une huitre. L’avenir le dirait, de toute façon.
Attendant la réaction de la jeune femme, les émeraudes continuaient de fixer leurs homologues, la Malemort sincère et inquiète dans toute sa splendeur. Qui a dit qu’elle était froide et sans cœur ? Comme quoi, il ne fallait pas se fier aux apparences. La Bretonne pouvait en tout cas se féliciter, elle voyait une facette de la Princesse que bien peu pouvaient se vanter d’avoir vu ; mais cela elle ne pouvait pas le savoir.
La Malemort attentionnée & inquiète, ce n’était pas franchement ce qu’on retenait d’elle quand on la rencontrait tout juste, et c’était bien souvent ce qui freinaient les personnes qu’elle pouvait rencontrer dans leur envie d’apprendre à la connaître ; mais c’était bien le cadet de ses soucis, à la rousse, elle se faisait très bien à l’idée de passer pour une personne froide et condescendante.

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Else
Pendant ce temps, le nimbe du cauchemar se déchire, rendant Elisabeth à la réalité.
Une douce pénombre baigne la chambre ; le feu ronronne dans l’âtre, éclaboussant révérencieusement les tentures engourdies, les boiseries ensommeillées et la vive chevelure de la rousse, qui semble danser à quelques pouces du visage d’Elsa. Les couleurs sont trop profondes, les contours trop nets, les odeurs trop entêtantes. Les yeux trop douloureusement réels, qui la fixent.
D’un cauchemar à l’autre.

Il semble à Lise qu’à tout instant, elle pourrait basculer à nouveau de l’autre côté, sans ce regard sinople qui l’agrippe. Un regard sincère, inquiet, tel qu’elle les abhorre.
Tel qu'elle en a besoin.
Nausée.

Elle boit une gorgée du verre tendu.


- En priant, peut-être.

Elle abdique.
Elle parle.
Mais sa langue est par trop habituée aux détours et aux escamotages.


- Vous croyez aux monstres ? ajoute-t-elle d'une voix fêlée.

Prends garde, Princesse, qu’un jour Elsa ne t’en veuille. Que dis-je ? elle t’en veut déjà.
Aldraien
        « La haine vient de la ressemblance »
              Jacques Attali
Et si Blondie en veut à la Princesse, qu’y peut-elle ? Ca ne changerait de toute façon rien de plus à la situation ; et la Malemort n’a pas pour habitude de fuir devant un obstacle, ou de reculer devant un mur dressé devant elle. Elle aura même plutôt tendance à l’escalader pour le franchir sans chercher à savoir si un autre chemin existe avant : elle fonce, c’est dans sa nature, et ne cherche pas à user de détours qui lui feraient perdre du temps.
La femme qu’elle héberge est un mystère tellement opaque que la Princesse veut absolument savoir ce qui se cache derrière, elle veut découvrir ce paradoxe qui dort dans son lit ; et pour ça, il n’existe pas trente six mille solutions : il faut chercher, creuser jusqu’à tomber enfin sur ce que la Bretonne met tant d’énergie à dissimuler. A ses risques et périls ; elle aime le risque la Malemort.
Le verre est reposé sur la table à proximité. Les sinoples rejoignent le visage maladif. Prier ?
Elle a appris avec les années que prier ne servait à rien, que prier n’était que se voiler la face derrière de douces illusions ; pourtant, le Très-Haut sait à quelle point la rousse peut être croyante.


- Je doute que prier vous permette de passer des nuits plus paisibles. Ni même que cela vous rende ce que vous semblez avoir égaré.

Ça, c’est dit. Elle dit toujours ce qu’elle pense, la Malemort, quitte à mettre les deux pieds dans le plat sans hésiter ; on ne refait pas une trentenaire têtue, bornée, obstinée, et tous ces termes qui iraient à merveille pour la qualifier.
La Kermorial se mettrait-elle à lui en vouloir parce qu’elle a cette capacité énervante de faire abdiquer les gens ? De les inciter à se confier à elle, qui n’est pourtant qu’une inconnue ?
Qu’importe, elle assumait.
Et cette dernière question, aux allures irréelles, fait bloquer la Rousse. Croit-elle aux monstres ? En voilà une interrogation étrange.
Attendait-elle vraiment une réponse ?
Avait-elle seulement idée de ce qui sommeillait à l’intérieur même de son hôte ? Cette bombe à retardement qui exploserait à la moindre étincelle, pour un peu que celle-ci touche d’un peu trop près aux gens qui lui sont chers, était restée longtemps cachée aux yeux du monde et pourtant, plus d’une fois, elle avait failli réduire à néant son monde.

Monstre, elle l’était elle-même, derrière ses airs de Princesse bien nés et cette illusion de vie bien tranquille. Monstres, elle en avait connu plusieurs, qui avaient fait tant de mal sur terre qu’ils ne pouvaient qu’être inhumains.
Celui qui l’avait accusé d’être une créature du Sans Nom - non à tord, mais ça il ne pouvait pas le savoir - était lui-même un monstre, le Breton qui l’avait souillé et qui avait fait de même avec deux autres femmes qui comptaient pour elle, en était un aussi. Celui qui avait enlevé sa Suzeraine pour la torturer n’était pas mieux. Des monstres, il y en avait partout, mais ils se cachaient bien. Les masques étaient toujours bien en place à chacune de leurs interventions en public, comme il l’était pour elle.
Respectable & appréciée ; c’était ainsi qu’elle voulait paraître et c’est ainsi qu’elle paraissait. Pourtant à cet instant, dans son regard, passe une étrange lueur. Reflet des flammes qui dansent dans l’âtre, ou autre chose ? Personne ne saurait.


- Les monstres ? Ils sont partout autour de nous. Parfois plus proche que ce qu’on peut imaginer, même dans nos pires cauchemars. Tu n’as pas idée à quel point, Elisabeth. A tous les coins de rue, de taverne, n’importe où. J’en ai croisé plus d’une fois… Et moi aussi. Alors oui, j’y crois.

Léger silence. Une pause sur un regard, le temps d'un demi-soupir. A-t-elle seulement idée, la jeune blonde, de ce qui guette derrière les émeraudes princières cherchant la moindre petite faille pour s'échapper et s'abattre à nouveau ?
Protège-toi d'eux, devrait elle crier dans une mise en garde, elle qui n'en a que trop fait l'expérience. Au contraire, c'est une phrase presque murmurée qui s'échappe des lèvres de la trentenaire.


- Mais je crois aussi qu’aucun d’entre eux n’est invincible, pour peu qu’on se donne les moyens de le vaincre.
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Else
La lueur que les flammes ont jeté dans les pupilles vertes n’a pas échappé à la Lise. Ou l’a-t-elle rêvée ? Oui... Une simple étincelle, sans doute. Qui lui rappelle qu’elle ignore tout de cette femme au visage mangé de flammes.
Qui est donc Aldraien de Malemort-Carsenac ? La jeune femme n’a pas de réponse précuite : les réputations locales lui sont inconnues, et comment pourrait-elle soupçonner la bête qui rôde sous les princières paupières ? Tout au plus pressent-elle, peut-être, la même témérité qui dort dans ses veines.

Un temps.

Hochement de tête.


- Un jour, oui.

Comprenez, ou ne comprenez pas : un jour, je tuerai un monstre.
On peut toujours rêver.
Pauvre Blondine, qui n’a jamais soulevé une arme… sais-tu seulement de quoi tu parles ?


- Mais ce sera déjà trop tard, ajoute-t-elle comme pour elle-même. La question, c’est de savoir à quel point.

Ses doigts caressent machinalement son bras gauche : sous la rudesse du surcot, sous la douceur râpeuse de la chemise, c’est là que l’incendie a laissé ses marques les plus visibles. Visibles comme celles qui ornent le visage tout proche.

Qui est donc Aldraien de Malemort-Carsenac ? Rancœur et reconnaissance, circonspection et curiosité se disputent la préséance, tandis que la Lise étudie à nouveau les traits de la rouquine.
Et par discrétion, ou pur réflexe rhétorique, elle détourne le propos :


- Je ne voulais pas vous réveiller.
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