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[RP] La dormeuse du val*

Aldraien
Témérité est un bien faible mot pour qualifier ce qui peut dormir dans le sang de la Malemort. Les origines écossaises de sa famille n’auront pas fait pour elle d’exception à la règle. Carsenac de naissance, elle avait hérité de la même ténacité parfois abusive, de la même impulsivité, et de la même répartie mordante qui caractérisaient la presque totalité des membres de la Maison. Cependant, contrairement à d’autres, elle avait appris à force d’expérience à contenir ses pulsions et à agir de façon prudente et réfléchie ; même si cette habitude n’était pas systématique.
Si Blondie est loin d’imaginer ce qui dort sous les prunelles princières, elle-même serait bien incapable de dire ce qui peut bien trotter sous cette tête blonde. Elle l’intrigue, elle voudrait lui poser mille questions qui n’auraient sans doute pas de réponses, juste pour satisfaire cette curiosité insatiable. Elles se cherchent, dessinent les contours l’une de l’autre sans savoir comment accéder aux détails du portrait qu’elles veulent brosser.
Impressionniste ou surréaliste, il faut bien faire un choix.

Evasive, la Kermorial n’en dit jamais trop. Tout juste dit elle le strict minimum pour orienter la Malemort sur la piste, et l’inciter à vouloir en savoir plus. Un mot de sa part et déjà dix nouvelles questions se pressent dans l’esprit de la Princesse. Un jour ? Mais quand, et comment ça, par quels moyens ? Pourquoi un jour, et pas maintenant ? Et pourquoi ne pas me raconter une fois pour toute ce qui semble te ronger au point de troubler ton sommeil, Elisabeth ?
Dis moi ce monstre qui te hante, je te parlerai des miens.
Mais les lèvres restent closes des deux côtés, pour le moment du moins. Les sinoples pourtant se font plus incisives, cherchant à lire dans leurs homologues pour y trouver, peut-être, des réponses laissées là par hasard.
Nouvelle phrase, nouvelles interrogations. Elle la fascine. Serait-ce un miroir qui lui adresse la parole, ou cette femme connait-elle ces démons qui vous brûlent de l’intérieur, aussi sûrement que les flammes avaient brûlé son visage ?


- De tous les maux, il faut choisir le moindre, il parait. S’il est trop tard, alors il faut se battre pour rattraper le retard, et espérer le dépasser.

Ou comment répondre à une phrase sans sens par une autre phrase toute aussi absurde. Le pire, c’est qu’on dirait presque qu’elles réussissent à se comprendre, les deux. Et la Malemort continue son observation, elle voit le langage du corps qui parle ; à défaut d’entendre la voix de sa propriétaire. Il y a quelque chose là, juste sous la surface, et elle donnerait cher pour découvrir quoi.
La Kermorial tourne et retourne, s’amusant à détourner le propos pour mieux embrouiller le raisonnement de la rousse et l’empêcher d’avoir le temps de déduire quoi que ce soit. Mais elle est rapide, l’Altesse, et a déjà trouvé un nouvel argument pour tenter de revenir au sujet principal de la conversation, bélier agissant avec prudence pour défoncer une porte en douceur, usant de stratégie pour ne pas qu’elle se referme définitivement.
Quoi de mieux pour ça que de montrer qu’elle peut comprendre ce que vit la Bretonne ? En témoigne la pâleur de son visage, derrière les marques de l’Incendie.


- Il n’y a pas que vous que les monstres tiennent éveillée. Un temps, une pause, pour bien marquer son propos et laisser le temps à son invitée de bien comprendre de quoi elle parle. Si vous ne m’aviez pas réveillé, ils n’auraient pas mis longtemps avant d’y parvenir eux-mêmes. Je dors rarement plus de quelques heures. Et enfin : L’ombre n’est plus assez vaste pour les maintenir endormis ; il n’y a pas que pour vous qu’il est trop tard. Vous n’êtes pas la seule à courir après ce que vous avez perdu.

Finalement, nous ne sommes pas si différentes. Sauf que moi, c'est ma raison que je recherche ; et le feu a brulé bien plus qu'une partie de mon bras.
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Else
D’abord ma vie, maintenant tes confidences. Je te connais à peine, Princesse, et me voilà deux fois liée à toi. Est-ce bien raisonnable ?
Evidemment non.


- Oui, lâche pourtant Boucle D’Or en un souffle.

C’est à mi-chemin entre
je comprends et j’accepte la perche que vous me tendez, mais il faut croire que des précisions lui écorcheraient la langue.
Foi de narrateur : elle ne fait même pas exprès d'être déroutante. C'est sa façon de communiquer : gommer toujours l'inessentiel, et parfois, avec certains élus : en dire beaucoup tout en disant très peu. Elle même se comprend très bien, et n’imagine même pas qu’il puisse en être autrement pour les gens intelligents, dont la Rousse fait évidemment partie.
Parce que la Rousse parle le même langage. Parce que la Rousse sait les cauchemars, les monstres et les fantômes.

La stratégie a fonctionné. Bingo ?


- On vit avec. Même si j’en avais le pouvoir, je ne voudrais pas les oublier. Pas le droit, vous voyez.

Question sans point d’interrogation.
C'est le nécessaire corollaire à la confiance accordée. La bêcheuse est exigeante, vis-à-vis des autres et vis-à-vis d’elle-même : je vous laisse imaginer à quelle hauteur elle place la barre, pour quiconque lui fait le généreux affront de lui sauver la vie.

Elle poursuit sur sa lancée :


- C'est le seul bon choix possible. Parce qu'il en faut bien un. Le choix de se battre.

C'est alors que l'image de Beilhal, l'édifiant paronyme qui la secourut un jour, se rappelle brusquement à son bon souvenir. Il était dit que l'orgueil la sauverait.
Un monstre contre un monstre ? Et jusqu'à quand, avant de tomber ? Jusqu'à quand, avant que l'antagonisme ne se résorbe ?


- J'aurais cru la bataille plus facile quand ils s'incarnent. En fait, non.

Parce que ça ne les rend pas complètement autres. Mais je ne vais quand même pas t'avouer, ton Altesse, que je crains de me transformer en sociopathe. Namého.
Aldraien
Raisonnable n’étant pas un mot faisant partie du vocabulaire de la Princesse, vous comprendrez aisément qu’elle, elle ne voit absolument pas le mal qu’il pourrait y avoir à se confier à une Bretonne qui combat des monstres. D’autant que, si elle venait à aller crier que la Malemort est complétement folle, personne ne la croirait. Deux raisons à cela : Parce qu’elle est Bretonne et que tout bon Français qui se respecte ne croirait jamais une Bretonne, la deuxième découlant de la première, puisque personne ne croirait jamais que Aldraien de Malemort-Carsenac aurait pu un jour dans sa vie ouvrir les portes de sa demeure à une Bretonne, même si celle-ci était aux portes de la mort. Tous savaient que l’Edenteuse n’accueillait pas ses ennemis chez elle, et qu’elle les édentait plutôt que de les sauver ; ses nombreux chapelets de dents, fièrement exposés dans l’une des salles de sa demeure, en témoignaient.
Elle ne risquait donc absolument rien à se confier à cette inconnue qui ne l’était pas tant que ça, finalement, puisqu’elles se ressemblaient, quelque part, et bien plus qu’elles ne pouvaient l’imaginer l’une comme l’autre.

La réponse monosyllabique ne l’étonne même plus, elle a compris comment fonctionnait Blondie, et elle s’y est fait. Finalement, cette façon de s’exprimer ne la dérangeait pas outre mesure, au contraire, elle s’y retrouvait et s’y complaisait. Il semblait néanmoins que la dernière réplique de la Malemort ait eu l’effet escompté. Elisabeth se livrait - enfin - pour qui saurait lire entre les lignes, et ça tombait bien, la Rousse était justement de ces gens là.
Pas le droit, pas l’envie, pas la possibilité. Qu’importe lequel l’emporte, peut-être au final était-ce un mélange des trois. La rousse acquiesce vaguement, effectivement la question n’en était pas vraiment une, et elle n’appelle aucune réponse. Pourtant la Malemort répondra, succinctement, d’un ton qui ne laisse place qu’à l’évidence. C’est une constations qu’elle fait, le poids qu’elle a à porter sur ses épaules étant déjà bien lourd pour une seule personne, devoir cacher sa vraie nature continuellement l’était également. Mais elle n’a pas vraiment besoin de se cacher, dans cette chambre.
L’ombre repasse dans le regard sinople.


- Nous avons tous notre propre fardeau, désiré ou non.

Et un simulacre de sourire vient se poser sur les lèvres princières à la réplique suivante. Elle comprenait, oui, qu’il n’y avait pas vraiment d’autre choix possible. Se battre, ou se laisser submerger par eux et tout perdre. La deuxième solution étant inacceptable, il n’en restait donc qu’une seule. Et se battre contre quoi, d’abord ? Fallait il privilégier la lutte contre ses propres démons, ou contre ceux qui venaient de l’extérieur ? Cruel dilemme pour une Malemort au regard changeant.
Comment avouer à la Kermorial que sociopathe, elle l’est déjà, même si elle le cache bien ? Se confier, elle était loin de le faire réellement, à peine avait-elle effleuré la complexité de ce qui pouvait se cacher derrière les émeraudes ; le reste était bien plus noir et effrayant, même pour une Bretonne stoïque comme celle qui semblait être allongée juste là.
Lentement, elle se détourne, les sinoples détaillant la silhouette juvénile et frêle ; la jeune femme lui rappelle sa propre personne, quelques années en arrière, à chercher des réponses, à espérer, mais sans trop en dire.


- Ce sont les pires.

N’avoue pas tes craintes, mais moi aussi je suis capable de ne presque rien dire. Lis donc entre les lignes, si tu le peux, Blondie. Seras-tu aussi douée pour jouer à ton propre jeu ? Les sinoples viennent de passer à l’acier à présent, et les pupilles grises se reposent sur le visage de la presque-enfant, tant elle semble jeune à cet instant, à la Malemort.
Que ferait-elle, si elle venait à se retrouver au bord du gouffre ? Sauterait-elle, pour se livrer d’elle-même en pâture aux monstres et aux flammes, ou reculerait-elle ? Tu sembles tellement sûre de ce qu’il faut faire, Elisabeth, mais en es-tu réellement capable ? Elle ne posera pas la question. La main gauche, dont le dos est couvert des cicatrices laissées par l’incendie, comme sur toute la partie sénestre de son corps, vient se poser sur le front de la Bretonne pour vérifier si la fièvre est présente ou non. Elle ne lui demande pas l’autorisation de la toucher, impérieuse, elle se la donne elle-même. L’autorité sourde qui se dégage de la Malemort ne laisse pas la place à un quelconque refus. Les prunelles aciers rejoignent à nouveau le regard de la Kermorial.


- Vous devriez vous reposer.
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Else
Les pires, oui. Les pires. Tu les as rencontrés, n’est-ce pas ? Toi aussi, tu sais… Difficile de dire si Elisa est sagace, ou s’il se trouve tout simplement que la réalité ne fait qu’un avec ce qu’elle désire entendre. A la place de son habituel jeu de déchiffrement, il n’y a plus qu’une faim insatiable.
Dis-moi que toi aussi, tu les sens hanter ta chair… Dis-moi que tu as peur, toutes les nuits, qu’ils ne s’emparent de toi comme ils se sont emparés des autres… Dis-moi que je ne suis pas seule, dis-moi que l’on survit…

Le visage de la jeune fille s’est tendu vers la Malemort, comme pour recueillir quelque chose, une réponse qui s’échapperaient des iris smaragdines… Vous ne rêvez pas : Lizzie attend rien moins qu'une révélation. Mettons que c'est l'épuisement, il a bon dos. Toujours. Mais c'est quand même bien vrai, qu'elle est jeune. Et perdue, pour la seconde fois de sa courte vie. Et comme souvent les presque-enfants, trop orgueilleuse pour s’en apercevoir.

Mais en fait de message mystique, une main froide vient palper son front moite ; et étrangement, Lise tolère le geste. Vous me direz qu'elle n'a pas le choix. Et vous n'aurez pas tort. N'empêche.
Lorsque leurs regards se recroisent enfin, Aldraien n’est plus encline à discuter. Une fatigue insoutenable s'abat sur la blonde, ses doigts cherchent machinalement la main abîmée de la Princesse, y découvrant, mais est-ce déjà un songe ? Les même marques qu’elle porte…

Et comme obéissant à la suggestion, elle s’endort raide.
Aldraien
Rien de plus ne sera avoué tant que la Kermorial serait éveillée. Il y a cette barrière invisible qui empêche la Malemort de se livrer totalement aux supplications silencieuses de la Bretonne. Entre dire les faits, les énoncer sans aucun jugement, et dire les faiblesses, les peurs et les craintes, il y a tout un monde. Devant sa propre famille déjà, elle parait intouchable, invincible ; sauf pour une poignée d’élus qui ont déjà eu l’occasion de constater à quelle point la forteresse qu’elle avait bâtie pour se protéger et protéger les siens pouvait être faillible, et s’écrouler au moindre assaut.
Lentement mais sûrement, Elisabeth se laissait aller aux bras de Morphée, sous le regard attentif d’une Princesse adoptive ; elle pouvait se reposer en paix, au moins une nuit dans sa vie : La trentenaire veillait. Pourquoi tant d’attention, me direz vous. Parce qu’elle est mère, et que cette jeune femme lui rappelle celle qu’elle avait pu être par le passé, perdue, cherchant quelque chose sans qu’on sache réellement quoi, apeurée ; quoi qu’apeurée elle l’était toujours, ça n’avait pas changé, il n’y avait que la manière qu’elle avait de dissimuler ce fait gênant qui avait évolué.
Qui sait, peut être la Kermorial deviendrait-elle comme elle ? Ce n’était pas à souhaiter, et ce n’était pas là un destin enviable, bien loin de là. Aldraien, du haut de ses trente cinq ans, l’avait bien compris.

Les doigts jeunes de la Bretonne viennent frôler la main. De mémoire, c’est la première fois que la jeune femme la touche d’elle-même. Marque de confiance, ou signe d’une errance mal dissimulée ? Les prunelles se posent sur la main qui effleure la chair marquée, elle tolère, elle aussi. Elle a compris depuis longtemps que pour ne pas avoir été dégoûtée et effrayée par l’apparence de la Malemort, elle a forcément dû être confrontée aux flammes, elle aussi ; même si elle ne sait pas encore exactement dans quelle mesure.
Pourquoi me ressembles-tu autant, Elisabeth ?
Les aciers remontent pour détailler à nouveau le visage endormi. Décidemment…Elle lui semble plus jeune à présent qu’à n’importe quel moment auparavant. Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Elle avait toujours eu du mal à déterminer l’âge des personnes qu’elle côtoyait, ce n’était pas nouveau. Là encore, elle est incapable de dire exactement, ou même approximativement. Une quinzaine d’années, peut-être un peu plus ? Cela resterait un mystère.

Elle n’ose plus bouger à présent, ne veut pas la réveiller. Sa main meurtrie restera donc sous les doigts de son invitée, tandis qu’elle vient se mettre assise au bord du lit. Cette nuit, comme les autres, elle resterait éveillée ; mais cette fois au moins, elle avait une bonne excuse : veiller sur la jeune femme, pour que ses monstres ne viennent la hanter encore une fois. Une nuit de répit pour Elisabeth, en espérant que les heures acceptent de passer lentement, que celle-ci en profite pleinement.
La main sous les doigts enfantins - à ses yeux - ne bouge pas, cette nuit, elle serait la mère qui rassure sa progéniture par sa simple présence, par cet aveu sous-jacent qu’elle a transmis en lui conseillant de se reposer : personne ne viendra te déranger cette nuit.
Inlassablement, elle l’observe, comme si les prunelles avaient eu ce pouvoir incroyable de lire les âmes de ceux sur qui elles se posent, elle aimerait comprendre l’histoire de cette femme, elle aimerait connaître les monstres qui la hantent pour les comparer aux siens. Ils ne pouvaient pas être si différents, tant l’étincelle du regard breton ressemblait à celle qu’elle pouvait arborer parfois, lorsqu’elle se rappelait qu’elle devait se battre.


- Moi aussi j’ai peur, Elisabeth.

Après de nombreuses minutes, heures peut-être, à surveiller le corps. Premier aveu, à demi-mots, d’une rousse assez lâche pour ne parler qu’une fois la Kermorial endormie. Elle ne veut pas la réveiller, d’où son murmure. Espère-t-elle que les mots soient retenus comme la réalité, ou qu’ils apparaissent comme un songe à la jeune femme ? Peu lui importe, dans tous les cas. Mais voilà que la révélation tant désirée par l’endormie se fait enfin, peut-être pas avec la certitude tant attendue, l’aplomb que l’on réserve aux grands de ce monde qui ont tant perdu que plus rien ne les effraie. Elle n’est pas de ces gens-là, immortels, elle n’a accompli aucun exploit ; tout juste essaie-t-elle de vivre avec honnêteté et en respectant ses convictions.
Et elle a encore tant à perdre…
La main se crispe sur le lit, sous les doigts de la jeune femme, le cœur est serré. Faut il qu’elle continue ? Bien loin de l’arrogance qu’on lui prête parfois, la Malemort est bien trop vulnérable à cet instant. Encore un aveu, non elle ne lisait pas dans les pensées. Elle savait simplement ce qu’elle aurait aimé entendre lorsqu’elle cherchait de toute son âme.


- On survit…
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Else
Derrière les paupières dansent des langues d’or.

Eveil ? Ce serait la maison d’enfance.

Les rayons de l’aube pénètrent dans une petite chambre austère, flattant la pierre des murs, et caressent les tempes d’Elisabeth enfant. Depuis le lit – le joyau de la cure –, on peut contempler un beau coffre de bois vieux, dont les panneaux muets racontent toutes les histoires du monde ; mais elle n’ose pas encore ouvrir les yeux, ou ne peut pas. Qu’importe ? Elle connaît le décor avec une précision photographique.
Là, juste au-dessus de la fenêtre, la poutre est fendue : c’est depuis le grand orage, quand la grosse branche du chêne s’est abattue sur la toiture.
Ici, le bois de la porte est rongé, là où une souris est venue se faire les dents, avant de disparaître – on pense que le chat de la meunière n’est pas innocent dans l’affaire.

Un homme entre deux âges vient d’entrer, un doucet petit curé de hameau : il avance sans bruits, glissant sur le sol de terre battue, vers le coffre. Quand il aura trouvé ce qu’il est venu chercher, il viendra poser une main paternelle sur les doigts de l’enfant – Elisabeth la sent déjà, entend déjà le minuscule sourire…

Mais, attendez…

Voilà que l’image se trouble… Le souvenir devient rêve, le rêve distord le souvenir… et penchée sur le coffre, c’est une silhouette de femme. C’est la nuque élégante, la chevelure lourde, le déhanché immanquable d’une femme, c’est la voix d’une femme, le souffle d’une femme, le parfum d’une femme.

Est-ce elle ? demande Elisabeth – l’enfant, ou l’adulte ? à moins qu’il n’y ait pas de différence.
Est-ce elle ? demande Elisabeth – et elle, c’est la mère.

    Elisabeth a six ans : sa mère est une figure sans visage, sans nom, à articuler sur les panneaux nus du coffre. Elle n’en parle jamais. Elle y pense toujours. Ma mère, le mythe.

    Elisabeth a quinze ans : une lettre lui rend sa mère pour mieux la lui ôter. Elle devient Kermorial, et orpheline. Ma mère, la morte.

    Elisabeth a dix-huit ans : la somme du réel lui est restée en travers de la gorge. Ma mère, la traîtresse.


Mais ce n’est pas elle. Près d’elle, tout près, l’enveloppant de sa chaleur de mère – car c’est une mère, simplement pas la sienne – la femme murmure un secret qui ne sera pas entendu, que de l’oreille du rêve.
Comme une certitude que l’on insuffle.
Le secret.

Derrière les paupières dansent des langues d’or.

***

Le feu brûle toujours dans la cheminée et sur le chef de la Princesse. Sa main s’est raidie, douloureuse, à un moment que Boucle d’Or, entre deux eaux, ne saurait estimer. Elle la presse doucement. Pour apaiser.
Pour retenir, aussi, quelque chose qu’elle sent filer.
Qui file.
Qu’elle oublie déjà.
Oh, bien. Juste pour apaiser, alors.
Aldraien
On survit, mais on ne vit plus vraiment.
Mais ça, elle se garde bien de le dire à la pauvre jeune femme.

Cela fait bien longtemps qu’elle n’a plus rêvé de son passé, alors qu’elle était enfant. Depuis avant qu’elle n’entre au sein de la Licorne en tant qu’Ecuyère. Si elle savait la Bretonne, comme elle a de la chance de pouvoir encore entrevoir son enfance, même si ce n’est qu’à travers un rêve à tendance cauchemardesque.
Que je vous raconte ce qui a été l’enfance de cette trentenaire au visage brûlé. Aldraien est née dans la demeure familiale des Carsenac, famille noble installée en Lyonnais-Dauphiné, non-loin de la bourgade nommée Montélimar. Sa mère, Aliénor Carsenac, jeune héritière de la famille avait épousé en secret Etienne Chanteloup, marchand ambulant aux revenus aisés, qu’elle avait pour ainsi dire imposé à ses parents, tout comme la grossesse qui avait suivie. Une enfant aux cheveux flamboyants était née de cette union, enfant qui avait été chassée avec son père par les parents d’Aliénor - Sybell et Arnaut - lorsque la belle et douce Aliénor avait perdu la vie deux ans après la naissance.

Mais cette période de sa vie, la désormais Malemort n’en a pas souvenir. Elle se souvient de la vie paisible et modeste qui était la sienne alors que celle qu’elle pensait être sa mère l’élevait comme sa propre fille. Elle se souvient des voyages du père, souvent absent pour ses affaires et de l’enseignement qu’il lui prodigua alors qu’elle savait à peine marcher.
Les armes. Aldraien enfant qui apprenait à manier couteaux, dagues et épées légères alors qu’elle ne savait pas encore lire. Et cet apprentissage lui sauva la vie, quelques années plus tard. Son père et sa mère adoptive, tués par des brigands attirés par l’appât du gain, par les quelques écus qu’Etienne avait ramené de son dernier voyage, la laissaient orpheline à huit ans. Les routes devinrent dès lors sa demeure, sa dague son gagne-pain. Obligée de voler, de menacer, de tendre des pièges, pour pouvoir se nourrir ; l’enfant aux cheveux flamboyants avait grandi ainsi, durant bien des années, gagnant en agilité et en ruse ; jusqu’à l’âge adulte, quinze ans, où elle arriva à Montélimar.
Une nouvelle vie.
Elle devient soldat, les armes qui lui servaient auparavant à voler, seraient alors utilisées pour défendre une ville qui l’a accueilli.

Les années passent.
La vie l’amène en Limousin & Marche, au chevet d’une Bretonne qu’elle a sauvé de la mort et qui dort à présent dans son lit. L’enfant aux cheveux flamboyants était à présent Princesse, Capitaine d’un Comté, et tant d’autres choses. Bien loin, la jeune brigande qui luttait pour survivre. Elle aussi, une lettre avait changé sa vie. Elle était devenue Carsenac, et avait appris que sa mère était morte depuis bien longtemps, si longtemps. Aldraien Sybell Carsenac. Elle a une famille. De son enfance, il ne reste rien, sinon un vague sentiment que tout cela n’a été qu’un vaste mensonge.
Son souvenir le plus précis ? Le feu dans cette auberge, les flammes qui l’assaillent et la brûlent de toute part ; souvenir qui s’impose à elle dès qu’elle songe à son passé. Ryes, en Normandie, la forteresse de l’Ordre Royal de la Licorne et le village qui la borde ; elle logeait dans cette auberge enflammée par une étincelle, avec les quelques voyageurs se trouvant là. Elle se souvient les avoir aidé à sortir de la fournaise avant qu’elle n’ait tout consumer. Et…

La chaleur de la main la ramène au présent.
C’est une inconnue qui essaie de la sauver, comme elle l’avait elle-même fait. La nuit passe, et voilà que l’aube arrive enfin. Avec elle, la fin des cauchemars, le début d’une nouvelle journée à faire semblant d’être comme les autres.
Toi aussi, Elisabeth. N’est-ce pas ?
La Malemort la laissa dormir tout son saoul, et fit prévenir une des femmes à son service. Dans quelques minutes, il y aurait de quoi manger et boire en abondance dans cette chambre. Des produits fraichement cuisinés par les cuisinières. La main dans la sienne, elle continuait de veiller sur elle, elle continuerait tant que celle-ci serait sous son toit. Qu’importe qu’elle reste deux jours, une semaine, un mois. Elles se ressemblaient et, comme un guide, la trentenaire se devait de venir en aide à la jeune femme.
Parce qu’elle lui a promis, silencieusement.

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