[Après Argentan, la campagne...]
"Bordel", "connerie", "foutredieu", "merde", "roustons", "puceau"... Tels sont les souvenirs qu'elle emportera d'Argentan, la jeune rouquine. La soirée en taverne avec la duchesse Belialith aura été instructive et pleine de surprise. Un deuxième secret vient s'échouer sur les menues épaules de l'enfant : Blondie lui fait promettre de ne pas dire à sa maman que c'est elle qui lui a appris tout ça... Maeve acquiesce... et se promet de les répéter à Leandre dès qu'elle le retrouve, ce qui ne saurait tarder d'ailleurs...
Les gambettes tricotent jusqu'à le rejoindre à la lisière de la forêt, où Anthelme termine un repas bien mérité. Le soleil déjà très bas achève de disparaitre au profit de la danse orangée des flammes du feu que le jeune chevalier a allumé. Le sourire de Maeve se glisse reconnaissant sur ses lèvres.
L'habitude est consommée maintenant. Deux enfants en goguette sur une terre étrangère, livrés au monde, et qui doivent se rassurer avant de dormir à la belle étoile... Que pensez-vous qu'ils font ? Et bien ils rient. Ils discutent, font des tas de projets, des promesses, des plans sur la comète, partagent des secrets dont bien sur personne ne sera jamais au courant.
Surtout deux enfants comme Leandre et Maeve, à l'esprit éveillé, la curiosité en étendard, les envies plus grandes que leurs capacités... Les confidences s'échangent aussi surement que les liens se tissent. Quoiqu'il advienne à la fin de cette escapade, ils auront partagé ce que peu d'enfants vivent. Qui peut se targuer d'avoir parcouru la moitié du royaume en la seule compagnie de son chevalier ?
Lorsque Morphée vient faire entendre son appel, elle se recroqueville pour mieux se nicher dans les bras du jeune garçon, plongeant dans des rêves peuplés de coquillages colorés, d'épées de bois, de folles chevauchées, protégés qu'ils sont par le tapis de selle offert par Wallan.
Lorsque les premiers rayons de l'aube viennent les cueillir, les paupières s'ouvrent sur un monde vide qui d'abord effraie la jeune rouquine avant qu'elle ne se rappelle où elle est et surtout avec qui et dans quel but. La ballade peut reprendre son cours, et Anthelme reçoit de nouveau les cavaliers sur son dos. C'est reparti pour quelques heures de chant aléatoire, de silence confiant, de paysages qui s'effacent rapidement au rythme des sabots du frison.
Le campement du soir est encore plus isolé que les précédents. En rase campagne alençonnaise, les deux jeunes gens ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leurs maigres provisions. Mine de cachottière pour une petite Alterac qui sort de sa besace un paquet étrangement ficelé.
Cette surprise, elle la garde depuis la veille. Il lui a été difficile de garder le secret. Leandre est penché sur le foyer du feu, et elle s'assied près de lui, prunelles brillantes, sourire élargi, et détache la ficelle, dévoilant un morceau de viande assez gros pour en nourrir quatre comme eux.
On m'en a fait cadeau hier... Parce que j'étais "gentille"... T'en veux ?
Elle se doute de la réponse qui s'exprime à travers un cri expressif de son chevalier, qui s'empresse de dégager des braises pour faire cuire la pitance providentielle. Tandis que la viande grille, bruissements d'ailes, missives en transport aéroporté qui viennent se poser auprès des enfants. Le sceau est celui de sa famille, Maeve le reconnait immédiatement et se précipite. Seulement l'expression joyeuse de son minois enfantin laisse rapidement place à de l'inquiétude puis de la peur quand elle déchiffre lentement les mots tracés par sa mère.
Les mirettes azurées écarquillées, elle tend le parchemin, blême, à Leandre. Il est trop tard, bien trop tard, pour obéir à l'ordre de sa mère. Ils sont loin de Dieppe, si proche de la maison... Et ces nouvelles, Leandre... D'abord mal à l'aise, puis un peu piteux, puis carrément désolé, son chevalier lui explique les soucis qu'il a eu avec le duc normand et l'OST qu'il a abandonné pour l'accompagner... Gamine perdue entre culpabilité, par rapport à sa maman, par rapport à Leandre, et peur, pour eux, pour la réaction de sa mère, pour la Normandie qui les avait pourtant bien accueillis...
Quelques minutes, quelques heures... Ils parlent, beaucoup. Leandre lui confie ce qu'il avait peur de lui dire, Maeve comprend à sa manière les derniers évènements. Il n'y a que deux choses à faire. Profitant des derniers rayons d'un crépuscule et de la lueur du feu, oubliée la viande, elle s'empare de son matériel d'écriture. La première, pour sa maman.
Citation:
Maman,
je ne sais comment vous l'écrire, quels mots employer... je ne sais comment vous dire que nous sommes déjà loin de Dieppe. Votre missive me fait peur... Leandre est gentil vous savez, il n'a rien fait de mal, faut pas qu'ils envoient des grands sur nous comme l'a dit Mabelle à Leandre... Maman, j'ai hâte de vous retrouver, parce que je crois qu'on a fait une bêtise... C'est de ma faute, Leandre il n'a rien fait que me protéger... Vous me manquiez tant aussi...
je suis désolée Maman... Nous serons demain en Orléans, et bientot en Berry je crois... Retrouvez nous vite...
je vous aime
Maeve Alterac
Comme toujours, cette missive est scellée de son pouce dans un peu de cire chaude qu'elle verse sur le velin gratté rapidement d'une écriture malhabile. Puis elle s'empare d'un parchemin vierge. Là, il lui fait s'appliquer, et la plume s'affermit dans la menotte qui la tient.
Citation:A Sa Grace Alcalnn le Chat de Normandie,
Le Bonjour,
Jimagine que vous êtes très occupé, et je mexcuse davance de vous déranger, mais je viens de recevoir une lettre de ma Maman qui nest pas contente du tout et très inquiète. Et ça mennuie un peu, Monsieur le Minou de Normandie, parce que jaime pas du tout me faire gronder par Maman, et encore moins quelle sinquiète pour moi.
Il parait que le fait de partir de votre duché cest un crime, et quon risque de se faire attaquer dun jour à lautre par des armées
Et je vous avoue que je ne comprends pas trop Monsieur le Chaton, pourquoi vous en voulez autant à Leandre et moi.
Je sais bien que Leandre il est très fort, parce que ce sera un chevalier quand il sera grand, et quil a une épée en bois et quil a même tué un rat un jour, et quil est très gentil aussi, mais vous savez, je suis sure que vous trouverez dautres gens plus grands pour votre armée de Normandie. Parce que Leandre cest mon ami, et quil a promis de me ramener chez ma Maman. Sil vous manque, vous pouvez lui écrire, je suis certaine quil ne rechignera pas à vous donner des nouvelles de temps en temps.
Jai bien compris quil aurait dû vous prévenir, mais vous savez on est partis très vite parce que à Dieppe on était appréciés et quon ne voulait pas quils nous suivent ou nous empêchent de prendre la route, ils ont été tellement gentils avec nous ! Et puis vous savez, Monsieur le Minet, même si je sais que Leandre il est fort et tout, je sais quon est quand même que des enfants, et Maman elle dit que ça arrive de faire des bêtises, faut juste pas les recommencer quand on a compris.
Maman est inquiète, et moi jai très peur. Parce que Leandre il a une épée en bois, et que moi jai quun bâton, et que même sil a promis de me protéger, je ne pense pas quil y arrivera contre toute une armée avec des épées en fer et des adultes. Et nous sommes bien trop jeunes pour nous battre pour de vrai, nous navons même pas lâge dêtre écuyer encore
Et Maman elle serait très triste sil nous arrivait quelque chose.
Alors je tenais, Monsieur le Chat de Normandie, à vous présenter mes excuses pour avoir emmené quelquun daussi bien que Leandre loin de votre duché, je mesure très bien combien il peut vous manquer, parce quil me manquerait beaucoup aussi sil nétait plus avec moi. Mais faut pas trop nous en vouloir quand même, vous savez, parce que nos parents ils nous manquent et que nous voulions juste rentrer chez nous
En espérant que vous comprendrez quil faut arrêter de nous poursuivre,
Je vous souhaite dêtre heureux en Normandie, même sans Leandre, je sais pas, engagez votre fils à la place si ce sont les enfants qui manquent dans la Bande de Normandie
QuAristote vous ait en sa sainte garde,
Maeve Alterac
Mascotte Dieppoise.
Là aussi, elle scelle la lettre, mais d'un gravier trouvé sous sa chausse. Le regard confiant se pose dans celui de son chevalier.
Tu vas voir... ça va s'arranger... Tu leur manques c'est normal...
Mais ils vont se faire une raison... T'as rien fait de mal !
Mais ils sont loin d'être rassurés. Cette nuit, près d'eux reposeront leurs armes de bois, cette nuit le sommeil sera moins coloré...Cette nuit Maeve aura peur, et se blottira d'autant contre ce pauvre Leandre. Et demain, de petites poches se seront formées sous ses yeux couleur ciel, tandis qu'ils reprendront la route, aux aguets. Anthelme va devoir se presser. Les Grands ne leur pardonnent pas leur escapade, là-bas, en Normandie..._________________