"- Hoooooo làààààà! J'ai trouvé mon sapin!"
Elle salue à la cantonade, rieuse, et s'assoit, essoufflée d'avoir marché sur la neige en guidant ses bufs. Ils ont tiré sa charrette curieusement équipée de patins, (car sinon les roues glissent sans avancer) depuis Laval.
Une énorme tenture peinte est enroulée dedans, et Feuilllle doit demander de l'aide alentours pour la sortir, la déplier et l'installer entre deux forts pieux; ceux-ci la maintiennent bien droite, et c'est plus agréable à regarder debout plutôt qu'aplatie à terre.
Oh ! La toile raconte une histoire...
"- Enfants, arrivez! Que je vous raconte!"
Devant une troupe de chérubins trainards et curieux, elle commençe son petit conte.
"- .... Il était une fois, dans une grande forêt de résineux dévalant une petite montagne, un gentil bucheron, qui voulait couper un sapin pour noël.
Cette fête de la générosité hivernale provoque toujours une profusion de cadeaux... et de sapins décorés!
La neige est froide pour le bucheron, le ciel est sombre bien qu'il fasse jour.
Le soleil pâle et bas se distingue à peine.
Il grimpe et s'arrête enfin, car l'arbre qu'il a repéré avant-hier pour le couper et le rapporter dans sa demeure est juste devant lui.
Il se repose le temps d'une respiration prolongée, attrape sa grosse hache de ses deux grosses mains vigoureuses, prend son élan en courbant le dos et en levant les bras, et va pour couper le frêle tronc du sapin quand soudain :
"- Coupez passsssss! Pitié!!!!!!!!! Coupez passssssss"
Entend-il dans un énorme froissement de branches...
L'homme sursaute, recule, surpris et même apeuré, et stoppe son geste. La hache tombe au sol, égratignant sa botte.
Puis une fois calmé, et comme il n'est point lâche et aussi, il faut bien le dire, très intrigué, il revient et regarde le sapin devant lui, les mains sur les hanches. Il l'interroge, de sa voix de stentor :
"- Qui parle? Est-ce toi Sapin?"
"- Oui !"Chuchote une voix étrange et gutturale.
Dans la montagne, tous les bruits sont impressionnants, à cause de l'écho... C'est naturel. Mais en plus, il y a cette histoire d'Arbre intelligent!
Le bucheron est ébranlé par cette ambiance inimaginable, par l'extra-ordinaire de la situation, mais continue à questionner:
"- Pourquoi je ne dois pas te couper? J'ai besoin d'un sapin pour Noël!
"- Mais tu n'as pas le droit de me couper de ma vie ainsi. Je ne repousse pas, et comment aurais-je cette nuit des étoiles sur ma tête si tu m'enlèves de ma forêt? Pourquoi des millions de mes parents doivent-ils mourir chaque décembre par simple désir humain?
"- Mais vous êtes très jolis dans nos maisons! Nous vous décorons superbement! Puis nous posons des cadeaux à vos pieds!
Bien sur ce n'est pas pour vous, mais c'est beau!
"-Vous feriez mieux de venir vous-même voir comment nous sommes illuminés d'étoiles la nuit, et combien la neige nous blanchit et étincelle sur notre robe d'épines!
Tient, regarde!"
Dans un bruit de feuillage bousculé par les vents, le sapin tend un doigt vert et feuillu vers le ciel, et le bucheron aperçoit un drôle de personnage sur un nuage qui fait pleuvoir des étoiles d'or sur la tête du Sapin.
C'est superbe et l'homme frustre en reste bouche bée.
Cela dure un bon moment, et le silence ajoute à la féérie.
"- Qui est-ce?" Demande t-il à l'arbre lorsque toutes les étoiles se sont dissoutes dans la nuit qui arrive.
Il parle tout bas, intimidé par cette beauté insoupçonnée.
"- Je ne sais, on dit que ce vieil homme est Christos, ou Aristote, on ne sait pas très bien. Mais ce n'est peut-être pas eux.
Mais à chaque fois qu'un bucheron décide de ne pas couper un sapin, il leur laisse contempler cette magnificence : des sapins, des étoiles, la phosphorescence, la neige, la vie.
S'il est vêtu de rouge, c'est pour rappeler que notre sève est comme votre sang, et pour qu'on ne le confonde pas avec un renne, qui,entre nous, a lui aussi des branches sur la tête!
Enfin voilà, tu as vu, alors tu ne me coupes pas!"
Sapin a un air joyeux, même un petit peu moqueur...
Mais le bucheron n'oublie pas son éblouissement au spectacle incroyable de tout à l'heure.
Il hoche la tête, regarde à nouveau le ciel, puis le sapin, puis la forêt, puis redescend vers son village calmement, rêveur et encore sous le sapin.
Non pardon, sous le charme.(se reprends Feuilllle.
Cette année il arrangera de beaux décors sur de faux arbres, et dehors sur une de ses haies. Ses enfants trouveront cela amusant et ils danseront autour durant la veillée, chaudement encapuchonnés.
Près du sapin, la
neige s'arrange vivement pour recouvrir entièrement la hache oubliée, qui n'a rien coupé du tout!
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