Si le silence qui s'abattit tout à coup sur la pièce sembla long au héraut, compte tenu de l'ennui mortel et du désintérêt général que ce type de cérémonie pouvait provoquer, il n'en fût pas de même sous la chevelure des quelques cerveaux capables de fonctionner. Un dialogue intérieur était en train de se dérouler, bruyant et palpitant pour celle en mesure de le capter.
Brygh : Nan mais tu l'as entendu ce bouffon ?
Ailean : Pas un bouffon, un officiel de sa majesté...
Brygh : C'est quoi la différence ? Les autoriser à non seulement être demeurés, mais menteurs en plus ?
Ailean : Tss... Les autoriser à se croire tout permis. Ce n'est pas le premier. Eudes a grandi mais il était ainsi à l'époque aussi... Ainsi que la moitié de ceux qui veulent briller ailleurs, quand notre campagne leur parait étriquée.
Brygh : Je devrais l'égorger.
Ailean : Tu devrais surtout te calmer.
Brygh : Je peux le battre quand même pour la façon dont il parle à Una ?
Ailean : Il le paiera... un jour où l'autre, il le paiera. Ils le paient tous. Alors non, tu ne le bats pas.
Brygh : Comment peux-tu les supporter ?
Ailean : Je ne les supporte pas, je les ignore...
Mais les propos de l'Officier Royal avaient saisi au vif, la Grande, là où il ne faut jamais appuyer : le comique troupier. Là, Henry avait fait très fort. Il était vexé, le petit héraut local, qu'Una lui ait posé une simple question. Il trouvait qu'elle lui parlait véhément, alors qu'Una n'élevait jamais la voix, timide comme elle l'était. Si l'on ajoute à cela sa mascarade avec le parchemin, est-ce Brygh ou Ailean qui réagit en premier ? Nul ne le sera jamais... mais l'explosion de rire fût immédiate, franche et sonore.
Brygh : Namé, il est abruti, j'te dis. Il nous croit suffisamment idiotes pour ne pas avoir écrit à tous les rustauds illettrés qu'il a cités....
Ailean : Suffisance de la médiocrité, mais je t'en prie arrête de rire, ça m'empêche de me concentrer ?
Brygh : C'est quoi la Hérauderie ? Un grand cheptel bovin où l'on pourrait
s'éclater ?
Ailean : TU pourrais t'éclater. Moi, ça me donne la nausée...
Brygh : Il faut que nous lui mettions en travers de la gorge à ce misérable tout ce que tu as fait pour Hadrien...
Ailean : Nul n'est plus sourd que celui qui ne veut entendre... je ne parle même pas de comprendre.
Toujours hilare, la grande retint sa fille de parler du revers de sa canne puis se saisit du parchemin d''Henry qu'elle déchira en quelques filets. Puis sa canne virevolta dans les airs, créant un courant d'air qui agita les chandelles au point d'en moucher quelques unes. De toutes façons, la lumière n'était pas ce qui caractérisait la salle du trône. Et la canne fut à nouveau dans la main de la Grande, la pointe dans le ventre d'une andouille de proximité qui avait toujours le nez en l'air. Elle avait pointé l'estomac car viser plus bas eut été inutile : il ne s'agissait pas d'un noble du comté, donc forcément, c'était l'un de ses lèche-cul comtaux, dont les joyaux de perpétuité devaient être mous à souhait. L'andouille se plia donc en deux. Elle posa sa main à plat sur son dos posa les lames de parchemin, se saisit de la plume qu'elle trempa directement dans l'encre et commença le premier de ses messages.
Citation:Mon pauvre Silly, vos flux de sang* vous font souffrir ? Prenez de l'ail.
Et le message d'atterrir sur le sol, au pied de son destinataire. Lorsque le flot des mots de Bryn ne pouvait s'exprimer par la parole, il fallait s'attendre à moultes messages écrits, parfaitement débridés pour les esprits bridés , limpides de cohérence pour qui comprenait comment elle fonctionnait.
Citation:Une invitation ? Une injonction : "Venez ou je lâche mes chiens !" C'est la frisonne qui vous a appris le respect ?
Et inlassablement, elle continuait en riant. Réveiller le volcan et il vous pète à la face. La cérémonie risquait de durer encore un moment.
(suite demain, si vous le voulez bien.)
* Hémorroïdes
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