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[RP] aux jeux mieux vaut avoir une bonne main, foy de vilain

Judas
Angers, appartement de Judas.

Sur le chemin du retour Bretagne - Bourgogne, Judas et sa compagnie avaient décidé de faire une halte. Halte nécessaire, puisque les chevaux et les esprits commençaient à fatiguer, sans parler du temps qui se faisait exécrable. Point de ralliement avait été désigné en Anjou, dans l'appartement Andégave du Von Frayner. Nyam et la Roide s'occupaient pour la soirée au coin d'un feu où rôtissait une cuisse de goret, Judas lui observait la pluie tomber par delà les fenestres, pensif. Un instant de quiétude se brisa sur la voix cassée du taciturne observateur.

Je vais prendre l'air.


L'air... L'air de quoi? Dehors, une tempête couvait et personne n'osait courir le pavé. Judas pourtant laissa ses pensées aux carreaux pour se saisir de son garde-corps qui ne serait pas du luxe, histoire d'éviter d'être trempé trop vite. Sans attendre de réponse, il fila, laissant les femmes entre elles et passant la porte pour s'évanouir dans le tumulte de l'intempérie.

Où allait-il, si déterminé? Aux jeux pardi! La capitale abritait une auberge où se jouait le ramponneau et le seigneur en joueur invétéré ne supportait pas l'idée de rester cloitré entre son esclave et son amante à écouter cuir le rost. A pas pressés la silhouette furtive de Judas traversa quelques ruelles que lavait le flot discontinu des grosses gouttes pour gagner l'antre du vice.

L'air du tripot, lourd et chaud, fit palpiter les narines Judéennes. Presque vicié, l'atmosphère exhalait le renfermé, toute odeur rehaussée par celle de la pluie. Les poulaines brodées avaient laissé place aux bottes cuirassées, moins majestueuses mais plus chaleureuses aux pieds du Frayner. Quelques enjambées dégoulinantes firent remarquer son entrée, et passé les quelques regards intrigués tous les joueurs reprirent leur activités, dans le brouhahah des salles publiques les jours de pluie.

La simple vue des dés et autres cartes firent tressaillir son coté primaire et addictif, animé d'une vieille pulsion qui se plaisait à le tarauder souvent. Il passa le comptoir, jetant quelques pièces en échange d'un jeu complet et se trouva une table où il prit place, se séparant de sa vêture mouillée. Les mains fines du seigneur dépiautèrent le jeu tandis que les prunelles grises déchiffrèrent incisivement son contenu, méthodique, attendant qu'un hardi curieux vienne se frotter à son savoir faire et à sa tactique.

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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles...
Bossuet
Coincé dans ce fichtre-cul de tripot, a baigner dans les odeurs puissantes de sueur et d'alcool frelaté. Non ce n'est pas toute cette chaleureuse ambiance de joueurs méfiants qui me force à rester ici à boire cette mauvaise bière éventée, mais plutôt les énormes pognes calleuses du préteur à qui je dois une somme rondelette.
Et bien sur, chaque pas vers la sortie, aussi discret soit il, ne m'offre qu'un sourire carnassier, ou quelques mimiques de mauvais aloi concernant ma santé.

Les gens n'aiment pas les tricheurs. Surtout les joueurs honnêtes d'ailleurs... Quand comprendront ils qu'il ne s'agit que d'une autre manière de jouer!

Le fait est que si je veux m'en sortir sans avoir les deux jambes brisées, je dois me refaire une santé financière au plus vite. Je noie cette idée dans ma bière, non pas au bord du désespoir de trouver un pigeon à plumer, mais découragé de me savoir surveillé comme une tourte au fourneau.
Il faut bien se rendre à l'évidence, n'importe quel tripot, du plus fastueux salon au moins bien fréquenté des trous à rats, un pipeur pris une fois, c'est un pipeur mort ou reluqué de prés. Je dois me refaire, et sans sortir un as d'une manche qui plus est...

Malheureusement, je joue comme un pied. Je suis un tacticien à vous faire perdre une bataille gagnée il y a cinq ans, j'ai la concentration d'une sourie dans une fromagerie, et la patience d'un taulard au bordeau. J'ai les doigts agiles et les manches larges, voilà ma stratégie d'ordinaire.

Je bois une gorgée de bière avec dépit quand finalement, c'est une porte claquant son chambranle qui résonne comme la cloche du salut.

Un beau, bien peigné et bien rasé, vêtu de non la moindre frusque mais d'un atour à poser son fondement sur un fauteuil de velours à peine usé. Une poule de soie aux œufs de jaspe et rubis qui se radine dans ce rade à pochard, ce n'est plus une aubaine, c'est la grosse voix rude et rêche du saint patron des tire-laine qui me hurle aux oreilles : "dépouilles le ! jusqu'à son dernier morpion!"

Je le zyeute s'assoir à une table, puis jouer de ses doigts propres et fins sur les cartes. Je l'observe un instant, termine ma bière rapidement et me lève. Je me dirige vers lui, prenant mon air le plus naïf et me plante lestement non loin.


Mon bon gentil sieur, je me présente, Bossuet. Marchand de mots, joueur aux aguets et plumé de rimes et de vers.

Je m'incline, ôtant mon couvre chef en une révérence exagéré.

Si cette place n'est point prise, Permettez Messire,
Que de mon humble fondement s'y installe?
Et jouons donc nos mise, sans tricher ni mentir,
Tapons ces cartes, lestement, en une partie cordiale ?


Je n'attends même pas vraiment la réponse avant de prendre place. Je fais un signe au tavernier en m'asseyant en face de celui qui pourrait bien être ma chance de ce soir.


Taulier, amène donc une cruche de vin, et pas ta piquette de soudard je te pris, tu as de l'invité de marque.

Je me retourne vers le noble avec un sourire, dont les dents sales trahissent ma condition sans le moindre doute.

Le gagnant saura bien délier sa bourse pour payer la note n'est il pas...
Edghel
[Une table à quelque mètres du Traitre et du Voleur , immergée dans une faune dense]

Un blond s'étant faufilé discrètement par la porte d'entrée , profitant que quelques pochtrons rejoignaient leur repaire tout de bois constitué , j'ai nommé ce bon vieux comptoir comme on dit dans l'coin.
L'homme ayant passé une journée dés plus commune : revendre la récolte des nuits précédentes , s'occuper d'une femme et boire un coup. Oui , il menait un train de vie presque sain..Que ce soit pour ses bourses ou pour son foie. Il avait interpellé une servante accoudée au comptoir de son auberge , satisfait de voir que la belle était de simple esprit..A défaut d'avoir de la conversation , elle avait des formes qui n'échappèrent pas au yeux malicieux du blond qui de quelques sourires aguicheurs réussis a obtenir une après-midi d'amour et de tendresse.. Et entre quelques corps a corps endiablés , le blond avait extirpé une adresse de tripot pas trop regardant ou le pigeon volait de table en table , espérant s'enrichir face aux plumeurs habitués..Douce euphorie du jeux , et rêves de richesse et d'opulence. Tout était là pour égayer les hommes qui composaient la faune dense et parfois quelque peu malodorante qui composait ce milieu : Catins , simples travailleurs ou hommes peu recommandables , qui faisaient chacun leurs affaires ou profiter simplement d'un bon moments entre amis soulards.

Marchant , ou plutôt bousculant quelques ivrognes déjà bien amochés par les breuvages , faut dire qu'il n'était pas forcément très sobre a cette période de la journée et pouvait se montrer moins enclin a l'empathie..Se faufilant ou créant son chemin que ce soit de ses poings ou d'un simple "pardon". L'homme accéda au comptoir ou il appela le tenancier , glissant quelques messes basses et après un sourire carnassier du tavernier ; il comprit que l'affaire était conclu : Il aurait une table pour faire son petit manège , laissant quelques serveurs faire les poches des gens imprudents et touchant un pourcentage pour ses bons et loyaux service. Tout moyen est bon pour s'enrichir en ses bas lieux , quand bien même certains bourgeois qui rampent , léchant des chausses..La société était corrompue des racines aux bourgeons. Que cela concerne une jeunesse décadente fut-elle riche ou non jusqu'aux parents de ces derniers qui s'entretuent pour le pouvoir concernant les plus chanceux , à ceux qui se battent pour vendre quelques deniers de plus leurs récoltes.

Les gobelets sont posés , il récupère deux ou trois petits objets farfelus : Une noix , une petite perle , un bijoux.. Soupesant légèrement les objets , il s'imagina quelques tours et s'entraina vaguement a faire bouger les gobelets , les incliner pour y glisser un objet ou le faire disparaitre.. Le tout danse , on entend le bruit typique du frottement contre le bois d'une table.. Commençant à attirer l'attention de quelques paysans intrigués.
La main dérape , goutte de sueur qui coule du front blond..Il faut chaud , moite , chose qui ne l'aide pas a réviser ses quelques gestes habituelles. Reprenant son souffle , l'homme réitère l'opération..Plus de précision , plus de concentration. Tout est prêt. Se faisant apporter une bière , et descendant une goulish ; il en profite pour éponger sa bouche quelque peu couverte de mousse puis son front..Avant que de sa voix grave , il ne glisse quelques mots aux hommes autours de lui :


Mes ami(e)s , approchez donc..Qui sera le valeureux à tenter cette expérience ?
Ceci n'a rien d'un tour de foire..Quand bien même d'une farce ou d'une théorie de science..
Mais je reste convaincu , qu'aucun de vous ne pourra défier l'agilité de mes doigts...
Car , si par malheur l'un de vous arrivait a débusquer ceci..Fit l'homme en montrant la noix.
Alors qu'il me dise combien je lui dois.
Car de ces gobelets il deviendra le messi , et sa mise au quintuple a ses mains sera déposée ici.
Alors..
.Conclut-il..Qui veut tenter sa chance ?

Quelques vers improvisés , sommaires certes mais glissés a leurs oreilles , faisant briller leurs yeux d'envie de faire démentir un étranger..De le vaincre , de se faire valoir et de se rendre victorieux. Il sait que ces parieurs seront concentrés..Mais quand bien même , avec une telle foule ..Il est impossible de suivre quoi que ce soit..Entre bousculades , volontaires ou non , les allés-retours des servants .. Le retour d'estomac d'un ivrogne trop alcoolisé..Tout était bon pour déconcentrer , et le complice qui se faufile dans la foule désormais ameutée autours de la table l'a bien saisi. Un homme s'avance , un simple d'esprit qui glisse quelques écus sur la table , fier et persuadé de se faire remarquer , il lance:

"Allez ! On'va dont voiirr qui s'est qui porte la culotte ! "

Sourire amusé du blond qui commence a faire danser les gobelets sur cette table usée , légèrement craquelée..Faisant valser la noix d'un gobelet a l'autre..Gauche , droite , droite ..Milieux..Gauche...
Le blond ralentit la cadence avant de stopper les gobelets..Observant le paysan déboussolé ..Quelque peu ivre..Il s'entête a réflechir..Le blond ricane.. L'homme montre le gobelet du milieu..Quelque chose scintille .. Tombée du gobelet...Laissant un cri de stupeur dans la foule : C'est un bout d'bois.. L'homme peste avant de se faufiler dans la foule..Honteux.
Défiant la foule du regard , il renchérit :


Alors..Qui veut tenter sa chance ? Alors qu'il encaisse les écus qu'il fourre dans sa besace , profitant pour s'étirer un peu. Et de laisser la soirée se poursuivre..

Qui osera défier le hasard ?
Judas
[ Table de cartes, avec le Bossuet ]

Le jeu. Péché, passe temps de peu de vertu auquel Judas était sujet. Rejetant sont attention sur les belles paroles d'un premier adversaire, il fit craquer ses doigts tout en écoutant du pamphlet. Une beau parleur... Il ébaucha un léger rictus. En voilà de l'adversaire à sa hauteur. La pièce semblait soudain bien plus peuplée qu'à son arrivée, comme si le fait de se plonger dans le décompte de ses cartes l'avait coupé un bon moment de toute l'ébullition de l'endroit. Replié dans sa bulle, dans le plaisir succint et inassouvi du jeu, ou de sa préparation du moins.

...Et que de beau monde. Des sales trognes, des sourires édentés, des patois a peine compréhensibles, quelques perdants et quelques chafouins. Le tout copieusement arrosé d'alcool et de dés à jouer. De mémoire, il avait toujours gagné aux cartes. Aussi y revenait-il souvent, assouvir quelques désirs de vaincre. Le seigneur ne jouait pas pour l'argent, qu'il avait à ne savoir que faire. Mais pour le plaisir d'écraser. Fin stratège aux jeux, c'est naturellement qu'il fit signe à l'homme de prendre place. L'oeil Judéen est implacable, il déshabille et se figure toutes les singularité de son joueur, furtivement. Ses vêtements sont fait de moults pièces, signe d'une richesse, mais fallacieuse, vu leur piètre état. L'étoffe est rappée et sans éclat, parfois mitée. Mal rasé, le Bossuet sent le négligé. Pourtant, Judas admire l'effort de son air de ne pas y toucher, le verbe est bien choisi et son sourire transpire l'hypocrisie. Il est gueux, qu'importe, aux jeux l'argent ne choisit pas sa caste pour passer d'une main à l'autre. Judas n'est pas sectaire, c'est d'ailleurs chez les basses extraces qu'il peut sans s'inquiéter des conséquences se laisser aller à ses vices et ses faiblesses.


Soit, du Bossuet. Jouons.

Les cartes se plient, claquent, craquent. Le carton contre le bois de la tablée. Le doux son de la corne qui roule, s'éboule, et se fige enfin. Les chiffres qu'on y lit changent le cours des vies. Tous ici sont là pour l'extase, plaisir fugace, désir... Tenace. De droite et de gauche, fortunes et infortunes se croisent, certaines mains sont fébriles, ivres de victoire, tressaillant d'impatience. D'autres se tordent, s'étreignent, pitoyables animaux se dévorant l'un l'autre en un combat sans vainqueur. Celles de Judas restent maitresses, posées en surveillance tel des dames marmoréennes ceintes d'or, ostensibles, lisses de ne jamais avoir touché la rudesse de la terre. Les halos jaunes des chandelles illuminent le drame à venir de touches ocres qui, en contreplongée, dévoilent les faciès des joueurs. La nuit est chaude comme l'enfer. L'atmosphère vibre d'une excitation pré-coïtale.

Le Von Frayner distribue, le jeu commence.

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Moran
[Quelques heures auparavant, en taverne à Angers]

Dios Mio* ! Ma chère Anne tu me fatigues à insister ! Va donc te dégourdir les jambes auprès de quelques yeux moins regardants sur la qualité.

Oh mon p'tit sieur Moran, j'suis sûre que quand vous m'aurez goûtée vous direz plus pareil !

Quelle langue parles-tu ? J'ai tout essayé, ma langue natale, le françoys, rien n'y fait !

Quelle langue ? Just'ment laisse moi t'montrer !

Madre mia**... c'en est trop souillon, laisse-moi passer et je trouverai un lieu plus adapté à mon humeur.

La porte claque et le Lisreux respire un grand coup dans le froid de cette soirée. "Voilà mon cher Moran, le revers de ta popularité auprès du beau sexe. Il va falloir trouver une solution" Pensée bien exaspérante pour un homme qui, dans l'immédiat, n'a aucun autre soucis.
Enfin, ne parlons pas trop vite...

Direction le tripot, où il y a autant de fripouilles que de coquines, mais au moins là bas la curiosité n'est pas vue d'un bon oeil, et l'ibère pourra y goûter une bière en paix.

Moran n'est pas né riche, mais il aime à se vêtir élégamment, toujours en sombre avec une pointe de rouge. Moran n'est pas gentil, ni méchant non plus. Moran aime jouer en réalité... toute sorte de jeux. De l'amour aux cartes en passant par l'incontrôlable jeu de la vie. Moran aime le hasard, aime sa tranquillité et aime observer les arrogants seigneurs se faire dépouiller aux jeux par de vilains tricheurs et inversement.

Voilà pourquoi, ce soir, les onyx du Lisreux, attablé au fond du tripot, s'éclairent d'un éclat lorsque les protagonistes s'installent. Voilà de quoi lui faire oublier l'horrible haleine de la vieille Anne.
Les jambes s'étendent jusqu'à ce que ses bottes atteignent un tabouret, le dos s'appuie à la chaise tandis que les lèvres goûtent à son saint breuvage.

Les cartes sont battues, et distribuées. Lorsqu'il est question d'argent, la tension est palpable et le boiteux en retient presque son souffle, attendant que les premiers jeux se dévoilent, que les masques tombent, que les regards se trahissent jusqu'à ce qu'enfin, le vice fasse son travail.


* Mon Dieu
** Maman !

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Bossuet
[Table de cartes, avec Judas.]

Les cartes s'entassent rapidement devant moi.

Cette gigantesque vache aussi énorme qu'asséchée qui me servit autrefois de mère me la souvent fait remarquer, j'ai trop confiance en moi. Je la revois comme si c'était hier cette fantastique masse de plis et replis adipeux qui me regarde de ses petits yeux souriant du fond de leurs orbites...
"Ti min gros, un jour t'vas vire, t'es va l'avoir....té cours din l'rue à pas d'heure, té crois qu'personne t'vois? té crois qu'personne y peut t'avoir ? ben té verra, un coup té r'viendra en disant qu'la grosse Margot, elle a ben fait d'te l'dire...."

Et tout cela ponctué de son rire affectueux faisant vibrer ses multiples mentons, des postillons à tout vent et de la bave séchée au commissures de sa grande bouche, large comme un crevé de manche de lansquenets. Et par moment, j'avoue que j'aurais envie de la voir, pimpante et vibrionnante comme une fleur obèse et de lui dire de s'occuper de ses pochards de clients.

Les cartes sont devant moi, et je les saisis en éventail quelques instants. La main est loin de briller, mais reste ouverte.

Je lève les yeux, histoire d'observer mon adversaire alors que ses yeux se fixent brièvement sur son propre jeu. Je guette dans ses prunelles un éclair passager, nuancé de dépit ou de confiance, je cherche sur son visage un frémissement, un indice, un sourcil qui imperceptiblement infléchirait sa ligne un cours bref instant, une joue se contractant dans un rictus retenu.

Rien. Pas plus d'expression involontaire que sur la trogne angélique d'une statue de Saint Luc. Fichtre-cul... Mon pigeon du soir est plus impassible qu'un marbre antique... Et un regard vers le tenancier, plus vigilant que jamais à mon égard confirme que je n'ai même pas droit à forcer ma chance d'une bonne pioche gardée au chaud dans la manche.

J'étudie mon adversaire, sans en avoir l'air, sachant bien qu'il fait de même depuis que j'ai poser approcher mes poulaines crasseuses de la table. Un regard sec, retenu comme une fenêtre voilée de rideaux gardant le secret sur âme qui ne se lit pas facilement. Une vêture qui ne se voudrais pas ostentatoire, mais qui respire la richesse des étoffes... Je jurerais volontiers que vendre ne serait-ce que ce pourpoint ferais vivre une fermette pour un bon mois d'hiver. Une apparente banalité, mais un je ne sais quoi qui titille ma conscience.
Mon instinct aiguisé par des années de voyages, de ballades sur les toits, de mains glissées dans les besaces de bons bourgeois innocents ou de sales rencontres dans autant de ruelles sombres, me souffle calmement de méfier de ce beau seigneur là...

Et de sa petite voix insidieuse, il ajoute, avec toute la condescendance dont peut faire preuve l’instinct d’un voleur, l'évidence même: ni mon piètre talent d'honnête joueur, ni ma chance insolente ne me feront gagner plus que ma mise ce soir.

Du moins…tant que je reste un honnête joueur.

Passe suivante, Je laisse tomber ma mise sur la table, je le suis…Il bluff c’est certain.



J’ai presque perçue une lèvre frémir. Un muscle qui aurait malencontreusement tiré sur un coin de bouche? Il aurait vraiment une bonne main? Ou alors, il veut que je crois qu’il ne bluff pas. Il bluff.
Ou alors il veut me faire croire qu’il bluff, en faisant semblant de montrer qu’il ne bluff pas…Ou alors il veut que je crois qu’il pense…Oh et puis de toute façon, c’est pas ça que me fera sortir d’ici sur mes deux jambes.

Le prêteur me regarde. Son sourire carnassier en dit long. Heureusement, il se fiche pas mal de savoir d’où vient ce qu’on lui rend.


Je ne cherche pas la victoire, je cherche à délier les cordons de bourse de mon riche adversaire…Et si…


Mes yeux, comme s’ils comprenaient plus vite mes pensés que moi-même, cherchent les renflements dans les soies et velours, tandis que mes mains bruissent légèrement comme nerveusement, en guise de brève diversion. C’est un passe-passe bien connu de tout les vendangeurs et des pipeurs de gobelets, comme j’en entends justement un qui râpe le bois d’une table depuis quelques minutes.
Un foulard agité d’une main, tandis que l’autre accomplit le beau geste à ne pas montrer.

Je la vois, toute rebondie, toute épaisse et grassouillette, tellement prometteuse. Reste à trouver, comment, quand, et surtout ce qui fera office de foulard pour l’occasion.



Je reviens à la partie. Il ne bluffait pas et c’est encore une mise qui s’éloigne de moi, ratissée comme autant de feuilles mortes par les doigts fin, et tellement propres qui me font face. Soit, je retrouverais cette maigre fortune au centuple le moment venu.
Judas
Et le sourire du vainqueur s'en vient éclipser celui du vaincu, quoi que Bossuet à la défaite facile... Etrange. Mais Judas ne s'en inquiète pas plus que cela, ne se doutant pas que son chafouin d'adversaire aura trouvé de quoi se consoler sous les pans de sa cape, là, sur la ceinture à la boucle armoriée. Judas remet le couvert, repassant son masque austère, découpant le jeu de carte d'une senestre habile.

L'insidieux regard glisse sur une table non loin, s'en détache bien vite pour mieux distribuer le bon nombre de cartes à qui de droit. Le seigneur est en veine ce soir, et même lorsqu'il prend connaissance de son jeu bien peu prometteur il s'en amuse, persuadé qu'il aura du bossuet sans courir. Au jeu du plus sûr de soi et surtout quand il s'agit de cartes, Judas n'est pas le dernier. Aussi malgré leu jeu, et malgré la possibilité de perdre si son voisin sent le vent tourner il pose tout ce qu'il possède pour la soirée sur la table. Il bluff, et si sa chance légendaire le précède le Bossuet prendra peur, et le bossuet se couchera.

Les regards s'échangent succinctement. Soudain, un maladroit vient troubler la tension dans laquelle les deux hommes se sont coulés, porté par leurs calculs et leurs observations secrètes. Un projectile s'écrase dans un bruit sourd sur le bois, et le jeu, et leur concentration. Judas cherche du regard qui est l'auteur de cette bévue, sourcils froncés. Avec tout ça, il en a presque perdu sa main qu'il rassemble nerveusement, a l'abri des regards de son voisin. Il n'a rien vu , l'honneur est sauf. Ou pas. Le calme revient, il hèle présomptueusement le taulier qui traine à mener le vin.


Hé taulier, et cette cruche ? Viens donc, je sais qui saura régler la note.


Sourire carnassier.
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Bossuet
C'est un sacré paquet de piécette qui se pose sur le centre de la table, dans un quitte ou double audacieux. Beaucoup de joueurs en perdraient leur retenue de voir ainsi une petite fortune se placer sur le fil du rasoir d' Occam. Mais qu'aurais je à y gagner, d'autant que même avec une main digne de ce nom, je serais bien aise de laisser ce bon Sire gaver sa bourse comme une oie, afin d'y trouver mon comptant de victoire.

Alors que je mine avec une certaine finesse, en menteur averti, quelques fausses mimique de fébrilité, je me saisi moi aussi de tout ce qu'il me reste, ajoutant ainsi ma maigre pierre à l'édifice doré.
Il laisse malgré lui sa bouche frémir en un discret sourire.


Mon bon Seigneur, quelle habileté,
Sans doute Athéna vous aura doté,
Outre vos mains douces, d'une épée,
Qui tranche vif, et me colle une...raclée.


J'esquisse un sourire en poussant le reste de ce que je possède, et malheureusement, il ne s'agit pas d'une bourse pour la soirée.

Je continue mon numéro tandis que dans ma tête je tourne et retourne milles façons de faire mienne une bourse. Mes yeux voyagent sans en avoir l'air d'un renflement de belle étoffe, aux alentours du tripot.
Une diversion.

Peut être ce jongleur de gobelet, qui dans le fracas de ses adresses est parvenu un instant à détourner le regard impassible de mon adversaire. Un coup dans un pied de table au moment opportun, un ivrogne y verrai tomber d'une manche la noix qu'il cherchait dans sa mémoire. Non, trop peu certain.


Ou crier au scandale, au tricheur, au pipeur, pour semer la cohue? Une pagaille, une prise de main et bousculade, ou sans peine une bourse tomberait ? Non... Étant pris il y a peu, personne n'y croirait un instant.



Hé taulier, et cette cruche ? Viens donc, je sais qui saura régler la note.


Le voilà ce foulard agité d'une main gauche, me dis-je alors que ma main droite s'est déjà furtivement saisi d'une petite forcette tranchante.

Forcement, si ma pauvre caboche élève la voix pour alpaguer le tenancier à propos d'une cruche de vin, il n'y bougerait pas son imposant postérieur. Mais si la voix qui le hèle est autant enrouée qu'habillée de velours, c'est non sans précipitation qu'il accoure.

Tandis qu'il se presse à mettre le vin en cruche, je change ma main volontairement en mauvaise poisse. Et tandis que le taulier aviné contourne son comptoir les bras chargés, je couche mes cartes avec une exclamation de dépit.


Mal-fête m'envoie Sainte Madeleine ! Quelle vilaine poisse ! Me voilà aussi fauché que les blés ! Je n'ai plus rien à miser sinon ma toque et mes poulaines ! Je crois bien que cela sonne la fin de la partie...

Je le regarde ramener à lui ses gains, qui malgré mon déplaisir sont mérités. Et le Tenancier de n'être plus qu'à quelques mètre de là, évitant avec soin les tables et chaises, joueurs et poivrots enchevêtrés. Je regarde cet adversaire victorieux ranger son butin dans sa bourses désormais alourdie, et encore la raccrocher à sa belle ceinture sans la protection du vêtement.

Je masque mon sourire d'excitation derrière un dépit de façade, en attendant l'instant propice.
Maintenant.


Au moment juste ou passe le tenancier chargé de vin et de gobelet, je recule ma chaise d'un mouvement brusque et me lève. Mon épaule percute le dessous du pot de terre, qui saute et éclabousse la face vineuse du taulier. Il lâche le pot comme les verres et me bouscule dans ses grand geste d'équilibriste désarçonné. J'exagère sans peine ma chute tant le tenancier est imposant, et m'écrase lourdement sur la table dont un pied vermoulu cède sous le choc.

Le fracas innommable clôt les discutions de tout bord, et chacun sursaute en se retournant vers ce nœud de chaises et table renversées, arrosé de vin rouge et d'éclats de terre cuite. Et moi au centre qui me débat à me relever, tout juste aux pieds de ce noble habile aux jeux.

C'est sous les rires de tout ces badauds que je me relève et m'époussette en contemplant le carnage. Et d'une voix que je veux la plus pitoyable, j'adresse à mon adversaire bien vêtu quelques bribes dépités.


Foi de roy fol, c'est jour de déveine... J'n'y ai même plus le cœur ni à boire ni à rester... J'y ai autant à m'en retourner dormir, si cette poisse qui me poursuit n'a pas ma peau en suite de ma bourse...

La bourse est lourde dans ma manche gauche, et je prend garde à ne pas la remuer plus que nécessaire.

La bonne soirée gentil seigneur, vous êtes un redoutable adversaire, c'est un fait.

Je me découvre brièvement en guise de salut et je n’attends pas vraiment de réponse avant de tourner les talons. Je m'en vais sans paraître trop pressé vers la porte. Tout les tire-laines le savent bien, après l'acte odieux il y a ce moment insoutenable ou l'on ne sait si la victime sera dans l’ignorance suffisamment longtemps. Ou l’on s’attend à chaque instant entendre un traditionnel « Au voleur! »…Et c’est avec cette appréhension que je glisse une poigne d’écus dans la main du prêteur, qui s’écarte de la porte avec un sourire amusé.

Je suis dehors, et bien chargé.
Judas
Un rire sonore ébranla la carcasse de Judas tandis que le vin se laissait servir.

Ha! C'est donc bien la mienne. Pour apaiser déveine buvez et oubliez ces écus délestés...


Le malheureux en aurait perdu sa culotte que le seigneur n'en aurait pas été plus satisfait. Pas de quartier, au jeux nulle place pour la pitié. Il empocha, soif de jeu apaisée, soif de bouche éveillée. La senestre se porta aux lèvres pour la baptiser de l'ichor du raisin, doux et désaltérant. Les lampées gouleyantes grisent les papilles du Frayner, un soupir doucereux est lâché, vite éclipsé par la maladresse de son voisin. Instinctivement, il se recule pour éviter le sur-accident, les yeux plissés.

Ola l'ami! Te voilà bien maladroit!

Le tutoiement prend le pas sur la réserve, Judas jauge son adversaire. Le tripot a tourné tous ses yeux vers le bossuet qui s'agite comme une tortue sur la bosse, le spectacle vaut bien son pesant d'or. Le silence est rompu par le malhabile lui même, qui sert un pamphlet de sortant. Judas le trouve bien distrayant, et c'est dans un ricanement qu'il reprend ses gorgées victorieuses.

Il n'a rien vu venir. Délesté de sa bourse il observe le Bossuet se faire la malle avec ses gains, l'oeil rieur et l'esprit ailleurs. La coupe est posée, les cartes rassemblées, les chuchotis alentours reprennent leurs droits et Judas se fend d'un soupir satisfait comme l'homme repu qui tombe en léthargie béate après la chair. La senestre ne vient pas tapoter d'un geste satisfait et rassurant le rebondi de sa bourse bien gagnée, ceux qui ne manquent pas d'écus ne se rassurent pas de n'avoir pas rêvé la gloire... Et pourtant, peut-être aurait-il dû.

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Moran
Croyant obtenir un certain calme, le géant fut bien vite désillusionné lorsque son spectacle de plumeur/plumé vira en un cirque, distrayant pour certains, enrichissant pour d'autres et malsain pour l'ibère.

Ainsi donc la lâcheté des hommes, dont les femmes se plaignaient, existait vraiment. Et les onyx de suivre le malhonnête au masque peiné. Seuls les yeux du Bossuet trahissait son mauvais coup mais personne n'y faisait guère attention puisqu'il avait causé cent catastrophes au passage.
Ne se mêlant pas aux rires des autres, même pas à ceux du seigneur qui ne semblait s'être rendu compte de rien, le boiteux se releva et fila à travers la pièce pour suivre le vilain à l'extérieur.

Si Moran était plutôt un bon vivant, il détestait voir un homme incapable d'honneur et de courage. Aussi, prit d'une folie justicière, le Lisreux suivit le bougre comme une ombre, attendant l'endroit idéal pour agir.

Cette ruelle vide et noire devrait faire l'affaire. Le géant n'eut pas de mal à rattraper le beau parleur qui semblait enfin sortir de sa bulle mais trop tard. La dextre l'attrapa par le collet avant que le sournois ne s'échappe et il fut immédiatement plaqué contre le mur. La jumelle elle, déjà pointait un petit couteau contre le vêtement rapiécé.

Hé bien ? Où filais-tu coquin ? Avais-tu au moins l'intention de faire bon usage de cette bourse, ou bien, comme je le pense, allais-tu la débourser en boissons et jolies filles ?
Allons soit raisonnable et donne-la moi pour que je la rende à son propriétaire, à moins que tu ne préfères que je te livre à son courroux ?
Après tout, une vermine comme toi sans une once de bravoure ne devrait même pas vivre. Alors ? Parle !


Ces derniers mots furent prononcés avec tant de mépris, que le Bossuet du recevoir par la même occasion, un vilain cracha en plein visage.
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Bossuet
On m'a déjà donné plus de noms d'oiseaux qu'il n'y a d'oiseaux, on a déjà frappé chaque parcelles de mon corps, on m'a déjà trainé nu en public pour des amourettes interdites ou autres paillardises, on m'a aussi flagellé le dos pour quelques impolitesses à la noblesse. On a déjà lancé à mon encontre quantité de projectiles, du fruit pourri à l’œuf non plus frais, du caillou à la motte de terre humide, de la boule de neige à la bille de fronde, de cinglant crachat à la dague acérée. On m'a aussi jeté un jour du crottin de cheval.
On m'a un jour trainé par les bras dans une mare boueuse, on m'a fait ressentir la froideur d'acier sous la chair à quelques reprise, on m'a brulé la peau une fois au tison rouge, un souvenir impérissable. On m'a déjà jeté dans une rivière au mois de janvier, et une fois j'y suis allé plongé par moi même parce qu'on y avait jeté mon baluchon. On m'a déjà giflé, frappé au visage du poing ou du coude, dans les cotes du genou ou du pied. Ma vilaine caboche à déjà rencontrer le hêtre du gourdin, le sapin d'un pied de chaise et le chêne d'un madrier.
On m'a un jour ficelé à un poteau pendant toute une nuit. On m'a aussi jeté dans un cachot, nourri de pain avarié et d'eau croupie, à copiner avec les rats.
On m'a un jour fais manger de la paille fraiche pour en avoir voler le confort le temps d'une nuit. On m'a poursuivit avec fourche, manche ou épée plus de fois que je ne saurais compter. On m'a pendu un jour par les pieds dans une taverne pour m'y faire boire de l'eau par le nez. On m'a aussi un jour attaché presque nu sur un âne et promener en ville pour avoir défloré quelque fille au sang bleu.

On m'a même un jour déguisé en évêque, avec mitre et crosse, pour entrer dans une église juché sur un cochon....Ah non, celle ci était une farce bien volontaire.

Et je suis toujours en vie! Et encore, je n'y ai pas perdu mon gout du mauvais tour...

Alors cette lame petite lame se voulant menaçante, et ce flot de postillons m'humidifiant le visage dans ce vol d'insultes de peu de qualités poétiques, ça ne m’empêchera pas de dormir une quinzaine...Mais soit, prit la main dans le sac, il faudra bien s'en sortir avec panache, et quelques piécettes dans la manche.

Je souris à pleine dents devant cet homme si plein de ce sens de l'honneur que je raille et parodie si souvent. J'en ai l'espèce en horreur. Ma main tient encore cette bourse si durement gagnée, et les lacets se desserrent si furtivement que les piécettes elles même ne s'aperçoivent de rien.

Beau Sire, je plie devant tant d'honneur!
D'autant que j'ne suis ni diable ni voleur,
Juste chapardeur, et bel emprunteur,
Téméraire et taille-lard, surtout pipeur!


Quelques écus extraits de l'objet du délit viennent visiter le fond de ma manche usée jusqu'à la corde.

D'aucun courage de voler impunément?
Nulle bravoure à donner de la forcette?
Neni! qu'il soit dit et scander certes poliment,
Qu'il faille des tripes pour voler une coquette!


Quelques autres rondelles dorée tombent adroitement dans le fond de mes braies.

Soit dit qu'audace, célérité et vivace habilité,
Sont ces maîtres traits du bon margoulin,
Ouvres tes esgourdes à mon humbles pamphlet,
Nul n'a point plus de courage que Roy malin!

Une ultime pincée d'écus qui glisse dans mes braies jusqu'à tomber dans ma poulaines gauche. Discrètement je soupèse la bourse allégée de bien plus de sa moitié. Voilà qui sera bien suffisant... Un dernier quatrain de bon aloi, un cinglant sarcasme en "-asme" ou une bravade ironique en "-ique"?

Je te rend ta misère, qu'elle t'envoies d'honorables miasmes!
Laisses donc ce Roy fol poursuivre sa geste héroïque,
Ravales donc tant ta belle morale que mes sarcasmes,
J'en serais finalement glorieux par une bravade homérique.


Sur ce, je lui tends la bourse dans une révérence exagérée. Un dernier sourire et je m'échappe lestement de sa prise. La lame toujours menaçante me plaque contre le mur et, cette bourse rendue dans un geste de rémission tout joué qu'il soit, j’espère bien qu'il me laisse partir sans écharpades, vilaines estafilades ou autre politesse que ces preux de fin de semaine sont capables d'infliger en guise de "châtiment"! Juges et bourreaux qu'ils se pensent, ils ne sont que les affres de l’orgueil étouffant de ces royaumes en mal d'esprits libres!

J’échappe à mes pensés, souriant, pour regarder l'homme encore menaçant, prêt à filer.
Nyam
Nyam avançait sous la pluie, la mine lugubre, dépitée et trempée, suivie comme son ombre par son gardien du moment, un autre serviteur du Maître, une brute épaisse avec l'esprit d'un mollusque mais la force d'un taureau de corrida. Pour savoir comment la jeune esclave s'était retrouvée là, il suffit de remonter un peu plus tôt.

La Frêle se reposait alors devant la cheminée, enfin se reposait, travaillait plutôt sur ses mots, les leçons d'écriture portant peu à peu leurs fruits, car le Maître avait dis qu'elle devait apprendre à lire et écrire, aussi le faisait-elle, par peur des représailles d'abord, mais aussi pour lui plaire, car comme la victime essaie de plaire à son bourreau, elle tâchait de lui faire plaisir pour survivre dans ce monde qui était désormais le sien. Pas très loin, il y avait l'autre femme, celle qui partageait le lit de son Maître et qui lui évitait d'avoir à le faire elle-même.

Du haut de ses quatorze printemps, Nyam était encore vierge et tenait à le rester encore un peu. Les rapports entre hommes et femmes qu'elle avait découvert quand elle était enfant ne lui plaisaient déjà pas à l'époque, mais rien de ce qu'elle avait surpris maintenant qu'elle évoluait dans l'univers du Maître n'allait en améliorant la chose. Aussi Nyam évitait-elle autant que possible l'autre femme, Anaon, afin de lui laisser tout champs pour satisfaire le Maître.

D'ailleurs ce dernier interrompit ses pensées en se levant brutalement. Il sortit après avoir déclaré avoir besoin de prendre l'air... Alors qu'il faisait un temps tellement épouvantable ? De sa première arrivée au domaine de son Maître, Nyam avait gardé un goût peu développé pour le froid et l'humidité. C'est donc en sentant un immense soulagement que la jeune fille le regarda sortir sans avoir de geste envers elle pour la faire venir.

Seulement c'était sans compter sur Iris... La servante qui les avait accompagné dans leur périple vouait peu d'affection pour la Frêle, sans doute jalouse de ses privilèges d'esclave préférée du Maître, alors même qu'elle était libre... Mais allez comprendre les raisons d'une femme jalouse. Au bout d'un moment, alors que la pluie redoublait, Iris se tourna vers Nyaam et déclara d'une voix mauvaise et satisfaite.


Oh Nyam, tu as vu comment il pleut... Et notre Seigneur qui n'a pas pris sa cape pour se protéger... Il va prendre mal, apporte-là lui rapidement ! Il doit être dans une des bouges de la ville.

La bouche aux lèvres fines formèrent un "oh" d'incrédulité. Le coup était bas... Comme Nyam était plongée dans sa lecture, elle n'avait pas pris le temps de regarder le Maître, de vérifier qu'il était bien vêtu pour affronter le temps extérieur... S'il tombait malade, il passerait sa colère sur elle... Jetant un regard dépité à la pluie torrentielle qui tombait dehors, elle se résigna à abandonner son livre et son cahier d'écriture pour monter rapidement dans la chambre que son Maître avait loué. En dehors d'elle, et de la Roide, personne n'entrait en ce lieu en son absence.

Elle prit l'une des capes les plus chaudes, et redescendit les marches, en bas desquelles l'attendaient son gardien. Lui, visiblement, la pluie ne le dérangeait pas... Pas sûr qu'il est eu ne serait-ce qu'assez de cervelle pour aimer ou ne pas aimer quelque chose, ou seulement réfléchir à la question... Il était là uniquement pour veiller à ce qu'aucun homme ou aucune femme, ne posa la main sur la précieuse esclave de Judas Von Frayner. Et il remplissait son rôle à la perfection.

C'est donc ainsi que la frêle silhouette de la femme-enfant s'engouffra sous la pluie à la recherche d'un Maître passé on ne sait où... Après un moment de recherche interminable, durant lequel son gardien entrait brièvement dans les tavernes pour vérifier si l'objet de leur quête était là où pas, ce fut une Nyam détrempée qui passa devant un duo un peu étrange, d'un homme en agressant un autre, qui filait après quelques courbettes. Effrayée, la gamine se dirigea vers la taverne miteuse, le taudis dont sortait un bruit et une odeur renversante... Un peu à l'identique de la masure où elle avait grandie.

A l'intérieur, le Maître enfin ! Elle commençait à ne plus y croire. L'adolescente poussa craintivement la porte de l'endroit, ne s'y sentant pas du tout à sa place. Il y avait trop de monde, trop de bruit, trop d'hommes... Et surtout tous tournèrent leur regard sur la silhouette qui franchit le seuil, la détaillant avec curiosité, concupiscence et envie. Il faut dire que Nyam ne portait qu'une robe simple de couleur sombre, bien que de très bonne facture, et uniquement cela, ne possédant pas de cape, et n'ayant pas osée se servir de celle du Maître, trop grande et ayant peur de la salir, pour se protéger de la pluie. Le tissus humide collait à sa peau, dessinant les courbes ravissante de son jeune corps en fleur avec sa poitrine déjà bien dessinée. Un collier d'argent autour de son cou, tel celui d'un chien de race, auquel était fixé une chaîne du même métal que son gardien de molosse tenait pour montrer qu'elle n'était qu'une esclave ornait son cou délicat.

Sa peau blanche mise en valeur par le tissus sombre, son visage aux traits fins telle une poupée de porcelaine, ses longs cheveux blonds et raides qui pour l'instant tombaient jusqu'à sa taille, détrempés eux aussi, et surtout ses grands yeux d'un azurs si clair, en faisait une créature ravissante, belle à en damner un saint, sachant qu'en ces lieux de débauche, il n'y en avait pas... de saint s'entend... Tremblante, tant de froid que de peur, l'adolescente s'avança d'un pas hésitant entre les tables et les hommes, récoltant un bleu sur la hanche quand une main baladeuse se posa sur la chair tendre pour la pincer, se voulant sans doute érotique, persuadé qu'il pouvait se le permettre, se l'offrir même, ne serait-ce que quelques instants.

Poussant un petit cri d'animal effrayé, Nyam alla rapidement se réfugier auprès du Maître, serrant la cape entre ses bras, réalisant en voyant le garde-corps du Maître qu'Iris s'était jouée d'elle une fois de plus... Tant pis... Elle aurait dû être plus attentive... Frottant sa hanche meurtrie, alors que son gardien remettait le bout de sa chaîne à son propriétaire comme un serviteur remet la longe du licol après avoir promené une pouliche de prix, elle murmura de sa voix douce.


Pardon Maître... Mais Iris a pensé qu'avec la pluie, vous pourriez avoir besoin de votre cape chaude...

Ainsi si punition il y avait, Nyam prendrait pour être sortie, et Iris pour l'avoir envoyée dehors, prenant le risque que la Frêle tomba malade à cause de la pluie... Car c'est qu'il faisait froid maintenant qu'elle était trempée, et elle essayait de se tenir le plus prêt possible du Maître sans le toucher, pour chercher sa protection face aux hommes présents... Mais cela la privait du peu de chaleur émit dans ce bouge. Se retenant à grande peine de claquer des dents, elle attendit.
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*Frédéric Régent, Historien
Judas
Loin de se douter du manège extérieur, Judas relève le nez de ses cartes lorsqu'un silence aussi accueillant que celui qui lui avait été servi s'abattit sur le tripot. Quelques rires gras, quelques murmure, et ces regards convergeant vers une petite silhouette... Nyam. Judas eut un imperceptible mouvement de faciès, tic contrarié ou surpris. Qu'est-ce que la mignonne faisait là... Il tendit l'oreille vers le murmure de son esclave, tout en posant une main possessive dans son dos. La senestre se retira bien vite de l'étoffe détrempée comme elle aurait touché le feu et les yeux du seigneur vinrent détailler l'accoutrement de la jeune fille. Déconcerté, il afficha une moue désapprobatrice.

Et c'est à Iris que tu obéis désormais? Regarde-toi, tu n'es même plus présentable, crois tu que je te vêtis de velours pour te souiller ainsi?


Persifllement désabusé, ce qui l'agaçait en réalité était de savoir son instant "entre hommes" définitivement achevé. Tout ça parce que la naïveté de Nyam lui faisait encore défaut. Dans un geste sec, il prit la cape tendue et en recouvrit les épaules de la Frêle, ajustant fermement le col afin de dissimuler la moindre parcelle de peau ou de tissus trop peu opaque. Ainsi après sa manipulation méthodique, la jeune esclave fût couverte des pieds à la tête, la cape de Judas lui allant trois fois. Il fit taire immédiatement les oeillades lubriques en lui ordonnant de s'asseoir près de lui et de ne plus bouger.

Si tu es souffrante demain je ferais couper la langue à l'Iris, et m'occuperais personnellement de te corriger.

Une lueur étrange irisa ses prunelles, et Judas soupira. Il distribua quelques cartes à la Frêle, pour voir sa réaction, le regard lourd et expectateur.

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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles...
Cerdanne
Les rumeurs volent c’est bien connu.
Le chardon pique c’est un pléonasme.
Ses lames acérées se dressent à tous les vents.
Accrochent et décrochent les pensées, suivant le bon vouloir de la brune qui régit son emblème d’une main ferme mais follement imprévisible.

Rares sont les sorties.
Par gout autant que par dégout.
La remontée vers la lumière ne se fait pas sans mal.
Faut-il encore que cette lumière là soit la bonne…
L’hiver, fort heureusement prédispose à de longues stations près des âtres embrasés et dispense d’explication.

Le feu, fou et malin, coule déjà dans ses veines et ce qu’elle a retenu des murmures de la jeune servante a ranimé un peu plus l’éclat marine de ses pupilles.

Alors, le ciel peut bien laisser tomber toute l’eau qu’il désire.
Les rues devenir ruisseaux, fleuves…
La mer devra attendre pour la revoir.

La taverne se dresse devant elle.
D’un rire léger, elle pointe du doigt la nuit dégoulinante et s’engouffre sans l’ombre d’une hésitation vers la moiteur enfumé.
Ils sont nombreux à chercher chaleur, ivresse et plaisir facile.

Elle n’en a que faire de cette foule anonyme.
La silhouette que son regard fixe est bel est bien celle qu’elle espérait trouver.
Un pas, un autre et la voici face au beau ténébreux.
Tout aussi dégoulinante qu’elle, une gamine se tient à ses cotés...enchainée.

Le rire la reprend...
L’envie d’un vin chaud aussi…


Cela faisait bien longtemps Judas…
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Judas
On apprend à une jouvencelle la tenue, hélas, on ne fait plus rien d'une femme accomplie. Judas lève les yeux vers celle qui l'aborde, sans manière, au milieu d'une arène d'hommes. Le regard interroge, il ne la remet pas. Ou peu. Le jeu s'abat sur la tablée tandis qu'il la dévêt d'un battement de cil. Le tripot est un milieu mâle où jamais ne s'exhale le parfum des chardons, mais gageons que la donzelle ait le diable au corps pour aborder aussi cavalièrement le seigneur. Regard à Nyam qui finit de grelotter sous le col noir de la haute noblesse, il ose un petit instant de flottement, pointant l'index sur le jeu.

L'As, il t'aimera ou te perdra.


Le siège du vendeur d'âme crisse sur la poussière, il est temps de se rappeler d'où sort ce brun minois qui mafoy n'est pas si vilain que ça. Lui ferait-il l'affront de lui mander? Non, assurément pas, cavalier n'est pas Judas. Son temps de réponse certainement s'en chargera.

Rose Noire, n'est-il pas?

Quant au prénom, il est resté par là bas, sa mémoire écourte là. La première entrevue était au bras de l'Iris, justement, à l'époque où elle était sa favorite. Il sourit intérieurement en revoyant cette nuit divine et les manières nerveuses de la soumise. Un geste désignant une place, ni trop loin ni trop près, une constatation lapalicienne.


Vous allez attraper la mort, et je n'ai plus que liqueur à offrir pour réconfort.

Même pas, mais cela Judas bien vite s'en apercevra. Il suffirait d'un geste, d'un souhait de la brune pour que la main chanceuse se heurte à l'absence de ses écus. Judas restait suspendu aux lippes voisines, se remémorant la dernière fois où il eut rencontré la téméraire. Vente aux esclaves Angevines, quelques mois auparavant.
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