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[ RP] III. Expiation

Judas
« Les ruses et les machinations ténébreuses ont été imaginées par les hommes pour venir en aide à leur lâcheté. »
Euripide


Lorsqu'il fait son apparition dans la pièce principale de l'auberge, Judas est livide. La situation est déplaisante, l'air venait à manquer auprès du lit des femmes. Ne sachant comment chasser les images qui viennent perturber son détachement naturel, il pose les yeux sur Moran et son idiome murmurée. Il ne sait pas ce que veut dire son baragouinage d'ibère, mais il persiffle de mécontentement, comme si quoi qu'il se dise, tout était inutile. Comme si tout était écrit. Le seigneur croisa le regard de son homme, tenta d'y lire les mêmes craintes que les siennes. Au fond, il se moquait d'exprimer tant de veulerie, l'idée qu'ils n'étaient que des hommes, incapable de faire pencher les choix de la nature le rassurait. Ne pas être seul face à l'adversité, voilà une lâcheté dont Judas abusait souvent.


Où est le cheval?

Première idée qui lui vint à l'esprit. Tuer l'animal. Ils se débrouilleraient bien pour le retour, si tant est que la beste de malheur avait encore une cavalière... Attendre Nevers? Pourquoi? Ce ne serait que repousser le sort scellé par Judas. Sans attendre de réponse, il sortit d'un pas résigné en direction des écuries où le Lisreux avait dû mettre les chevaux au repos. Les poings serrés dans ses gants de cuir, le VF vint retrouver sa propre monture, a distance respectable de Visgrade. Il avait été précautionneusement allégé du poids des sacoches qui pendaient presque proprement sur un abreuvoir. La badine y fut délogée, brandie avec force elle fouetta l'air dans un sifflement perfide.

Le coup cuisant qui s'abattit sur la croupe de l'incriminé, suivit d'une pluie d'autres plus virulents. Il le battit avec rage, hurlant sa colère, crachant avec véhémence des reproches insensées. Les coups exutoires, durs prétextes à apaiser toute l'impuissance de Judas, claquèrent tellement fort qu'ils affolèrent toutes les bestes aux alentours. Yeux fous et ruades, le chaos s'empara de l'écurie, mais les mains meurtrières ne relâchèrent pas leurs efforts. Frapper un animal entravé... veulerie, bassesse. Il frappa, encore et encore, jusqu'à écumer de fatigue, jusqu'à sentir ses bras s'engourdir et voir le cuir se lacérer de zébrures vermillons.

Si la roide mourrait, il mangerait cette chair attendrie par les coups, jusqu'à s'en faire péter la panse, jusqu'à en être malade.

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Anaon
    C’est la vie qui expire dans l’écrin. C’est le sang qui en témoigne , c’est ces contractions prématurées. Les chairs frémissent comme transies des cris muets d’une vie à l’agonie, condamnée à ne jamais voir le jour. La pleine conscience. L’impression de sentir chaque battement de cœur de celui qu’elle a accueillit en elle comme un parasite. La pleine conscience de l’être qu’elle a ardemment cherché à oublier. Aujourd’hui, il clame son existence dans la douleur, à l’aube de sa mort. A-t-il prit du père, ou de la mère? A-t-il cette rage de vivre ou bien s’est-il déjà couché? Sera-t-il assez vengeur pour emporter dans son trépas la vie de sa mère indigne…

    A la réponse de Nyam, un certain soulagement suivit de deux mots.

    _ Moi aussi…

    La phrase est lâchée dans un sourire douloureux. Sourire, parce qu’elle a décrété qu’elle ne pleurerait plus. Les larmes sont devenus roches dans les yeux asséchés. Pour sûr, si elle n’avait pas les dents serrés à se les briser, si sa respiration le lui permettait, elle se perdrait dans un rire à s’en arracher la gorge. Un rire de possédé, dernier rire d’une condamnée finissant de faire éclater ses tempes vrillées. C’est qu’à force de frôler l’au-delà Anaon, t’en deviens con. " La mort nous sourie à tous. Tout ce qu’on peut faire, c’est sourire à la mort "*. A chaque fois, elle avait sourit l’Anaon, avec la même souffrance, la même autodérision. La mort alanguie les sens ou les exacerbe, la mort enivre. De douleur, elle en est ivre.

    Le rictus se meurt dans une crispation. Les yeux se sont voilés de leurs rideaux de chair. Elle laisse la frêle l’installer, frissonnant par réflexe quand les doigts graciles jouent leurs rôles d’accoucheurs. Dormir. Là, tout de suite elle voudrait juste dormir. L’esprit ankylosé la plonge dans la torpeur, mais son corps la rappelle à la dimension sensible. Entre deux eaux, l’Anaon étouffe.

    Respirer. Seul chose sur laquelle elle doit se concentrer. Attendre, que le corps décide de rejeter ce que l’esprit à repousser bien avant lui. Elles n’auront pas à patienter bien longtemps…

    Les mains de la Roide s’agrippent d’une poigne tremblante au bois de la palliasse, s’y accrochant avec ses maigres forces, retenant un juron quand l‘épaule meurtrie proteste sous l‘effort. Le tête bascule, déployant la gorge d’albâtre et sa respiration en saccade. Serrer les dents, toujours plus fort, elle ne hurlera pas. Souffrir en silence, elle sait faire. Quand on a les joues sciée jusqu’aux oreilles, crier, c’est prendre le risque de faire éclater les points de suture. Tu hurles une fois, tu hurle deux fois… la troisième fois tu te tais et tu subis. Martyre vouée au silence. Une fois de plus n’est pas coutume.

    Elle n’attend aucun signal de Nyam, c’est son corps qui lui hurle quand commencer. Première poussée, première plainte de rage étouffée derrière les nacres. Combat contre la mort qui commence. Coupable contre le crime. La mère contre l‘enfant. Début d’une délivrance pour une parturiente qui a subit des heures de travail, mais pour l’Anaon, c’est l’enfer qui s‘ébauche.

    L’Ankou fera grincer sa charrette aujourd’hui… mais pour combien de corps?



* "Gladiator", de Ridley Scott
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - Montage LJD ANAON----[Clik]
Nyam
Il est des choses pour lesquelles on ne sera jamais prêt, quand bien même on l'aura vécu plusieurs fois. Et aider à la naissance d'un enfant mort en fait parti. Bien que ses gestes soient tendre et précis, ses mains tremblaient légèrement. La Frêle allait devoir être forte pour tous, puisque le Maître avait fuis, que la Roide luttait pour ne pas arrêter de vivre et que l'enfant lui avait cessé de se battre pour périr. Hors pour quelqu'un qui avait ployé les épaules toute sa vie, prendre en main le destin des autres étaient aussi compliqué que de nager pour un nouveau-né.

Quoi qu'il parait que le chiot se débrouillait bien pour nager tout petit...

Abandonnant un instant la parturiente, elle ouvrit la porte, déboulant comme une tornade d'or blanc dans le couloir. Dévalant à moitié l'escalier, l'adolescente au visage d'ange pencha la tête à travers les barreaux de la rampe et apostropha l'aubergiste. La voix si timide et effacée s'imposa soudain, directive, ne souffrant pas le moindre refus, s'inspirant de l'intonation que son maître employait quand il commandait ses gens.


J'ai besoin de plantes et de potions ! De la camomille du vin et de la matrice de lièvre ! Et de l'huile de violette ! Tout de suite !

Revenant d'un pas vif dans la chambre qu'elle n'avait abandonné qu'un instant, elle releva ses longues mèches de cheveux sur sa tête, les nouant à l'aide d'un lien pour ne pas être gênée. Bientôt, la femme de l'aubergiste lui apporta ce qu'elle avait réclamé. La femme déposa le tout sur la table de chevet avant de s’éclipser rapidement, effrayée sans doute à l'idée que la Frêle puisse lui demander son aide. Mais Nyam n'en avait pas l'intention... Le sang, ça se lave entre personnes concernées... Surtout le sang d'un enfant... Et l'adolescente, appartenant au Judas, elle fait partis de lui en quelque sorte, elle était donc concernée... D'une certaine manière...

Mélangeant la poudre de matrice avec du vin, elle porta la coupe aux lèvres de la Roide. Il était important qu'elle boive pour faciliter les choses. Mais le vin recouvrit davantage la poitrine nue qui se soulevait de manière anarchique et irrégulière qu'il ne coula dans la gorge. Sans doute parce que les mâchoires serrées ne s'ouvrirent que peu pour laisser passer la potion. La main fine se posa sur la joue comme pour rassurer avant de retourner s'affairer alors que le travail avançait mais que rien ne se passait.

La camomille mêlée à l'eau chaude pour se laver les mains, l'huile de lavande pour les rendre glissante, et voilà Nyam à genou entre les jambes écartés de l'Anaon qui souffrait. Les doigts se glissèrent, hésitant, dans l'antre qui fait femme, à la recherche de la tête de la chose, de l'enfant non encore terminé, ne sachant pas ce qu'elle toucherait, ne sachant pas ce qu'elle aurait. Mais au bout de ses doigts il n'y avait rien d'autre que la forme d'un membre encore inachevé.

Et le sang qui s'écoula alors entre les cuisses ouvertes fit reculer la Frêle. Se rinçant les doigts, passant sa main ensanglantée que son front pour en ôter une mèche rebelle qui la gênait, laissant sur sa peau blanche une traînée de sang, elle réfléchissait. Jusqu'à présent, chaque fausse-couche avait été rapide et spontanée. Mais celle-ci s'avérait plus compliquée... Et la douleur qui tordait les traits de la Roide trouvait son reflet sur les traits tirés par l'inquiétude de l'esclave.

Car en l'instant il n'y a plus une esclave et une amante d'un même homme... Mais deux femmes qui luttaient pour extraire un cadavre d'enfant d'un ventre où il n'avait plus sa place, en faisant en sorte de ne point y ajouter le cadavre de sa mère.

Et le temps coule et s'écoule, comme le sang et la vie entre les cuisses de l'Anaon...

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*Frédéric Régent, Historien
Judas
Et si elle mourrait?

Unique question, tournée et retournée dans son esprit pendant que coulent les heures comme la mort de l'engeance entre les cuisses chaudes de la mercenaire.

Oui, si elle mourrait. Que ferait-il? Pleurerait-il? Porterait-il son corps en terre ou chargerait-il les autres de faire tout cela à sa place? Et si elle restait envie... Voudrait-elle encore de cette vie? Le laisserait-elle l'approcher de nouveau, la désirer, la délaisser pour mieux la retrouver... Le jeu serait-il mort, avec l'immonde inopportun? Pourrait-elle encore donner la vie, le voudrait-elle seulement? Et qui était le fils de chienne qui l'avait engrossée? Quand, où? L'avait-elle aimé? Enfin les questions l'assaillaient en masse, toutes ces questions qu'il n'avait jamais voulu lui poser... Toutes ces réponses redoutées. Mais l'idée de ne jamais les avoir l'avait ramené brutalement à la vérité.

Qu'importe. Il était absent. Là mais ailleurs, les mains encore pleines de sang et d"écume d'avoir trop battu la monture, exutoire de chair aux pupilles dilatées d'effroi. Le souffle reprend un rythme acceptable, la badine, elle, est jetée aux quatre vents. La porte a claqué, Judas cours au chevet.

Les instants de folie sont des douleurs passagères, qui laissent après l'assouvissement un terrible gout d'amer. Ce n'est pas l'histoire d'un cheval, ni l'histoire d'un acte gratuit, c'est l'histoire d'un abandon qui le prend à la gorge. Il faut courir Judas, avant que ne trépasse ta mie. Il faut prier pour qu'elle soit encore envie... Si ce devait être le dernier regard, il le voudrait déserté de cette défection lâche et des reproches de l'Anaon. Les foulées lourdes fauchent les derniers mètres qui le sépare de la mourante, mais à la porte il se fige, bras replié tête en dedans contre les planches claires.

Qu'il est dur d'être un homme. Qu'il est dur d'avouer. Combien d'heures avant que ne tombe le couperet?

Plus tard, le seigneur fera préparer une charrette. Pour un cadavre, ou deux ou trois, ou pour l'espoir. En attendant... Les yeux fermés il écoute au travers de l'huis la complainte d'un évènement avorté.

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Anaon
    Mourir. Là maintenant. Mourir, parce qu'elle l'a, sa mort, sa Douloureuse. Partir dans son sommeil, dans un soupir, sans en souffrir... Ultime fourberie! Que la vie soit vile, traitresse, scélérate, mais pitié que la mort, seule certitude en ce monde soit honnête! Quel frappe à ma porte, je lui ouvrirais sans regret, bras ouvert je m'y livrerais. La gueule en sang, poitrail béant, crachant mes tripes s'il le faut, tant que je la sente, tant qu'elle m'étouffe, qu'elle vrille mes sens. La douleur, c'est ce que je veux. Périr sans le comprendre. N'est ce pas là le plus tragique des trépas?

    Il suffirait d'être lâche. Une fois, une seule fois. Aujourd'hui, elle est seule dans la balance, aujourd'hui si elle part, il ne restera derrière elle qu'un homme qui l'oubliera certainement et un espoir amenuisé, gangrené, désir ardent de retrouvailles qui lui bouffe la vie. C'est ce fil ténue qui trace son futur. Espoir. Crevard! Lui qui promet tout, mais qui n'offre rien! Il suffirait de flancher pour se soustraire à son joug. Qui l'en blâmerait? Qu'importe! Elle sera devenu trop sourde pour les entendre. Égoïste. Rien qu'une seule fois. Elle qui a vécu pour les autre, qu'on la laisse crever pour elle-même.

    Et si je meurs, que serais-je? Aurais-je le droit de revivre? Ou deviendrais-je une Lavandière de nuit, condamner à blanchir pour l'éternité le linceul sanguinolent de ce cadavre que je mets au monde? Damnée... dans cette vie ou dans une autre, damné pour l'éternité.

    Liquide qui se forge un passage entre les nacres serrés. Elle tente d'avaler l'Anaon, mais bien peu passe dans la gorge qui trésaille. Nouvelle poussée et son râle rageur qui se meurt derrière la rangée d'émaux. Elle se souvient très bien de son premier enfantement, elle se souvient très bien du visage de l'aliénée qui l'avait accouché. Et de cette chèvre qu'elle avait égorgée sur sa panse maternelle, souillant son corps de sang et de malédiction. Aujourd'hui, c'est elle qui saigne son enfant.

    Elle croit sentir son cœur s'affoler dans son crâne, ses tempes valser au rythme de son palpitant. A chaque poussée c'est les forces qui expirent. Elle tremble. Rien ne vient, il n'y a qu'elle qui part. Dieux si les larmes pouvaient lui venir... Elle oscille entre l'envie de se battre ou celle de s'abattre. Rester, pour quoi? Pour qui? Pour une promesse peut être. Pour cette faiblesse qu'elle a jurer de ne plus avoir. Pour ces prunelles, grises comme la lune qu'elle s'est promit d'extirper de leurs orbites. Pour l'amant fuyard peut être...oui peut être... Pour l'espoir surtout. Encore, toujours. Foutue l'illusion.

    Elle n'en peut plus. Rompue, brisée. Elle ne le sent pas, l'engeance qui se délivre! Encore une poussée, qui lui semble insurmontable, mais les muscles sont de coton. Elle flanche l'Implacable. Sa rage éclate soudainement.

    _ Va le chercher Nyam!

    L'immonde dans une seule phrase. Pleine conscience de l'horreur de sa demande. Elle n'y arrive pas toute seule l'Anaon. Elle ne peut pas. Qu'elle profane l'écrin, la Frêle! Qu'elle lui arrache cet être abominable qui gangrène ses viscères! Il est déjà mort! Mort! Mort! Mort! Qu'importe si çà la crève avec! Qu'elle mette bas comme une génisse! Seule elle ne peut pas!

    _ Enlève-le Nyam!

    Une supplique plus qu'un ordre qui fait trembler la voix d'ordinaire impassible jusqu'en être insolente. La tête retombe lourdement sur l'édredon. Elle n'est plus qu'écume. Respiration sifflante.

    Si je dois mourir, je ne veux pas partir avec mon ventre pour tombeau de cette vie avortée.

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - Montage LJD ANAON----[Clik]
Nyam
Citation:
_ Enlève-le Nyam!


Et elle arriva enfin, cette phrase tant redoutée... La supplique était dure, inacceptable, inconcevable mais pourtant bien là... Un peu comme le blessé sur le champs de bataille demande à son ami d'enfance d'abréger ses souffrances... L'esprit ne peut le concevoir, le coeur ne peut s'y résoudre, mais la main ménera l'épée à la gorge que l'on tranchera d'un seul mouvement.

Et Nyam ne fera pas exception... L'esprit en révolte par la seule idée de profanner le ventre d'une femme, l'adolescente savait qu'elle s'y plirait, finalement... Certes parce qu'elle était une esclave soumise, habituée à obéir... Mais surtout parce qu'elle était une femme et qu'entre femme, on se doit de faire pour l'autre ce que l'on aimerait que soit fait pour soi, si on était dans le même cas...

Alors la Roide demande et la Frêle s'exécute...

Ce fut tremblante que Nyam lava ses mains sanglantes dans la bassine d'eau. Elle disposa un linge propre sur le lit, entre les cuisses de l'Anaon, pour que le moment venu, une fois la chose sortie, elle puisse l'envelopper sans que la mère ne voit rien. Puis elle enduisit généreusement ses mains avec de l'huile de lavande avant de s'installer elle aussi, entre les jambes ouvertes.

La femme est certes capable de sortir un enfant de son ventre de plus de trois kilos... Et elle acceuille en son antre le membre de son amant... Mais une main, qui vient pour déloger la mort dans son utérus... Sera toujours douloureuse quoi qu'on y fasse... Et c'était cela surtout que craignait Nyam... Car la mort, elle pouvait gérer, elle l'avait déjà vu... Mais la douleur, elle n'aimait pas cela...

Pourtant c'est avec détermination qu'elle glissa sa main dans l'antre de mort, retenant à grande peine un frisson en sentant sur ses doigts la chaire qui se spasmait au fil des contractions, le liquide et le sang coulant le long de son bras en filet poisseux. Les gémissements plaintifs de la Roide accompagnaient la progression de la Frêle jusqu'à l'origine de tout, le mort-né... Les doigts fins effleurèrent la forme sans vie, cet être en devenir qui ne vivrait jamais.

Dégageant comme elle pouvait l'enfant mort, elle esseya d'extraire sans trop de dégât le petit corps, aidant le passage, facilitant la descente d'une tragédie de la vie. Bientôt la main sortit, accompagnant une tête minuscule certes mais reconnaissable. Ce n'était pas un foetus sans forme, mais bien un bébé mignature qu'elle sortait là. Enfin, il reposa inerte sur le linge préparé, son petit corps fracassé par la chute de sa mère et sa sortie désastreuse.

Cet enfant qui ne gouterait jamais à la vie, eut comme unique bâptème, les larmes d'une esclave qui s'échappèrent sans fin de ses prunelles d'azur. Enveloppant le petit corps dans le linge pour lui offrir le respect qu'elle pensait qu'il méritait, Nyam se concentra sur la mère pour faire en sorte qu'elle survive pour ne pas avoir à périr sous les coups de son Maître...

"Plus tard petit frère... Plus tard je te bercerait contre mon sein et je te déposerait avec tendresse dans ton berceau de terre... Plus tard..."


C'est bientôt terminé... Mais il faut vivre Anaon... Il faut vivre car vous le lui devez... Pour sa vie qu'il ne vivra pas, vous devez vivre... Vous n'avez pas le choix...

Ordre donné d'une voix douce par celle qui était l'esclave... Raison de vivre offerte à une femme qui n'avait sans doute plus envie de se battre... Tu dois vivre Anaon... Et tu vivras... Même si tu dois me détester ensuite pour t'avoir forcer à vivre, tu vivras...
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*Frédéric Régent, Historien
Anaon
    Pardon....

    Pardonne-moi pour tout. Si seulement tu avais été ma fille, jamais je ne t'aurais demander cela. Si seulement....

    La rage s'est heurtée au silence. Les yeux se sont réfugiés derrière leurs rideaux de chair. C'est le refus? Le refus qu'elle entend par cette parole qui se fait muette? La grimace s'accentue sur les traits tirés. Ainsi se sera seule, encore. Toujours. La salive a du mal à passer, mais comment la blâmer cette gamine? L'Anaon, elle, est femme et à trente-quatre ans, elle a vécu bien plus que la blonde dans ses jeunes printemps. Comment peut on cracher sur l'innocence? A la femme ses erreurs et ses repentirs. Et la balafrée doit se faire violence pour rassembler ses derniers grains d'énergie...

    Mais le mouvement se fait sentir tirant la conscience de son replis. Et le regard s'ouvre pour la voir. Si Frêle et pourtant si forte... Le soulagement vient éclairer un bref instant les prunelles ternes alors qu'elles suivent le visage figé de la jeune accoucheuse. Oh Nyam...

    Il est temps que la beste mette bas avant qu'elle ne trépasse. La femme reprend sa place, la tête repose. Une dernière fois, les doigts se plantent dans la palliasse. La poitrine se gonfle et c'est un tremblement soudain qui l'étreint quand la main s'immisce. La douleur. On a beau avoir connu les pires souffrances, çà ne rend pas les suivantes plus douces. Tout au mieux on les supporte, avec moins de cris et sans une larme...

    Elle n'aurait pas cru son cœur encore assez puissant pour s'emballer de plus bel, comme cherchant à fuir son étau de chair percluses et rompues. Elle n'aurait pas cru cette sensation aussi infâme, cette impression d'être vider comme un gibier de ses tripailles. Elle tremble, la balafrée, alors que la douleur s'épanche en flot vermeils comme les plaintes que les nacres crispées on du mal à réduire au silence.

    C'est la conscience qui vacille sous l'épreuve et manque de sombrer. Et le crâne vriller par la douleur ne demande qu'à éclater. Quand enfin.... la délivrance. L'expiration est violente, pareille au râle d'une biche abattue qui lâche son ultime soupir. Enfin... Enfin. Il ne reste qu'une peau d'écume, un amas de spasme. Enfin, la fin. Les yeux papillonnent, elle ne sent plus son cœur qui galope encore, elle ne sent que ce vide qui l'habite. Vide. Vide comme son ventre.

    Il n'y a plus d'engeance. Il n'y a plus d'indésirable. Demeure seulement un manteau organique qui n'a plus de corps à protéger en son sein. Le délivre sortira en son heure, l'Anaon, elle, n'y pense plus. Maintenant, elle peut dormir... Le corps se relâche, lentement et elle sent son esprit qui glisse dans ses limbes de coton. Mais la voix, encore, douce, vient percer les rempart de langueurs et titiller ses dernières bribes de conscience. Elle ne sait s'il s'écoule des secondes, des minutes avant qu'un battement de paupière ne vienne animer son regard. Les deux azurites brisées se posent mollement sur le visage où quelque filins liquides font luire les pommettes blanches. Pourquoi tu pleures Nyam? Ne pleure pas, pas toi. Ça me fend le cœur.

    Il faut vivre... Vivre pour celui qu'elle a tuer? Ce n'est pas Visgrade, ce n'est pas la chute qui a détruit cette vie en devenir. C'est elle, par trop de déni et de mépris. La vie pour pénitence. N'a t'elle pas déjà été assez punie? Les azurites s'abaissent jusqu'à se poser sur ses jambes qui cachent ce qu'elle ne verra jamais. Était-ce un garçon? Une petite fille? Serait-il né coiffé et promis à la chance? Un enfant bénis? Aurait-il eu les yeux de Jules ou bien les siens?

    Elikan... Elle l'avait toujours dit. Si un jour elle avait eu de nouveau un fils elle l'aurait appelé Elikan.

    Mais ce fils là, elle ne le voulait plus. Et ce fils ne viendra probablement jamais. Qu'elle est cette sensation étrange qui l'étreint? Un mélange de douceur et d'amertume... La culpabilité? Le regard se détourne pour briser la pensée qui l'anime. Elle l'a voulut, elle n'a plus qu'à assumer son crime. Maintenant il est trop tard.

    Les yeux se ferment alors qu'elle reprend une faible inspiration.

    _ Brûle-le...Je ne veux pas que l'on possède son petit corps...

    L'Anaon a grandit parmi les contes et les légendes, l'esprit taillé au couteau de la superstition. Elle ne veut pas que l'esprit d'un démon puisse habiter le petit trépassé. On pourrait lui passer la corde à l'encolure pour avoir sans cesse chercher à provoquer cet avortement. Infâme. Mais pourtant pas assez cruelle pour souhaiter une vie d'horreur à l'être qui aurait put être son enfant. Alors qu'on le brûle, qu'il ne reste ni âme ni corps. C'est la seule prière d'une femme païenne.

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - Montage LJD ANAON----[Clik]
Judas
Le loquet est animé, timidement la porte s'ouvre. Après la guerre, le VF s'est décidé à enfin se montrer et à aller au chevet de la Roide. L'appréhension est terrible lorsqu'il se frotte le bas du visage nerveusement, là appuyé au chambranle. Judas met un pied dans la chambre, mais juste un. L'odeur qui y règne le prend aux tripes, sa main passante reste figée sur sa bouche. Elle cachera tout. L'effroi, le dégout, la stupeur de la vision qui s'offre à lui. La petite chambrine empeste la mort comme une autre sentirait le stupre après la débauche. Nyam est là, agenouillée au pied de la couche, et ses bras son maculés de sang caillé. Maculés de mort. Le fond de son estomac accuse un ressac houleux, la senestre se crispe. Et comme une feue souveraine il rencontre le visage creusé et cireux d'une Anaon couchée dans son linceul, elle est morte. Elle est morte, là, dans cette chambre. Comment pourrait-il en être autrement...? Il la voit se mouvoir mais il la voit détruite, dévastée. Comment pouvait-il en être autrement?

Et lui, pauvre con sur le seuil, à se demander s'il faut partir de nouveau ou prier. Lentement mais sûrement l'homme se ressaisit et lorsqu'enfin sa main vient libérer sa bouche, ses idées reviennent à leur place. Quand on ne sait pas comment exprimer l'indicible, on se pare du masque de fer. Quelques pas en direction de l'esclave, les yeux évitant soigneusement de se poser sur ce qu'elle tient entre ses mains, voilà qu'il lui murmure de s'en aller. Elle fera ce qu'il faut, ce qu'il a entendu derrière la porte. Ce qu'il trouve péché... Tant pis... Laissons le péché s'occuper du péché.

La couche reçoit le poids de Judas, près du corps meurtri qu'il a tant aimé regarder. Ce corps singulier qu'il aura du mal à observer encore sans repenser à ce jour maudit. Réceptacle de l'erreur. Car c'est ainsi qu'il gardera souvenir de l'évènement de cette grossesse tue trop longtemps. Une erreur. Une erreur que le seigneur a corrigée.

Deux doigts fébriles viennent suivre le sillon d'une mèche encollée de sueur sur la tempe de l'Anaon. Il attendra qu'elle le repousse, le rejette, il attendra son tour pour ... Souffrir aussi.

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Nyam
Fremissement d'horreur quand elle entendit la demande de la Roide... Brûler... Même sans avoir vécu, Nyam était persuadée que l'enfant avait son âme... Et le brûler serait lui refuser une place au paradis... C'étai criminel... Elle se le refusait... En cela, elle n'obéirait pas...

La porte s'ouvrit sur le Maître... Le regard d'azur surprit l'expression d'horreur de l'homme à la vue du balluchon sanglant. L'esclave trembla, se sentant salie et coupable. Verifiant que la matrice était bien sortie, elle envrloppa le tout et se recula dans un coin de la pièce, batant en retraite. Serrant le petit paquet contre son coeur avec une tendresse presque maternelle, elle sortit dans le couloir sur ordre du Maître qui voulait rester seul avec l'Anaon.

Sa tenue et sa peau souillée de sang, la Frêle dévalla l'escalier et traversa en courant la salle de l'auberge. Tout les regards après être passés sur elle, se detournèrent rapidement comme pour ne pas être les témoins involontaires d'un crime odieux. Dehors, la pluie tombait en un rideau fin qui recouvrait le monde d'un voile gris. Un temps parfait pour un enterrement...

D'un pas hesitant, frisonnant de froid, elle se diregea vers le bois qui bordait le jardin derrière l'auberge. Tribuchant sur le sol inégale, elle s'arrêta à côté d'une grosse pierre noire. Deposant son chargement precieux sur la pierre, elle entreprit de creuser le sol imbibé d'eau avec ses mains nus... Elle aurait pu prendre une pelle mais elle tenait à le faire de ses mains, comme pour se punir de la mort de ce petit être, bien qu'elle n'en soit pas responsable. Il lui fallut plus d'une heure pour réaliser la fosse, et ses doigts glacés en étaient douloureux.

Prenant le corps disloqué, elle le déposa dans le trou boueux. Un regard lui apprit que cela aurait été un garçon... Un petit frère... Les larmes coulèrent de nouveaux sur les joues livides de l'adolescente, se mélant aux larmes du ciel. Serrant ses mains contre son coeur, elle pleura et pria, pour cet enfant malchanceux, pour sa mère et pour tout lzs innocents qui payaient la violence du monde... Se penchant, elle déposa un baiser sur le paquet sanglant.


Adieu Petit Frère... Nous nous retrouverons un jour... N'emporte pas ta maman, ne lui en veux pas... Un jour vous serez réunis mais pas aujourd'hui... Pas aujourd'hui...

Prenant la terre humide, elle enterra le petit corps, poignée aprés poignée, entre chaque sanglot. Un petit monticule marqua enfin l'emplacement, et elle y plaça des pierres blanches comme une pierre tombale. Elle se pencha su la petite tombe et pleura tout son soul, laissant la pluie la laver du sang et de la douleur.
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*Frédéric Régent, Historien
Anaon
    Elle a fermé les yeux. Elle a calmé sa respiration. Tout lui semble de coton. Les sons, les sensations, elle est comme ivre sur sa couche. La paillasse bouge. Les yeux de la femme s'entrouvrent pour voir la blonde filer avec la mort dans les bras. Un nouveau soupir s'extirpe de la gorge blanche. Soulagement? Peut être pas. Les azurites se voilent de leurs paupières. Elle ne saura pas, pas tout de suite que la Frêle ne lui obéira pas. Tant pis. La roide s'en chargera, un jour, plus tard.

    Nouveau poids sur la couche. L'oreille se tend. Il est là. Toucher sur sa tempe. La peau n'a plus la force de frémir, elle n'en a même plus l'envie peut être. C'est le vide dans sa tête. Dans l'âme, dans le cœur, dans le corps. Néant. L'engeance est partit et avec elle toute la haine qu'elle lui vouait. Elle la laisse exsangue sans le goût de la maudire. Plus rien. Plus d'aigreur, mais pas de joie non plus. Vidée.

    Dormir, maintenant, c'est l'heure. Nous verrons bien de quoi sera fait demain. Nous verrons bien si je me réveillerais. Les jours suivant la laisserons percluse, mutique, annihilant tout appétit, tout goût du vin. Toute envie de Judas. A mi-chemin entre la culpabilité d'avoir tué dans ses entrailles et la satisfaction d'avoir éliminé le problème qui lui pesant tant. Dans sa bulle. Rongée par les souvenirs qui la feront fuir vers Paris. Paris, berceau de tout, elle qui l'entrave par ce qu'elle représente. Jamais la Roide ne pourra rester bien longtemps loin de ses ruelles. Mais maintenant, il est n'a pas l'heure de pensée à la capitale. Pas encore.

    Elle voudrait être seule, l'animal blessé, mais quand bien même voudrait-elle repousser l'amant qu'elle n'y arriverait pas. Alors elle s'endort, là, sous ses doigts, le visage crispé. Apaisée, peut être, par sa présence. Certainement. Malgré elle. Souillée toujours, sans bain pour purifier son corps, tant pis, elle s'endort de tout son soûl, là sous ses cils, sous le regard qui veille.

    Nous verrons bien de quoi sera fait demain.

      "– "Ah ! que n'ai je mis bas tout un nœud de vipères,
      Plutôt que de nourrir cette dérision !
      Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
      Où mon ventre a conçu mon expiation !

      Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
      Pour être le dégoût de mon triste mari,
      Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
      Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,

      Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable
      Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
      Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
      Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés !"

      Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
      Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
      Elle-même prépare au fond de la Géhenne
      Les bûchers consacrés aux crimes maternels."


        - Charles Baudelaire, Extrait de "Bénédiction" -

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - Montage LJD ANAON----[Clik]
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