Belladone posa son pilon et attrapa une gourde de cuir. L'air songeuse, elle vida une goutte d'eau sur la jusquiame pilée. Elle parut hésiter un moment, puis palpa doucement, de l'index, la pâte qui s'était formée au contact de la plante de de l'eau. Elle porta son index au niveau de son il, puis en lécha légèrement le bout, l'air distraite.
« Mmmh... bonne récolte. »
Elle parlait paisiblement, avec détachement. Elle poussa un petit soupir de contentement, qui gonflait sa modeste poitrine sous ses hardes brunes. Bien qu'assez jolie, Belladone était plutôt maigrichonne et excitait ordinairement peu les hommes c'était une chance, et cela lui avait évité d'être vendue à un bordel. En plus de cela, elle était constamment couverte de terre et de boue, et son exposition constante à des substances hallucinogènes la rendait extrêmement lunatique, et un poil sociopathique.
Elle attrapa une cuillère en bois, et entreprit de fourrer la jusquiame pilée dans sa gourde, qu'elle reboucha consciencieusement et posa sur ses genoux. Puis elle arrangea un peu son étal, et se rassit sur son tabouret de fortune.
« Boucan dans l'église, curé dans la mouise, disait la Daronne.
Ou la Baronne ? »
Ça gueulait à l'intérieur de la chapelle. Par habitude, par éducation, ainsi que par professionnalisme, elle n'aimait pas vraiment les curés, mais son voisin était un peu particulier. Et puis, d'ordinaire, on pouvait lui faire confiance pour être relativement discret.
Elle hésita à jeter un coup d'oeil, et haussa les épaules... d'autant qu'un client s'approchait. Chapeau usé comme le trèfle d'un larbin, l'air excentrique et vaguement arrogant, mais complètement paumé... elle savait les reconnaître.
« Jusquiame. Peut-être, même, de la mandragore. »
Et elle ajouta, plus bas encore : « Tarif salé. »
Bjour belle brune, elle vient doù ta came ? hum ?
Sans répondre, elle lui fit un sourire, et puis détourna son regard vers le toit de la bicoque voisine, où un chat gris venait de surgir. Elle lui sourit, aussi.
L'enchapeauté n'était pas embêté. Passer derrière son étalage pour lorgner chez le curé. Elle ne l'avait jamais fait, elle même... entre voisins, il faut avoir ses manières. En fait, si elle avait installé son étal près de cette planche mal jointe, c'était plutôt pour pouvoir se planquer dans la chapelle si les gens d'armes venaient à passer... ça paie, d'être maigrichonne.
L'autre n'avait visiblement pas ses scrupules. Et apparemment, il connaissait les empêcheurs de tourner en rond qui lui gâchaient son après-midi en faisant râler le voisin. Comme-de-par-hasard.
« Hein, que j'en ai pas de chance, le chat ? »
Le chat, en effet, venait de s'installer tranquillement près d'elle. Il semblait à l'aise... chez lui.
« Longtemps que je t'ai pas vu, toi. »
Il ronronna un coup, et elle l'oublia aussitôt, tout comme elle avait oublié l'indiscret qui reluquait chez le curé et soliloquait dans son coin. Tout juste avait-elle entendu dire :
Taudis... emplis... d'caisses d'or...
Ha, il en tient un coup, l'enchapauté, pensa-t-elle.
Alors quest ce tas a proposer ?
Belladone ignora superbement la main qu'on lui tendait et, sans le regarder ni lui répondre directement, se mit à farfouiller dans ses choses. C'est comme ça qu'elle appelait le foutoir qu'elle se trimbalait. Ses choses.
« Herbe-aux-poules et raisins-de-loup,
Le macchabée au fond du trou... »
Elle chantonnait presque, et tirait de son fatras des petits sachets, et des fioles en terre cuite, et des bottes d'herbes étranges.
« La fée des prés,
A court de blé,
là, là, là... »
En fouillant, elle lançait des regards en coin à l'asticot, qui de fait semblait plus intéressé par ce qui se passait dans la chapelle que par son commerce. Enfin, elle sortit un petit sachet et l'ouvrit : à l'intérieur, racines et herbes broyées dégageaient une odeur formidable, une odeur de charniers et de folie, de sexe aussi.
« Ah. Philtre des loups. Radis noirs... et Mandragore.
Dernière lune... »
Elle fronça le nez, l'air absente, puis :
« Quarante. »