--Kehl
Bon ça devient énervant.
Kehl se leva, arracha un pavois à un hommes d'armes de la compagnie savoyarde, et approcha des remparts, à portée de voix.
Hola du rempart ! Vous attendez quoi pour venir prouver que vous êtes nés avec ce qu'il faut pour vivre ? On en a marre de ramasser les cadavres de gens qui essaient de forcer le blocus. Encore deux cette nuit, à ajouter à tous ceux des jours précédents. Il n'y en a pas un qui passe, vous comptez arrêter ça quand ?! Nous on peut comprendre qu'on s'en fiche, des corps pourrissants dans le fossé, c'est pas chez nous ici. Mais vous, vous avez un peu d'honneur, derrière vos savants calculs ? Ou vous avez déjà le cur noir au point de dire que tant que ce sont les autres qui meurent, ce n'est pas grave ?
Au lieu de claquer des fesses comme une bande de catins dont le bordel est inspecté par quelques soudards, agissez comme des vrais défenseurs de votre pays, ce que vous prétendez tous être, alors que vous ne levez pas le petit doigt quand on vous attaque ! Vous avez peur de quoi ? De nous ? Vous pensez qu'on va profiter de votre sortie pour s'emparer de votre tas de cailloux ? On n'en veut pas de votre chienne de ville et de votre pouilleux de pays. C'est vous qu'on veut. Vous vous insultez en laissant vos routes se faire contrôler par des étrangers, et nous du coup on est venu ici pour se battre contre une bande de sales garnements qui lève la main pour aller dans la cabane au fond du jardin. Même la reine de France aurait honte à votre place, bande de planqués ! Vous voulez pas non plus qu'on jette tous nos armes, pour que vous puissiez nous attaquer sans risquer vos vies ? Oubliez pas qui est venu nous chercher. Vous êtes capables d'attaquer des gens qui ne vous ont rien fait mais pas de vous défendre quand on vient vous rendre votre monnaie ? Poulets de basse-cour !
Schtonk ! Un carreau de planta à quelques centimètres de la tête de l'écuyer. Qui se protégea un peu mieux, en laissant échapper un imperceptible soupire de soulagement d'être encore en vie. Ce serait bête de mourir sans savoir qui vous a tué. Mais probablement que de là-haut on avait entendu ses hurlements. Sûrement. Maintenant il ne restait plus qu'à attendre. Ah s'ils avaient prévu que les Bretons faisaient la guerre en se laissant humilier, ils auraient pensé à une autre tactique. Il revint en sécurité au camp en se protégeant entièrement sous le pavois. Memento Mori n'avait tenté aucune attaque contre Fougères depuis plusieurs jours, et pourtant les villageois tiraient encore des carreaux. Sur qui, sur quoi ? Quelle étrangeté. Ils devaient penser que c'était ça se battre. Tirer en l'air et regarder la flèche dévaster ... une motte de terre. Dieu des batailles, sauve-nous ! Venir aussi loin pour tomber sur ça, c'était trop dur.
Un peu plus loin, Tossiat était pensif, une lettre à la main. Mais ça aurait pu être un crâne. Être ou ne pas être, telle est la question... Kehl comprenait bien mieux son seigneur que Tossiat lui-même ne l'imaginait. Finalement, quitte à ne pas se battre, où donc était leur place ? Il n'était pas venu pour contempler la façon dont les porchers locaux faisaient leur travail, et il n'y avait visiblement pas assez de monde dans toute la Bretagne pour que tous ensemble les porchers aient le courage de montrer le bout de leur nez.
Capitaine ? Vous pensez qu'on est trop gentils ? On devrait aller assiéger une ville avec plus de passage, peut-être que ça réveillerait ces mollusques d'entendre les râles de agonisants qu'ils laissent hors de leurs murailles. Vous en pensez quoi ?