Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   1, 2, 3   >   >>

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP ouvert] Cette lettre ne vous était pas destinée

Ellya
La culpabilité et le péché...


L'Oblate venait d'achever ses ablutions et de tresser sa chevelure, les mains tremblantes, quand elle décida qu'il était grand temps pour elle de se confesser.
Voilà huit mois que se lovait en son sein l'héritier du célèbre orfèvre de Paris, Georges Léonard Watelse. Voilà huit mois que la nonnette éprouvait une douce amitié pour ce dernier, époux pourtant indésiré et indésirable au début. Il était parti pour ses affaires, il était revenu par amour pour elle, la féconde.

Mais hélas... Voilà huit mois que la promesse faite n'avait pas été tenue et cela rongeait la douce Ellya plus que la haine qui l'avait habitée le jour de leurs noces.

"J’accepte de me faire baptiser mais seulement par vos mains, car c'est par vous et pour vous uniquement que j'aimerai votre dieu. Mais ne m'en voulez pas trop si parfois, mon esprit réfléchit encore comme le Spinoziste que je suis. Le seul cadeau que je vous demande alors, est votre indulgence."

Elle frémit en se rappelant la vaine parole du quinquagénaire. Que n'avait-elle écouté Odoacre? Elle, fervente aristotélicienne, épouser un Spinoziste contre le droit canon?

Le frémissement devint tremblement. Elle avait froid. Les sept premiers jours de chaque mois, les Cisterciens du Prieuré Ste Illinda du Rivet devait abandonner leurs hardes pour revenir la chemise des pauvres. Grosse jusqu'aux yeux, la chemise râpeuse ne couvrait pas grand chose. Ellya vint se poser près de l'âtre, espérant ainsi gagner un peu de chaleur. Le doute pourtant s'était incrusté. Et, comme un châtiment divin, une folle toux vint la prendre tandis qu'une sueur froide imbibait doucement le vêtement. La maladie s'infiltrait doucement en elle et, pieuse comme elle était, la sacristine ne pouvait y voir qu'un jugement céleste: l'héritier mourrait si elle ne parlait pas.

Elle avait peur. Mais lui, son frère de cœur, son ami de toujours, garderait le secret: car tel est le pouvoir de la confession, n'est-ce pas?





A mon frère adoré,

Ô, toi, étoile parmi les étoiles, j'ai grand peine à t'écrire alors que le malheur doit encore t'éteindre la nuit. Pourtant, c'est à l'homme d'église que j'en appelle, et à son pardon.
Car j'ai péché, mon frère, en mots et en actes. Ces derniers ne peuvent être changés et je demande simplement l'absolution afin de permettre à mon âme de continuer sur le chemin qui mène à l'Astre Solaire.
Tu imagines fort bien que le destin m'a pris de court et que mes choix eussent été différents si on me l'avait permis.

Accepte, je t'en prie, d'écouter mes maux et de les sceller derrière la barrière de tes lèvres. Je crains tant l'Inquisition que je ne puis me tourner vers personne d'autre. Tu me connais, mon frère, et tu sais mieux qu'eux que je ne cultive que la vertu. Donne moi la chance de continuer sur cette voie.

Garde le pigeon, il te renverra à moi.

Ta sœur,
E.



Malheureusement pour la nonnette, le destin choisit de lui mettre entre les mains un pigeon douteux. Et, loin de voler vers le bon destinataire, l'infâme volatile qui tenait entre ses mains un secret qui pouvait valoir fort cher, se mit à errer vers le premier inconnu venu.


... ne sont que peurs du passé.*



* Charles Curtis
_________________
La.maquerelle
« Courtes lettres et longues amitiés, tel est ma devise.  »*


Il est des choses étranges, parfois, dans la vie.
Une rose sous la neige.
Un poulain d'automne.
Un minuscule carré bleu sous l'orage.
Un pigeon dans un bordel.

Oui, il se passe des choses étranges, et plus qu'étranges, parfois, dans la vie rangée d'un bordel de capitale. Capitale cantonale. Chef lieu ?
N'allez pas le lui demander, elle y est installée depuis peu, et ne se préoccupe de politique que lorsque celle ci menace ses petites affaires.

Mais un pigeon, raide étalé sur son paillasson de bon matin... Il y avait de quoi en étonner plus qu'une.
Qu'en plus le pigeon ait un courrier à la patte...
Elle en fut sciée.
Ce qui ne l'empêcha pas de lire le dit courrier.
Et d'y répondre !



    Madame,

Vous me voyez bien navrée de n'être point votre frère, mais je crains fort que votre volatile ne se soit perdu dans une bourrasque de neige.
Il est vivant, du reste, aussi je me permets de vous le renvoyer.
Je doute qu'il ne retrouve le chemin du premier destinataire de votre lettre, et je doute qu'il soit sage de confier ses péchés à un homme d'église quand on est une femme, fusse-t-il votre frère, ma dame. Surtout qu'une dame de bonne famille telle que vous semblez l'être ne peut pas avoir péché si fort que cela, allons ! Vous n'avez point pu agir si mal que cela ! Il faut connaître le Mal Madame savez vous, avant de vouloir s'y comparer. Je suis sure que vous en êtes loin.
Sachez Madame que vous trouverez toujours une lectrice attentive si d'aventure votre pigeon se perdait à nouveau dans son plan de vol.

Votre dévouée,
D.


Ce qu'il lui avait prit ? Elle ne savait pas bien.
Mais c'était si étrange ce pigeon échoué sur son paillasson qu'elle ne put que répondre au courrier, s'appliquant à paraître polie et distante sans pourtant pouvoir s'empêcher de donner son avis.
Trop intriguant.
Et puis, de toutes façon, il fallait bien renvoyer le pigeon pour que la dame sache que le destinataire prévu n'avait rien reçu !

Le volatile fut donc rendu aux cieux devenus plus cléments. Avec un peu de chance, cette fois il ne se perdrait pas...



__
*Voltaire.
Ellya
On n'est curieux qu'à proportion qu'on est instruit.*


Sa première réflexion, après avoir décacheté et lu la lettre dont l'auteur était inconnue, fut de jeter au loin le papier comme l'on retire sa main du feu.


Par tous les Saints, qu'ai-je fait...

Son cœur mit longtemps à s'apaiser et elle dut boire une rasade de vin de Bordeaux pour calmer ses humeurs.

Elle ne sait rien. Je n'ai rien dit de compromettant. Tout va bien. Tout va bien.

Et elle éclata en sanglots. Ah. Voilà de longues semaines qu'elle n'avait pas versé d'amères larmes, la Candide nonnette. Elle se sentait seule, si seule. Et le Créateur semblait refuser qu'elle se confesse à son frère Cistercien. Pourtant, si tel avait été Son souhait, pourquoi ne pas envoyer l'infâme volatile se perdre dans les eaux lointaines? Pourquoi avoir placé entre les mains d'une inconnue l'écrin de ses secrets?

La pieuse Oblate y vit un signe et se résigna à reprendre la missive avant de la relire, mot après mot, comme l'on déchiffre un code. Finalement, à la lueur d'une chandelle vacillante, guettant le moindre pas de son époux pour cacher lettre et encre, elle se mit à répondre à l'inconnue. Croyante. Désespérée.




Chère D,

Que vous dire de la stupeur qui m'a étreinte à la lecture de votre missive? Sans doute était-elle égale à la vôtre, à peu de choses près.
Oh, madame, j'ai tant péché que je tremble à l'idée de l'avouer. Que ma lettre n'ait pas trouvé le bon destinataire et que vous m'affirmiez que me confesser serait folie me fait tant douter.
Le Mal. Oh, madame. Je l'ai épousé, il m'a marié. Par Dieu, je l'ai même aimé! Et son enfant grandit en moi. N'est-ce pas pécher que tout cela?
Mais si le Créateur a voulu que mes maux vous soient confiés, puis-je au moins savoir comment vous m'aiderez? L'accepterez-vous seulement? Oh, comme je l'espère.

En priant pour que ce pigeon retrouve sa voie vers vous,
Le Ciel demeurant impénétrable,

Votre obligée,
E.


* Jean-Jacques Rousseau
_________________
La.maquerelle
Ben ça alors!

Ce sont les premiers mots qui lui vinrent à l'esprit lorsque sa gouvernante lui apporta le courrier reçu le matin même, bien avant qu'elle ne soit levée elle même. Son fils avait apparemment trouvé le pigeon, le message, et avait cru qu'il venait de son père. La gouvernante lui avait montré le nom du destinataire avec un air grondeur, et avait rangé le message fermé jusqu'au lever de sa maîtresse.

Qui lut le message avec intérêt, et s'empressa d'y répondre, s'appliquant à rendre son écriture la plus souple et fluide possible. Il est délicat d'écrire lorsque l'on apprend si tard.



    Madame,

Je vous aiderai dans la mesure de mes moyens. Je puis être votre lectrice attentive, et répondre à vos questionnements de mon mieux. Il m'arrive même de recueillir des femmes dans le besoin chez moi.
Ce que vous me dites de votre époux semble terrible. Certains hommes sont le mal incarné madame, et ceux là vous devez vous en protéger. L'enfant que vous portez n'en sera sûrement point marqué si vous l'élevez loin de lui.
Sachez Madame que même un mariage peut se dissoudre lorsque l'un des époux est en danger de l'autre. Jamais le Très Haut ne voudrait qu'une femme ou un homme ne subisse les violences de son conjoint.
Ne craignez rien de moi je vous prie, et gardez vous bien de lui, pour vous et pour votre enfant.
Je prie pour votre salut.

Votre dévouée,
D.


Qu'est-ce qui peut pousser une catin de métier, une maquerelle avertie, à répondre aux messages d'une nobliote terrorisée ?
Allez savoir.
Le souvenir d'un assaut qui a mal tourné, sûrement.

Le message fut noué à la patte du volatile après qu'il se fut reposé, et advienne que pourra.
Ellya
Hum. Excusez-moi...
Un soucis ma sœur?
De qui est cette lettre?
Tu rougis Ellya!
Mais non je... j'ai chaud. Je reviens.


Il est difficile de s'extirper d'une taverne lorsqu'un pigeon malhabile vous y rejoint, porteur d'un message. Il l'est encore plus lorsque les regards sont posés sur vous et que vous êtes censé être personne honnête et franche.

Et les rumeurs courraient si vite dans ce village... Un jour on la prenait pour une hérétique pour avoir eu le malheur de parler à la mauvaise personne; le lendemain on complotait en secret pour empoisonner son époux; le surlendemain on chuchotait à propos de liens ambigus entre elle et un homme de passage. Dieu que les villageois adoraient les ragots.

Une fois dehors, elle décacheta fébrilement le sceau avant de parcourir avidement les quelques phrases. Satané volatile. Pieux volatile? La sacristine ne pouvait y voir que la main du Créateur et, ayant pesé le pour et le contre la veille, avait décidé de se confier à l'inconnue. Lentement. Sûrement. Pour un possible soulagement.



Chère D,

Tous les mariages ne peuvent se dissoudre, hélas, sans faire surgir de regrettables questions. Je suis malheureusement condamnée à demeurer avec lui. Toutefois... Il vous faut savoir que je lui porte toujours tendresse et amitié. S'il n'a su être fidèle à sa parole, je ne puis oublier qu'il a bien changé depuis le jour de nos noces. En bien.
Mais l'enfant... Ah, l'enfant... Je pleure toutes les nuits à l'idée qu'il ne sera qu'un bâtard de plus dans ce Royaume en guerre. J'aurais aimé bien faire, j'ai tant souhaité être une bonne épouse. Pourquoi, par tous les Saints, ne suis-je parvenue au bout de mon souhait? Et si personne ne sera en mesure de connaître sa condition, moi je le saurai. Moi je saurai qu'il est né dans le péché et que, misère, les grâces du Très-Haut ne le protègeront en rien.

Le poids de la culpabilité me pèse et sa pensée m'étouffe.

Que dois-je faire, madame, pour laver mes péchés? Tant de promesses qui ne peuvent ou ne doivent être tenues que j'en suis perdue.

Votre obligée,
E.


Les derniers mots étaient tremblants et une larme apeurée s'était glissée sur le coin inférieur droit du parchemin. L'Oblate ne réalisait pas que ses propos ne devaient avoir ni queue ni tête pour qui ne connaissait pas son histoire. Elle se contentait d'exprimer ses doutes, dans le désordre car de l'ordre... il n'y en avait plus depuis longtemps. Voilà où en était rendue la petite religieuse: à demander à une inconnue le chemin de la vertu pour ne pas succomber aux tortures de l'Inquisition.

_________________
La.maquerelle
Cela tendait à devenir un rituel.
Pourquoi diable cette femme n'avait-elle pas d'amie qui puisse l'écouter ?
Mais la maquerelle se plaisait aussi à lui répondre. Cela distrayait ses matinées longues lorsqu'elle était tôt levée, et que sa dernière embauchée tout juste déflorée dormait encore au lieu de l'inonder de questions technique.
S'occuper des états d'âmes d'une autre l'empêchait de penser aux siens.
Si elle avait eu une oreille amie elle aussi pour l'écouter...
Mais qui se liait d'amitié avec la macquasse ?
Personne.
Personne sauf... Sauf ceux qui n'auraient pas du, et à qui elle ne pouvait rien dire.

Au coin du feu, dans le salon ouvert tout public de son établissement, elle installa son écritoire, sortit un parchemin de petites dimensions, et tailla sa plume afin de pouvoir noircir ce dernier d'une toute petite écriture. L'inconvénient des oiseaux étant qu'ils ne pouvaient pas transporter grand poids.




    Madame,

Je ne comprends que trop bien votre désarroi. Je sais comme il est pénible d'éprouver des sentiments d'affection pour un homme duquel on voudrait se détacher. Je sais bien la peine que l'on vit, et la souffrance de savoir que son enfant grandit en soi. Croyez moi je vous en conjure, je sais tout cela.
Je ne suis point religieuse Madame, mais je crois profondément que le Très Haut ne peut en vouloir à l'enfant. Il n'est pour rien dans sa naissance, et pour peu qu'il ne l'apprenne jamais, il n'aura pas à en souffrir. Si vous n'en dites rien à votre époux, ni à personne, vous serez la seule à porter le poids de votre culpabilité. L'enfant n'en pâtira pas, et c'est tout ce à quoi vous devez penser. Une mère protège son enfant de tout malheur qui pourrait lui advenir.
Je crois que vous agissez bien, Madame, en restant liée à votre époux. Votre enfant grandira et deviendra l'homme qu'il doit être.
Qu'importe votre culpabilité, c'est un problème entre le Très Haut et vous, et il ne regarde pas le monde des hommes.
Vous verrez Madame, lorsque le fruit de vos entrailles sera déposé pour la première fois dans vos bras, vous saurez que rien d'autre au monde ne compte que son bien être. Vous saurez.

Votre dévouée,
D.


Le vélin avait été noirci des deux cotés, mais au dos l'écriture s'arrêtait à mi course. En le roulant serré, avec un cachet de cire – sans aucune armoiries ni dessin, bien entendu – épais, nul ne pouvait le deviner.
L'oiseau fut renvoyé vers sa propriétaire.
La maquerelle savait, sans aucun doute possible, que l'oiseau lui reviendrait quelques jours après, avec de nouvelles confessions.
Elle le savait. Et mieux, elle l'espérait.
Ellya
La sacristine, si elle avait des amies, n'en avait aucune susceptible de comprendre son désarroi et, pis, capable de la conseiller. Que conseiller à une femme abusée, désabusée? Chacun de ses choix, elle l'avait pesé: où en était-elle rendue? Au pied du pilori.
Tout est question de confiance et celle de l'Oblate avait été malheureusement mise trop à mal pour qu'elle puisse se confier à quelqu'un de connu. Sauf lui, son frère. Mais le Très-Haut avait repoussé son geste pour x raison.



Chère D,

Je ne sais comment mais vos mots me soulagent en partie.
Je ressens cette étrange impression de complicité comme si vous connaissiez mes maux, partagiez mes doutes. Serait-ce le cas?


Un bruit suspect lui fit lever la tête, alerte comme le chat sauvage. Cette correspondance devait rester ignorée de tous. Il le fallait.



Si je puis être soulagée concernant ma progéniture, qu'en est-il de mon âme? Que faire pour se repentir de tels péchés? Oh, je le sais, vous n'êtes pas religieuse, madame, mais parfois les religieux sont les moins bien placés pour vous conseiller. Je ne le sais que trop.


Un second la fit se lever et regarder par la fenêtre. Watelse arrivait d'un pas pressé. A la hâte, elle finit sa lettre d'une écriture peu soignée.



Aidez-moi, je vous en serai reconnaissante à jamais.

Votre obligée,
E.

_________________
La.maquerelle
Sans surprise, le pigeon était là, avec un courrier à la patte.
La blonde s'en saisit délicatement, et s'installa à sa place favorite, près du feu ronflant, où son écritoire l'attendait déjà.



    Madame,

Là où vous voyez péché souillant votre âme, d'autres ne voient qu'amour aristotélicien.
Je ne connais pas le Livre par cœur, mais il me semble me souvenir que la prophète Aristote prône l'amitié entre tous, et si l'amour entre deux personnes est suivie d'une union religieuse, c'est avant tout pour assurer un nom à la descendance.
La votre a un nom, et vous avez aimé.
Vous devriez être heureuse, Madame. Nombre de femmes, surtout de haute naissance telle que vous, n'ont pas cet honneur.
Je ne crois pas qu'Aristote envoie l'amour pour nous tenter, mais au contraire, pour nous récompenser. Il dit Lui même que l'on doit aimer. Il est donc logique que nous soyons récompensé par l'amour. Du moins est-ce ce que je crois.

J'espère vous aider, Madame, je fais tout mon possible pour répondre aux questions que vous me posez.

Votre dévouée,
D.


Un peu moins longue, peut être, la lettre.
Pour moins s'introspecter soi même, peut être. Parce que si Aristote vous donne l'amour en récompense, qu'en est-t-il de la douloureuse vie que l'on mène quand on aime sans en avoir le droit ?
Ellya
La mystérieuse lettre demeura un temps dans le jupon de la Prieuse qui couvait ces mots comme couvait en elle l'héritier Watelse. Depuis réception du pigeon, elle était rassérénée, en paix avec le Très-Haut, les étrangers et elle-même. Odoacre mort, finalement, elle n'avait rien à craindre. Elle allait préparer soigneusement un mariage secret, baptiser son hérétique époux et transformer sa vie de mensonges en une vie de vertus. Ni vu, ni connu...

Puis il y avait ce bijou. Cette somptueuse croix aristotélicienne que le quinquagénaire lui avait forgée et qui ornait son cou de la plus délicate des manières. Bref, les humeurs de la nonnette étaient en phase ascendante et, jusqu'à la prochaine dégringolade, elle irait bien.

Après avoir prétexté une fatigue passagère due à l'enfant qui n'allait pas tarder à découvrir la dure loi du Royaume, Ellya s'enferma dans ses appartements avant de prendre la plume.




Chère D,

Me voilà heureuse et apaisée. Et si certains détails sont encore à régler, je n'ai plus d'inquiétude à leur sujet. Le Très-Haut saura me comprendre aussi bien que vous m'avez comprise. Certes, quelques secrets devront demeurer et vous serez seule à en connaître l'existence, mais je ne les crains pas et les accepte même avec grand plaisir.
Ah, madame, aurais-je pu mieux trouver comme oreille que la vôtre? Me voici votre servante et, comme telle, je ne serai satisfaite que lorsque je vous aurais rendu pareil service. Demandez, vous aurez.

Votre obligée,
E.

_________________
La.maquerelle
Elle était, comme souvent au matin, plongée dans ses livres de comptes. Les recettes de la nuit sont divisées entre son escarcelle, celle des travailleuses et celle du pot commun pour la gestion de la maisonnée. Elle doit savoir qui a gagné quoi, car chacune gagne des économies, largement assez pour s'offrir friandises et rubans, ou, en économisant longtemps, une nouvelle robe.
Au matin, les filles dorment, l'enfant travaille ses lettres avec sa gouvernante, le chiot, fatigué de sa virée dans la neige, dort probablement si près du feu qu'il s'en ferait roussir le poil.
L'instant est paisible, et la maquerelle en profite.
Cette rencontre épistolaire la touche. Elle n'a pas vraiment d'amis, surtout depuis qu'elle a quitté Paris. Elle ne le regrette pas, mais ils lui manquent.
Elle hésite. Mais elle a tant besoin de se livrer !



    Ah ! Madame!

Votre lettre me fait chaud au cœur. Je suis heureuse que votre âme soit apaisée, vous verrez que l'enfant en votre sein s'en portera mieux.
Je vais vous prendre au mot, Madame, car je crans de souffrir des mêmes maux que vous ! L'amour doit-il toujours faire souffrir les femmes ? Sommes nous donc si fragiles, que nous devions décrire nos sentiments à nos amies afin de mieux les comprendre ?
Êtes vous mon amie, Madame ? J'aime à le penser, je voudrais tant pouvoir parler de ce qui me ronge et me réjouit en même temps !
Votre dévouée,
D

Ellya
Paisiblement, elle regarda la gelée draper de ses plus beaux vêtements les ruelles alentours. Quelques courtes semaines encore et elle serait déchargée de son fardeau, affirmait sa vieille servante aux nombreux enfants. La croire était à la fois un soulagement et une crainte nouvelle. Et si les couches la laissaient plus morte que vive? L'arrivée d'une lettre attendue lui ôta ses peurs et lui tira un sourire ravi.



Chère D,

Devrais-je dire chère amie? Oui, assurément.

Je ne sais si amour et souffrance vont toujours de pair mais il semblerait qu'ils soient de farouches alliés. Est-il seulement possible de les séparer? J'ose espérer que oui.
Je serai une oreille attentive, madame. Parlez-moi de ces amours qui vous exaltent et vous martyrisent.

Puisse le Très-Haut vous soutenir,

Votre obligée,
E.

_________________
La.maquerelle
Elle avait reçu le courrier... Et hésité pendant des jours. Elle avait envie de se confier, elle avait besoin de se confier... Mais le quotidien l'avait rattrapée et elle n'avait pas eu le temps. Peut être même était-elle contente de ne pas avoir eu le temps.



    Madame,

Mon histoire est si éloignée de la votre, et parfois... si proche.
Les femmes doivent elle toujours souffrir par les hommes qu'elles aiment ?
Est-on toujours aussi niaise quand on aime, madame ?
Je suis une femme active, je possède mon établissement, je suis ce que l'on peut appeler une bourgeoise, même si je ne suis pas intégrée à cette société. Je n'ai pas besoin d'aimer pour vivre, ni pour élever mon fils. Je l'ai, lui. Il devrait suffire à combler mon âme, n'est-ce pas ?
Et pourtant...
Je suis perdue, Madame. Perdue.
Ellya


Tendre amie,

J'ai ressenti tant de peine en lisant votre lettre que je me suis hâtée de vous répondre. Je ne suis pas habile en ce qui concerne l'amour. Je crois même n'avoir pas franchi les étapes de l'initiation. Toutefois, je crois pouvoir affirmer que certains hommes souffrent autant que nous, hélas.
Vous aimez, je le sens, mais cela semble vous bouleverser. Reconnaître que vous êtes perdue suffit à démontrer que votre enfant ne suffit pas à illuminer votre âme de bonheur. Ne pouvez-vous donc embrasser l'amour? Y aurait-il des barrières vous en empêchant?
Comme je regrette que ce pigeon ne puisse porter de plus grands messages.

Mes pensées vont vers vous,

E.


D'un pas pressé, serrant le petit message entre ces doigts longilignes, la nonnette se dirigea vers le pigeonnier. Elle n'avait toujours pas parlé à son cher époux de cette rencontre incongrue avec l'inconnue D. Elle ne comptait pas le faire. Comment réagirait-il s'il apprenait qu'elle avait failli dévoiler leur secret? Oh non, pour rien au monde la prude Duranxie n'entacherait l'amour que l'orfèvre parisien lui portait.

Une fois arrivée, elle attacha à la patte du divin volatile la lettre. Il s'envola.


Pour qui était-ce?

Georges, vous m'avez fait peur!
Le soleil est à peine levé. Pour qui?
Je... Voyons, vous allez attraper du mal si peu couvert et...
Ellya! Qui?
Un... Paroissien. Les leçons d'Aristote n'ont pas d'heure pour être délivrées.
...
_________________
La.maquerelle


    Oh, Madame!

Comme je vous suis reconnaissante de ne point m'abandonner !
Mon tourment est simple, et pourtant si compliqué. Il y a neuf ans, j'aimais un homme. Un enfant naquit. Puis je dus fuir pour protéger mon fils, et je me cachais, même de mon aimé. Lorsqu'enfin je fus rassurée, je voulu le retrouver. Las ! Il avait quitté Paris. Je me suis établie il y a peu ailleurs et... je l'ai retrouvé, madame ! Il fut heureux de revoir son fils, et mon fils est heureux d'avoir enfin un père. Un père, une sœur aînée, bâtarde comme lui, et surtout, une belle mère et un petit frère...
Voilà mon tourment madame. Je ne l'ai pas vu pendant huit ans, mais son regard brûle encore mon vent*rature* mon âme.
Je vous remercie de votre amitié, madame.
D.


Un bien lourd secret qu'elle venait de dévoiler à une parfaite inconnue. L'enjeu était de taille. Le risque ? Probablement minime. Sans aucun doute minime, inintéressant pour quiconque lirait le courrier. Les états d'âme d'une inconnu, qui est-ce que cela peut intéresser ?
Mais les états d'âme d'une maquerelle...
Ses employées, peut être, pour avoir quelque chose pour faire pression sur celle qui les traitait déjà relativement bien au regard de ce qui pouvait se vivre ailleurs. Allez savoir!
Ellya


Très chère amie,

J'espère ne point vous avoir causé de soucis lorsque vous ne vîmes pas ce pigeon revenir vers vous. L'enfant m'épuise et j'ai du mal à quitter ma couche dernièrement. Je prie pour être bientôt délivrée de ce présent.
Je n'ai pu empêcher mon cœur d'être empli de bonheur en imaginant votre joie de revoir votre ancien amour. Qu'il ait accepté votre fils a dû être un tel soulagement! Mais que vos sentiments soient aussi forts est problématique. Les liens du mariage sont sacrés n'est-ce pas? Oh, comme j'aimerais que tout soit plus simple pour vous, vous qui semblez si bonne!
Qu'allez-vous faire? Comment vous aider?

Toujours là pour vous,
E.


La nonnette se leva en poussant un soupir avant d'appeler son fidèle Payen. Elle était bien trop frêle pour se diriger vers le pigeonnier et, bien que ses correspondances dussent demeurer secrètes, elle espérait pouvoir lui faire assez confiance pour ne pas piper mot au quinquagénaire de tout cela.
_________________
See the RP information <<   1, 2, 3   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)