--Bacchus
Elle est gentille, la petite. Elle lui a prit la main et la serre pire que cou de poule le dimanche.
Enfin Bacchus! C'est sur décision des soeurs de Sémur que je me trouve ici. J'ai terminé mes études, selon elles. Ne me ramenez pas là bas, c'est inutile.
Elle secoue la tête à s'en faire tomber tous les cheveux. Heureusement que c'est solidement vissé au crâne, les cheveux, à cet âge. Bacchus jurerait que la menotte tremble dans sa grosse paluche ; la gazoute va bien finir par se trouer la lèvre tellement elle serre les dents ; mais elle le regarde, avec des yeux que... des yeux qui... avec des yeux, quoi ! Bon bah pour les nonnes, tout ça, on trouvera bien quelque chose.
Ne m'avez vous pas dit que Mère n'était pas présente? Mon frère Sylvain est-il parti avec elle? Quand revient-t-elle?
Ça aussi, ça ressemble à Anne, cette façon qu'elle a de poser des questions à la chaîne. On ne le dirait point, maintenant, vu comment la baronne est avare de paroles. Sauf au Conseil, où elle cause des fois tant que ça en endort plus d'un. Bacchus les voit bien, qui font semblant d'écouter, puis qui ne comprennent rien, puis qui disent qu'ils ont la migraine. Il leur botterait bien les fesses, à ces bougres d'ânes, s'il l'osait. Ils auraient mieux fait de poser des tas de questions quand ils étaient petits, ils auraient été un peu moins bêtes maintenant.
La petite Anne-Marie pose des questions, Bacchus aime ça. Il prend son temps pour répondre. Il saisit délicatement le poignet de la demoiselle, de la main qu'elle a bien voulu lui laisser libre, pour se détacher de l'étreinte. Si Dame Anne arrive maintenant et voit sa fille si familière avec un domestique, pour sûr que ça va chanter pouilles.
Dame Anne ne saurait tarder, Demoiselle. Elle est toujours là quand on corne l'eau, sauf quand elle est à Paris, naturellement. Mais elle n'y est point, puisque je suis là. Messire votre frère rentrera ... bah quand il rentrera.
Et pour s'éviter de voir la déception dans les yeux de la petite, il ajoute.
Il rentrera très vite. Je prends votre marmotte. Venez, Demoiselle, entrez. La Matheline vous mènera à votre chambre.
Il charge d'un geste la malle sur sa vaste épaule, s'efface pour laisser passer la jeune fille, répète :
Entrez, entrez !