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|RP] « Ce que l’amour peut faire, l’amour ose le tenter. »

Blanche_
Citation de W. Shakespeare.

Ce que Blanche peut, Blanche pouvait le tenter. C'est ainsi qu'elle s'en alla, le jour dit, vers Decize où Aimbaud devait l'attendre... Mais ça, personne ne le savait à part elle. Il avait été question, pour ses dames de compagnie et elle, que d'aller se rendre en visite sur des terres bourguignonnes, et de se recueillir pour le salut de leurs âmes... Elle qui avait voyagé, qui avait vu, elle se rendait à Décize pour prier, était accompagnée d'un nombre conséquent de dames de compagnie, et de gardes. Il n'était plus question de retourner en Bretagne, et elle avait donc avec elle deux amies très proches, Maeve de Dénéré-Malines et Aricie de Brocéliande. Dans le premier carrosse, celui qui au confort surpassait sans équivalence tous les autres de son cheptel, se trouvaient les trois femmes, et une place vide au coté de Blanche, là où devait se trouver Astaroth, ou Johann, ou Lestan, en fonction duquel des hommes de sa vie elle était accompagnée. Par défaut protocolaire, la place était vide, et Blanche y trouvait goût pour poser près d'elle la paire de gants dans leur coffin en bronze afin de les avoir à disposition à chaque fois que l'une d'elle demandait à ce qu'on arrête la voiture. Les arrêts furent fréquents, assurément parce que l'excitation qu'elle ressentait depuis une vingtaine d'heures l'avait poussé à s'hydrater très fréquemment, et qu'elle n'était plus apte à s’accommoder d'une seule distraction. Il lui en fallait plusieurs, elle passait de l'une à l'autre, insatisfaite par l'une et l'autre, jamais heureuse, jamais soulagée, victime d'un perpétuel enchantement, martyre de son sévisse : tant qu'elle ne l'aurait pas revu, elle serait à demi-elle, sans lui tout à fait, sans elle pas du tout.
Et alors qu'elle était ainsi ballottée, dans sa charrette d'âme et de roues, la mariée d'Espagne n'avait en tête que l'instant où elle retrouverait son être entier, et où cesserait l'insurmontable souffrance de ces mois et semaines dernières, de ce mariage, de cette rupture, et de leur séparation. L'odieuse machination contre elle, menée par des personnes dont elle n'avait pas conscience, elle s'en doutait, elle l'espérait, elle la redoutait d'avance, et sa résolution prochaine, le paroxysme retrouvé en ses bras tel qu'elle le souhaitait en lisant ses mots charriait en elle des sentiments si intenses qu'elle était tour à tour, privée de toute énergie, ou gorgée d'elle. L'air venait à lui manquer, et elle faisait arrêter le carrosse, marchait un peu, sentait alors en elle la folle vitesse d'un palpitant qui crépitait d'impatience, et remontait donc, ragaillardie, intensément pleine de cette attente, et n'en pouvant plus de ne pas être dans ses bras.
Elle qui avait voyagé, et vu, trouvé l'homme bon, parce qu'il redoublait d'attention envers elle, qui avait fait d'elle une suzeraine et bientôt une reine, et pourtant elle se trouvait presque à Decize, Decize où le venin coulait dans les rivières, où les flatulences empestaient l'air, et où en guise de paradis, Aimbaud lui offrait le repère de sa femme.
La haine imbibait l'air autant que son amour gonflait ses poumons ; ici les paysages n'avaient rien de romantiques, l'atmosphère était oppressante et tuméfiée, et certes les fleurs perçaient le tapis de mousse, et les génisses étaient prêtes à mettre bas, et il existait d'ors et déjà des fragrances du nouveau printemps, mais enfin même si l'air autour d'elle chantait le renouveau, son âme elle peinait à s'extirper du fléau qu'on avait tissé autour d'eux.

Voila, c'était ainsi l'esprit de Blanche... Un quiproquo de sérénité et d'impatience, sur une base de vengeance ravalée ; c'était un amour absolu qu'on avait voulu éconduire, et qu'elle, victorieuse, emplie d'espoir, tenait à mener à son terme. On avait voulu les abattre, les essouffler, les punir ; fourbue mais déterminée, elle revenait à son véritable maître.


Nous nous tairons à partir de maintenant, pour mieux nous recueillir, mentit elle effrontément en soutenant et le regard roux, et le regard blond, de ses deux amies présentes.
Pour leur protection, elle n'avait pas voulu les mettre dans la confidences, et elle avait décidé de ne leur en parler qu'une fois que les choses, vécues, n'auraient pour coupable qu'elle-même.
Pensez, si Astaroth venait à savoir la chose, n'en serait il pas fol de rage ? N'en serait il pas blessé, meurtri, comme le corps de ces yack de Tolède que l'on abat en terre de sable, sous les yeux des spectateurs qui scandent un ¡Aún! ¡Aún! si perfide qu'elle manque de vomir, n'en serait il pas si victime, si poussé à la violence qu'il en perdrait la raison, qu'il pourrait serrer son cou, violer ses chairs, fouetter son sang ? N'aurait-il pas assez de tristesse, n'aurait-il pas assez de douleur pour lui ordonner par ses mains qu'elle aussi, souffre à l'équivalence un étau, fourré contre son cœur, qu'elle soit brûlée, coupée en deux en place publique, humiliée, ne souffrirait-il pas tellement de l'évidence de la trahison de sa femme pour la faire meurtrir ?
Si.
Elle le savait, elle en était sûre, autant qu'elle se savait souffrir si elle ne voyait pas Aimbaud ; en venant à lui, au prix de mille sacrifices, elle sacrifiait son intégrité et le serment d'affection, elle crachait sur ses idéaux, bafouait son sang. Sang de race*...
Elle se mit à gémir.


Arrêtez la voiture !

L'ordre mit un temps à être accompli ; pourquoi ce changement, brutal, alors qu'elle disait, quelques secondes plus tôt, ne vouloir plus parler, ne vouloir que se consacrer à ses prières ?
Elle bondit hors de la voiture, délia le bouton de sa robe, qui lui opprimait la gorge tel un licol de soie ; et puis, happant l'air à grandes bouffées, elle sentit le gaz du délice monter à sa tête et ternir sa vue. Ciel, ciel, fit-elle en ouvrant un bouton supplémentaire...
Et puis elle chavira, pendue à ses cordages de tissus lourds, amarrée aux bombardes pendantes et trainantes à ses bras, se hissant à un tronc en y posant le bras, constante, somme toute, du naufrage de sa condition dès lors qu'un pied serait posé à Decize, et qu'Astaroth, jamais, jamais ne pourrait lui pardonner cet écart, et qu'il tuerait Aimbaud, son Amour, Oh !
Elle voulut faire marche arrière, songea la chose possible, et, déjà, retrouvant des couleurs, comprit, fut persuadée en l'instant qu'il serait aisé d'expliquer son retour ; elle inventa un mensonge à Aimbaud, se vit retrouvant la chaleur sacrée et sainte du lit de son époux, imagina même qu'elle pourrait aimer leur intimité, qu'il suffirait de se persuader de sa douceur et du confort pour que son intrusion drue en son intimidad, oui, tout cela était possible ! Elle lâcha l'arbre, croqua l'air et en aspira la pureté évidente. Il fallait revenir. Pour Lestan et Johann, sans lesquels sa vie n'aurait plus de sens, pour sentir sa condition de femme et d'épouse, et pour qu'encore une fois, son sein porte l'enfant d'un homme.
Elle appela, mais l'on n'entendit guère ses mots, tant le vent soufflait ; elle-même, prise par son malaise, n'avait pas vu les pas et les pas faits pour s'enfuir de son oppressante trahison. Elle entendit bien que l'on répondait, mais ma foy, cela n'avait point d'importance, rassurée qu'elle était sur la conduite que le Créateur escomptait d'elle, sur son attitude à adopter, sur sa rédemption future. Dieu, sans nul doute, lui avait instamment ordonné une retraite, et ce message, ce message Seigneur...


Madame ! Voyez, au loin c'est déjà la chapelle tel que vous l'aviez ordonné !
Elle crut mourir.
Condamnée.
Trépassée.
Le pied posé sur les terres de Decize, le mal fait, sa rédemption échappée, elle recouvrait l'impatience de voir son amour, perdait espoir pour ses enfants, trouvait réponse à ses interrogations.

Va, ma fille, au berceau du créateur, retrouver ton fol Amour, car ça n'est que pour lui désormais que tu vis.


[cf le rp "Belle du Seigneur"]
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La royauté? Bof.
♥ Je marie le Prince de Castille, Mesdemoiselles si vous êtes intéressées, mp! ♥
Maeve
Un arrêt, puis un autre, encore un autre, toujours un autre.
Les femmes espagnoles subiraient-elles un rituel de rétrécissement de la vessie ? A ce rythme là, on sera décédées avant même d'arriver en Bourgogne ! J'en bougonne, mais profite malgré tout de ces arrêts pour me dégourdir les jambes. Qu'est-ce que c'est long, de voyager... Moi qui n'avait parcouru jusqu'alors que la Bretagne, voire l'Anjou, me retrouve bien dépaysée.


Dis, Blanche, pourquoi on va si loin pour se recueillir ? Dieu, il n'est pas censé nous entendre où que nous soyons ? Alors de Bretagne, d'Espagne ou de Bourgogne, hein... Et puis pour tout te dire, je ne suis même pas baptisée, moi.

Sous entendu : "Moi qui ne suis pas du tout au fait de toutes ces choses d'aristotruc... J'vais me faire chier, non ?"
Pas de réponse de mon idole, ou alors de courtes phrases vagues, évasives. Elle n'est pas bien causante, en fait, depuis le début. Peut-être qu'elle couve quelque chose ? Quoique ce soit, en tout cas, ma Brocéliande de voisine ne risque pas d'être contaminée. Cette noble doit avoir tellement peur d'attraper un rhume qu'elle s'est couverte jusqu'au bout des doigts ! Ou serait-ce qu'elle me trouve si sale qu'elle a peur de me toucher ? Je panique et observe mes mains. Boah, pour quelqu'un qui vient d'enchaîner plusieurs jours de voyage... C'est honnête.
Bilan : Aricie est une chochotte.


Nous nous tairons à partir de maintenant, pour mieux nous recueillir.

Soupir. Eh bah, ça va nous changer de l'ambiance habituelle.
Je pars dans mes pensées, faisant mine de me recueillir. Tout converge vers Naël, bien sûr, et cette si terrifiante et excitante histoire de fiançailles. Ah, voilà un moment qu'elles n'avaient plus de problèmes de coeur, mes deux cocarosseuses. Elles sont bien, elles sont casées, pouf pouf... Alors que pour moi, c'est si compliqué ! D'Artignac, Cholet, Trégor, de Dénéré-Malines... Tout va s'embrouiller, ça va être aussi chaotique qu'un bordel après le passage de Lemerco.
Mais ce sera un peu pas mal rigolo, quand même. Pouvoir m'amuser non-stop avec Naël, être la vraie cheffe des domestiques et non plus la presque-cheffe, devenir la Princesse en vrai de vrai de mon Pr...


Arrêtez la voiture !
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Maryane.
Ce voyage était mortel.
La voiture était d’un inconfort particulier, ou peut-être étaient-ce ses douleurs maladives qui l’empêchaient d’apprécier les douces journées passées à s’ennuyer en compagnie d’une amie sur les nerfs et d’une inconnue ennuyée. Elles étaient toutes trois confinées dans leur minuscule espace, le destin leur offrant une belle occasion de philosopher sur leurs malheurs.


Arrêtez la voiture !

Cet ordre soudain crié un peu trop fort avait tiré la Comtesse de ses pensées. La décision de ne plus s’agiter et de ne plus discuter balancée quelques minutes auparavant lui allait pourtant bien. Elle aurait pu lui permettre de réellement se recueillir et de demander une nouvelle fois pardon au Très Haut pour l’offense impardonnable qu’elle lui avait faite. Elle en était persuadée, son état était une punition. Quand elle était encore une enfant, son grand-père lui disait souvent qu’il lui faudrait être une épouse aristotélicienne, qu’elle devrait accepter celui qui la choisirait et s’efforcer de l’aimer du mieux possible. Mais voilà, elle avait refusé les noces avec le Comte Talleyrand-Périgord pour épouser celui qu’elle aimait. Le reste de l’histoire vous la connaissez. Le Très Haut n’avait apparemment pas apprécié que la demoiselle choisisse à sa place et une vie exemplaire n’aura pas suffit à apaiser sa colère.
Blanche ne revenait pas. La Princesse au Champignons s’impatienta.


Si une chapelle nous attend, nous ferions mieux de nous y rendre rapidement.

Si elle avait su que le but du voyage était de se rendre complice de la pire des injures qu’on puisse faire au Très Haut, si elle avait su qu’elle se trouvait liée à un crime qui réduirait à néant toute sa vie de quasi sainte, peut-être se serait-elle donné la mort sur le champs. En attendant, elle regarda sa voisine. C’est vrai qu’elle n’était pas issue d’une famille extrêmement appréciée, mais elle était bretonne. Elle lui confia donc une surprenante mission, sortie de nul part.

J’ai défié le Seigneur. A présent il me punit. Je ne peux pas vivre et me tenir auprès de mon époux avec la figure de la lèpre, je ne peux pas infliger ce souvenir à mes enfants.

Elle tendit alors une lettre bien cachetée à la jeune demoiselle qui aurait sans doute préféré être épargnée du malheur des autres. Mais elle n’avait guère le choix du refus.

Je vous le demande avec désespoir, je vous prie de porter cette lettre au Comte d’Orvault sitôt que vous aurez retrouvé le Grand Duché. N’acceptez de lui remettre qu’en mains propres. Ce sont les mots qui lui demandent compréhension et pardon pour ma vie que je vais éteindre. Ils font également état de la mort de notre dernier enfant. Personne ne doit savoir.

Elle lui avait lancé tout ça d’un ton contrôlé, rien ne laissait paraître la douleur qui l'habitait. Comme toujours, il lui fallait rester fidèle à son nom et les Brocéliande sont forts et fiers en toutes circonstances.
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Maeve
Si une chapelle nous attend, nous ferions mieux de nous y rendre rapidement.

Tu parles.
Ah tiens, oui, tu parles ! C'est pas souvent qu'j'entends ta voix, madame.


Oui, mais il fait très froid vous savez, on ferait mieux d'attendre que le cocher nous appro...
- J'ai défié le Seigneur.


Me voilà interloquée. De quoi ? Elle s'est fait un pari avec Dieu ? Du style, cap ou pas cap d'aller jusqu'à la chapelle à pied ? Etrange.

A présent il me punit. Je ne peux pas vivre et me tenir auprès de mon époux avec la figure de la lèpre, je ne peux pas infliger ce souvenir à mes enfants.

Lèpre. Elle a dit lèpre, là, ou c'est moi ? Non, en vrai j'dois avoir mal entendu. Pouvez répéter, m'dame ?
Je me décompose -au sens figuré, moi, pour le coup. Elle a l'air très sérieuse, la Broc'.

Voilà qu'elle s'approche de moi, me tendant une lettre ; brusquement sortie de ma léthargie, je recule d'un coup sec, ne souhaitant surtout pas toucher cette femme.
Mais d'ailleurs ! Si je voyage avec elle depuis perpète... J'ai bien dû la toucher, non ? Même sans faire exprès ! L'effleurer en grimpant dans le coche, me frotter contre elle par inadvertance en changeant de position pour dormir, que sais-je encore. Malheur de malheur.
Discrètement, je mets mes mains dans mon dos et tire très fort sur mes doigts. Verdict : ils ne tombent pas. Ouf !


Je vous le demande avec désespoir, je vous prie de porter cette lettre au Comte d’Orvault sitôt que vous aurez retrouvé le Grand Duché. N’acceptez de lui remettre qu’en mains propres. Ce sont les mots qui lui demandent compréhension et pardon pour ma vie que je vais éteindre. Ils font également état de la mort de notre dernier enfant. Personne ne doit savoir.

Blanc. Celle dont on voit à peine un pouce de peau ne laisse rien paraître. J'ai le droit de m'enfuir ou pas, là ? On dirait que non. Lépreuse ou pas, c'est une noble de haut rang -ou Oran, c'est selon- qui me fait confiance. Enfin, elle a pas trop le choix, c'est moi ou le cocher pour le coup,vu que B...
Tiens, mais elle est où, d'ailleurs, Blanche ?


Oui, bon, euh... C'est d'accord.

Je prends un mouchoir pour recouvrir ma main, réprime une grimace de dégoût et attrape doucement la lettre, que je m'empresse de fourrer dans l'un de mes petits sacs.

Allons vite à la chapelle, oui, vous avez raison. D'autant que dans votre état, va pas falloir rechigner sur la prière, hein !

Je saute hors du carosse, pressée, on l'aura compris, de quitter l'atmosphère étouffante de l'intime cabine -ce n'est certainement point un élan d'amour pour le Christ qui m'aura poussé vers la mystérieuse chapelle.
Il faut que je le dise à Blanche. Elle saura quoi faire.
Non parce que là, je commence à réaliser. Des secrets de Brocéliande dévoilés, une madame qui va mourir en secret, une mission de la plus haute importance... J'ai besoin de mon mentor pour me guider. C'est indéniable. Quoi, "personne ne doit savoir" ? Blanche c'est différent, d'abord ! C'est un tout. Vous pouvez pas comprendre, d'toute façon.

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Aimbaud
Quatre gardes en faction sur la route de commerce du Morvan signalèrent à sexte le passage du coche aux armes espagnoles. Ils furent interrompus en pleine partie de dés sur les bords du chemin, par le fracas d'un galop et le roulis de la voiture sur les cailloux. Les dés désignèrent celui d'entre eux qui devait courir à toutes jambes vers le château en brandissant une étoffe blanche. Le messager couru, le tissu claqua dans le vent, une sentinelle fit passer le mot entre deux créneaux de remparts. Et en un temps que nous qualifierons de record du monde année 1460 — une époque, mes enfants, où le sms n'avait pas sa place dans les rendez-vous d'amoureux — l'information arriva à l'oreille d'Aimbaud de Josselinière.

Les yeux bruns s'ouvrirent brusquement. Les épaules se dressèrent. Le sang ne fit qu'un tour.

L'amour...

Était-ce bien de l'amour qui se lisait dans le regard adrénalinisé de notre tout jeune Marquis ? De la frénésie, de l'impatience, des étoiles, certes ! Il se mit à tiquer des paupières et à bégayer des mots de patois angevin et de latin, en triturant à pleines mains les calfeuts de pourpoint qui couvraient son poitrail, comme si l'air lui manquait au point d'étouffer. Alors... Était-ce bien de l'amour, ou seulement l'expression d'une pathologie grave du cortex cérébral ? Il fit quelques pas dans une agitation extrême, butant contre bibelots et pupitres, faisant choir manuscrits et encriers dans un charivari de poussière (car il se trouvait dans l'écritoire de Decize, en fait, on a pas précisé), forçant enfin le loquet d'une fenêtre à céder sur les rayons du jour. Là, appuyé à pleines mains sur le chambranle, la tête rendue blanche par un carré de lumière, il respira à pleins poumons. Mais bigre de bigre de nom de chiotte, j'insiste : était-ce là de l'amour, ou seulement une violente réaction allergique aux acariens de la bibliothèque ? Le visage glacé par un vent de janvier, le seigneur braqua son regard en contrebas, vers la cour du château.


Mon cheval est-il sellé ? L'écuyer est-il vêtu ? Haro ! En route !

Les serviteurs s'activèrent. Les sangles se sanglèrent. Quatre soldats furent désignés pour escorte. On coiffa Aymon d'un chapeau de feutre à plumes assorti à sa livrée d'écuyer. Et en un temps qui n'était pas loin d'égaler le précédent record du monde 1460, les hommes de Decize passèrent sous la herse dans un formidable galop. Aimbaud allait en tête, les épaules prises dans un velours de Gênes qui gonflait aux bourrasques, talonnait sa bête sans presque plus toucher la selle de son derrière, tant il était juché sur les étriers dans le feu de la course. L'écuyer rougeoyant et les hommes en cottes sombres suivaient, l'un d'eux portant au vent une bannière.

Il traversèrent le bois, prenant à contour la route qu'avaient suivit les dames d'Espagne. La forêt bien connue — chasse y ayant été menée — n'érigea sur leur route pas un bosquet ni un ruisseau qu'ils ne surent franchir. Toutefois, ils ressortirent de leur raccourci tout pleins d'épines de ronces et constellés de tâches de boue, bien moins pimpants qu'au départ. Arrivé sur le promontoire d'une colline, le souffle court et blanc, Aimbaud vit la chapelle. Rejoint par sa troupe, il resta là silencieux, dans le cliquetis des étriers au repos et les halètements des chevaux. Le froid avait fait de son visage une sorte de masque gelé : les joues piquées, le nez goutteux et les yeux pleurnichards. Pour se redonner quelque assurance, il renifla avec détermination, les maxillaires contractées (élargies par l'âge).

Blanche allait-elle le trouver changé ? Voudrait-elle toujours se laisser embrasser ? Y aurait-il des empêchements, des remords, des "Non ! Jamais ! Mon mari ! Petit goujat !" ? Le plan machiavéliquement théâtralo-dramatique allait-il fonctionner ? Vendez votre âme ou achetez 300 tokens pour le savoir... Non je suis sympa, voici la suite de l'épisode.


Les voici qui viennent. Groupez-vous en retrait en attendant mon signal. Nous les rejoindront quand l'une d'elle aura pénétré la chapelle. Notre arrivée doit se faire "comme par hasard", compris ? Ayez l'air "comme par hasard". Tu n'as pas très l'air "comme par hasard", Gudbert. Aymon, tiens toi un peu mieux "comme par hasard". GRRAh. Comme par hasard je tombe sur les moins doués... À BOIRE.

Fit-il en débouchant lui-même la gourde de vin fort qu'il avait à son ceinturon. Oui, Aimbaud se donnait souvent des ordres quand il était en stress. Il évida la peau de chèvre d'une bonne rasade puis la lança derrière-lui en partage. Grand seigneur. Ce jour était celui où il revoyait Blanche, il se sentait en état de bonté... Mais le coeur au bord des lèvres, tremblotant d'angoisse et d'hypothermie, les paumes suant dans le daim de ses gants, il n'en menait pas large... Il avait, de son côté, une façon bien physique d'exprimer un dilemme Dieu/adultère, serment/trahison, Clémence ma femme/Blanche ma chérie. Cela ne se traduisait pas par de longues envolées lyriques, par des heures de réflexion éplorées. Non tout cela s'exprimait plutôt par une nausée fiévreuse, des claquements de dents, une paupière qui s'agitait indépendamment de sa jumelle, et une syntaxe complètement bouleversée style "Poussez-vous me pavé le sel ?".

Aimbaud de Josselinère attendait ce jour depuis six mois. Et il avait quelque crainte, de devoir risquer son rendez-vous galant, et accessoirement sa vie (et celle de Blanche), sur les capacités d'un écuyer, d'une chapelle, et sur la crédulité des protagonistes de cette histoire.

Bref. Campés à l'orée de la forêt, le regard rivé sur le coche qui stationnait plus loin, les six hommes attendaient le moment propice pour entrer en scène.

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Blanche_
Les secondes s’égrainaient comme des heures. L'une après l'autre, comme des obstacles qui se suivaient les uns les autres, et nécessitant à leur accomplissement la plus grande foi, le plus grand Amour. L'on n'aurait pas pu imaginer plus grande simplicité dans cette annonciation de leur prochaine rencontre : elle savait, il savait lui aussi, et il n'était plus question que de quelques détails à régler en eux-mêmes pour qu'ils puissent se retrouver, et être l'un pour l'autre totalement offert.
Bien que le sang battit à ses temps à une vitesse folle, il semblait que tout était ralenti, posé, retardé, pour lui permettre de choisir et d'arriver à lui comme en juillet. Elle avait bien peur, et la gorge serrée, mais lentement le froid glacial de l'hiver la gagna, et petit à petit, perdant les sensations de ses doigts et le haut de son front, le rythme de son cœur se ralentit et devint calme. Elle perdit la conscience de son alliance, de la plaie de sa main, de son ventre aussi, et elle ne sentit plus que ces secondes qui passaient devant elle, pour mourir avec lenteur, si doucement qu'elle aurait pu compter jusqu'à cent entre chacune d'elles ; elle ne comprenait plus rien, n'entendait plus rien à rien,
La vapeur, auparavant brûlante et embuée, qui sortait vite de sa bouche, n'était désormais plus qu'un nuage faible et chaotique, irrégulier, parfois absent, qui faisait des perles de son parfum devant elle, autour de sa bouche, jusqu'aux poils de sa robe où il mourrait en s'y déposant. Et, pour pousser le vice de cette machination envers elle, pour lui imposer un choix encore plus douloureux, il semblait que les arbres, leur lit de mousse, tout autour d'eux n'était qu'apparente douceur, qu'évidente acceptation : si la nature avait voulu par un détail quelconque, donner un avis sur cette rencontre et leur culpabilité, elle semblait les en laver, leur offrir son accord, alors que les feuilles ployaient vers eux un cou couvert de givre, et qu'aucun son ne perturbait leur lente parade. Il y avait dans sa silencieuse présence une sorte de consentement, de bénédiction, ainsi peut être, de la même façon, que Blanche trouva en levant les yeux vers un bruit soudain, un petit sentier de terre menant à la chapelle.

Morte d'angoisse, ne sachant pas quel choix prendre, et tiraillée entre deux, elle se décida à un premier pas, fatidique, tendant la tête vers le bruit des chevaux, se demandant si c'était eux.
Si c'était lui ?
Vous l'avez entendu ?
Elle demanda, mais prise dans le froid, sa voix n'émit aucun son. Cordes. Regarde, regarde, regarde... Elle ne savait pas pourquoi, elle ne savait pas...
Vous avez entendu ?
Si c'était lui, tu l'attends, tu l'attends, et si c'est un roman d'amour...
Vous avez entendu ?

Elle ferma vite son col, dans un geste appliqué et vif, si bien que le bouton en se lovant avec perfection dans son antre blanche, lui fit oublier qu'elle avançait encore, vers lui, vers la chapelle. Regarde, regarde, regarde, n'hésite pas... Les murs, les arbres, écoute, regarde, c'est toi, c'est ton cœur, ta voix, sa voix, tu as entendu ?
Cordes... Tiède, elle se tourna, fit vite quelques pas vers le carrosse, se dépêcha, n'écouta plus rien. Oh, elle avait les joues rouges, brûlantes, et pourtant il faisait si froid ! Elle osait, elle voyait, elle voulait, désirait, détestait. Elle ouvrit le carrosse si vivement, si promptement que tout cela parut surréaliste. Il faut prier ! dit elle, elle avoua, elle ordonna.
Restez-là.
Fais vite, fais vite.
Je vais prier, me recueillir, et j'aimerais être seule.
Vous avez entendu ?
Elle sourit à Aricie, n'osant trop lui expliquer les choses. La déhiscence de son mensonge ne la choqua pas, tant son cœur, déjà entaillé, s'ouvrait en deux à l'approche de son possesseur. S'il y avait une souffrance supérieure à l'autre, la simple idée de ne pas revoir Aimbaud lui était devenue insupportable, et déjà, de toute façon, en serrant ensuite Medb dans ses bras, elle leur promit de revenir.
Et répéta, encore, qu'elle les voulait rester au carrosse et ne point venir, pour quelque raison que ce fut ; si elles désobéissaient, ma foy, ce serait fort fâcheux, et elle serait obligée de les enjoindre au silence... Mais à l'instant, ces faits ne lui venaient pas à l'esprit, tant embrigadée dans son obsession franche de revoir son amant, elle ne pensait à rien d'autre.
Fais vite, fais vite...
Elle les abandonna et revint à la porte de la chapelle. Les yeux perdus, hagarde, elle avait marché en tous sens et semé des traces maladroites le long du chemin ; là où, quelques minutes plus tôt, la délicatesse de sa réflexion n'avait apposé que des pas légers, à peine visite, la force et déterminante oppression qui la menait à lui faisait d'elle une furie. Folie furieuse, décachetée de toute obéissance, elle sautait à lui, venait à lui, courait vers lui. Une dernière fois, avant de totalement sombrer et de frapper à la porte, de pousser le loquet et d'entrer pour y voir, elle tourna un franc visage vers la clarté de la neige au dehors, elle entendit le silence des bois, des bêtes, sourit. Le vent, en cessant de frotter son visage, fit perler une larme de satisfaction à son œil, qui mourut, glacée, en traçant un sillon presque invisible jusqu'à son cou. Elle avait les cheveux abimés, coiffés à la mode de Castille. Comme pour marquer un peu plus son servage, il y avait sur elle monceaux de détails qui Lui appartenaient. On eût dit, si c'était convenant, qu'Astaroth lui même avait habillé sa femme avant qu'elle n'aille vers Aimbaud ; qu'il avait touché tout son corps, posé sa lame et ses doigts partout. Elle avait une perle à l'oreille, un bijou d'or travaillé sur l'autre, et là où des mains de garçon suffisaient à tenir sa taille, désormais seules celles d'un homme mûr pouvaient en faire le tour : c'était tout plus beau, plus grand, plus riche. Parée comme une reine, avec ses perles et ses pierres, ses parfums, ses marques, elle avait énormément changé. Plus rien ne l'effrayait, bien qu'il eût tant à redouter. Elle était complètement inconsciente, navrée par sa propre hérésie, heureuse de se protéger d'une culpabilité trop lourde.
Ils auraient pu déclencher une rage folle, une guerre, même ! S'ils avaient seulement eu l'intention de faire mal... C'était justement la souffrance qui les avaient menés là.

Elle toqua, emplie de la foi soudaine ; ça n'était pas mal, c'était un miracle.

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La royauté? Bof.
♥ Je marie le Prince de Castille, Mesdemoiselles si vous êtes intéressées, mp! ♥
Aymon
Une phrase tournicotait depuis quelques heures dans l'esprit d'Aymon. D'abord vague et lointaine, elle n'avait fait que se préciser et grandir depuis le début de la matinée. Elle s'assombrissait, devenait menaçante, comme de gros cumulus gris se profilant à l'horizon de sa pensée. La phrase en question était : "ça sent les ennuis."
On l'avait levé de bonne heure, obligé à prendre un bain (un bain chaud ! Et parfumé ! Lui qui, à l'accoutumée, devait se contenter d'un seau d'eau froide tirée du puits !), vêtu de son plus beau pourpoint et d'un chainse neuf. Messire Aimbaud avait été pour lui plein d'attentions, veillant à son rasage, ajustant sa tenue, insistant pour qu'il mange quelque chose.

Tout ça n'était pas vraiment dans les habitudes du marquis. Voilà quatre semaines qu'Aymon avait été assigné à son service, et malgré leur rencontre houleuse, être son écuyer s'était révélé plutôt plaisant. Il bénéficiait du gîte et du couvert, et l'ordinaire de Decize était bien meilleur que la pitance quotidienne de sa mère, ou le maigre gibier et les racines dont il se nourrissait lorsqu'il errait sur les routes. Quelques servantes n'étaient pas désagréables à regarder, certaines aimaient à plaisanter même. Son travail se limitait à prendre soin du cheval de messire (quelle ironie !), à fourbir son armure, à l'accompagner dans ses trajets, bref, rien d'insurmontable. Mais bien qu'Aimbaud fut jusques ici un seigneur affable, et même sympathique, il n'avait jamais montré une once d'attention pour l'apparence ou le bien-être de son écuyer, en dehors du strict minimum.

Voilà pourquoi la petite phrase tournait en boucle dans la caboche d'Aymon. Il n'arrivait pas à se l'enlever de la tête : ça sentait les ennuis. D'autant que le marquis lui avait dit qu'il aurait pour lui "une tâche spéciale". Il était resté sourd aux questions du subalterne. Sa nervosité n'avait d'égale que son air évasif. Décidément, son comportement était des plus étranges...

Puis il avait fallu partir à cheval, vers on ne savait où. Il avait été sommé de se tenir "comme par hasard". Non mais l'autre ! "Comme par hasard" ? T'en ficherais, moi, j'aimerais bien t'y voir.


Messire ? Tout va bien ?
avança-t-il timidement lors d'une halte à la lisière du bois.

Pour toute réponse, il eut une outre de vin qu'il saisit au vol, manquant d'en renverser. Bah, se dit-il. Une lubie, probablement. S'envoyant une bonne lampée avant de passer le reste aux autres, il tenta de se rassurer et de se dire que tout ceci était parfaitement normal, sans arriver à se débarrasser d'une curieuse sensation à l'estomac.

Quelque part dans son crâne épais, la petite phrase était passée en sourdine, mais ne cessait pour autant de se répéter.

Ça sent les ennuis.

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Aimbaud
Les branches racornies des chênes bruissaient aux à-coups des bourrasques gelées, elles émiettaient de petits bouts de stalactites sur les têtes de nos protagonistes, embusqués. Les chevaux piaffaient d'ennui, promenaient le duvet de leurs naseaux sur les mottes de terre givrées à la recherche de brindilles. Les hommes échangeaient quelques mots. Mais Aimbaud seul restait attentivement immobile, les pupilles braquées sur l'objet de sa quête, plissant ses paupières cillées de noir sous l'effet d'une myopie légère. À ce propos il ne se l'avouerait jamais, mais il avait vachement régressé au tir à l'arbalète, à cause de ces saloperies d'yeux tout pétés...! Parenthèse close. Il voyait donc une vague tâche, qu'il supposait être Blanche. Et la vague tâche — cette tâche tant aimée, chérie même — entra dans la chapelle.

Aussitôt notre exalté marquis de Nemours fit signe à son escorte. Ils dévalèrent aussitôt la colline, cassant des lamelles de glace sous les sabots de leurs bêtes et rejoignirent le coche espagnol à bon train, ralentissant à leur hauteur pour arriver au pas sur le parvis dallé de l'édifice. Leurs capes encore bouffantes et leurs montures nerveuses, ils saluèrent les gens du carrosse. À leur tête, Aimbaud s'empressa de mettre pied à terre, avec un signe de deux doigts à Aymon pour l'inviter à faire de même, puis vint à la rencontre de deux jeunes femmes de la suite, visiblement dames d'atours.


Damoiselles. Son couvre-chef s'abaissa en révérence. J'ai reconnu dans votre cortège les armes de Gondomar, et il ne m'a pas semblé juste de me rendre en chasse sans venir vous souhaiter la bienvenue sur mes terres.

Réjoui de son stratagème, il releva le nez vers les dames de compagnie, mais sur son visage, le sourire faussement aimable s'effaça au profit d'une bouche bée de surprise quand il fixa plus attentivement la plus jeune des deux voyageuses.

Maeve de Dénéré ! Corp-Dieu ! Vous ici. Hu hu. Bienheureux de vous voir.

Et c'était vrai. Inattendu. Angoissant. Mais très sincère.
Elle avait fondamentalement changé, la petite rouquine bretonne. Notre Josselinière en fit la constatation d'un coup d'oeil de pied en cap. Mais bien vite il retourna les yeux vers la porte de la chapelle, avec un tic nerveux de la fossette, songeant que ces retrouvailles amicales allaient engendrer un fâcheux délai de sa mission. Il pressa donc la discussion, en l'accompagnant de moult arabesques de ses gants dans l'air, et de gestes compulsifs, inappropriés et parfois dangereux (nous citerons notamment celui de l'index brandi très près de son oeil gauche, une catastrophe humiliante évitée de justesse).


Cela faisait mille ans ! Que vous voilà changée. C'est fou la vie. AAArrhh : Un froid de canard, n'est-ce pas ?! Vous avez fait bon voyage, hein ? Cahoteuses ces routes bourguignonnes ! AH ah. Une petite pause prière à ce que je vois ? Fort bien fort bien. Blanche est ici ? Je veux dire : Blanche de Walsh Serrant, euh... Non. AH AH. La Marquise de Gondomar. C'est fou la vie.

Ça y est, il perdait son sang froid. Sentant qu'il s'empêtrait tout seul dans son monceau de propos, et craignant par dessus tout que ses interlocuteurs en viennent à déceler quoi-que-ce-soit de soupçonnable dans son discours décousu, il marqua une pause pleine d'hésitation en jetant un coup d'oeil à gauche, un coup d'oeil à droite. Il était démasqué là. À coup sûr. On allait l'arrêter, le traduire en justice, et le décapiter sur une place d'armes espagnole !... D'une main fiévreuse, il chopa l'épaule d'Aymon — son complice — et le dénonça sans pitié pour alléger sa peine.

Lui, c'est mon écuyer. Hum !
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Isaure.beaumont
Le front contre la fenêtre froide, Isaure ne quittait pas le Marquis du regard. Où vas-tu petit marquis ? Que fais-tu gentil marquis ? se répétait-elle. Et soufflant sur la vitre, la brune traça le nom de Clémence dans la buée, un sourire flottant sur ses lèvres puis elle quitta la pièce. Le devoir l’appelait.

Cela faisait trois semaines déjà que Clémence était partie. Peut-être un peu plus, peut-être un peu moins. Et depuis ce temps, Isaure n’avait jamais manqué à sa parole. Elle se levait aux aurores pour s’assurer qu’elle ne manquait jamais le lever d’Aimbaud. Elle s’arrangeait pour toujours être là où il était, trouvait toujours une excuse valable ou non pour lui adresser la parole. Elle n’hésitait pas à interroger les domestiques et à écouter aux portes. Tout était bon à prendre et à noter dans son petit carnet d’investigations.

Et si jusque là, la jeune fille s’était ennuyée, aujourd’hui l’excitation était à son comble. Elle allait traquer le Marquis hors du domaine. Courant presque jusqu’aux écuries, elle dû attendre, dissimulée derrière un mur, que le Marquis et sa petite meute quitte enfin la vaste cour avant de se faufiler à son tour dans les écuries. Il fallait se hâter, bientôt ils seraient hors de vue. Ne trouvant pas le palefrenier, elle dû se résoudre à rejoindre la stalle de la jument qu’elle avait pris l’habitude de monter et entreprit de la seller elle-même. L’affaire n’était pas mince. La bête, en plus d’être vive et capricieuse, était relativement haute et pour un petit bout de femme empêtrée dans ses robes, ce qui était une simple formalité devint un parcours du combattant.

D’abord, elle s’attela à la tâche qui lui parut la plus simple : l’harnachement, et on peut dire qu’elle s’en tira à peu près honorablement. C’est lorsqu’il fut question de seller sa monture que l’affaire se corsa. Déjà la selle était lourde pour les frêles bras de la Wagner. La hisser au dessus de sa tête lui demandait un véritable effort. Et c’était sans compter la jument qui semblait d’humeur taquine : dès que la jeune fille s’apprêtait à lui faire glisser la selle –portée à bout de bras – sur le dos, la bête faisait quelques pas de côté, retardant ainsi inévitablement le moment du départ.

Après quelques –longues – minutes de lutte acharnée, Isaure sortit enfin victorieuse des écuries, traînant derrière elle une jument passablement irritée et avec une selle mal positionnée. La bête fut arrêtée devant un petit muret sur lequel Isaure se hissa afin de se mettre en selle. L’aventure pouvait commencer ! Direction les bois où la petite troupe semblait s’être dirigée. Et la jeune fille pressa les flancs de la bête qui se mit bientôt au petit trot.

Tremblez Marquis ! Oui, tremblez ! La Grande et Ô combien Merveilleuse Isaure est à vos trousses ! Vous n’en sortirez pas indemne ! clama la jeune brune avant de se mettre à rire. Ris Isaure, oui, ris tant qu’il en est encore temps !

Il lui fallut peu de temps pour parcourir les lieues qui la séparait du dernier endroit où elle avait aperçu Aimbaud et ses hommes. Elle avait mis sa monture au pas pour être certaine de ne louper aucun détail qui pourrait la renseigner sur la direction empruntée par les hommes. L’observation fut minutieuse, mais bientôt, Isaure put reprendre la route et elle talonna de toutes ses forces les flancs équins. Grave erreur. La jument partit dans une course folle, ce qui n’inquiéta pas Isaure que la vitesse grisait. Mais cette fois-ci, rien ne se passa comme prévu. Sentant la selle commencer à tourner, la brune passa ses bras autour de l’encolure de l’animal espérant ainsi se stabiliser. Les vibrations finirent cependant d’achever la rotation de la selle et la boucle de la sangle, mal serrée par Isaure, se retrouva sur le dos de l’animal tandis que la selle passait sous le ventre. La jeune fille se retrouva alors pendue au cou robuste de la bête qui continua sa course effrénée.

Fichue mule ! La jeune Wagner avait beau lui hurler de s’arrêter, elle n’en allait que plus vite. Son cou commençait à ployer sous le poids de sa cavalière dont l’emprise faiblissait. Les mains, moites, commençaient à glisser sur le pelage ras et les jupes retournées sur sa figure n’arrangeaient en rien ses affaires.

Si Isaure avait eu la situation en main, elle serait arrivée discrètement sur le flanc de la colline et y aurait mis pied à terre pour s’approcher prudemment de la chapelle en contrebas. Mais pour le coup, c’est un cheval à bout de souffle qui s’engagea dans la pente, zigzagant furieusement entre les arbres parfois dangereusement rapprochés. Et les mains isauriennes finirent par lâcher prise propulsant leur propriétaire à terre qui roula jusqu’en bas de la colline, en poussant des petits cris. Et si des pieds ne l’avaient pas stoppée, la cascade morvillienne aurait pu durer encore.

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Maryane.
Elle avait levé les yeux au ciel lorsque la gêne s'était emparée de sa jeune voisine. Les évènements s'enchaînaient à présent sans que la Princesse puisse avoir prise sur le temps. La chapelle semblait intéresser le jeune propriétaire des lieux plus que de raison depuis que son amie s'y était réfugiée.

Passant sur l'impolitesse de ce dernier qui ne daigna pas se présenter, elle se déplaça de quelques pas, tomba sur un autre homme.


Lui, c'est mon écuyer. Hum !

Un sourcil se haussa, quelle information capitale lorsqu'on ne sait pas à qui est l'écuyer! Presque amusée par la situation, elle se figea dans un sourire étrange. Elle aurait pu rester ainsi de longues minutes si des cris ne l'avaient pas tirée de ses pensées. Plus tard, un choc, une jeune fille à ses pieds qui aurait bien pu l'entraîner dans sa roulade. Elle se décida finalement à offrir aux personnes présentes le son de sa voix.

Et bien demoiselle, en voilà des manières. Relevez vous donc et n'offrez pas pareil spectacle aux messieurs présents.

D'un signe de main, elle l'enjoignit à se lever et à la suivre. Elle aussi avait connu quelques moments ridicules avant de devenir tout ce qu'elle était devenue.

Vous qui devez connaître les lieux, vous devriez m'aider à trouver ce que je suis venue cueillir. La présence de quelques exemplaires de lepiota josserandii m'a été rapportée.

Elles étaient loin les affaires de chapelles, les gênes et les présentations manquées! Elles avaient disparu dès lors que le champignon recherché avait été évoqué. C'est une expédition qui s'annonçait et la Brocéliande n'avait pas l'intention de repartir sans l'objet convoité. Il se cachait quelque part dans les prairies environnantes, elle le savait.
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Aymon
Tout compte fait, elle ne démarrait pas si mal, cette journée.

Lorsqu'ils avaient descendu la colline à la suite d'un Aimbaud qui ressemblait de plus en plus à une marmite oubliée sur le feu, et qu'ils s'étaient retrouvés nez à nez avec deux filles de la haute, qu'ils croisaient sans aucun doute "comme par hasard", à entendre les salamalecs de son maître, les tripes d'Aymon s'étaient nouées un peu plus serré, et le contenu de son estomac avait témoigné avec véhémence son désir de prendre l'air. Il sentait qu'il y avait anguille sous roche, baleine sous gravillon, panthère dans la carriole. Son instinct de lâche ne le trompait pas.

Mais voilà qu'alors que le marquis entreprenait une présentation un peu rude, un élément le sauva à la fois d'une quelconque réponse, et illumina sa matinée jusqu'ici nimbée des brumes de l'angoisse et arrosée de la bruine désagréable de l'expectative. Enfin, au début, cet élément ne fit que l'intriguer : de toute évidence, une godiche avait oublié de ressangler son cheval avant de monter, et était à présent bien embarquée par l'animal qui dévalait la colline. Tout y était : hurlements, selle à l'envers, jupes retournées et tout l'tralala. Ce ne fut qu'une fois le bolide projeté du quadrupède et arrivé en roulant aux pieds de l'un des bipèdes présents que l'illumination à proprement parler s'effectua.

La godiche, c'était Isaure.
Oui oui, Isaure la Pintade, la Dinde, l'espèce de gallinacée orgueilleuse qui se prenait pour une Grande Dame et qui, dès leur toute première rencontre, lui avait bien fait sentir que lui n'était qu'un Gueux Répugnant. Même la marquise s'était montrée plus tolérante à son égard.

Donc, voir Isaure se ratatiner était pour l'écuyer un spectacle des plus plaisants, et c'est par pure crainte du courroux de son suzerain qu'il retint le fou-rire qui naissait au niveau de ses côtes, pour le remplacer par un large sourire qui fendit sa face boutonneuse d'une oreille décollée à l'autre.

Haaaa. Voilà qui le rassurait, notre grande perche, s'il arrivait des choses si tordantes, la journée ne pouvait pas être si désastreuse que ça. Il fit donc son devoir d'écuyer et salua les demoiselles qu'on lui présentait, même si l'une d'entre elles semblait déjà se carapater en compagnie d'Isaure à la recherche de je ne sais quelle diablerie dotée d'un nom barbare. Déjà ? Oooh, quel dommage. Il serait obligé d'attendre une autre fois pour la railler sur ses talents équestres. Mais Patience, dit-on, est mère de Vertu, et notre (hum hum) vertueux jeune homme se promit de sagement garder au chaud pour leur prochaine rencontre la savoureuse anecdote.
Maeve
POUCE !
Que de monde, que d'incongrus évènements, bieeeeen trop de choses pour moi qui vient de me taper, rappelons-le, des lieues et des lieues d'ennui. Mais, au fond, c'est bien loin de me déplaire, et je me reprends vite. Aimbaud, que j'ai bien sûr reconnu -quiconque l'ayant déjà croisé aura gravé à jamais dans son esprit son exceptionnel charme-, parle, s'esclaffe et s'essouffle, ne me laissant guère le temps de répondre. C'est par-fait : je peux ainsi me composer un parfait visage, remettre deux-trois mèches en place, oublier mon cher et tendre d'Artignac, et sortir mon plus beau sourire.


Vous ic... Hi !

Voilà qu'un bout de femme, un truc tout dégueulasse de poussière, et qui crie en plus !, arrive à nos pieds. Elle vient de faire planter ma si délicate phrase, aux intonations si recherchées. Damned.
Tant pis pour la séance séduction. De toute façon il est marié, le bougre, non ? ... Je me revois rêver de son mariage, mais à mon bras, pas à celui d'une vulgaire française, aussi ami-de-Blanchesque soit-elle.
Raclement de gorge. L'inconnue est occupée par la Broc', je puis enfin profiter du majestueux Angevin.


Oui, hum, nous sommes venues pour la chapelle. Vous aussi, alors ? Fou, comme vous dites ! La France a-t-elle si peu de lieux Aristotrucs pour qu'on s'y croise ? Je ris. Et bien tant mieux !

Coup d'oeil vers la chapelle. Blanche est rentrée, elle n'a pas vu Aimbaud. Qu'importe ses recommandations ; elle serait bien fâchée que je ne la prévienne pas de la présence ô combien incongrue de son ami ! C'est une super surprise, non ?
Enjouée, je m'adresse alors au bellâtre :


Blanche est dans la chapelle ! Elle sera sans doute ravie de vous trouver ici ! Allons, je vais lui dire qu'une surprise l'attend. Je parie qu'elle ne devinera jamais que c'est vous, huhu !

Et moi de courir vers la chapelle, toute excitée à l'idée de ces retrouvailles, comme au bon vieux temps. Qui sait, la vue d'Aimbaud rendra peut-être à Blanche son sourire, et stoppera sa ridicule nouvelle tendance à la prière.
J'entre en trombe, comme on entrerait dans un moulin.


Blaaaanche ! Devine c'est qui qu'est là !
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Aimbaud
Les yeux d'Aymon et des gardes de Decize se braquèrent, tout comme ceux d'Aimbaud, à un moment dit dans la même direction pour suivre l'arrivée bringuebalante d'un cul blanc, échappé de son velours, complètement de travers sur un cheval. La vision provoqua un petit silence pudique dans les rangs de nos protagonistes, sur la face desquelles s'était fixée la même expression abêtie. Aimbaud en revint à ses pensées quand la poussière d'Isaure retourna à la poussière du sol, dans un dernier glapissement douloureux, et reprit sa conversation comme si de rien n'était avec la jeune Dénéré.

Pour la chapelle ? Euh... Non j'allais faire un tour, je suis attendu. Mais... Attendez ! Maeve !... AAAh. Minute. Doucement ! Maeve. Pas si vite.

Il trottina derrière la jeune fille, presque à pas chassés dans ses bottes pour tenter de l'arrêter, mais sans vouloir non plus lui marcher sur les talons. Car il ne fallait, ô grand Dieu, surtout pas qu'elle pénètre dans le lieu saint, cette inconsciente ! Tout risquait de foirer, et la déconfiture allait s'avérer de pire en pire à mesure que les petits escarpins sautillaient sur les marches de la chapelle pour se rapprocher du noeud de l'intrigue !

HOLÀ PAS PLUS LOIN !

Et les deux mains gantées s'abattirent sinistrement sur les épaules de la jeune bretonne à l'instant où elle passait le seuil de l'édifice. Lesdites mains, dans le feu de l'angoisse, serrèrent la fragile ossature un peu plus qu'il ne le fallait. Conscient de sa faute, Aimbaud fit gentiment reculer Maeve en l'époussetant.

Hum hum. C'est que... Chhhut ! C'est un lieu saint, savez-vous. Et... Et... Je m'en vais la surprendre !

Il appuya le mensonge en rentrant la tête dans les épaules, un index près des lèvres avec un chuchotement mystérieux. À l'air illuminé qu'il avait sur le visage, et à son ton de grand-frère débilo-protecteur (du genre de ceux qui veulent vous faire croire au papa noël quand vous avez 12 ans), la pauvre jeune-fille dut sérieusement penser qu'il avait un grain. Puis d'un geste sec, il intima l'ordre à son écuyer d'approcher, pour lui fourrer dans les pattes son chapeau, son épée, et une tape gratuite dans l'épaule.

Marche dans mes pas. Maeve ! Je vais saluer la Marquise et prier un instant en sa compagnie. Restez sage. Gardes ! Assistez la damoiselle de Morvilliers et veillez à son bon rhabillement. Je n'en ai pas pour long.

Aussitôt dit, il disparut, sauta à pieds joints, s'engouffra comme une marionnette qu'on jette dans les coulisses, par la petite porte de la chapelle, qu'il referma de tout le poids de son dos derrière le pauvre Aymon, poussé à l'intérieur. La pénombre l'obligea à battre des paupières pendant qu'il expirait un soupir agacé quant à tous ces contre-temps qui s'étaient mis en travers de la route qui le menait à son amante...

Ferme le loquet.

Murmura-t'il à son serviteur. À pas mesurés, il avança dans la minuscule allée sacrée en se signant discrètement, puis il avisa la silhouette tant attendue dont le dos ravissant apparaissait aux reflets des vitraux au milieu des prie-Dieu. Le coeur emballé, la voix sèche, il ouvrit les bras dans l'orbe de sa cape pour les tendre devant lui.

Ma c'haezhig !...*


*Bien-aimée.

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Blanche_
Les murs des chapelles sont impénétrables...
Tout du moins ceux de Decize l'étaient. Les genoux pliés sur le coussin de velours sombre, Madame da Lua priait Dieu en tenant une à une les perles de son chapelet, murmurant à voix à peine audible les lentes promesses et demandes envoyées au Créateur. Les prières, à Gondomar, et en France quand elle s'y était trouvé les semaines précédant son mariage, avaient été les rares paroles prononcées en breton ; et cette habitude avait perduré, toutes les fois où son recueillement était solitaire, et où au breton, pour plaire à la cour, n'était pas échangé pour du latin. La chapelle de Decize renvoyait une lumière colorée à travers les vitraux, bien que les murs, eux, soient d'un ocre peint, avec très peu de couleurs riches. Or, de là où elle venait, ce n'était qu'or et ramages de phénix, or et robes pour les archanges, or et rouge de Castille, or qui auréolait les épaules du Dieu sacrifié, or au crâne du Christ, or à la tête de la Vierge, or pour les calices et les ciboires, or aux croix et à l'autel, or... Si elle s'asseyait, c'était sur des fauteuils mêlant velours rouge et cordons d'or, si elle priait, c'était sur un missel aux pages d'or, et les yeux baissés devant une idole d'or, sous un ciel bleu roy tâché d'étoiles d'or...
Tout était sombre dans sa chapelle à Gondomar, mais ouvert à la lumière par la dorure des décors, tandis que tout était pur et blanc à Decize, mais ouvert à l'extérieur par le soleil rouge, bleu, et vert, qui mourait à l'intérieur en nuages de poussière fugaces. L'un et l'autre s'opposaient, mais l'état d'esprit de Blanche restait le même lorsqu'elle avait les doigts emmêlés dans un missel : elle écoutait la musique céleste, les quintettes des anges et leur air à peine audible... Les murmures ondulant au sortir des cieux, qui pénétrait son âme en divers endroit, par les yeux, le soleil, et la délicatesse de sa bouche s'ouvrant et se refermant pour prier. Des flots de notes et de sensations qu'on glissait intentionnellement en son cœur pour le faire chanter ; cet air lui était inconnu, et elle ne saisissait pas la cohérence des notes qui s'enchainaient mais l'ensemble lui paraissait en tous points merveilleux, tant qu'elle en fermait les yeux, et insistait pour mieux entendre.
Pieuse. Dévouée au Seigneur. Si l'écho ne lui parvenait plus, elle se taisait et lâchait une perle blanche pour une noire, et alors tout lui revenait, pour qu'elle entende encore.
Une chose vint cependant troubler le repos dans lequel sa prière l'avait conduite.

En quelques secondes, elle se tourna, et regarda interloquée sa chère Maeve la rejoindre ; Maeve était donc convertie, ce qui rendit Blanche très heureuse. Mais on lui tirait le bras, on lui arrachait sa présence, et "on" venait à elle avec des bras amoureux !
Le loquet fut fermé comme une sentence démoniaque. Les doigts serrant le chapelet, elle prit d'une main ferme un pan de sa robe pour se relever entièrement, et le toiser de sa hauteur.
On venait en conquérant, usant de mots qu'elle-même lui avait appris ! On avait l'audace de croire qu'elle céderait ! On avait oublié qu'elle avait autant souffert... De l'autre coté, elle était bien fatiguée de toujours prétendre, de prier, d'attendre. Elle n'était qu'espoir de ce qu'il vienne, alors au fond, qu'il le fasse avec les mots de son époux, qu'il le fasse et qu'elle voit à sa figure un carré de cuir pour cacher l’œil, est-ce que cela importait?
A ses doigts le missel la brûlait. Les phalanges blanches criaient au supplice, tel son cœur, tant il était vidé du souffle ; pourtant, On lui apportait, le souffle, et l'on aurait pu lui glisser de lèvres à lèvres, poitrine à poitrine, pour l'amour qu'ils s'étaient promis !

Un pas en arrière, brutal, qui fit choir le coussin, et froisser ses jupes. Battant à tout rompre, le sang, vital, revenait à son corps entier, comme pour propulser une envie unique, un but à atteindre : fuir, pour sauver son Âme. Si elle avait pu hurler et se défendre de la damnation, elle l'aurait fait.
Mais l'on n'hurlait pas à la figure de son autre âme ; ni aux tentatives vaines qu'elle faisait en espoir de s'unir à nouveau.


N'approchez-pas !
Elle porta une main à son front, qui en passant maladroitement à son menton s'écorcha contre la fraise ; elle fit même une encoche rosée contre le duvet de sa peau, et en l'absence de tout maquillage, la marque disparut lentement. La main tremblante, très décontenancée, elle ne se rappelait plus la motivation qui faisait débiter à sa bouche des mots crus.
PAS dans une Église ! Elle fit à nouveau un pas en arrière, la menant à l'autel, et ce put être bien ironique, cette ascension de l'allée sainte vers le calice empli du corps du Christ, et de son sang, c'eût été l'exacte réplique de son mariage à Gondomar, si elle n'avait pas été dos à la croix sacrée, et face à son plus vil cauchemar.
Ô bassesse de sa fidélité, ô cruauté de son amour marital, la voici-là, la Blanche de Castille, tournée face à sa perte, doigts perdant toute prise sur sa résurrection. Morte, enfouie, n'ayant pas encore compris l'étendue de sa fin, et la misère dans laquelle l'insignifiance de leurs initiaux sentiments pouvaient à nouveau la pousser... Bien que, martelés à ses oreilles, les psaumes saints l'eurent enjointe à fuir, bien qu'elle entendit les suppliques célestes, et parfois comme la voix de Gondomar qui lui ordonnait l'obéissance et lui rappelait ses promesses, tout, tout dans ce "on" marchant vers elle était suffisant pour qu'elle s'abandonne. Yeshua, Yeshua, hey bel livivi al shmay ya...

Hosanna.
Sonnèrent les trompes de la délivrance, trompant la femme en la croyant délivrer. Qadish sha tith sha be'akh... Bam. Hosanna. Qadish, bam, qadish, bam, hosanna, bam. Ne vous approchez pas, c'est folie !
Son dos buta alors contre l'Autel, avec au dessus de son front, l'auréole d'épines du Saint Crucifié. Balbutiant une autre supplique, tandis que ses doigts hagards mouraient contre le bois sombre, et s'y échouaient pour avoir compromis sa fuite.
Elle baissa le chef, et se sentit partir.

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La royauté? Bof.
♥ Je marie le Prince de Castille, Mesdemoiselles si vous êtes intéressées, mp! ♥
Aimbaud
La pauvre âme ! Sans doute la soudaineté des retrouvailles et la terrible angoisse due aux risques d'être pris, provoquaient chez la belle sainte un accès de folie. Une crise d'effroi, qui la poussait à s'enfuir à l'approche d'Aimbaud. Il ne s'en offusqua pas du tout, lui, car il savait comme sa chère bretonne pouvait, comme un élément instable, bouillonner, éclater, tempêter et larmoyer, à l'encontre de toute logique, selon que l'air était plus frais, que les circonstances étaient moins joviales, que la circonvolution tellurique de l'astre lunaire entrait en parallèle avec la trajectoire elliptique de Vénus. Elle était la victime, fragile chose, de ces variables sécrétions d'humeurs qui font pâlir les femmes à la moindre émotion ou leur donnent, c'est selon, des bouffées de rouge au joues !

Aimbaud avait, à n'en pas douter, une connaissance accrue des comportements féminins. Il comprenait tout cela, ces paradoxes, ces énigmes, ces comportements, ces pleurs, ces syncopes, ces "Hiiiiii !", ces scènes théâtrales... Et il avait compris une chose : il ne fallait PAS s'en mêler. L'on risquait des gifles, des effusions de larmes, et surtout des "Tout ça c'est de votre faute !". Donc... Faire la sourde oreille était de loin le meilleur remède à ces maux inexpliqués.


Chhht. Chhut.

Fit le marquis en posant devant lui deux mains calmes, pendant que sa dulcinée dégringolait peu à peu contre l'autel sacré, sous le poids d'un évanouissement. Il fit signe à l'écuyer témoin de la scène de s'approcher pour l'aider à la soutenir. Il plaça sa main avec une certaine retenue sous le pas de la jeune-femme, tâchant de la redresser sans toutefois la trop presser, car il sentait l'animal sur le point de ruer. Le geste resta très moral, mais le jeune Bourguignon ne put s'empêcher de presser légèrement cette manche souple et chaleureuse tout en tendant le nez vers les cliquetis de perles et le parfum charmant qui consacraient la gorge blanche..

Oh la belle émotion ! Ce petit cou palpitant, pâle comme le lait, qu'il avait maintes fois embrassé du temps où les filouteries n'avaient pas de mortelles conséquences ! Il y attarda un instant le regard, avant de s'éclaircir la voix pour annoncer sérieusement.


Le temps nous presse. Déshabillez-vous.

Son regard tout attendri quelques secondes plus tôt, reprit un teinte froid et déterminée. Il ordonna à son serviteur.

Quitte aussi tes frusques, Aymon. Et pas de "MAIS" !

Un index autoritaire appuya le propos, pointé dans le clair-obscur de la chapelle. Il revint à une expression sereine et rassurante pour sourire à Blanche, avec cette bonne tête de benêt amoureux dont il était la parfaite illustration...

N'ayez crainte, l'écuyer va se retourner.
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