Aymon
Fou.
Le marquis était devenu fou.
Fou amoureux, certes. Pas besoin d'être trop intelligent pour le voir. En bon serviteur ayant retrouvé sa jovialité, Aymon s'était exécuté de bonne grâce, avait porté affaires et poussé loquet. Puis il s'était retourné et avait aperçu la jeune femme, pâle comme sous l'effet d'une grande frayeur, blanche dans la blanche chapelle.
L'on n'avait jamais parlé de beauté à Aymon, jamais de piété non plus. Jamais n'avait-on tenu, auprès de lui, de discours pouvant développer sa sensibilité. Jamais, devant les blés lourds et ondoyant sous le soleil en une masse dorée, ne lui avait-on dit autre chose que "prends cette faux et au travail !". Jamais, devant la neige qui recouvrait les routes et les maisons en hiver, ne s'était-on exalté sur sa blancheur immaculée. On la maudissait, la neige, parce qu'elle annonçait le froid et la faim, et qu'elle arrivait toujours trop tôt. Jamais, non plus, n'avait-il eu affaire qu'à des paysannes rougeaudes, des filles de serfs maigres et sèches, ou, récemment, à des bachelettes trop haut placées dont une moue de mépris déformait les traits.
La vue de cette femme troublée fut donc pour lui un choc. Un moment, il resta interdit, ne comprenant pas le trouble qui le saisissait, et ne perçut pas l'échange entre le marquis et sa chère et tendre. Ce fut seulement au signe impérieux de son maître qu'il comprit ce qui se passait, et que toutes ses craintes de la matinée se confirmèrent. Les voilà, les ennuis. Ils se montraient sous les traits d'une femme pâmée dans les bras de son seigneur, couleur de blé et de neige.
Adultère ! Pour lui, le rustre, le paysan, ce mot ne signifiait rien. Il n'était pas teinté de notions de péché et de damnation éternelle, car personne ne lui avait inculqué la valeur de la fidélité. En fait, on ne lui avait jamais parlé de mariage ou d'amour. Mais il savait une chose : quelque part entre la Bourgogne et Rome, il y avait une jeune fille qu'Aimbaud appelait son épouse, et que dans cette situation, les regards qu'il portait à l'inconnue - et qui ne trompaient personne - semblaient déplacés. Non qu'il se souciât de l'honneur de la marquise. L'honneur non plus, il ne savait pas ce que c'était. Mais il lui semblait étrange que son sympathique et rude maître se trouve soudain sur cet autel avec cette beauté dans les bras, transformé par une passion manifeste. Jamais encore n'avait-il vu Aimbaud sous ce jour.
Bien sûr, tout cela était plus confus dans son esprit - et il était encore entrain d'essayer de démêler ses émotions lorsque l'ordre aboyé le prit au dépourvu.
Un cube de glace lui descendit dans les entrailles lorsqu'il entendit la demande faite à la blonde damoiselle, et lorsqu'il lui fut intimé de se dévêtir à son tour, il crut avoir mal compris. Non mais, il était piqué, le nobliau ?!
Que - Mon seigneur ! Quoi ?! Je...
En fait, ce qu'il avait envie de dire, c'était "Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" Seulement, il n'avait pas oublié que le marquis avait le poing rude et le coup facile lorsqu'on le contrariait.
Il le regarda bien en face. Pas comme un domestique, mais comme un jeune homme en dévisagerait un autre entrain de l'embarquer dans une histoire complètement foireuse.
Et pourquoi que'j'dois m'déshabiller, moi ? demanda-t-il, un grondement sourd dans sa voix fraîchement muée.
Le marquis était devenu fou.
Fou amoureux, certes. Pas besoin d'être trop intelligent pour le voir. En bon serviteur ayant retrouvé sa jovialité, Aymon s'était exécuté de bonne grâce, avait porté affaires et poussé loquet. Puis il s'était retourné et avait aperçu la jeune femme, pâle comme sous l'effet d'une grande frayeur, blanche dans la blanche chapelle.
L'on n'avait jamais parlé de beauté à Aymon, jamais de piété non plus. Jamais n'avait-on tenu, auprès de lui, de discours pouvant développer sa sensibilité. Jamais, devant les blés lourds et ondoyant sous le soleil en une masse dorée, ne lui avait-on dit autre chose que "prends cette faux et au travail !". Jamais, devant la neige qui recouvrait les routes et les maisons en hiver, ne s'était-on exalté sur sa blancheur immaculée. On la maudissait, la neige, parce qu'elle annonçait le froid et la faim, et qu'elle arrivait toujours trop tôt. Jamais, non plus, n'avait-il eu affaire qu'à des paysannes rougeaudes, des filles de serfs maigres et sèches, ou, récemment, à des bachelettes trop haut placées dont une moue de mépris déformait les traits.
La vue de cette femme troublée fut donc pour lui un choc. Un moment, il resta interdit, ne comprenant pas le trouble qui le saisissait, et ne perçut pas l'échange entre le marquis et sa chère et tendre. Ce fut seulement au signe impérieux de son maître qu'il comprit ce qui se passait, et que toutes ses craintes de la matinée se confirmèrent. Les voilà, les ennuis. Ils se montraient sous les traits d'une femme pâmée dans les bras de son seigneur, couleur de blé et de neige.
Adultère ! Pour lui, le rustre, le paysan, ce mot ne signifiait rien. Il n'était pas teinté de notions de péché et de damnation éternelle, car personne ne lui avait inculqué la valeur de la fidélité. En fait, on ne lui avait jamais parlé de mariage ou d'amour. Mais il savait une chose : quelque part entre la Bourgogne et Rome, il y avait une jeune fille qu'Aimbaud appelait son épouse, et que dans cette situation, les regards qu'il portait à l'inconnue - et qui ne trompaient personne - semblaient déplacés. Non qu'il se souciât de l'honneur de la marquise. L'honneur non plus, il ne savait pas ce que c'était. Mais il lui semblait étrange que son sympathique et rude maître se trouve soudain sur cet autel avec cette beauté dans les bras, transformé par une passion manifeste. Jamais encore n'avait-il vu Aimbaud sous ce jour.
Bien sûr, tout cela était plus confus dans son esprit - et il était encore entrain d'essayer de démêler ses émotions lorsque l'ordre aboyé le prit au dépourvu.
Un cube de glace lui descendit dans les entrailles lorsqu'il entendit la demande faite à la blonde damoiselle, et lorsqu'il lui fut intimé de se dévêtir à son tour, il crut avoir mal compris. Non mais, il était piqué, le nobliau ?!
Que - Mon seigneur ! Quoi ?! Je...
En fait, ce qu'il avait envie de dire, c'était "Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" Seulement, il n'avait pas oublié que le marquis avait le poing rude et le coup facile lorsqu'on le contrariait.
Il le regarda bien en face. Pas comme un domestique, mais comme un jeune homme en dévisagerait un autre entrain de l'embarquer dans une histoire complètement foireuse.
Et pourquoi que'j'dois m'déshabiller, moi ? demanda-t-il, un grondement sourd dans sa voix fraîchement muée.