Lissandre
Lissandre, Lissandre, pourquoi point de sourire?
La blonde grimaçante frappa du talon l'âne qui la transportait. Un âne? L'infâme paternel n'avait pas trouvé meilleur moyen de locomotion. Aurait-elle été homme, qu'elle aurait craché à terre sa haine en une expectoration bien baveuse.
L'âne se dandinait mollement sur les chemins de Bourgogne, et c'est tout aussi mollement que Lissandre demandait son chemin. "Le domaine de Seignelay? Quelqu'un connait?...". Seignelay, Saigne-les? Avec un nom semblable, Lissandre imaginait sa propriétaire comme une meurtrière assoiffée de mort et de cruauté. Depuis l'annonce de son départ par le Maitre Watelse, elle se dessinait le visage de sa future "Maitresse". Grande, impressionnante, vilaine et si acide dans ses paroles! Violente également. Elle était le portrait féminin de cet imposteur de Watelse.
Que ses actes le damnent, le Watelse! susurrait-elle parfois entre ses dents lorsqu'elle ne pensait plus trop à son mal de fessier. Avance, l'âne. Plus vite j'aurais atteint l'Enfer, plus tôt je pourrais converser avec le Diable! lança-t-elle à l'âne, l'attitude revêche.
Quelques lieues plus loin, le domaine se présente à elle. Elle en fit une rapide analyse : elle n'aimait pas, c'était décidé.
Lissandre essaya d'un geste un peu flou de lisser ses cheveux déjà ternes par nature et enlaidis plus encore par le voyage. La trentenaire décida de prendre en bride sa très humble monture. D'allure plutôt maigre et aux attraits féminins très peu développés, Lissandre avait très longtemps pensé que ses hanches étroites avaient effrayé tous les partis maritaux possibles en recherche d'une pouliche prête à pouliner par dizaine. Elle avait sûrement raison. Elle se fit la réflexion qu'elle devrait peut-être rechercher la compagnie des ânes puisque les étalons ne la trouvaient pas à son goût. C'est ainsi qu'elle fit un premier geste envers l'âne : une caresse sur l'encolure ... qui lui mordit furieusement et sans aucune raison sa fade poitrine! Second geste de Lissandre : une baffe! Poitrine pour poitrine, dent pour dent!
Affaires équines réglées, elle s'annonce à l'entrée de Seignelay :
Lissandre LeCordelier. Maitre Watelse m'a vendue à Dame Della de la Mirandole. Faites lui savoir que la marchandise est arrivée à destination mais ajoutez au message qu'elle s'est faite volée.... Autre point : Maitre Watelse précise qu'il ne reprend pas la marchandise quelque en soit la raison.
Lissandre
"Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles devraient être." Voilà une chose que le vieux Watelse avait ronchonné quand il avait appris l'existence d'une fille, une "femelle" comme il le crachait si bien, issue de son premier mariage. Aurait-elle été un homme, lexistence de Lissandre aurait été tout autre et son destin sous de meilleurs augures.
Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles devraient être. Et les personnes non plus. Au lieu d'une vieille peau revêche et sans âme, voilà que Lissandre s'était faite accompagnée vers une dame aux empressements affables et à la diction parfaite. Une blonde - comme elle, mais aux reflets scintillants - aux yeux transparents comme un lac. Une sérénité qui gagna Lissandre aux premiers abords, prise par la surprise.
Bonjour Damoiselle Watelse, soyez la bienvenue à Seignelay. Avez-vous fait bonne route? Je suis sincèrement ravie de vous accueillir sous mon toit. Sachez-le.... Désirez-vous que l'on vous serve à manger? A boire?
La quiétude fit vite place au questionnement : Quel lien mystérieux pouvait relier ces deux personnes si différentes dans les manières et, semblerait t'il dans les intentions?
Un vieux croulant à l'âme vile et aux paroles vindicatives. Une dame empreinte de correction et de cordialité.
Froncement du front de Lissandre. Les personnes ne semblent pas toujours ce qu'elles semblent être. Le ton plein de douceur serait-il mielleux? Le regard accueillant revêtait-il quelques perfidies? Lissandre se crispa, attentive à chaque rictus qui pourrait confondre son interlocutrice.
Je n'ai de Watelse que le sang. Lecordelier est un nom plus digne de respect que celui d'un ... rat. lâcha t'elle enfin, hésitant sur le dernier terme qui atténua sa pensée. Elle aurait eu tellement d'injures à hurler, mais n'avait-elle pas devant elle celle qui devait la murer au silence? Car le vieux Watelse lui avait prédit la mort si elle venait à parler, et son silence serait assuré par cette Dame de la Mirandole.
Un rat engendrait-il autre chose que d'autres rats? Voilà un trouble qui l'envahissait à chaque fois qu'elle y pensait. Et l'Autre, le futur légitime enfant Watelse, faudrait-il l'étouffer dans son berceau avant que le mauvais sang ne le pousse aux méfaits? Car être Watelse s'avérait être une croix dure à porter qu'une vie de nonne ne pourrait même jamais expier. Oui, éteindre la lignée des Watelse voilà un but noble. Elle emporterait elle aussi ces horreurs dans sa tombe. Le regard noir de ces pensées lugubres, elle saisit le verre que son hôtesse remplissait, mais ne le but pas.
Lissandre
Toujours ce même ton généreux et cette envie de faire plaisir à lautre. Lissandre restait pourtant sur ses gardes. Ses lèvres shumectaient du délice pourpre qui séchappait du verre. Ses yeux restaient vigilants à tous les gestes de lhôtesse.
Elle sassoit près de lâtre ? Lissandre copia son geste lentement. Discuter de lavenir
Avec amertume, Lissandre se demanda sil y avait un avenir joyeux à une descendante Watelse. Mais Dame Della ne la laissait pas sappesantir dans des pensées sombres. Elle sautillait de questions en questions comme un cabri dans les herbes folles du printemps.
Diable des talents ? Des envies ?
Lissandre faisait tourner son doigt tout autour de son verre. Des envies ? Des envies de meurtres, oui.
Ma mère me racontait des aventures dans le nord des royaumes avec des guerriers blonds et des terres enneigés toute lannée. Jai toujours rêvé de diriger mes voiles vers ces contrées.
Mais il était fort peu probable que la pourriture de Watelse dépense son agent dans une équipée nordique.
Des talents ?
Quant aux talents
Je ne connais que ce qu'on me permet de faire: me taire.
« Et je saurai tuer » mais elle évita de prononcer ces derniers mots. Elle aurait bientôt le loisir de le montrer, si Watelse venait à avoir descendance.
Et je ne sais pas plaire.
Elle se leva et tourna sur elle-même en appuyant un moment sa robe contre sa plate poitrine et ses hanches trop fine pour aguicher le larron. Lissandre avait le complexe de la jeune fille désireuse de plaire et qui n'avait jamais eu le regard approbateur du père. Elle se voyait donc avec les yeux cruel du Watelse : une dinde insipide.
Ma mère était sûrement la plus belle femme de Gascogne
mais jai du prendre de mon vilain géniteur....
Comme quoi toute discussion revenait à parler de lui.
Comme quoi le vin délie bien vite les langues prudentes.
Lissandre
A lévocation de sa mère par une personne ne layant jamais connue, Lissandre éprouva un sentiment de gêne comme si limage de celle quelle avait tant aimée était repeinte de couleurs différentes. Elle se remémorait lhistoire du bracelet. Cet élément scintillant avait rencontré le terne Watelse et obscurcit à jamais la vie de Blanche. Par ce bracelet, il avait conquit son orgueil de femme et son cur. Par le rendu de ce bracelet, Blanche lui avait fait part de son dégoût et de sa haine. Lissandre savait tout de cette histoire que sa mère lui racontait le soir comme un conte de fée où le sorcier se prénommait Georges.
Le fait que la Dame de la Mirandole porte ce bijou poignarda le cur de la blonde descendante et le scinda en deux parts : la première ressentait une pointe de jalousie de navoir le bien qui lui semblait sien ; le second était mue dun sentiment de répulsion pour tout le sordide que le bijou évoquait.
Si ma mère le lui a rendu, cest quelle nen voulait plus. Il est plus à vous quà moi. Gardez-le.
Et toujours ce mystère qui enveloppait le lien entre la dame de Mirandole et le Maitre Orfèvre. Jusqu'à quel point Watelse et elle se connaissaient ? Pourquoi lui avait-il donné un objet si lié à la sombre histoire de Watelse ? Dans son esprit vil, le vieux chien souhaitait-il lui porter malchance ? Etait-telle la nouvelle Blanche ? Elle imagina sans chaleur la bestialité du monstre en corps à corps avec la blancheur sereine de la Dame. Impossible.
Sa réponse pouvait sembler sec, et loin de vouloir offenser une personne qui ne lavait pas encore attaqué de face, Lissandre préféra adoucir son propos :
Je ny tiens pas, merci. Par ailleurs, il vous va bien
La Dame était-telle aussi orgueilleuse que le Maitre et cèderait-elle aux compliments ?
Et jai déjà la bague qui allait avec. Elle était à ma tante...
Lissandre regretta aussitôt de navoir pas tenu sa langue. La jeune femme tressaillit. Elle sentait déjà la lame lui découper le cou sur l'ordre de son père. Son hôtesse connaissait-elle déjà toute l'histoire? Elle commençait à en douter, mais devait dès à présent peser chacune de ses paroles.
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Fille de Watelse.
Presque 30 ans et une envie de mordre son chien de père!
Lissandre
Ainsi une blonde en servirait une autre : Dame de compagnie. Caractéristiques du poste :
1) Discrétion de rigueur afin de laisser briller sa Maîtresse tout en tenant sa propre personnalité dans l'ombre.
2) Facilité à converser frivolement du beau temps, des pigeons qui volettent au printemps, de la dernière coiffe à la mode, de latténuation d'un teint rougeot par l'application d'une poudre de lin, ainsi que des dernières rumeurs de la Cour et des bisbilles entre nobles familles.
3) Capacité d'écoute d'un confesseur sans énoncer de sermon en retour.
4) Douée d'une imagination sans limite pour (éventuellement) maintenir dans l'illusion l'esprit du cocu mari de sa Maîtresse.
Ayant listé mentalement ses responsabilités, elle en fit de même sur les avantages du poste :
1) nourrie, logée, blanchie, payée : la pragmatique Lissandre avait trop de sous elle-même pour négliger de potentielles économies.
2) Découvrir le lien entre son fieffé paternel et cette accessible Della
3) S'initier aux étranges pratiques, hypocrites et élégantes, de cette hautaine noblesse que son Paternel cherchait tellement à imiter.
4) Devenir une de ces personnes distinguées devant lesquelles Watelse saplatissait.
Avec un intérêt soudain pour le poste, Lissandre fit une humble (mais gauche) révérence à la Dame et, avec coeur, énonça :
Il me tarde de vous servir, Maitresse, et de marcher dans vos pas. il doit être agréable de vous ressembler. En quoi puis-je vous être agréable?
Qui que soit Della pour le Maitre Orfèvre, la fille Watelse choisissait d'en tirer avantage pour abattre la figure paternelle.
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Fille de Watelse.
Presque 30 ans et une envie de mordre son chien de père!