[5 minutes ?] Saumur, ville fort sympathique à l'aller si l'on tient compte de la faible fréquentation de ses tavernes en dehors des heures qui poussent les noctambules les plus farfelus à se montrer sociables ou non. Quelques bonnes têtes que la poitevine s'était fait un plaisir de voir ou revoir sans tenir compte de l'appartenance géographie de la boue collée à leurs semelles. C'est dans cet état d'esprit que Nessty passa à nouveau les remparts d'une ville prétendue ennemie pour sa Patrie mais dans laquelle elle s'était sentie bien plus à ses aises que chez elle. Elle comptait en effet passer un bon moment avec des inconnus autour d'une bière, voir soulager le tavernier de la corvée de vaisselle en chassant le crétin à coup de fracas de chopines. La bouderie venait de faire place sur son minois à un sourire serein. Et oui l'idée de téter de la cervoise ne pouvait que réjouir l'assoiffée qui se privait ou du moins tentait de se retenir depuis 3 jours déjà. Puis... prolonger encore et encore ces instants poignants comme hilarants partagés à Chinon, entretenir ce petit brin de complicité exubérante qui avait fini par prévaloir sur ses propres objectifs, rester 5 minutes avec eux, juste 5 minutes de plus, 5 ptites minutes... avant de poursuivre son chemin comme prévu vers un lieu de retraite absolue.
Le vénérable vieux con était entre de bonnes mains, surement les meilleures et probablement combinées à celles qu'il espérait. L'heure était à l'effacement car la Vilaine avait déjà un pied sur le parvis d'un couvent, elle le savait, il le savait, ils le savaient. Puis elle avait prêté main forte par amitié et non pour ces 5 minutes de curiosité égoïste. Par amitié pour une norf et pour ce vénérable vieux con même s'il n'avait pas été concerté, amitié pour cette blonde et son sombre, amitié pour ces deux bougres embarqués malgré eux dans une histoire qui n'était pas la leur, une amitié simple sans couleur et sans appartenance. En attendant, la voyageuse n'avait pas fermé l'oeil de la nuit et espérait trouver le sommeil ailleurs que dans une paillasse grouillante de vermines comme en Touraine. Sa surprise fut de ne plus trouver une seule chambrée de disponible, même pas un tas de foin, en raison d'une autre espèce de vermine qui avait investit cette paisible bourgade. Bah peu importe, une taverne déserte serait suffisante à cette gueuse.
La main de l'enchignonnée se posa sur l'huis du premeir haut lieu de la houblonnerie rencontré et déjà elle fermait les yeux avec délectation :
Silence et mousse, Mmmmmmm... Instant de sérénité de courte durée car déjà une porte claquait et des bottes encore plus crasseuses que les siennes se retrouvaient étalées sur une table pleine de miettes, dans un coin reclu, allons donc ! En guise de rendu à la bienséance, ce fut la banalité d'un comportement qui se voulait pourtant comme signe de ralliement tels ces mouvements de pattes reconnus pour sonner le rassemblement d'une cohorte chez les cloportes. Pas un mot de la ptiote, allons donc ! Comme si elle n'avait jamais croisé auparavant la Vilaine. En revanche, elle ne perdait pas une miette de la conversation. S'en suivit une invasion d'intrusions comme de pamoisons. La taverne du bon repos se transforma en repère de marauds. Hop, le chignon migra vers d'autres lieux avec la tête qui le portait pour chasser la migraine de l'ennui et surtout pour ne pas avoir à attiser la graine de sa haine qu'elle avait enfui bien précieusement en prévision de sa sortie monacale. Nouvelle taverne déserte, nouvelle tentative de sérénité, nouvelle invasion d'opportuns et d'importuns ne cherchant que provocations et embrouilles auprès de quiconque n'arborant pas leur estampille.
Vain diù, d'vin doux ! Ils ne changeront donc jamais ! Epuisant inlassablement un registre déjà désuet qui n'amusait plus qu'eux même et les rares locaux en manque d'animation, débordant d'insultes pour s'épancher jusqu'en violences, des visages connus et reconnus défilèrent devant la gueuse à la truffe maintenue immergée dans la fraicheur d'une mousse méritée.
Ta gueule !... Ta gueule !... Ta gueule !... De quoi résumer succinctement le remerciement distingué reçu en moins de 5 minutes par cette humble gueuse pour avoir parait il escorter l'un des leurs jusqu'à leur nid. Allons donc ! Encore une façon de tirer en toute vulgarité la couverture à de vilaines cloches afin de polir un blason plus émoussé que libéré. Décidément, aucune miette ne se perdait à Saumur ! Nessty s'amusait de ce flot de palabres et d'insultes tant il était chargé de rancune et de mauvaise foi. Son oreille, certes fatiguée, s'arrêta toute de même à saisir quelques propos de purs inconnus, de gueux ou de noblions sans nom et sans intérêt donc, de ceux qui colportent des ragots à consonance d'Hérésie Racoleuse de Purin piochés en des lieux obscures ou encore mieux issus de l'épandage du lisier entretenu par un fourbe enlisé par ses con-patriotes et ses gars-cons. Comment ces hères pouvaient ils prétendre connaitre cette Vilaine mieux qu'elle même et ce en 5 minutes ?
Des unités d'heure décomposée peuvent prendre une ampleur insoupçonnée pour qui sait s'y attarder. Ainsi une gueuse boudeuse lors du rapt d'un recteur enjôleur finit son épopée angevine en cumulant avec minutie les minutes par groupe de 5.
5 minutes pour passer d'une taverne infestée à une autre, vide, avec toujours le même dessein pacifique d'un bref passage ludique en une ville devenue ennemie.
5 minutes pour se remémorer les traitrises répétitives d'une défunte sans malice, pourtant toujours satinée et voluptueusement bannie par plus sanguinaires.
5 minutes pour revivre l'infamie d'une crétinerie truffière menée par un troupeau pendu aux rognons d'un boeuf recousu toujours à la botte d'un roc.
5 minutes pour laisser couler un pugilat rejoint par des étrangers tentant de faire émerger leur petite vie de bigot des tripots tels des ovins angevins happés par le flot de mépris d'impies.
5 minutes pour sourire à tout cela, n'occultant nullement que la vie monacale programmée la préserverait enfin de tant de drôleries fétides avant qu'elle n'en meurt... de rire.
5 minutes pour retrouver enfin le bellâtre cultivateur de miettes enlevé à son activité et l'aider à recouvrir partiellement sa mémoire tourangelle pourtant emportée dans une valse intemporelle.
5 minutes pour intervertir des rôles de la façon la plus drôle afin de soigner vertueusement un menton douloureux avec un souffle duveteux loin de tout graveleux, odieux et pernicieux.
5 minutes pour se retrouver enivrée, oui bel et bien enivrée, au point de ne plus pouvoir quitter une ville enfin vidée de son trop plein d'insanités.
5 minutes volées à la comptabilité d'une opineuse de chignon pour compenser ces 5 premières minutes loupées par la boudeuse de Chinon...
Encore 5 minutes pour saluer le lendemain chacun de ces amis devenus amis avant de franchir une nouvelle frontière, celle de l'oubli de toutes ces miettes laissées derrière la Vilaine et qui en étoufferont surement plus d'un...
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