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Info:
Retour d'une pivoine amochée de l'Auvergne, après la mort d'Apolonie de Nerra ( à lire aussi sur rp partage &amp;amp;amp;amp;amp;amp;amp;amp;amp;amp;amp;quot;Quand une vie en remplace une autre... l'azur s'éteint).

[RP] Le calme entre les tempêtes...

Cerridween
[ A la recherche de l'ambre et d'une vengeance]

Des monts...
Des vaux...
Des chemins encore...

Et le vent, le vent qui la porte et l'accompagne.
Le shire est lancé au galop et avale sans broncher les lieues une par une, martelant le sol au rythme déchainé d'une cavale sans retenue. Les nuages défilent mollement dans le ciel, faisant apparaître et disparaître les faibles rayons d'un soleil timide, qui éclaire ça et là, la campagne en halos de lumière. La silhouette noire refait le chemin inverse, dans le clair obscur de ce temps instable qu'est celui de mars. Au diapason de la rousse encapuchonnée.

Elle a perdu. Encore. Beaucoup.

Elle a perdu du temps, du temps sur les chemins, son corps endolori ne permettant pas qu'elle aille aussi vite qu'elle le voudrait. Le bras gauche replié contre elle, douloureux et bandé, cachant les stries encore rouges de sa traversée de la verrière du château de Varennes. Le flanc droit barré d'une nouvelle brèche pourpre, lance des piques de douleur à chaque fois qu'Hadès pose un sabot au sol. Tout comme son corps encore perclu qui absorbe non sans mal chaque mouvement et chaque choc provoqués par la monture. Elle avance cependant la mâchoire serrée. Elle n'a pas dormi beaucoup, trop peu, pas assez, ses membres endoloris lui refusant des nuits tranquilles. Le sommeil attendra ta mort, il semblerait, Pivoine.

Elle a perdu... encore une vie. Une vie qui a failli lui coûter la sienne. Une vie qui lui a coûté le réveil cuisant d'une blessure ancienne qu'elle croyait un peu guérie. Prise de court, surprise, de ce trait décoché en plein coeur, inattendu. Apolonie de Nerra. Celle qui était pour son frère, ce que Raphaël avait été pour elle. Elle avait revu dans les traits de ce frère, les siens, sa folie, meurtrière, lorsqu'il était mort dans ses bras. Elle avait ressenti de nouveau le manque, la douleur intérieure, le vide béant, sans fond, qui s'était emparé de son corps. Ce manque qui la tient encore alors qu'elle chevauche à bride abattue et qui ne passe pas. Alimenté par une autre perte. Celle qui motive son retour précipité. Stannis. Son frère d'arme Licorne. Ce frère d'arme qui avait fait le grand saut de l'errance à la chevalerie à ses côtés. Ce compagnon d'arme... assassiné. Le fait a mit du temps à se faire réalité dans son esprit, même si la peine a été vive lorsque l'annonce de son trépas était arrivée, couché sur un parchemin entre ses mains. Peine qui s'était mue en une seule obsession. Qui... la question trotte dans sa tête en même temps que sa monture avance. Qui a osé... qui a osé attaqué un lieutenant commandeur de la Licorne. La tristesse a été remplacée par une rage froide qui se distille dans ses veines. Elle le saurait. Elle le saurait tôt ou tard. Et celui ou ceux qui avaient osé faire cela, cet acte, cet acte lâche, vil, d'un carreau d'arbalète dans le dos, sans combat loyal, sans préavis, trouveraient sûrement l'enfer plus doux s'ils avaient le malheur de tomber dans ses griffes. Car on ne laisse pas un frère se faire tuer sans réagir. Pas lorsqu'on a hanté les murs de Ryes à ses côtés, pas lorsqu'on a prononcé le même serment. Pas quand on est Licorne. Il était un frère lui aussi. Comme tout ceux qui portent l'animal mythique à l'épée, comme l'honneur et la fraternité en étendard, chevillé au corps, au plus profond du sang. Elle saurait. Elle saurait. Et ce jour là, plait à Dieu qu'elle soit magnanime, car il en faut peu très peu à la Pivoine pour devenir une plante mortelle.

Au delà du deuil, de la douleur, elle a quand même gagné un peu. Si peu. Et tant.
Elle l'a revue.
Sa fille.
Qu'elle avait grandi. Qu'elle était belle, ce petit bout de brune. Ilmarin n'avait pas menti. Elle oscille la rousse entre soleil et nuage, entre joie et mélancolie. Tant d'années sans la voir. Tant d'années perdues. Mais elle était si belle, si vive, cette fillette. Jamais elle n'aurait pu la rendre plus heureuse que la Panthère et Luthifer. Ryes n'est pas une place pour élever des enfants et Lesparre... un soupir passe entre ses lèvres. Non. Elle avait dit plus jamais, sauf nécessité urgente. Elle ne voulait pas la mêler aux déboires de la mesnie. Et Delle et ses deux représentants semblaient être ceux qui étaient le plus important pour elle. Elle aurait le temps de choisir un jour. D'avoir la chance de faire ce qu'elle, la rousse n'avait pas eu le loisir de faire. Elle continuait donc à accomplir ce qu'elle s'était promis depuis sa naissance, dans une clairière, lorsqu'elle l'avait mise au monde seule, accompagnée d'une gitane. La préserver. Avant et contre tout. Même si elle doit en souffrir, la Pivoine. Et puis Laïs allait la rejoindre, oui. Elle allait enfin passer un peu de temps avec elle, si le Très-Haut voulait bien lui laisser dans la ronde infernale du temps et de la vie, un peu de répit.

La chevauchée se prolonge... avec en horizon, ce qu'elle va chercher.
Son refuge.
Ce n'est pas ni une ville, ce n'est pas une maison. Pas même un toit. Elle n'en a toujours pas, la maitre d'arme hormis celui partagé de la forteresse de Normandie. Ce n'est pas vraiment un lieu.
C'est un regard.
Son âtre, son rempart, son havre.
Le seul qui peut apaiser la douleur, les craintes, le manque. Le seul. L'unique qui peut tout comprendre. Le seul qui pourra entendre. Le seul à qui elle peut dire ce qu'elle porte de plus lourd, le seul à être le témoin de ses confidences. Le cœur de la Pivoine se serre pendant qu'elle réprime un tremblement de son bras endolori. Le revoir. Le revoir. Pour oublier la vie, les heurts, le deuil, dans l'espace infini de ces ambres dont seule la douce lueur arrive à réchauffer son âme.

La mélancolie s'envole un peu lorsqu'apparaissent les murailles de la capitale limousine, éclairées par les derniers feux d'un soleil couchant. La silhouette encapée licorne passe les portes en poussant le pas du grand shire, trop heureux de sentir l'odeur du repos mérité.
La main dextre le guide à travers les dédales de rues qui s'endorment les unes après les autres.
L'hôtel particulier se profile au détour d'une ruelle, dans sa façade discrètement ouvragée. La cavalière et sa monture se présentent à la porte et les hommes d'armes l'ouvrent sans attendre qu'elle se présente. Il les a prévenus de son arrivé...

Les sabots d'Hadès résonnent sur le pavé de la cour intérieure. La Pivoine abaisse sa capuche laissant apparaître sa chevelure feu.
Il est là.
Oui il l'attendait.
Le cœur manque un battement avant de courir déjà vers lui.
La rousse aimerait faire de même et descend difficilement de son cheval. Elle s'avance aussi rapidement que ses membres le lui permettent pendant qu'il s'approche pour venir à sa rencontre.
Elle est contre lui, enfin.
Elle reconnaît. Son odeur, sa peau, son aura, sa présence. Une vague de plénitude s'empare de son corps fatigué et meurtri, pendant que ses lèvres sans attendre, se posent sur les siennes dans un baiser passionné, avide. Lorsqu'enfin elle accepte de quitter cette attache, sa main dextre vient souligner les traits fatigués du chevalier comme pour mieux les retrouver. Comme pour l'empêcher lui aussi de disparaître, de la quitter. Elle sent le regard sur sa pommette profondément mâchée par le coup de poing d'Eikorc, les questions silencieuses sur ce bras qui ne bouge presque pas et qui contrairement à son jumeau ne l'a pas enlacé, sur son dos trop raide soutenu par les bandages que ses doigts sentent peut-être sous le doublet et qui lui a arraché une grimace qu'elle a pourtant essayé de réprimer quand elle s'est lovée dans ses bras. Elle reste là sans parler, près de lui, refusant de quitter ce contact rassurant, celui de sa peau et de ses prunelles auxquelles les sinoples se sont accrochées, lui disant sans un mot, le bonheur d'être enfin là, simplement, près de lui. Après un instant de silence, les lèvres se desserrent pour laisser échapper un murmure.


Je te demande une faveur... j'ai... tellement de choses à te dire...

Les émeraudes restent plongées dans les ambres qui la regardent entre soulagement et inquiétude, avec ce soupçon d'interrogation muette qui vient les éclairer un instant. Elle ne lui a jamais rien demandé. Jamais rien pour elle.

Un soir de paix et de répit...sans Grand Maitre, ni maitre d'arme.... sans rien d'autre, sans politique, sans les autres, sans parchemin, sans alerte ni danger lointain qui requéraient notre aide ... rien que... toi et moi...

La demande reste un instant en suspend dans le vent du soir qui vient la faire frissonner.
Laisse moi oublier un peu... rien qu'un peu... rien qu'un soir... mon collier, le poids des charges, mes blessures... comme une débutante de bal, l'espace d'une nuit, dans une robe trop belle pour elle. Demain, demain, je redeviendrai la Pivoine noire au visage lisse qui fera son devoir, qui laissera ses serments passer avant sa personne, avant tout autre et qui vengera et tuera si besoin, épée au poing. Mais laisse moi, je t'en supplie, ce soir, rien que ce soir, être égoïste. Laisse moi juste goûter à ce que je me refuse depuis trop longtemps. Du temps... quelques heures volées au monde. Et entre avec moi dans une valse que nous ne danserons pour une fois seuls, sans personne, à la faveur de la nuit, protégés par la pénombre.

La vie est si courte, mon chevalier, si courte...

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Enguerrand_de_lazare
Il l'avait attendue. Attendu son retour. Espéré sa venue. Patienté autant que faire se pouvait, depuis que sa missive avait été reçue. Énigmatique. Sibylline. Inquiétante même.
Elle lui avait annoncé la mort d'Apolonie de Nerra, sans précision supplémentaire. Il n'avait que peu connu cette femme là, mais leurs routes s'étaient à deux reprises croisées. La première dans les champs de Vendôme, la seconde par interlocuteur interposé dans une auberge de Ryès.
Elle lui parlait de blessure. Elle évoquait à mots couverts fatigue, lassitude. Épuisement.
Il était depuis resté sans nouvelle aucune, se morfondant de craintes pour celle qu'il aimait, celle qui avait su redonner vie à ce corps et à cet esprit malades et usés par tant et tant d'épreuves.
Il avait donc du se résoudre à faire ce qu'il aimait le moins au monde. Attendre. Sans possibilité aucune d'infléchir leur destin. Sans possibilité aucune de pouvoir lui apporter quelque aide que ce soit.

Jusqu'à ce qu'enfin elle soit annoncée.
Sortie rapide de l'hôtel particulier pour se rendre à sa rencontre. Illumination soudaine, vague de chaleur inondant son âme lorsque la cascade rousse de ses flamboyants cheveux enfin libérés s'offre à ses yeux.
Etreinte. Douce caresse de sa peau d'albâtre sur son vidage buriné. Ils étaient enfin à nouveau l'un contre l'autre.
Regard se croisant.
Regard se posant sur la blessure entachant son doux visage.
Grimace de son aimée lorsque ses mains ont enserré sa taille.
Il voulait parler. Il voulait demander. Il voulait savoir. Ce qu'elle avait enduré. Qui lui avait causé ces blessures. Quelles épreuves s'étaient jetées en travers de sa route, quels obstacles par traitresses et perfides mains avaient été dressés devant elle.

Leurs regards désormais s'étaient liés l'un à l'autre. Il pouvait y voir toute la fatigue accumulée. Toute les souffrances traversées. Elle ne tenait presque plus la rousse. Seul un fin et des plus fragile lien semblait encore la maintenir debout. Comment avait elle pu trouver la force de regagner le limousin, chevauchant son destrier comme elle avait coutume de le faire. Commence pouvait elle encore trouver force assez pour se mouvoir. Parler. Respirer.


Un soir de paix et de répit...sans Grand Maitre, ni maitre d'arme.... sans rien d'autre, sans politique, sans les autres, sans parchemin, sans alerte ni danger lointain qui requéraient notre aide ... rien que... toi et moi...

Quelques instants de silence, les deux amants restant immobiles l'un contre l'autre.
Difficile et fin sourire se faisant jour sur le visage du baron.
Étreinte légèrement plus pressante, comme pour tenter de la rassurer quelques peu.
Un hochement de tête.
Un mot. Se suffisant à lui même.


Viens.

Un pas vers la bâtisse se dressant derrière eux. Main enserrant celle de la jeune femme. Il aurait voulu la porter. Lui éviter fatigue supplémentaire. Lui épargner le peu de forces physiques et mentales qui lui restaient. Mais il ne la connaissait que trop bien. A l'article même de la mort, elle résisterait, poursuivant sa route telle qu'elle l'avait décidé.
Il l'accompagnerait donc. Puis, protégé de la muraille de leur alcôve, il la soignerait. Lentement. Tendrement. Pour, se peut, lui apporter quelque réconfort suffisant pour lui permettre de reprendre lentement pied dans cette vie là.

Il ne la quittait pas des yeux, attendant qu'elle esquisse mouvement dans sa direction.
Il ne la brusquerait pas.
Il la protégerait, et donnerait tout pour prendre soin d'elle, il se l'était promis plusieurs semaines plus tôt.

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Cerridween
Un sourire...
Ses lèvres s'étirent pour lui offrir un espace qui se veut réconfortant malgré l'inquiétude toujours présente.

C'est donc ça le bonheur...
Juste son visage. Juste ses ambres qui la recouvrent d'un regard protecteur. Juste ses bras qui l'ont laissée pour prendre sa main. Juste une pression de ses doigts sur les siens et l'invitation silencieuse vers l'intérieur.

Le soleil n'est plus qu'une simple lumière diffuse dans le ciel, laissant place à un autre sourire, lunaire celui-ci, encore faible.


Viens.

Le mot est lâché, murmuré… il résonne de promesses… tu n’as pas oublié… non… ce n’était donc pas un serment sans âme. Tu… es vraiment comme moi…
Les doigts de la Pivoine quittent la gangue protectrice des siens. Ils enserrent le bras du chevalier et s’y accrochent pendant que les sinoples demandent silencieusement. Aide moi… j’ai besoin de toi pour marcher. J’ai besoin de toi pour soulager mon corps qui hurle de fatigue, perclus de douleur. Le bras se raidit un peu pour lui assurer une emprise.
Les deux silhouettes s’engouffrent à pas lents dans l’entrée de l’hôtel particulier.
Nouvelle grimace lorsque les bottes ferrées se posent sur les marches des escaliers. Elle se sent d’un coup lasse. Lasse à en crever. Le moindre pas devient lourd comme du plomb. Sa tête repose sur ses épaules dans un équilibre précaire. L’ascension douloureuse manque de se terminer dans une chute qui avorte dans les bras d’Enguerrand. Grimace qui essaie de devenir sourire. Peu convaincant…
Cette fois elle reste sans bouger, dans l’espace protecteur et chaud qui la soutient. Pivoine… mais ne serais-tu pas… en train de lâcher prise ? De te soumettre à un autre ? De te laisser faire… D’avouer ta… faiblesse. Sans mot juste là, refusant de faire un nouveau pas, la tête un peu embrumée. Sans rien ajouter, elle se sent soulevée du sol. Il l’enlève, elle s’accroche sans résistance, sans protestation. Elle profite du moment fugace de ne devoir plus rien contrôler… plénitude… si seulement…

Elle entrevoit la tête lovée entre son cou et son épaule, les murs d’un couloir. Elle entend une porte qui s’ouvre. Elle voit les tentures danser devant ses sinoples. La douceur d’un matelas la réceptionne pendant que les bras la quittent, la laissant assise sur le lit…
La chaleur…
Les ambres la regardent lentement, en attente de ce qu’elle veut.
Lentement les mains de la Pivoine se portent à sa taille. Les boucles des ceintures de Miséricorde et de sa dague se défont avant que les lames finissent leur chute sur le sol. Le mantel les rejoint dans un froissement de laine.
Les doigts délassent, un par un les lacets du doublet. Grimace lorsque la dextre essaie d’enlever la manche gauche. Une main arrête son mouvement en se refermant les doigts dans une caresse fugace. Lentement il s’assoie derrière elle. Avec précaution il attrape les emmanchures et s’emploie à la libérer doucement de la gangue de tissu. Les sinoples se vrillent pendant que les lèvres sont mordues violemment lorsque le bras gauche se plie. La douleur s’efface légèrement lorsqu’une caresse court, volubile, le long de son cou. Il vient de caler son torse contre le sien. Son souffle vient caresser la joue de la Pivoine meurtrie.
Il faut encore…
Les doigts se portent lentement sur les boutons de la chemise noire qui la pare encore. Un à un ils sont défaits. Chacun ouvre une question.
Es-tu encore belle Pivoine ? Avec ta peau striée de rouge, tes cicatrices et tes heurts ? Peux-tu encore montrer ce corps, qui a traversé les guerres et le royaume, certes dessiné, mais si abimé par les lames ? Et si… si… tout changeait maintenant ? Si… les ambres s’éteignaient ?
Encore un bouton… la chemise est ouverte. Le silence toujours dans la chambre résonne troublé par la respiration difficile de la rousse. Un instant de flottement où elle n’ose rien faire. Le corps du chevalier se retire un instant de son appui.
De nouveaux ses mains se portent sur le tissu... qui s’étire lentement sur la peau diaphane de la Rousse. Elle est là de dos. Avec pour seule parure, une cascade de cheveux rougeoyants. La bande de lin blanc qui maintient sa poitrine avec une épingle d’argent. La longue bande qui cache les blessures de son bras. Et celle qui enserre sa taille teinté d’un trait rouge.
Les sinoples se ferment, pendant qu’elle retient un instant sa respiration.
Lentement les lèvres s’ouvrent…


Lorsqu’elle est morte… elle était dans les bras de son frère... il est… devenu fou. Je peux le comprendre…

Un soupir se diffuse dans l’air… un moment où elle ne bouge pas…

Il m’a accusé de l’avoir tuée… j’étais dans l’entrée du manoir… il m’a décoché un coup de poing… j’ai traversé une verrière…

Le récit coule doucement dans un murmure. Le combat. L’arrivée d’Ilmarin jetée au sol. Les hurlements de sa fille. Le moment de latence quand elle s’était relevée à moitié sonnée. Les soins à la Panthère, qu’elle a été obligée de maitrisée avec l’aide de sa dague et de la jusquiame. Les retrouvailles avec Laïs. Luthifer. Le départ. La course. La rancœur. Stannis. La douleur. L’envie de vengeance.
Elle ne cache rien.
Lentement elle se retourne.
Sinoples se plongeant dans l’océan ambré à la recherche d’un ailleurs. Elle doit lui dire. Elle doit lui dire. Que l’espace de cet instant qui lui a semblé infini dans le fracas d’un tintement de verre, elle a senti. Au fin fond de la douleur et du sang, au-delà des limbes. Au-delà des cris et du chaos. Elle a senti… ce besoin oppressant, lancinant.
Ce hurlement.
Cet éclair.
Si seulement je savais encore dire je t’aime…

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Enguerrand_de_lazare
Lent effeuillage de cette rose si proche d'être fanée.
Pétale après pétale elle se dénudait.
Peu à peu la carapace protectrice avait été retirée, cette enveloppe faite de tissu, de cuir et de métal, protégeant tout autant que cachant un corps affaibli. Blessé. Meurtri.
Enfin il ne resta plus que les derniers remparts protecteurs. Cette cascade rousse de prime, et ces bandes de lin jadis blanc immaculé sur cette diaphane peau striée des traces indélébiles d'anciennes blessures.
En cet instant précis, il la trouvait plus belle que jamais. Plus belle encore que tout ce qu'il avait encore pu espérer voir un jour. Plus belle qu'un jour se levant sur un désert rendu glacial par une nuit sans nuage, et qui sous peu deviendrait chaleur brulante, impitoyable fournaise nimbant les lieux d'une impitoyable torpeur. Plus belle qu'un jour d'été dans riche et verdoyante campagne, illuminée par l'éclat scintillant de l'astre solaire suspendu dans un ciel d'azur immaculé. Plus belle que l'océan iridescent, revêtu de ses parures multicolores tandis que se couchait un soleil rougeoyant, jetant comme par désespoir ses derniers rayons à la face du monde.

Elle se tenait debout devant lui, lui tournant le dos. Elle avait souffert. Plus encore que ce que ses pires craintes ne le lui avaient soufflé.

Il se tenait derrière elle. Immobile, contemplant le terrible spectacle à ses yeux offerts, sans pouvoir dire mot ni esquisser geste.

Enfin, elle parla. De ses épreuves. Des terribles événements qui avaient envahis ces derniers jours. Des pertes. Des souffrances.
Elle parla, sans plus s'arrêter, digues rompues déversant flot de paroles continu. Elle parla et à mesure qu'il comprenait ce qu'il s'était passé, il senti monter en lui cette vague de rage et de fureur qu'il avait pourtant réussi à contrôler jusqu'ici.
Il ne bougeait pas. Aucun des muscles de son visage ne trahissait la colère qui l'envahissait peu à peu. Il l'avait laissée aller seule affronter ces épreuves. Il était resté en ce limousin perdu pendant qu'elle affrontait mille périls et subissait mille chagrins. Il n'avait pas su la protéger tel qu'il se l'était juré. Comme il n'avait pas su protéger son frère de ce funeste carreau. Il avait failli. Il tuerait pour cela.
A commencer par celui qui avait osé lever la main sur elle.
Il tuerait jusqu'à ce que cette terrible soif soit enfin assouvie. Jusqu'à ce que le torrent de la violence ne se soit à nouveau tari.
Il tuerait pour expier ses pêcher. Ses fautes. Ses faiblesses.

Il tuera.

Regard posé sur ce dos meurtri. Ambres emplies d'une profonde et insondable lueur noire menant jusqu'aux tréfonds de son âme, là même où se tenait tapi un Autre terrible et secret, dans l'attente. D'une faiblesse. D'une faille. D'une chance.
Regard qui, si elle avait pu l'apercevoir, aurait déclenché en elle terreur et désespoir.
Regard qu'elle avait déjà affronté. Une fois.
Regard qui hurlait mort et violence. Sang et souffrance.
Regard qui, soudain, reprit apparence normale alors qu'elle se retournait vers lui.

Son visage s'était maintenant radouci, traversé désormais par peine et compassion. Un maigre sourire vint un instant éclairer celui-ci, presque une grimace de dépit, disparaissant aussi vite qu'il était apparu.
Lentement, il s'approcha d'elle, tendant sa main dextre pour venir l'apposer sur sa joue, la caressant délicatement.
Sa main senestre s'appuya sur ses hanches et doucement, il la rapprocha de lui, prenant soin de ne pas risquer de déclencher douleur de l'une de ses blessures.
Sa voix enfin se fit entendre, calme et posée, semblant comme occuper tout l'espace de la pièce.


Je suis là Cerrid. Je suis là et je te ferai, pour un instant, une seconde se peut, oublier ces épreuves traversées. Laissons devant cette porte nos craintes et nos haines, nos faiblesses et nos blessures. Laissons là tout ce qui nous pèse et nous meurtri. Oublions nous. Seuls. Ici.

Son visage s'approcha de celui de la jeune femme et, ses lèvres se déposant sur celles de son amante, ils purent enfin échanger long et doux baiser, unissant par ce symbolique geste leurs deux corps, tandis que, mu par quelque courant d'air complice, la porte de leur alcôve se refermait lentement sur leur intimité.

Oublions nous Cerrid.
Oublions nous pour mieux ressortir de cette pièce. Plus forts. Plus puissants.
Oublions nous pour enfin pouvoir assouvir cette vengeance qui me ronge le sang et me brule la chair.
Oublions nous...

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Cerridween
Et la douceur fut...

Malgré tout, au milieu de cette chambre, entre deux corps et deux âmes meurtries.
L'air se faufile entre les lèvres de la rousse. Emprisonné par la bouche qui vient sceller la promesse des quelques mots qui résonnent sur sa peau en un frisson.
Les mains du chevalier laissent des sillons de tendresse sur son cou, pendant que ses lèvres lui susurrent sans bruit ce que son cœur doit entendre. Elle répond du bout de la langue... prenant le temps de déguster toutes les secondes qu'ils volent au chaos et au destin, aux dieux et aux hommes.

Et ainsi…

Les derniers pétales s’échouent sans bruit par terre… Lentement une chemise rejoint le sol près de lames… chaque pièce de rempart de lin tombe sous les assauts sans heurts ni violence des deux opposants alliés par un pacte de cœur jusqu’au fond de l’âme.
Lune rousse, maintenant sans le noir qui la pare et la cache aux yeux du monde, se dévoile de toute la blancheur de sa peau d’albâtre, pendant que l’Autre attend son heure, laissant les ambres briller dans la pénombre qui n’est pas la sienne.

Oublier…

La douleur se fait exquise pendant qu’elle sombre entre les draps, emportée par les bras protecteurs qui la guident vers un ailleurs. Le monde s’efface doucement sous les doigts passent sur la courbe d’une hanche. Peu à peu les murs s’évanouissent. Comme les rues, les routes, les blessures. Comme les colliers laissés un instant sur la pierre, échos de leurs serments. Il n’y a plus de place que pour le bruit des battements de leurs cœurs qui jouent au rythme de leurs pas de deux.

Oublier…

Au gré des vagues qui lentement, viennent troubler la mer lisse de leur peau et froisser le coton des draps, réveillée par les baisers et leur souffle. Au creux d’une épaule, elle plonge, pendant qu’il se laisse glisser dans la chute de son dos qui se creuse pour mieux rester près de lui. Les mains impriment sur leur paume tous les souvenirs qu’elle veut garder de lui pendant qu’il lui vole l’aveu, dans un soupir, de ce qu’elle n’avait pas pu lui dire, même à demi-mot. Il regarde éclore les boutons de ce jardin endormi qu’il s’emploie à cueillir à fleur de peau…

Oublier…

Au creux de cette douce tempête des sens. Pendant qu’elle abandonne toute résistance, la tête renversée, les yeux grands ouverts. Peu à peu, tout s’embrouille… dans un tourbillon de caresses, un suave déluge qui pleut sur leurs corps, mêlé de tendre fureur et de murmures étouffés. Les sinoples se ferment pour goûter la succession de chutes vertigineuses qui s’offrent à elle. Jusqu’à ce qu’une dernière vague la cueille pour l’emporter à sa cime, dans la seule mort qui veut bien d’elle. Un instant s’ouvre l’abandon, l’absolu, un long moment, elle reste proche du firmament sans souffrance... avant d’être rejetée de ce ciel septime par un long soupir sur la grève du lit.

Lorsqu’elle accepte de rouvrir les yeux, elle est accueillie par la chaleur mordorée de deux étoiles terriennes qui la contemplent. Lentement sa main vient caresser la joue burinée qui lui fait face pendant qu’un frisson souffle les vestiges des braises qui s’attardent sur son corps… La nuit a empli le dehors. Quelques rayons froids de lune viennent frapper les carreaux et emplir la chambre d’une lumière diffuse, soulignant la peau de son amant, dont quelques perles de sueurs sont la seule parure.
.
Cerridween sourit doucement…

Ô temps, suspends ton vol, et vous, heures propices, suspendez votre cours…Suspendez votre cours …
Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours…Assez de malheureux ici-bas vous implorent, coulez, coulez pour eux…
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent…

Oubliez… les heureux.

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--Enguerrand_de_lazare
La tempête, peu à peu s’était éloignée, lentement se retirant, portée par les vents du plaisir et de la volupté.
Les deux amants, unis l’un à l’autre, savouraient tous deux en silence ce calme retrouvé, cette quiétude enfin partagée, à eux pour qui de tels instants étaient si souvent par le destin refusés. Moments de grâce si rares qu’ils se devaient d’en savourer chaque fraction, chaque battement de cœur, chaque infime parcelle.
Leurs respirations s’étaient ralenties, calmées par la présence de l’autre, cet être aimé avec qui tout pouvait être partagé.
Mots d’amour susurrés à l’oreille de la jeune femme.
Sourires échangés, regards se croisant, plongeant l’un dans l’autre.

Bientôt, il faudrait reprendre pied avec la réalité qui les entourait.
Bientôt il faudrait parler, expliquer, décrire les événements récents auxquels il avait été confronté mais que son aimée ignorait encore en détails.
Bientôt, ils devraient affronter à nouveau cette vie qui n’avait de cesse de les malmener.
Mais ainsi en était-il de choix faits longtemps auparavant, scellant par un seul et unique serment leurs destins.

Silence envahissant la pièce, rythmé par le seul rythme de leur respiration.
Douce torpeur gagnant peu à peu du terrain, l’entourant d’une enveloppe ouatée et confortable.
Encore quelques instants.
Profiter. Savourer ces moments.
Une pause.
Du repos.


[…]

Il s’était réveillé. Combien de temps avait il somnolé ainsi. Il se souvenait s’être plusieurs fois réveillé, pour resombrer à nouveau après une caresse, un baiser à son amante offert.
Elle le regardait de ses yeux sinoples. Silencieuse.
Il lui sourit.

Caressant lentement la chevelure rousse, l’homme laissait son esprit aller au gré du vent de ses pensées, survolant vallées et collines ondulantes, représentations chimériques de ses états d’âme et sentiments profonds.
Dans un recoin de ce tableau une tache sombre, noirceur insondable et angoissante recouvrant le paysage, faisant se dresser de squelettiques arbres semblant morts depuis des siècles, pétrifiés en quelque horrible et lugubre posture. Nulle trace en ce lieu de quelque vie que ce soit, nulle végétation ne parvenant à percer la terre brulée et meurtrie. Ce spectacle était signe des traces de ce passé douloureux et encore si présent, restes d’un combat mené en ces lieux face à cet adversaire à la fois si intime et si étranger. Il savait qu’il ne devait s’aventurer en cet endroit, sous peine d’à nouveau laisser l’Autre reprendre le dessus, réveillant la bête tapie dans quelque grotte profonde et silencieuse.
Plus loin, à quelque distance de là, une pierre isolé, stèle d’apparence récente et à la terre meuble encore fraiche, sur laquelle un nom était gravé. Nom d’un disparu. D’un frère. D’un compagnon.
Douleur transperçant son crâne au souvenir de cet événement récent et encore si douloureux.

Le temps était venu.
Il lui fallait aborder le douloureux sujet de la parte de leur ami.
Le regard se faisant à nouveau perçant, plongé dans celui de son amante, il prit une profonde aspiration, comme pour permettre au temps de s’écouler un peu plus encore, avant de parler, d’une voix douce, sans heurts.


Je dois…Une pause…Stannis…Sa…sa mort…il me faut…soupiril a été assassiné en pleine salle du trône, Cerrid. Devant le Comte et toute l’assemblée réunie là…J’y étais Cerrid…J’y étais et je n’ai rien pu faire…Rien pour le sauver…le venger…

La voix s’était cassée. Le silence, un instant, reprit place, avant qu’enfin, reprenant force assez pour poursuivre son récit, le chevalier ne reprenne la parole.

Un carreau d’arbalète. Tiré de quelque part en hauteur…coursives entourant la salle…L’assassin connaissait les lieux, impossible autrement…il connaissait les lieux et peut être même était il par les gardes connu assez pour passer sans être inquiété. Un seul carreau a suffit, Cerrid. Empoisonné…Un seul et notre frère est tombé à terre.

Le poing s’était serré sous le coup de la colère, le regard s’était désormais fait plus froid. Glacial. Dur.

L’assassin est homme de guerre, ou l’a été, il ne peut en être autrement. Précis et sûr assez de lui pour tirer depuis position élevée, chose bien plus difficile que d’être au même niveau que sa cible. De plus, la distance rendait le tir plus délicat encore. Peut être est ce mercenaire ou ancien homme d’arme, je ne sais.

Un instant de réflexion, regard plongé dans celui de la jeune femme, comme pour aider à réfléchir plus encore.

Et pourquoi cette arme là. Pourquoi en ce lieu, alors qu’il aurait été si aisé de le surprendre en pleine nuit dans quelque ruelle sombre et étroite. Une lame est toujours plus sûre et efficace qu’un carreau. Je n’arrive pas encore à m’expliquer cela…Ces questions tournent en mon esprit depuis ce terrible jour…

Je n’ai rien vu d’autre Cerrid. Pas même l’ombre d’un silhouette prenant la fuite. Le temps que je me retourne, il n’était plus là. Et je n’ai pas voulu laisser notre frère seul en cette pièce…Peut être…peut être aurais je dû. Courir. Me ruer à la poursuite du tueur. Peut être l’aurais je même rattrapé…Peut être…Il a été transporté dans une pièce à part où nous l’avons veillé dans ses derniers instants de vie. Il…Je n’ai pu rester avec lui, son corps ayant été emporté par celle qui se disait sa femme en quelque lieu. Même cela je n’ai pu l’empêcher…même cela…


Profonde inspiration. Le Grand Maitre était maintenant marqué par la douleur et la souffrance, culpabilité d’avoir laissé mourir un frère d’arme, un frère licorneux sans même avoir pu lui porter secours ni encore le venger.

Il faut le retrouver, Cerrid. Il le faut. Pour Stannis. Pour son honneur. Pour son âme…Je…je vais devoir partir du Limousin, rejoindre le sud avec nos frères, une fois de plus menacée par bandes armées. Ton état de fatigue t’interdisant de prendre à nouveau route, je te charge, si tu l’acceptes, de mener cette enquête. De devenir le bras armé qui vengera notre frère, châtiant le coupable de cet acte innommable. Tu seras la tempête mortelle et impitoyable qui punira celui qui a si lâchement attaqué notre frère. Tu feras ce que moi je n’ai réussi à faire…

La voix s’était tue, les derniers mots rendus presque inaudibles par la peine.
Le calme s’en était reparti. Une autre tempête s’annonçait. Bien plus douloureuse et terrible que celle qu’ils venaient de traverser tous deux quelques instants plus tôt.
La vie avait repris ses droits.
Le chevalier observait les traits de son aimée.

Il espérait avoir su lui dire les mots qu’il avait eu tant de mal à formuler.
Il espérait qu’elle accepterait cette difficile mission qu’il lui confiait.
Il espérait qu’elle ne fasse pas folie de vouloir le suivre sur les terres du sud, tant il craignait pour sa vie à elle.
Il espérait pouvoir à nouveau savourer le gout de cette peau diaphane, en cet instant béni qu’ils venaient de partager.
Il espérait…


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Cerridween
Le sommeil...

Morphée l'avait laissé, lui aussi, plonger au creux de ses bras. Pas autant qu'elle l'aurait voulu. Peut-être un peu jaloux de ne plus être le seul près de qui elle s'abandonne à corps et à cœur consentants. Ainsi l'avait-il rejetée au petit matin lorsque la chambre s'était emplie de la lueur pourpre et doucereuse d'un jour sans nuage. La douleur est revenue dans son bras gauche et sur son flanc. La nuit n'efface pas tout... même si les cernes bleutées se sont évanouies avec la brume matinale, les stries et les marques se rappellent, elles, à son bon souvenir. Elle ne bouge pourtant pas, même si elle a mal... là près d'elle, la tête posée sur le coussin jumeau du sien, il dort d'un sommeil sans rêve. Elle le regarde... elle contemple ses traits apaisés, ses cheveux piquetés de sel, imprimant tout sur sa rétine pour pouvoir se remémorer chaque grain de peau... elle écoute le va et vient de sa respiration tranquille, presque berceuse, en remettant la couverture sur ses épaules, pour refermer ce cocon protecteur qui les couvrent tous les deux.... et elle a presque oublié. Presque oublié qu'il est la Licorne d'or, qu'elle avait un collier d'argent, presque oublié la tâche à venir, le but de son retour. Elle a presque oublié la gravité de ce lendemain qui ne chantera pas aussi bien que ses soirs, ce soir, cette nuit, dont la suave mélodie laisse encore planer quelques notes là, dans cette pièce. Il a ouvert les yeux, papillonné des paupières. Elle a arrêté son réveil d'un passage sur sa peau du bout des doigts, prolongé son repos d'un baiser...

Pas encore... laisse moi encore te regarder... laisse moi encore... encore un peu... laisse moi encore rêver que je peux arrêter le temps... juste un peu... laisse moi croire que je peux retenir les aiguilles, suspendre les grains de sable... demander au soleil de s'étirer encore un peu pour retarder sa chevauchée vers le zénith... pas encore... reste dans l'univers des songes, chevalier, pour toi et pour moi... profite du repos dont tu as tant besoin pendant que je contemple ce qui me paraîtra dans quelques temps comme un rêve éveillé, si irréel au milieu de nos vies tant il détonne de calme. Reste dans le jardin d'Eden pendant que j'en garde la porte... l'Enfer nous retrouvera bien assez tôt... et nous avons juré, fous que nous sommes, de l'affronter où qu'il soit et quelques soient les troupes qui sont vomies de ces entrailles. Il est toujours si proche...

Le soleil empli la chambre lorsqu'il se réveille enfin. Elle sait cette fois qu'elle ne pourra rien arrêter, même si elle donnerait tout pour une minute encore, une seule, dans ce paradis si simple. Dehors, les tintements des cloches de la cathédrale annoncent tierce et le glas du temps qui leur était imparti. Faible soupir résigné, alors que l'eau verte accueille les ambres qui s'éclairent doucement. Le sourire qu'il lui offre, elle le lui rend doucement en guise d'un bonjour silencieux. Il s'approche et elle le laisse prendre pied dans le monde, près d'elle. Ses yeux s'échappent pendant un moment vers un ailleurs qui lui est inaccessible. Le pli qui se forme un instant sur son front, la crispation de sa mâchoire finissent de la sortir de la torpeur des draps et de la nuit passée. Ainsi c'est maintenant... c'est maintenant que nous allons reprendre le cours des évènements, reposer un pied dans la réalité qui nous attend, implacable. Le regard a changé même s'il n'a pas encore perdu toute la douceur acquise à la faveur de la nuit. Elle réprime un nouveau soupir. C'est ainsi. S'apitoyer, se plaindre, hurler, tempêter, pleurer, supplier n'amènera à rien et n'empêchera pas ce qui va suivre. Il le faut. Ils ont jurés. Par trois fois pour elle, à l'ordre, aux hommes et à lui...

Il commence. Il commence le récit dont elle connait l'irrémédiable fin mais dont elle connait si peu de composantes. Au fur et à mesure, la scène s'esquisse devant ses yeux. Les murs de la salle du trône se matérialisent, comme les nobles, le comte, lui. Les courtines se dessinent, l'assassin y prend place et dans sa main apparaît une arbalète. Le carreau brille d'un liquide inconnu. Elle voit le carreau qui part, qui s'éclate dans la chair du héraut. Elle imagine la panique. Difficile avec la surprise de pouvoir déceler une trajectoire et de réagir. Elle sait que les cérémonies d'allégeance comportent nombres de personnes. Elle voit Enguerrand veiller Stannis avant que la Malemort, dont le nom lui semble ironiquement adéquat, emporte le corps sans égard à la peine de celui qui était au vu de leurs derniers déboires de couple, bien plus proche qu'elle. Elle ne sera jamais son témoin pour ce duel absurde... maigre consolation, tristement dérisoire. Pas de détail sur l'assassin à part une ombre qui détale. A son grand dam. Et pourtant, pourtant, dans les détails qu'il lui donne, elle a déjà bien des pistes inutiles qui se ferment et d'autres dont le tracé se précise. Assez de points de départ pour des recherches, pour de nouvelles questions. Les pensées déjà organisent les informations et sont lancées comme une meute vers l'objectif à atteindre. Elle sait déjà où aller fureter, les lieux à visiter s'alignent dans un ordre précis, la liste des choses à obtenir se déroule peu à peu alors que les sinoples se sont baissées et que les paupières se sont plissées sous l'effet de la réflexion.

Le soupir d'Enguerrand les ramène vers son visage. L'expression la frappe de plein fouet. La culpabilité dépasse les mots ânonnés, s'incrustant dans ses traits. La même blessure a dû se rouvrir. Le même terreau de leur engagement à eux deux, cette blessure lointaine, mêlée du deuil d'êtres chers et du désespoir de n'avoir pas été assez forts, pas assez rapide, si impuissants. De ne pas avoir su déjouer le destin, arrêter l'inévitable. Cet écho qui se réveille à chaque fois qu'elle revient, cette culpabilité, bête juste endormie et jamais rassasiée de la torture de ces deux âmes droites. La voix le brise le cœur alors qu'elle s'éteint. Elle annonce aussi, son départ à lui vers la Guyenne. Elle demande qu'elle reste par égard pour ses blessures et pour être Némésis, vengeresse. Les yeux la supplient maintenant qu'il s'est tu, dans une prière silencieuse qu'elle accepte, qu'elle ne soit pas assez insensée pour s'imposer de nouveau une longue chevauchée et le danger des armes. La rousse serre un instant les dents. Non par le fait du réveil de ses blessures. Non qu'il lui sera difficile de prendre la charge de retrouver le meurtrier de Stannis et de crier Justice. Mais parce qu'elle va encore une fois le voir partir.... et si vite. Et elle ne peut rien contre ce fait. Rien. Même si elle sait qu'il lui demande une faveur, il est son supérieur. Elle lui a juré fidélité en temps que chevalier, elle lui a donné son âme en temps que femme. Comment dire non au Maitre de son épée et de son être ? Surtout, même si une partie d'elle, coléreuse, se rebelle contre l'emballement des évènements, quand elle sait très bien qu'il a raison. Elle brise le long silence d'une voix qui murmure, pour retenir encore ce qu'elle peut des dernières heures passées peau contre peau.


Tu n'aurais rien pu faire de plus, Enguerrand... je sais que tu ne veux pas l'admettre mais on ne peut pas tout changer... prévoir t'était impossible, s'il a fuit sans être attrapé, c'est que même avec la meilleur volonté, tu n'aurais pas pu seul changer le cours des choses. Et à choisir, qu'aurais-tu préféré... courir après l'assassin sans réel espoir de réussite et ne pas être là lorsqu'il aurait poussé son dernier soupir ? Stannis aura au moins pu passer ses derniers instants près d'un ami, d'un frère d'arme. Je crois que tu lui as offert ce que tu avais de mieux...

La main dextre attrape délicatement le poing serré et déplie les doigts afin de les mêler aux siens. Les sinoples essaient de contenir cette haine froide qui revient, pour lui laisser simplement la douceur qu'elle peut encore lui donner, pour si peu de temps encore.

Je reste... je le chercherai dans le Royaume entier s'il le faut... et s'il est attrapé par la maréchaussée ou l'armée je me charge de demander justice jusqu'à ce qu'elle soit faite. Je te fais la promesse de ne m'arrêter que lorsque j'aurai eu réponses à toutes les questions...

Dans le même murmure elle lui promet de prendre soin d'elle. Elle lui fait promettre de faire de même dans ce duché dont elle connait les turpitudes et la multitude de requins. Elle lui demande le droit d'user de tout. Il hoche la tête. Nul besoin de préciser les moyens. Il sait cette part d'elle, avouée au détour des confidences dans la chambre qui l'abrite à Ryes. Il sait les pouvoirs de la dague qui pend à son côté. Aussi meurtriers que ceux du carreau maudit. Dans un souffle, pendant qu'elle se love dans ses bras, à l'abri de son cou, il chuchote à son oreille que cette maison est sienne et qu'elle peut y rester le temps qu'elle souhaitera. Il donnera les ordres nécessaires pour que chacun lui obéisse autant qu'à lui même. Les lèvres de la Pivoine s'entrouvrent et ne laissent qu'un baiser. Il n'y a rien à ajouter. Rien de plus. Il va falloir quitter la torpeur, sortir de ce lit. Remettre la carapace noire, ceindre les lames. Reposer sur son visage le masque impassible qui est celui tributaire de sa charge. Reposer les serments autour de son cou.
Le voir s'éloigner...
Et attendre son retour.
En priant de pouvoir prétendre, de nouveau, pouvoir toucher les étoiles...


[Quand Némésis s'habille de noir ]

La maitre d'arme descend en cuisine.
Les ordres ont été donné au vieux serviteur de Lazare qui a obtempéré sans broncher, la saluant respectueusement, non sans dévisager du coin de ses paupières ridées avec une certaine interrogation, celle qu'il devrait servir le temps de l'absence du maitre des lieux. Pas une remarque sur l'étrangeté de la liste des courses demandées et des choses qu'il lui serait utile, ni sur la blessure à la pommette qui passe au crible de son regard. Peu de choses à acheter également. Mais des instructions précises. La silhouette du vieillard s'éloigne la laissant aux derniers ajouts de sa mise. Les blessures ont été bandées de propre et les points nécessaires apposés par Enguerrand en silence avant qu'un baiser s'attarde sur les lèvres de la Pivoine qui ne veut pas regarder la porte se fermer derrière lui. Elle a pour l'instant poser sur ses épaules la cape Licorne se forçant à ne pas penser pendant qu'elle avale les marches, aux serviteurs qui font des allées et venus avec quelques malles et des pièces d'armure.

Sexte s'annonce dans un tintinnabulement.
Elle a fait appelé Adrian. Elle ne l'a pas vu depuis un certain temps. Elle attend de voir s'il a suivi les enseignements à la lettre. Il lui sera également utile pour certaines questions. Elle s'empare d'une chaise qui accueille son corps encore douloureux. Un bol de tisane fumante d'où s'échappe une forte odeur de cannelle l'attend sagement, ainsi qu'un peu de pain près d'un pot de miel. Elle s'empare du breuvage, les tripes trop nouées pour recevoir autre chose. Dehors elle entend les pas des chevaux, les cris, les ordres. Il a laissé un parchemin à son intention glissé dans son doublet, qui lui brûle la peau. Elle sait qu'il s'agit de ses adieux.
Sa main tente d'effacer les restes de fatigue sur son visage et se heurte à la commotion de sa joue. Grimace qui s'efface quand la porte de la cuisine s'ouvre. Les yeux émeraudes se font perçants et détaillent l'arrivant.


Bonjour Fauconnier.

Le bras valide pose le bol d'où s'échappent des volutes de vapeur et l'invite à s'assoir près d'elle.


Tu as pris des épaules...


Elle ne dira pas sa satisfaction. Elle ne fera pas de compliments ouverts. Elle se contente d'un regard . Il n'a pas encore prouvé qu'il en était digne. Elle attend qu'il prenne place. Elle se lève pour prendre un bol et le reste de tisane qu'elle pose près de lui. Une minute de silence et elle annonce :


Nous allons avoir une mission délicate qui va demander discrétion, silence et maîtrise. Pas de combat, pas de sang, du moins dans un premier temps. Le Grand Maitre me charge d'enquêter sur l'assassinat du héraut de l'ordre. Avant toute chose il faut que tu me relates tous les évènements qui se sont passés dans le comté pendant mon absence. Sois précis et n'omets rien.

La maitre d'arme attend en buvant une gorgée brûlante, le rapport détaillé. Peut-être cela ouvrira d'autres portes. Peut être pas. Au moins elle aura tous les éléments en mains pour passer à la suite des opérations qu'elle prépare déjà.

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Fauconnier
- " Tu as pris des épaules... "

Sourire tout juste esquissé, retenu.

Pas le genre de sourire franc et massif à la Colgate que l'on observerait sur les publicités pour dentifrices, mais un simple rictus, tirant la commissure gauche des lèvres vers le haut, très légèrement. Comme si un marionnettiste invisible lui en avait donné l'ordre. Comme si un fil de pêche tirait le jeune Faucon vers le haut.

Adrian souriait. Et c'était chose étrange et particulière que de voir ce jeune homme sourire, en vérité. De taille haute pour ses 13 ans, il n'en était pas moins petit pour un Vicomte, et encore juvénile. Il avait l'air un peu à côté de ses pompes qu'arborent perpétuellement les adolescents qui ont eu une brusque poussée de croissance et doivent réapprendre leurs limites, les frontières de leur corps, et leurs possibles. Il arborait la cape distinctive des Licornes, d'un azur intermédiaire, pour ne pas faire crime de lèse-majesté en prenant du bleu-roy, et pas roture en en prenant un insignifiant. Cadeau du Prince de Condé, pour son arrivée à Ryes. Etrange cadeau que celui d'un oncle absent...
Les yeux étrangement écartés du centre du visage, il avait pour tout respect de la proportion une bouche fine, et joliment pourvue de lèvres qui purent paraître féminines à qui ne verrait pas le haut du visage. Au-dessus de ces lèvres surplombait un nez. Pas n'importe quel nez : car il était celui du Faucon. C'était en vérité principalement cet attribut qui lui avait valu le surnom de Faucon, et qui concordait si parfaitement avec son nom de Fauconnier. Son nez était ainsi recourbé, et même si non imposant, il avait une taille suffisante pour être bien visible, et ne laisser guère de doutes sur son porteur. Ses yeux étaient deux charbons, qui pouvaient à l'envie se moirer de sang, de feu ou de glace au vue des circonstances. On avait même dit, un jour, que l'on y avait vu des éclairs, comme les jours d'orages. Les oreilles étaient petites, rapprochées des côtés de la tête. Les cheveux, les recouvrant, étaient d'un noir de jais, filasses, raides et parfois même un peu sales, comme ceux des enfants de cet âge la plupart du temps. Pour l'heure, ils étaient un peu plus bas que le menton, et coupés en frange sur le devant pour permettre une vision plus claire des situations.
L'impression générale qui se dégageait du jeune petit était celle d'un jeune garçon qui n'était pas à l'aise dans ce monde, perpétuellement confiné dans son corps, comme s'il eut voulu s'envoler. Ses membres étaient noueux, maigres à l'excès, et longs. Ses bras donnaient l'impression d'ailes fines et légères, se finissant en mains longues, aux doigts ccrochus et aussi allongés que le reste.
Ses pieds étaient d'une taille moyenne, mais ses jambes arquées lui faisaient prendre l'impression d'un Faucon de taille énorme, qui, venant de se poser, pataugerait perpétuellement dans une sorte de mélasse putride, avant de pouvoir se relever.
Ses habits étaient d'excellente facture, à l'image de la cape de l'Ordre azure, qui était posée sur un tabard aux couleurs de Isles. Ses mains étaient nues, ses gants pendus à une ceinture de cuir bouillie où l'on notait la présence de Tumnufengh, l'épée de son père au pommeau en forme de croix ankh. Il avait toujours peur de la toucher(1), mais la tenait toujours avec lui, comme signe de qui il était (s'il en était besoin, le tabard faisant foi). Ses bottes de monte noires avaient un revers sous le genou, qui se présentait sous forme de créneaux, comme sur les murailles d'une forteresse. Ses braies, de couleur brunes, étaient d'un tissu italien excellent. Le neveu du Prince de Condé montrait ainsi clairement qui il était, et quel était son rang.

Il se tenait donc ainsi devant le Chevalier de Vergy, à la responsabilité de qui il avait été confié voilà déjà plusieurs mois. Après la Fureur et le Sang(2), et son rétablissement, il avait ainsi pu jouir d'un entraînement de première qualité dans la forteresse de l'Ordre Royal de Chevalerie de la Licorne. Il avait ainsi continué à développer son maniement du bâton, et envisageait de développer sa maîtrise de la hache. Le choix quasiment métaphysique qu'il avait opéré alors, prenant pour arme de combat la hache au long manche des porteurs de hache nordiques, le souvenir du Capitaine Deny Ferré, guidaient toujours ses pas vers l'accomplissement de sa destinée : devenir Chevalier. Le Chevalier Adrian Fauconnier de Riddermark, Vicomte d'Isles et de Montbarrey. Rien que le nom, alors, lui plaisait.

Dans une cuisine encore froide de la nuit qui s'était finie voilà peu, alors qu'au-dehors les brouillards grumeleux et pelucheux de début de printemps s'estompaient lentement, laissant le soleil reprendre ses droits et continuer son travail, et alors que la rosée constituait autant de miroirs éclatants créateurs de multiples arcs-en-ciels miniatures, le jeune homme se tenait ainsi face au Chevalier, le regard fuyant, la regardant droit lorsqu'il le fallait, mais sans trop forcer, pour ne pas paraître impertinent.
Suivant le geste du Chevalier, il s'assoit près d'elle, sur un banc noirci d'une table de chêne antique, où les marques des coutels, des rots et des boissons témoignent des générations d'hommes qui se sont côtoyés ici. Le sol était propre. La cuisine semblait bien tenue. Les cuisinières et leurs aides étaient sorties après l'entrée du Chevalier, pour permettre la discussion sans risquer de percevoir messages compromettants. Les jambons, les oignons, les échalotes, les ails, les fines herbes, pendaient, accrochés au plafond par des cordes que l'on couperait au besoin. Des tonneaux étaient accolés au mur, emplis de vin, de cidre, et autres liquides indispensables.
Adrian s'installe ainsi, relevant la cape pour qu'elle s'appose bien sur le sol, sans faux-plis. Vieux reste de son éducation de noble reçue à Saulx, entre les mains du Vicomte de Saulx, son cousin Sirius de Margny-Riddermark, fils du Prince de Condé et son ancien héritier. Vieux reste d'une part de lui-même avec laquelle il lutte, depuis qu'il est entré en Chevalerie : car un Chevalier est plus que noble : il est Humain. Fugace souvenir d'une entrevue en une taverne du bourg de Ryes, où l'actuel Grand Maistre, Enguerrand de Lazare, alors Capitaine de l'Ordre, lui avait intimé de rappeler ses hommes qui allaient molester un vieil homme irrévérencieux.
Il la suit des yeux, alors qu'elle va récupérer un bol, et accepte le liquide de bonne entente.
Il ne fait aucune remarque sur son état. Il ne lui dira rien ouvertement. Il a noté les contusions, les enflures, et tout le côté gauche replié, presque infirme. Il a noté les difficultés à se déplacer, et la contracture du bras. Il ne dira rien, par devoir de discrétion : elle lui en parlera si elle l'estime nécessaire. Pour sa part, il a bien deviné : car étant donné qu'il l'a vue partir pour l'Auvergne, et qu'il sait qu'elle n'a fait aucun détour, c'est donc qu'elle a dû recevoir ce cadeau à ce moment. Petit cadeau de brigands sur son passage, ou bagarre en taverne ? Si tu savais la vérité, Adrian...
Curieusement, la savoir mal en point ne lui fait plus plaisir. A une autre époque, il se serait probablement permis de la rabaisser, de lui montrer qu'il était content de ce qui était arrivé. Désormais, n'existe plus entre eux qu'un respect mutuel, auréolé peut être de rivalité contenue et de rancoeur non-dite. Le temps n'est pas encore à la période de réconciliation. Et espérons qu'elle ne se fera pas trop tard, lecteurs... Pour le propre bien du jeune Faucon. Car est-il besoin de préciser que la rancoeur qu'il éprouve pour le Chevalier n'a rien de rationnel, ni même de dirigé contre elle ? Il n'éprouve, en vérité, que la colère qu'il ressentirait contre sa mère, s'il la savait capable de l'entendre et d'en souffrir. Alors, dans le doute, autant la diriger contre ceux qui nous entourent. Et contre celle qui, en Chevalier, a pris à la fois la place de son père et de sa mère, pour devenir son mentor.

Il prend le bol devant lui, et le renifle précautionneusement. Les volutes légères de l'eau chaude s'évadent, devant le Chevalier comme devant lui, formant un double rideau évanescent devant leurs deux visages centrés l'un sur l'autre. Etrange regard que celui que se jette ces deux êtres, amenés à être ensemble envers et contre tout, malgré le dégoût de l'un pour l'attitude aristocrate du second, et malgré la haine du second pour la science du premier. Etrange regard, où l'on peut lire malgré tout du respect, et une certaine acceptation de la situation. Il boit une gorgée, attentif à ne pas se brûler. Il goûte, hume. Acquiesce de la tête, en regardant le liquide ambré. Boit à nouveau.


- " Nous allons avoir une mission délicate qui va demander discrétion, silence et maîtrise. Pas de combat, pas de sang, du moins dans un premier temps. Le Grand Maitre me charge d'enquêter sur l'assassinat du héraut de l'ordre. Avant toute chose il faut que tu me relates tous les évènements qui se sont passés dans le comté pendant mon absence. Sois précis et n'omets rien. "

Le jeune homme a déjà saisi ce qu'elle allait lui demander. A son arrivée à Limoges, voilà près d'un mois, il venait tout d'abord pour se faire reconnaître officiellement en tant que Vicomte d'Isles, à la suite de son père. La deuxième raison était d'avoir une discussion avec Nebisa de Malemort, sur une certaine lettre envoyée par son fils qu'il avait reçue à Ryes. Il se souvenait clairement du moment, alors qu'il observait le feu d'une chambre d'auberge, attendant la réponse d'un Haut Conseil reformé sur ses ambitions. Il se souvenait de la colère monstrueuse, presque dévorante, qui avait failli l'étouffer, à la lecture de la missive. Il aurait voulu hurler de rage. Il aurait voulu mourir. Car que faire d'autre, lorsque l'on apprend que son père aimé et chéri, dont la mort ne devait rester impunie, avait engendré un bâtard putride et fourbe, qui plus est dans le ventre de la Malemort ? Il avait apprécié Nebisa. Il l'avait assimilée à une tante, de la même façon qu'Ilmarin. Et aujourd'hui... Après la conversation qui s'était tenue dans son bureau du Castel de Limoges, où l'échange avait été fait, et où les circonstances de la chose et leurs conséquences avaient été débattues, et où sa hargne et sa fureur avaient pu s'échapper, il ne savait plus que penser. Sa confiance en Nébisa était morte. Mais... pas son affection, malheureusement. Vieux reste de l'amour paternel ? Possible. Vieux relent de celui qui se dit qu'il doit haïr les ennemis de son père, et aimer ses amis ? Probable. Il n'était pas encore à l'âge de la prise de recul sur son passé.
La troisième raison de sa venue, alors, avait été d'observer ce qui se passait en Limousin. La situation de la fin de l'hiver s'était avérée complexe, et pleine de dangers pour le comté : car alors que la Pairie tergiversait sur les conditions politiques, un homme avait été assassiné, et pas n'importe lequel : le Chevalier Stannis Le Ray de Malemort, Comte de Ségur et de Chabrières, mari de Nebisa et héraut de l'Ordre de la Licorne. L'affaire ne pouvait donc rester impunie, surtout lorsqu'on savait que l'homme avait été juge du Limousin pendant plusieurs mois. Adrian avait donc observé, et enregistré.
Et alors que les travaux à Isles étaient immenses (prendre connaissance des revenus, des problèmes existant, des solutions en cours, connaître la situation du fief, faire une première cour de justice où il avait montré qui était le nouveau maistre des lieux, réorganiser le servage et le baillage sur ses terres, examiner les hommes à remplacer sur ses terres...), sur un fief où il n'y avait eu de seigneur depuis près de 25 ans, il avait écouté, sans se montrer, sans prendre ouvertement parti. Réfléchissant, il s'était entouré d'un notaire de Limoges, qui aurait pour fonction d'examiner la gestion de l'intendant des terres. Adrian espérait bien ainsi y trouver une faille, qui lui permettrait de se débarrasser de l'intendant : c'était LUI, désormais, le patron. Il avait aussi regardé qui pourrait le seconder à la tâche. Il avait ainsi laissé Rufus à Ryes, pour qu'il continue à veiller sur sa soeur, et avait observé dans les terres alentour s'il pouvait espérer trouver intendant compétent. Son objectif, bien entendu, était de le débaucher de sa charge en lui proposant plus que ses conditions actuelles, bien sûr. Il ne fallait pas lésiner pour que le fief soit bien tenu. Il avait donné des charges de bailli à des hommes sûrs et estimés, et s'était assuré que les récoltes seraient bonnes.
Et au début du printemps, alors que les fleurs renaissaient, et qu'il se trouvait alors devant le Chevalier, Isles respirait. Et le Limousin de même. La situation, toujours tendue, avait tendance à se clarifier.

Cherchant ses mots pour répondre, il laissa échapper un :
- " Eh bien... " révélateur, en se passant la main dans les cheveux. Etrange personnage que ce jeune garçon, si jeune d'allure, si frêle de constitution, mais dont les muscles commençaient à saillir, et qui réfléchissait déjà comme un stratège militaire. Etonnant, de la part du fils de l'un des meilleurs Condottieris de l'Europe des dernières années ?
Il raconta tout. Comment, de ce qu'il avait entendu, le Héraut avait été abattu par un assassin dissimulé au moyen d'une arbalète. La fuite de celui-ci. La situation de tension créée, au niveau politique, par l'interdiction d'une liste de nobles, et du foin autour de l'affaire. La prise de position de la Malemort, et ses paroles incisives à l'encontre des pairs de France. La régence, et la première cérémonie d'allégeances. L'exposition de la situation à l'heure actuelle. Le fait que le Faucon n'avait encore aucune preuve de qui était derrière tout ça, mais de son ressenti. Des Etincelles hostiles à Stannis, de ses vieux ennemis poitevins, d'un accord possible. D'une possible tentative de déstabilisation du pouvoir par des duchés extérieurs, et notamment celui du Berry. Le Poilu était réputé dans tous les duchés pour sa propension aux coups foireux.
Le jeune homme parlait, buvait, regardait son Chevalier, et les effets que son récit provoquait sur son visage. Il ne lui parlât pas de Arnaut de Malemort. Il ne parla pas des incidents lors des allégeances dernières, de la grogne des nobles contre le Régent, de sa prise à partie du Grand Chambellan de France(3). Il ne parlerait pas non plus de la conversation avec Nebisa, et de l'accord conclu sur la vie de Arnaut.

Se taisant finalement, le silence se maintint dans la pièce, alors que le Chevalier se repassait mentalement tous les éléments qu'il lui avait donné. Respectant le silence, le jeune Vicomte s'empressa de finir son bol, et de s'assurer que ses habits n'étaient pas tâchés par un manque d'attention. Puis, reportant son attention sur le Chevalier, il lui demandât enfin :


- " Comment voulez-vous procéder ? "

Concision. Comme à son habitude : la recherche de l'essentiel.

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(1) : Cf le RP d'arrêt en Franche-Comté, au cours duquel Daresha de Riddermark, mère de Adrian, lui confiât l'épée de son père, et des pérégrinations psychologiques qui s'ensuivirent pour ce dernier.

(2) : Cf le RP du même nom

(3) : Cf de même, le RP approprié.
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Cerridween
Son écuyer a sourit.
Le premier sourire qu'il lui présente, du bout des lèvres, certes, mais il est là, flirtant avec la commissure, effleurant son visage. Tu es donc bien à la recherche d'une reconnaissance, Adrian. Tu es donc bien perdu... perdu seul devant ton destin que tu veux aussi grand que celui affilié au nom de ton père. Mais pas seulement. Si tu savais comme je me revois à travers ton attitude... Tu cherches les signes. Ceux qui te disent que tu es sur le bon chemin, que tu ne t'es pas égaré quelque part, que tu avances, même si c'est à pas de fourmis... tu cherches un geste. Tu cherches à être rassuré. La Pivoine n'est pas dupe. Ils sont loin, très loin de voir s'amoindrir l'immense lande glacée d'inimitié qui les sépare depuis leur première rencontre. Mais le maitre commence à cerner de plus en plus les contours de l'élève. Cet élève choisi contre son grès, qui n'a pas eu le choix de vouloir d'elle, puisqu'elle l'a mis devant le fait accompli. Tu veux apprendre ? C'est avec moi ou ce ne sera avec personne. Tu veux marcher sur les pas de ton père ? Tu me suivras, sans plainte et sans rebuffade. Tu ne m'aimes pas ? Peu importe, je suis ton seul échappatoire. La revanche est le moteur du jeune homme. Elle l'a senti dans sa façon presque acharnée de s'entrainer, silencieusement, d'arrache-pied, depuis la correction qu'elle lui a collé dans les jardins de Ryes, dérouillée qui avait laissé des blessures plus durable sur son ego que sur son corps, pourtant bien meurtri. La revanche contre elle, cet espoir de se dire qu'un jour oui, un jour, il l'aura à son tour en joue d'une lame ou d'une arme. La revanche aussi contre la vie, elle le sent bien. Bien qu'elle ne sache pas encore pourquoi son attitude hurle au Talion et contre qui d'autre que sa frêle mais dangereuse personne. Elle l'a cherché cette volonté de revanche. Le premier jour. Pour lui faire perdre ses belles certitudes, pour qu'il tombe de son piédestal, pour qu'il se retrouve sans repère. Pour qu'il suive son enseignement, sans s'en rendre compte, trop occupé par sa rancœur. Depuis elle se contente de quelques mots, de remarques sans amitié mais toujours justes. Avare de bons points comme de paroles, elle le laisse divaguer, le temps de pouvoir trouver comment le faire grandir avec en épine dorsale, les valeurs qui pareront le collier qu'il portera peut-être lui aussi un jour.

Ces valeurs... dont elle se prépare à lui donner un cours bien particulier si elle atteint son but. Frôler les lignes, les frontières de la chevalerie, pour mieux la servir, pour mieux honorer ses serments. Se parer d'ombre, de noirceur, sans pour autant se perdre dans l’obscurité. Flirter avec l'interdit, longer les bornes, sans pour autant tomber dans les travers qu'ils ont jurés de combattre. Garder en tête honneur, justice et bravoure sans pour autant respecter totalement le premier credo...
Elle le dévisage un instant. Elle ne le lancera pas directement dans cette arène, où doit se dérouler ce terrible combat. Ce combat ardu, violent... celui contre soi même. Celui qui nécessite de se connaître à la perfection, de savoir ses limites, ses peurs, ses démons pour qu'ils n'emportent pas le frêle esquif de la raison vers des récifs dangereux. Cruauté et haine sauvage, les Charybde et Scylla qui les attendent, se faisant front. Il va donc gravir les échelons pas à pas. La moindre hésitation, la moindre chute et il ne la suivra plus dans cette entreprise. La moindre rébellion et il ne portera plus jamais aucun écu.

Elle reste à le regarder pendant qu’il conte ce qu’il sait. Pendant qu’une part d’elle note tout ce qui lui sera utile, ses pensées vagabondent vers la cour où les cris n’ont pas cessé. Le masque implacable restera en place de nouveau attaché avec soin. Il lui a laissé un bout de velin sur le cœur mais tant pris. Tant de fatigue, tant de questions, tant de peurs, en une nuit, la laissant un peu plus légère… un peu plus lourde aussi de ce poids des adieux arrivés trop vite. Elle écoute les cris, les aimant presque. Il est encore là… il n’est encore pas loin. Le moment où les bruits des soldats et des chevaux se seront tus... là elle sera vraiment redevenue la Pivoine froide et glaciale qu’elle devra rester pour la suite de sa mission. Mais là au fond reste un petit bout de chaleur ambrée, qui lui tient encore chaud…
La tisane vient se verser dans sa gorge pendant qu’elle analyse. Des choses qu’elle ne savait pas… d’autres qui ne sont que des confirmations. Elle le laisse finir toujours en silence avant qu’il ne la questionne. Elle repose sa tasse et prend quelques secondes avant de répondre…


Avant toute chose, Adrian, il a une règle. Plus que jamais, tu obéis en tout point à ce que je vais t'ordonner. Pas d'initiative frivole, pas de bavure, pas de dérapage. L'affaire est grave et ne souffre d'aucun faux pas. En cas de désobéissance, crois bien que tes affaires t'attendront séance tenante à la herse de Ryes. Mais je pense pouvoir assez te faire confiance pour ne pas avoir à arriver à de telles extrémités...

Les sinoples sont plantées, impérieuses, dans les yeux du jeune faucon, pesant de tout leur poids en relais des paroles, énoncées d'une voix posée et sérieuse. La Pivoine reprend place dans son siège quand trois coups se font entendre contre l'huis de la cuisine, faisant avorter l'avertissement et surtout ce qui s'en suivra. A l'invitation de la maitre d'arme, le vieux serviteur et intendant d'Enguerrand de Lazare fait son apparition. Il s'approche de la table avec un grand panier d'osier rempli, muni de sangles qui permettent de le porter ainsi qu'un bâton de marche. Après l'avoir posé le tout au sol et fait une révérence simple mais respectueuse vers Adrian, il annonce :


Voilà ce que vous aviez demandé, Chevalier. Tout a été accompli selon vos instructions. La plupart ont été trouvées ou achetées dans l'hôtel sous couvert des préparatifs de départ du Maître. J'ai cherché moi-même le restant dans les greniers et la réserve. Il n'y a eu aucune question, les serviteurs étant à mon avis bien trop occupés par les malles à faire dans l'urgence pour relever ce qui aurait pu paraître curieux. Le reste est dans votre chambre. Je dois d'ailleurs m'occuper de quelques détails pour le Maître encore, mais faites moi mander en cas de manque.

La Pivoine le gratifie d'un sourire et d'un hochement de tête appuyés, avant de le remercier. Le vieil intendant prend congés, sans cérémonie et sans plus de questions. La maître d'arme reporte ses sinoples sur Adrian avant de silencieusement entreprendre la fouille du grand panier, non sans difficulté, prenant soin de mobiliser le moins possible sa main gauche et de ne pas plier son dos. Elle sort sur la table des chausses d'une facture moyenne, un doublet sans grand intérêt, une cape élimée, un chaperon commun ainsi que des bottes de cuir usées mais pratiques. Reste à l'intérieur, de la verroterie, des éléments de mercerie bas de gamme, quelques couteaux et une escarcelle contenant quelques pièces...

Nous savons beaucoup et très peu. L'assassin a utilisé une arbalète, arme difficile à se procurer. Je rejoins l'avis du grand maitre qui pense avoir à faire à un homme rompu à l'exercice des armes étant donné que le maniement de l'arbalète est un exercice compliqué et que son tir a été précis et sans faille. Il connait également les lieux puisqu'il s'est posté à un endroit en hauteur de la salle d'audience, parfaitement adapté à ce qu'il voulait faire. Habitant du Limoges ou y ayant des contacts sans aucun doute. Il est déjà rentré dans cette salle ou quelqu'un lui a décrite avec assez de précisions... L'arbalète devait être de petite taille puisqu'il a réussi à la dissimuler sans attirer l'attention des gardes. On n'en trouve pas partout, ce qui nous est un avantage. Personne n'a vu son visage. Juste une silhouette. Ainsi je ne garantirai pas pour ma part que ce fut un homme. Je suis bien placé pour savoir qu'une femme avec assez d'abnégation peut arriver au même résultat. Il ou elle a pu agir seul mais cela demande beaucoup de moyens... un assassinat est rarement l'affaire d'une personne, surtout s'il est aussi bien préparé que celui ci, nullement impulsif et totalement prémédité. Reste le motif et là est le but de cette enquête. Nous devons savoir si c'est la Licorne qui est visée ou non. Ainsi nous devons lui poser la question et pour cela le retrouver, sans trop attirer l'attention.

La Pivoine prend le temps de boire la dernière gorgée de tisane en observant le visage d'Adrian dont le regard trahi une certaine perplexité.


Trop décousus comme indices n'est ce pas ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin... c'est pour cela qu'il va falloir fouiller la paille... nous allons commencer par le bas…


Le sourire pointe en coin sur les lèvres de la Pivoine et s'éteint lorsque la pommette tuméfiée la rappelle à l'ordre.

Tu seras un marchand ambulant originaire de Franche Comté pour justifier ton accent. Un petit marchand très heureux d'avoir enfin été jugé en âge de quitter le comptoir de sa famille et de suivre un convoi qui doit amener une commande de tissu de luxe en Limousin. Tu seras évidemment naïvement émerveillé de tout comme tu découvriras une nouvelle ville et de nouvelles choses. Tu es chargé de faire tes preuves en vendant des bricoles dans les rues pour prouver ton sens du commerce. Sous cette couverture, tu vas faire le tour des marchés. On y dit beaucoup de choses avec ou sens intérêt. Ouvre tes oreilles, les commérages ont toujours du bon puisqu'ils colportent les évènements exceptionnels et les nouvelles. Tu pourras à ta guise arpenter les rues et faire le tour des armuriers et marchands d'armes, forgerons et regarder si certains vendent des arbalètes. Chercher à en savoir plus au besoin avec des questions enfantines sur leur utilité, leur taille, qui s'en sert, demander par curiosité de métier si on en vend souvent. On est toujours plus à même d'étaler sa science et de donner des détails à quelqu'un qui semble sans danger. Regarde aussi les mouvements de patrouilles, interroge les gardes de la maréchaussée sur les endroits qu'il te faut éviter puisque tu ne connais évidemment pas la ville.

La Pivoine marque une pause en sondant Adrian…


Pour parfaire ton rôle, tu seras à pied évidemment, tu noirciras un peu tes mains qui ne ressemblent pas à celles d’un marchand des rues. Ne te défais jamais de ton capuchon tu ne dois pas être reconnu. Tu risques aussi d’être traité avec irrespect, peut-être violence si tu importunes… et comme tu es un marchand ambulant tu te plieras en courbettes et tu ne répliqueras pas… tu n’auras pas d’arme et donc pas droit à l’erreur. Tu rentres en fin d’après midi sans retard. Je serai partie pour ma part faire le tour des tavernes et des bouges… tu feras les tâches courantes en attendant mon retour. Nous verrons ce que nous aurons pu apprendre à ce moment là.

La maitre d’arme laisse l’écuyer intégrer toutes les informations avant de demander d’une voix toujours aussi calme…

Des questions ?.... et si tel n’est pas le cas qu’est ce que tu fais encore ici ?
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Fauconnier
[ Plus loin dans le temps. Salto spatiotemporel, donc. ]

Limoges était gaie et rieuse, les jours de marché. Le temps était beau, et doux pour la saison. La Vienne avait revêtue des habits floraux, les premiers pétales des fleurs portés par le vent formant autant de tableaux chamarrés aux tons pastels sur les eaux tranquilles du cours d'eau placide qui séparait la capitale du Comté en deux ensembles, deux agglomérats : la rive droite, la plus vaste ; organisée entre la Vienne et l'Aurances, elle se divisait entre la Cité proprement dite et le Château, grand et bel espace de pierre où les décisions du Comté se décidaient en conciliation entre le Comte et ses conseillers. La Cité, elle, accueillait la plupart des centres marchands, et les guildes corporatistes.
Rive gauche, on trouvait installés, autour d'une Eglise, nombre d'artisans qui travaillaient gaiement, emplissant la zone d'une activité effrénée qui ne s'arrêtait jamais : en effet, la nuit, l'endroit susdit, où de nombreuses tavernes, bouges, bordels, trous-à-miquelots, baise-rapines se trouvaient, bourdonnait de l'activité prolifique des gens de la nuit, qui perdurait jusqu'au matin. Au-delà des murs s'étendaient nombre de bâtisses de fortune, qui serpentaient dans la campagne autour des portes principales, jusqu'aux hauteurs de Panazol, celles de Saint-Lazare, et deux cours d'eau quasiment parallèles, l'Auzette et la Valoine. Ceux-ci passaient dans les quartiers de fortune du pied de la cité, s'étendant, puisant dans les souillures des bas-quartiers, avant de repartir, de sortir de Limoges, en allant notamment vers... Isles.
Car la Vicomté d'Isles, fort bien située, n'était qu'à moins d'une heure de cheval de Limoges, ce qui expliquait peut être son importance assez consistante aux yeux de la lactifère Marche, Nébisa de Malemort, si l'on excluait bien entendu l'influence du père du marmot.

Rive gauche.


Objectif : ne pas jouer les héros...

Un petit coutel à la ceinture, une cape brune arpente les rues de la capitale Comtale, et surtout de sa rive gauche. Des mains noircies au charbon et à la boue, un visage lové sous un chaperon, et un nez crochu reconnaissable entre tous se montre, un panier au bras. Une voix forte, presque éraillée par la durée, sermonne à tue-tête des propos inintéressants pour le plus grand nombre, ponctués de :


- " MAAAAAAARRRRRCHANDIIIIISES ! Allons, mes bonnes ! MAAAAAARRRRRCHHHHANNNNDIIIIIIIISES du Franc-Comté d'Bourgogne ! De biaux verres, des aiguilles, du fil pour vos guenilles ! J'en ai du sinople, j'en ai du azur, j'ai mêêêêêmeuh du fil d'oooooor ! Allons, loqueteux ! Raccomodez-vous les frusques à bas-prix, et profitez de votre jouuuuur de chaaaaaanceuuuhhh !

...

MAAAAAARRRRRRCHHHAAAANNNDIIIIIISES ! "


Affublé d'un doublet sans grand intérêt, d'une cape élimée, d'un chaperon commun et de bottes usées jusqu'à la trame dont les semelles commençaient à avoir la dalle, ses chausses prenant abondamment l'humidité ambiante, c'était ainsi que le jeune Vicomte déambulait clopin-clopant, le pied déjeté par une déformation du cuir de sa botte qui lui enflait le talon, les pieds poisses, et les godillots fendus. Il y était depuis le matin, et s'en retournait désormais à l'Hostel de Lazare, qui était situé rive droite, dans les recoins de la Cité les plus proches du Château. Le gamin avançait ainsi, trainant le pied gauche, son grand panier sur les bras. L'air était encore bon et pas trop humide, et seule la pluie persistante des derniers jours donnait encore aux rues de la Capitale l'allure d'une cité du bord de mer, balayée par le vent iodé et les embruns. Le godelureau évitait soigneusement de trop ouvrir la bouche devant certains bouges, et slalomait de façon intelligente entre les miquelots de bas-étage, les tire-laines décrépis, et les maquerelles sans le sou, évitant les ruffians, les tire-fesses, les coupeurs d'oreilles et de joncs qui parsemaient les rues. Comme bien souvent dans les villes de l'époque, être un jeune homme, être étranger, et être marchand était cumuler un nombre assez invraisemblable de dangers, de possibilités d'agressions physiques et verbales. Car vendre des choses, en soi, n'était pas trop compliqué : il fallait simplement s'accommoder des bandes organisées, centralisées, avec guetteurs, observateurs, fureteurs, fouineurs, égorgeurs, gros-bras, trous du cul et enjôleurs, qui vous accostaient dans une ruelle nauséabonde et vous pompaient le jonc et vos clicailles, vous laissant à poil, recommencer votre petite vente et revoir le même scénario cent mètres plus loin, quand vous aviez changé de rue. C'était donc à un slalom constant que s'était livré le jeune garçon toute la journée, tâchant d'éveiller l'attention (car il l'éveillerait forcément, il ne fallait pas être stupide : un marchand ambulant !), mais de la façon la plus juste et la plus anodine possible.
Il avait pris son rôle de petite frappe, vendeur de trucs et machins sans importance très au sérieux, presque en sacerdoce.

Car Adrian connaissait la rue.

Il était loin, le temps où il déambulait dans les rues avec Luthi', à faire le con, à provoquer les enjôleurs de belles dames dans des duels à trois sous, à se bagarrer avec les groupes de gamins pouilleux qui se croyaient rois des rues miniatures.(1)
Luthi' avait encore, à cette époque, les premiers réflexes des gamins des rues : celui d'avoir toujours l'oeil aux aguets ; celui de se prévoir toujours une porte de sortie, pour éviter les corrections ; celui de ne jamais trop adresser la parole aux "grands", et de ne pas les regarder trop haut ; l'art, aussi, dans les rapines, de calculer le temps qu'il fallait au guet pour faire le tour des quartiers ; qui payait ce guet pour qu'il se taise et laisse faire ; qui, donc, il valait mieux éviter. Et ces sorties avaient provoquées, chez Adrian, un attrait nouveau pour le monde de la rue, monde très inhabituel s'il en était pour un jeune noble, représentation médiévale et européenne de la jungle obscure et froide, où seule la force domine, et où l'argent et la puissance physique font la loi. Cela avait été une occasion pour le jeune gamin de se surpasser, de survivre en environnement hostile, et de prendre confiance en lui. Adrian connaissait donc l'argot des rues de Paris. Il connaissait l'art du déguisement, celui de chercher l'information, celui de boire, celui d'éviter les dangers qui, toujours, dans les villes, cherchaient à vous sauter à la gorge. C'était comme remettre dans la mer un poisson d'aquarium : une retrouvaille heureuse, mais demandant un peu de réadaptation. Et Adrian de se dire qu'il avait hâte de bientôt revoir son couillu, son Courien, son meilleur ami : Luthifer, filleul de Rhuyzar et Ilmarin. Bon d'la !

Adrian arrivât enfin sur le grand pont, l'un de ceux qui séparait la ville en deux au-dessus de la Vienne. Il saluât l'un des gens du guet qui s'occupait de s'acquitter des taxes de péage, qui le laissât passer sans rien lui demander : car sa porte de sortie, pour le jeune Vicomte, n'était rien de moins que ce pont. Aussi lui avait-il rendu service, en écrivant notamment une lettre pour une bouchère du "Cochon maingre", qui était mariée, mais avait la viande aussi tendre qu'un cochon de lait (information obtenue auprès de l'intéressé). En échange de cela, il avait fait tout son petit discours à l'homme, qui s'appelait Grangibert, à qui il manquait trois dents, et qui avait une tâche de vin sur le mollet gauche. Ces informations, presque anodines, permettraient au besoin au Faucon, en cas de coup dur de sa part, de le retrouver...
Ce pont "libéré", au cas où il devrait courir et fuir, Adrian avait ainsi pu entamer sa descente dans la vieille rive gauche, et dans ses bouges mal famés. Et passant devant une auberge de plus haute classe que celles de l'autre rive, puis devant un tapissier vendeur d'écarlate italienne, il se remémorât ainsi sa journée.

Le pont n'avait été qu'un début.


Nous savons beaucoup et très peu. L'assassin a utilisé une arbalète, arme difficile à se procurer.

Et de fait. L'arbalète est un instrument de jet inventé par les Chinois, et dont la présence en Europe remonterait à l'Empire romain d'antan, et donc à près de 1200 ans auparavant. Son avantage principal était d'être la première arme permettant, en série, d'avoir des projectiles de taille et de caractéristiques identiques, permettant surtout, au besoin, le stockage de plusieurs projectiles à l'affilée (comme les Chu ko nus, les arbalétriers chinois) au-dessus de la corde, dans une sorte de chargeur.

De plus, l'arbalète, contrairement à l'arc, ne demandait aucune force : on pouvait l'armer sans grand effort, viser sans grand effort, tirer sans effort, là où un archer, lui, et notamment les Grands arcs d'if Gallois, avaient besoin d'une force constante pour bander l'arc, garder la corde tendue, viser en tir parabolique, et tirer avec une précision similaire. L'apprentissage de l'arbalète était ainsi beaucoup plus simple que celui de l'arc, à condition de satisfaire à quelques règles simples, comme le fait de ne pas viser dans un angle descendant : car les arbalètes de l'époque ne disposaient pas de systèmes de blocage de carrel.
La vieille dichotomie entre l'arc et l'arbalète sur un champ de bataille n'avait que peu d'importance vue les circonstances actuelles : car l'arme qui avait tué le Chevalier Stannis le Ray était effectivement dure à se procurer. Alors qu'un arc pouvait se trouver quasiment n'importe où, l'arbalète était une arme militaire, limitée quasi-exclusivement à l'usage des milices urbaines, des osts, des ordres royaux ou religieux. Elle était plus simple de fabrication que des arcs de qualité militaire (comme ceux utilisés par les Mongols, arcs composites faits de tendons, d'os et autres matériaux), mais tout de même difficile à faire pour nombre d'artisans : il n'était ainsi pas rare que, dans les villes, seuls quelques artisans connaissent sa fabrication, qui ne s'ébruitait pas trop. Ainsi à Limoges, le monopole des arbalètes était-il gardé par trois ateliers de charpentiers associés à des forgerons, qui fournissaient le Castel et la caserne de la milice.
Mais les voies pour obtenir des arbalètes étaient diverses : et la plus simple consistait à dépouiller, purement et simplement, des soldats morts sur le champ de bataille. Si l'on se reportait à Crécy, près de 3450 arbalètes génoises n'avaient jamais été retrouvées, laissant donc imaginer le nombre colossal d'armes illégales peut être en circulation.


Je rejoins l'avis du grand maitre qui pense avoir à faire à un homme rompu à l'exercice des armes étant donné que le maniement de l'arbalète est un exercice compliqué et que son tir a été précis et sans faille

Phrase effectivement lourde de sens : car le tir à l'arbalète n'était pas ce qu'il y avait de plus simple. Mais la liste des possibles était encore longue, les osts de l'époque se constituant de conscrits, d'enrôlés à la hâte que l'on libérait après coup, une fois la solde payée. L'on avait créé les compagnies d'ordonnance, à l'époque, pour éviter que les soldats désoeuvrés ne pillent et ne rapinent, et le Limousin, à cette époque, était l'un des seuls duchés à comprendre sur son territoire une Compagnie d'Ordonnance clairement constituée. Mais la liste était tout de même limitée par le fait que les arbalétriers, généralement, gardaient leurs prérogatives.

Il connait également les lieux puisqu'il s'est posté à un endroit en hauteur de la salle d'audience, parfaitement adapté à ce qu'il voulait faire. Habitant du Limoges ou y ayant des contacts sans aucun doute. Il est déjà rentré dans cette salle ou quelqu'un lui a décrite avec assez de précisions...

Adrian pestât intérieurement, se maudissant d'avoir marché dans quelque crottin de cheval. Se frottant le pied, il saluât de la tête une vendeuse d'oeufs aux seins petits mais fermes, qui arpentait la rue qui montait vers le Château à partir du pont, battant les pavés de ses sabots au bois humide.
Il hâta un peu le pas.


L'arbalète devait être de petite taille puisqu'il a réussi à la dissimuler sans attirer l'attention des gardes. On n'en trouve pas partout, ce qui nous est un avantage.

Autre avantage de poids, qui permettrait d'éliminer la plupart des gredins ordinaires : car une arbalète miniature demande des moyens, étant plus coûteuse qu'une arbalète ordinaire. Elle mettait la plupart des ennemis ordinaires de Stannis le Ray hors de cause, chacun manquant probablement de moyen pour une arme coûtant aussi cher qu'une épée de bonne facture (ce qui, à l'époque, approchait du prix d'une voiture).

Adrian avait écouté. Il avait parlé. Il avait perdu l'habitude de chercher la petite pègre locale, et avait commencé dès la matinée commencée à vendre ses petites marchandises. Il avait donc été pris à parti, quelque 47 minutes et 23 secondes très exactement plus tard, par un groupe de trois hommes, sentant le vin coupé à la craie, la mauvaise viande avariée et la l'haleine syphilitique, qui lui avaient indiqué que s'il voulait conserver ses dents, il avait ainsi intérêt à leur verser 15% de ses ventes, et qu'ils agiraient alors pour sa... protection.
La discussion s'était engagée : le jeune garçon faisant l'innocent, augmentant volontairement son accent de Franche-Comté (très campagnard et encore plus paysan que celui des Limougeauds, ce qui n'était pas peu dire...), demandant les lieux intéressants de la ville. Il s'était bien entendu fait envoyer balader, mais avait persisté. Il avait ainsi été voir deux ou trois propriétaires de bouges infâmes, où, régularisé avec la bande qui tenait les lieux, il avait continué la discussion, réussissant en quelques heures à vendre une bonne partie de sa verroterie, en arguant du fait qu'il s'agissait de produits "exotiques", provenant des "montagnes très loin à l'Est". Et... le petit aurait été très bon, en vendeur. S'il avait eu la moindre notion du sens de l'argent, et d'effort fourni pour le gagner...

Car Adrian était noble. Fallait-il l'oublier ? Il ne savait pas ce que coûtaient les choses. Il ne savait pas, par exemple, qu'on ne donne jamais gratuitement un quatrième verre en verre fin pour trois achetés ! Qu'on ne propose pas à un client un "essai" de la marchandise, surtout quand celui-ci est déjà ivre à midi... Et s'en va vomir dedans, et le briser contre un mur en riant. Il ne savait plus, non plus, que l'on évitait de se mettre les gens à dos, quand le dit-verre était réclamé comptant à un ivrogne qui n'avait rien pour payer... Et ainsi, il s'était abondamment fait couillonner sur les prix de vente des marchandises, perdant abondamment au change, et se constituant un gagne-pain si faible qu'il ne pût, le midi, trouver de quoi se sustenter.
Certes, son panier avait diminué en contenance de moitié ! Mais il ne put finalement s'acheter qu'une miche de pain rassis le midi, réprimant une envie furieuse de retourner récupérer son argent à son Hostel.
Il discutât finalement avec un soldat du gué lors du déjeuner de celui-ci, où une taverne leur servit de cantine. Il sut ainsi que l'on ne devait pas tourner autour de l'ancienne Eglise saint-Georges, sise à proximité immédiate des murailles. Qu'elle abritait un bon groupe de trousse-goussets, prompts au coutel comme au jugement, surtout sur les étrangers. Par bonheur, le petit n'avait rien d'un juyu... Il apprit l'incendie provoqué au Château de Limoges la nuit dernière, et en entendit constamment parler à partir de là : dans la population des bas-quartiers, une atteinte au pouvoir était chose trop jouissive pour passer inaperçue. Et ce fût ainsi qu'il découvrit l'information principale de sa journée : qu'un certain Grandjolin, l'un des malfaiteurs les plus connus de Limoges, était supposé être à la base de l'incendie qui avait touché le Castel de Limoges. Il eut vent de l'enlèvement perpétré alors, notamment sur l'une des plus puissantes nobles du Comté, et sur la fille de Nébisa de Malemort. Et, malgré le fait que la situation se soit aplanie avec la Malemort, le jeune Faucon ne put réprimer un franc sourire de contentement. Car oui, Adrian Fauconnier n'avait pas encore pardonné à la Malemort d'avoir copulé avec son père, et d'être la mère d'un bâtard de son modèle de père. Nul n'était parfait...

En fin d'après-midi, le jeune homme en profitât pour avoir quelques informations sur les armuriers. Il alla surtout voir des forgerons des bas-quartiers qui, désireux de montrer leur science à un minot féru de science militaire (il appuya sur le fait qu'il voulait devenir arbalétrier car le cousin de son grand-oncle maternel avait une arbalète fantastique : c'était un cranequinier). Et ces hommes, ignorant pour la plupart les principes de fonctionnement de l'arme immorale qui avait été interdite voilà près de deux siècles par le concile de Latran (1165), eurent dans leur téléphone arabe quelques informations judicieuses à lui transmettre. Une arbalète de poing était effectivement faisable, mais essentiellement en Italie. Les italiens, et extrêmement les Génois, étaient des maîtres incontestés dans l'utilisation de l'arbalète : peut être la proximité du Saint-Siège, en l'occurrence, augmentait-elle les besoins d'impiété...(2) Et dans leur fabrication. Mais ils étaient les seuls reconnus aptes à faire des arbalètes "miniatures", que l'on pouvait dissimuler sous un mantel. Il était possible depuis quelques décennies, grâce à un système de blocage du vireton, de tirer à l'arbalète vers le bas, en s'appuyant sur ses capacités de tir. Mais, comme toujours : cela demandait une connaissance approfondie de la chose.

Et... Ce fut en ayant payé un godet au forgeron aimable qui lui avait appris cela, que Adrian Fauconnier de Riddermark, grimé en petit vendeur à trois sous, rentra à l'Hostel de Lazare, raconter tout ce qu'il savait au Chevalier de Vergy, en fin d'après-midi, comme il était dit. Et ce, sans aucun retard. Son panier était quasiment vide, il n'avait quasiment pas un sou en poche, et s'estimait de son propre avis comme le meilleur Chevalier du monde, car il avait trouvé une information. Une information colossale, en somme : l'incendie de la nuit dernière était trop proche de l'assassinat du Chevalier pour être anodine, et cette histoire d'enlèvement y ajoutait du sel. Y était mêlé une ombre, un personnage de la nuit: Grandjolin, dont il ne savait pas qui il était, ce qu'il faisait, ni pourquoi il le faisait. Mais c'était toujours une information, n'est-ce pas ? Il frappa ainsi à la porte, et, montrant qui il était au serviteur qui lui ouvrit, marchât vaillamment à l'intérieur de l'Hostel, changer de frusques, manger, et se réchauffer.

Dieu, que c'était épuisant d'obtenir des informations.


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(1) : Voir à ce sujet le RP approprié, à la TDR.

(2) : L'arbalète, tuant à distance et sans entraînement des chevaliers ayant consacré leur vie à l'art de la guerre, fut déclarée arme déshonorante à ce fameux concile de Latran. Pour ceux se souvenant des récits de la guerre de 100 ans, on peut donc facilement rire de la Chevalerie Française, apôtre de l'Esprit chevaleresque, utilisant des arbalétriers génois face à l'Angloys à Crécy comme à Azincourt.
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Cerridween
[ Némésis se met en marche...]

Une silhouette s'avance dans les rues de Limoges sous un mantel marronâtre et usé. Comment reconnaître la maitre d'arme qui était entrée un jour plus tôt dans l'hôtel du Grand maitre de la Licorne... difficile. Décidément l'intendant avait répondu à ses attentes avec un brio et une précision qui l'avait laissée pantoise.

La chevelure feu est sagement cachée sous un fichu noir noué sur la tête de façon peu académique, loin de celle de la femme rangée, lui même dissimulé sous la capuche du mantel. La figure est toujours marquée à la pommette de cette blessure qui cicatrise mal. Mais elle l'a intégré au personnage. Elle a polie son nouveau rôle, travaillé avec soin. Ses joues ont été creusée par un peu de cendre dont la trace a savamment été atténuée. Seuls les yeux restent de ce vert piquetés d'or, seul élément qui ne peut être changé ni caché derrière un masque. Il a fallu ruser. Utiliser ses faiblesses pour les intégrer à celle derrière laquelle elle se dissimule. Une mercenaire. Une mercenaire blessée et donc à court de travail. De quoi laisser pendre son bras gauche sans être trop regardée de travers, bien qu'elle ne détonne pas dans les quartiers mal famés que foulent ses pas. Elle simule une très légère boiterie sur la jambe du même bord, pour prouver son inaptitude à se battre de manière efficace. La commotion sur son visage ne devient par là même qu'une broutille, qu'un élément du décor qu'elle a composé. Côté vêtements, grand changement avec la rigueur qu'elle arbore à son habitude. Un joyeux mélange la couvre maintenant. Une chemise écru de bas étage couvre ses épaules. Mais dangereusement ouverte et déboutonnée. Le décolleté avorte, pour être barrée par le cuir d'un corset, découpé dans une brigantine qui serre sa taille et qui a l'avantage de maintenir son dos et son flanc meurtri sans que sa démarche bien trop droite soit un soupçon. Il met en valeur un collier fait de perles dépareillées, d'une médaille faite d'une pièce et de rubans chatoyants. Des chausses moulantes, bien à la mode bien que dans un tissu peu dispendieux et ocre, se déroulent sur ses jambes terminées par des bottes cloutées, les siennes, seul élément qu'elle a gardé de sa garde robe habituelle. Autour de sa taille, un foulard rouge foncé qui souligne avec outrance chaque mouvement. Une ceinture dont le cuir a été malmené portant plusieurs traces d'usure de sangles. Elle soutient un imbroglio de lacets de cuirs de différentes couleurs soutenant une dague -Miséricorde, son épée licorne, trop voyante est restée à l'hôtel- une besace et un couteau. Dissimulé dans son dos, lové dans la chute de ses reins dort à l'abri des regards son couteau de lancé habituel. Ainsi marche Jezabel, mercenaire à la déroute, couverture d'une maitre d'arme en marche vers la vengeance froide qu'elle a promise.

Elle fait comme indiqué à Adrian. Elle commence par le bas. Par la fangue, par la boue et les bas fonds. Les bouges. Ces tavernes où se retrouvent tout ce qu'il y a de plus louches et de canailles. Elle entre, comme un bateau à la dérive, se pose dans un coin, avale un verre en observant les alentours d'un oeil droit, la tête levée, revêche, le regard parfois mauvais. Les deux premières ont été un échec. A part quelques petits voleurs à la tire, des grandes gueules et des petites frappes, elle n'a rien vu. Rien apprit de bien valable non plus. En tout cas pas pour ce qui l'intéresse elle. Un assassinat d'un héraut. Ils en parlent mais tous n'ont que les mêmes questions qu'elle a la bouche. Personne ne sait. Personne ne sait qui, même si tout le monde sait comment. D'ailleurs le récit colporté par le bouche à oreille prend des proportions dantesques. Certains parlent d'un fantôme, d'autres des In Ténébris eux-mêmes qui seraient sortis de la Cour après des mois de silence pour un coup d'éclat. Elle a dû réprimer un rire, transformé en sourire dédaigneux, concernant les rumeurs d'un retour d'un mort. Quant aux In Ténébris, ça ne leur ressemble pas dans le modus operandi ni dans le silence. Ils auraient revendiquer l'acte. Certains parlent d'un coup monté par les membres de la liste Etincelle, à laquelle l'ancien juge s'était attaqué. Mais rien de sûr, pas de nom, seulement des rumeurs, des bribes impossibles à utiliser.

La soirée semblait tourner à la déconfiture quand elle entre en dernier espoir de cause dans un des plus reculés. Les émeraudes scrutent l'intérieur sur le pas de la porte lorsqu'elle la referme. Rien de bien plus différents que les autres. Toujours le même brouhaha des bavardages, des cris et des rires gras. Les mêmes effluves d'alcool, les mêmes tables luisantes de bière et de vin. Les mêmes silhouettes découpées par la lumière diffuse des lanternes et des bougies qui vomissent leur cire sur tous ce qui tombe à leur portée. Même trognes cassés, mêmes regards en coin, mêmes dés qui roulent sur le bois, comme tintent les écus pour honorer paris et boissons. Le bouge de Pratchett disait l'enseigne... cela aurait pu être n'importe lequel.

La rousse encapuchonnée commence à route d'un pas chaloupé vers une des tables du fond de la salle, près du mur et encore inoccupée. Elle prend l'air blasé de celle qui a déjà vu, bien pire ou bien mieux, et traverse les agglomérats de tables et de corps assis ou debout. Tout d'un coup une grimace se cramponne à ses lèvres quand elle sent une main lui peloter sans vergogne les fesses. La suite va très vite. La lame de son couteau brille un instant à la lueur des flammes et se reporte sur l'entre jambe de l'édenté qui était dans son dos et qui perd, d'un coup, son sourire salace pour des yeux de merlan frit.


Dégage ou je te la fais bouffer...

Elle a apparemment été convaincante dans le ton rauque et le regard menaçant puisque le gars fait doucement marche arrière sans pour autant se départir de son regard lubrique... le poignard est rangé aussi vite qu'il est apparu et elle continue droit vers sa cible de bois. Elle y jette son mantel avant de s'assoir, les pieds sur la table. Une servante blonde plantureuse, dénudée à souhait s'approche un peu dédaigneuse pour cette énergumène de la gent féminine qui lui rapportera pas un rond de pourboire pour service à corps rendus.

De la gnole, ma belle...

La main de la rousse glisse sur le bois gras pour pousser une pièce de gros calibre, regardant la servante d'un doux sourire en coin.

A votr'service ma jolie...

La blonde empoche vite la piéce mais se fend d'un sourire un peu plus avenant, comme si elle envisageait la possibilité qu'après tout, madame soit aussi une potentielle cliente de l'étage au dessus. Quelques minutes après, un verre et un cruchon sentant fort l'alcool frelaté sont posés devant elle. La rousse entreprend de boire à petits coups, simulant les grandes gorgées de celle qui ne sait plus faire que ça à défaut de manier une épée ou une arme au service de quelqu'un. Sans avoir l'air elle regarde autour d'elle. Sur la table avoisinante, trois hommes parlent avec dans les yeux une lueur d'intérêt et de respect. Dans le brouhaha de la taverne, la rousse n'entend pas tout, bien qu'ils parlent sans chuchoter, sûrement un peu moins méfiants vu les trois cruchons dont un, renversé sur la table, montre sa gueule vide. Mais quelques bribes accrochent ses tympans et ravivent l'espoir qui semblait ne pas être de ce soir.

L'grand adonis et son maitre sont partis... dit celui qui semble être le plus petit des trois.

Elle n'entend pas la suite vu qu'un broc se brise près d'eux suivi du juron du poivrot qui a renversé sa muse. Lorsqu'il s'éloigne enfin en titubant elle capte de nouveau la conversation.


La camarde a empoché un pécule énorme... surenchérit le bedonnant qui lui fait face.

Le troisième écarte les lèvres d'un petit sourire amusé. La rousse le détaille. Un seul mot lui vient à l'esprit. Immonde... des cheveux noirs filaceux luisant de gras, un teint de cire... des traits creusés, des lèvres couleur craie si fines qu'on les diraient inexistantes... des yeux d'un bleu si clair qu'il en est inquiétant. Et une façon de se frotter les mains qui ne lui dit rien qui vaille. Surtout couplée à son air de serpent.

La maitre d'arme tique... un pécule énorme... ça n'a rien à voir avec tout ce qu'elle a entendu de toute la soirée. Un gros pécule. Pour quoi ? Assassiner quelqu'un avec une arbalète ? Un gros pécule pour un gros poisson. Un juge, un héraut et un Licorne. A savoir si c'est pour un des trois grades en particulier. Et savoir déjà et avant tout, si c'est pour son affaire... couplé au nom « la Camarde », qui semble un nom ironiquement choisi, comme celui de la Malemort, cela ne sent pas bon de toute façon. Il va falloir qu'elle les piste ces trois là, sans en avoir l'air, pour en avoir le coeur net. Au mieux elle tape dans le mille, au pire elle déjouera autre chose, qui lui passera les nerfs...

Les yeux de l'homme aux allures de vipères se lèvent sur elle avant qu'elle ait pu baisser les siens. La lueur d'interrogation qui s'y allume se transforme en lueur lubrique. Première réaction viscérale chez la Pivoine : le dégout. Le frisson est réprimé in extremis comme le rictus qui allait se peindre sur ses lèvres. Comment imaginer ces mains sur... et surtout penser à ce qu'il peut être en train de penser pendant que les yeux se baissent pour se plonger sur son décolleté plongeant. Mais c'est une issue. Une issue profondément ragoutante, détestable, mais la seule qui s'offre à elle si elle veut en savoir plus. Lorsque les yeux de l'homme se relèvent, il trouve sur le visage de la rousse un sourire en coin et des yeux pétillants... alors qu'à l'intérieur elle réprime un haut le cœur. Doucement la main de la rousse caresse subtilement la table sans le lâcher des yeux. Le regard bleu terrifiant est capté, hapé et elle ne le lâche plus. Elle minaude une seconde, regarde ailleurs, puis reporte ses yeux sur lui. Il la fixe toujours de cette lueur horrifiante... poisson ferré. Lentement les jambes quittent la table et elle s'étire comme un chat dévoilant ainsi son corps tout entier à sa vue. Nouveau sourire plus franc, effronté, tentateur lancé comme un trait vers le serpent qui ne bronche pas mais qui ne la quitte toujours pas des yeux, le regard fixe, figé, répondant fugacement à ses compagnons de tablée. Nouvelle fuite du regard pendant qu'elle s'accoude à la table, buste penchée en avant. Nouvelle minute à regarder ailleurs avant qu'elle le regarde de nouveau sans se départir de son sourire. Elle joue, elle joue, en tirant petit à petit sur la ligne, sans en avoir l'air. Il ne manque plus que le coup de grâce.

Elle avale son verre cul sec avant de se lever et de prendre sans se presser son mantel. Long regard vers l'abject personnage, avant de partir vers la porte en louvoyant sans se presser. Elle referme la porte de la taverne et retrouve le silence des rues maintenant emplies de la faible lueur lunaire. Après avoir vérifier qu'elle était seule, elle recrache la grande gorgée de mauvais alcool au sol et commence à s'engager dans la rue avant de se poser contre un mur, attendant les bras croisés. Un petit temps s'écoule avant que la porte s'ouvre et qu'il sorte. Elle sourit en coin avant de décroiser les bras et de s'engager avec une lenteur diabolique vers une petite ruelle attenante. Elle jette des regards amusés en arrière, tout en délassant son mantel qu'elle laisse tomber avant de tourner au coin... ses pas la mènent jusqu'au fond de ce cul de sac où elle s'adosse au mur, mains derrière la nuque, cambrure dévastatrice et pose langoureuse. Le long de son cou, son poignard...

Elle le laisse s'approcher en essayant de garder son masque qui menace de tomber tant l'idée qu'il s'approche et qu'il la touche la rebute. Il apparaît au bout de la rue et avance. Elle attend... difficilement serrant le manche du poignard pour réprimer ses angoisses et son dégout. Il s'approche, avance une main qui souligne sa poitrine et ses hanches... puis ses lèvres fines s'entrouvrent. Eclair argenté qui zèbre l'espace devant ses yeux, main senestre qui le jette contre le mur avant de se poser sur sa bouche pendant que la dextre plaque la lame sur sa jugulaire. Les yeux sont remplis maintenant de haine froide, le masque git au sol. Un murmure menaçant vient sonner à son oreille.


Tu as déjà entendu le gargouillis d'un égorgé le soir au clair de lune...?

Une seconde de silence pour le laisser s'engluer dans la peur qu'elle sent monter comme les gouttes de sueur qui viennent piqueter ses tempes.

Tu bouges, tu es mort. Tu hurles, tu es mort... compris ?

La main gauche se dégage de la bouche avec précaution, pendant que la droite appuie un peu plus sur le cou laissant perler à la pointe une goutte de sang. Le murmure se pose, implacable.

Tu vas gentiment me donner l'identité d'Adonis, de son maître et de la camarde. Et la raison de la forte somme qu'elle a reçu. Du moins si tu ne veux pas rejoindre cette nuit les Enfers...
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--Langue_de_serpent



Douce clarté lunaire qui illuminait son pale visage. Ses cheveux noirs et filasses tombaient en cascade sur sa robe noire tachetée. Celle là il l'avait facilement volé lors d'un passage de marchands de tissus il y a de ça un an... ou peut être plus. Le sournois n'avait aucune connaissance de son âge ni même du temps, l'esprit trop embrumé le plus souvent par les effluves de l'alcool frelaté de son bouge préféré.

Le Limousin, Limoges... Combien de temps avait-il passé ses nuits à boire, forniquer ou tergiverser de sujets tous plus secrets que dangereux ? Mais le danger, profondément il adorait cela même si le plus souvent il était couard.
Le combat n'était pas sa spécialité oh non, plutôt mentir, manipuler, recruter des mercenaires, mener des complots, bref un homme de parole. Un orateur vicieux, une "langue de serpent". C'était d'ailleurs ainsi son nom. Son enfance ? S'il devait s'en rappeler c'est qu'il serait aux portes de la Mort...
On dit souvent que l'on voit défiler sa vie quand Hadès venait prendre notre âme.

Il n'était pas de cette contrée, avait personnellement fait en sorte d'oublier son propre passé et ses vieilles relations afin de ne pas pouvoir être touché moralement et pourquoi pas physiquement. Même jusqu'à son propre âge. L'alcool aidait beaucoup, surtout s'il était mauvais.
Mais malgré tout le sournois personnage restait assez conscient pour conclure diverses affaires ou causettes intéressantes. Cela allait de la simple donation d'information à l'assassinat.

Il avait de nombreux ennemis mais savait s'entourer d'idiots puissants en manque de vie. Dommage qu'il dû se séparer de deux gros clients... Ils étaient une bonne information pour tout les nobles qui souhaitaient se débarrasser de problèmes.
Et puis il l'aimait bien ce bossu et ces dents jaunes, ils étaient bien sympathiques et drôles même si le premier avait toutes ces qualités inscrites dans ces bras plutôt que la tête. Pire intelligence qu'un escargot se jetant sous les roues d'un carrosse, du jamais vu.

Il fallait bien les connaitre ces deux scorpions... Ils avaient un certain passé bien méconnu et connu à la fois. Capturer la princesse Armoria et faire du chantage tout de même, voilà de vrais brigands. Mais ils étaient partis, il le savait. Depuis que...


J'te sers quoi ma Langue d'serpent ? T'jours la même chose ?

Regard azur sur la poitrine qu'il a connu maintes fois ; ah la servante des taverniers du Bouge de Pratchett, de grandes nuits de folie ! Et tout ça pour pas cher ce service. Pour sûr qu'il resterait un fidèle client. Un sourire des plus vicieux vint souligner les traits creux de son visage couleur cire, suivi d'un clin d'œil. La blondasse reparti en lui rendant la politesse.

Puis ses yeux bleus vinrent croiser les deux paires braqués sur sa mince personne. De quoi parlait-il déjà ? Le plus petit de ses compagnons l'apostropha.


Bin alors t'perds ta langue l'sournois ? Raconte ! T'nous a fait v'nir bien pour une nouvelle nan ?


Puis le plus gras.

J'du quitter l'piaule d'ma préférée moua rien qu'pour ta tronche alors accouches !

Ah oui c'est vrai, les deux gaillards. Une sacré affaire...
Regard en biais à la blonde qui lui resservait un broc tandis que les allées et venues de personnes louches - en même il ne pouvait pas y avoir autre chose - suivaient le mouvement en cette heure tardive. Les tables les plus proches étaient pour le moment vides, aucun risque. Il pouvait donc fièrement leur révéler ce secret qui lui brûle de partager. Toutes les autres rumeurs étaient de toute façon de véritables histoires à dormir debout, trop généralistes ou trop précises. Une vérité se doit d'être discrète et vide de propos trop inintéressants.

En même temps le sournois savait déjà une belle partie de l'histoire et de ses protagonistes avant même qu'elle ait débuté. Sa langue de serpent tourna donc cent fois et l'histoire fût clamée à ses deux plus fidèles compagnons ; Presque aussi vicieux que lui, mais il avait une grande confiance en leur silence.

Les deux en restèrent pantois puis s'exprimèrent chacun, sans prêter attention au bruit désagréable d'un broc brisé par un maladroit.


L'grand adonis et son maitre sont partis... C'complètement dingue... C'est eux qui ont foutu c'boston au château tu dis...

Adonis l'bossu crétin dans une telle affaire... Cet homme... La camarde a empoché un pécule énorme...

C'était peu dire, s'il avait lui même un contrat d'une telle somme il achèterait le bouge entier sans réfléchir ! Pourtant quand le client était entré il n'avait pas l'air riche comme Crésus. Comme quoi les apparences sont "souvent" trompeuses. Sourire qui s'étire encore, la fierté grandissante.

Puis... Son instinct le réveilla de ses rêveries pécuniaires. Quelqu'un regardait dans sa direction. Le regard azur fût d'abord dur et terrifiant, prêt à claquer des doigts pour appeler son homme à tout-faire à quelques tables de lui-même... Puis il s'adoucit jusqu'à devenir aussi vicieux que l'animal en manque de chair fraiche.

Quelle délicieuse femme se présentait là. Le teint était moins pale que lui certes mais ses atouts ne pouvaient lui échapper. De haut en bas il l'analysa avec une ferveur méconnue jusqu'ici. Il n'avait jamais vu de plus belle mercenaire dans son bouge préféré. Et puis ce décolleté... Ce corps fin... Ces émeraudes...
Comble du comble la belle lui rendit sourire, jusqu'à lui faire plusieurs gestes qui ne pouvaient être qu'à son égard. Elle l'attirait...
Il n'aurait jamais pensé avoir telle chance se présenter...
Puis son regard se reposa sur les lignes de ce joli corps, parfait, parfait à ses yeux bleus. Elle s'était levée pour lui laisser ce plaisir. Plus de doute... Elle voulait elle aussi. La tentation... Le meilleur moyen de s'en débarrasser c'est de s'y lover...

De l'or en barres cette catin... Il ne pût s'empêcher de faire partager cette vue à ses deux compagnons. Mais rien que ce simple écart de seconde changea la donne, une vue plongeante sur son décolleté ne se fît pas attendre. Quelle poitrine... Oh puis ces yeux qui ne veulent qu'une chose.
Le sournois ne pouvait plus tenir, s'il y avait bien une chose qui ne changerait en ce monde c'était bien le charme dont était capable les femmes sur les hommes. La belle partit sans se presser et referma la porte doucettement. Un sourire enjoué à ses collègues avant que la bête vienne prendre du bon temps.

Elle l'avait attendu... La mercenaire se dirigea vers une rue dont il connaissait déjà la fin. Un cul de sac. Son imagination battait de son plein. Le vice n'avait plus de fin. Au coin, son mantel qu'il s'empressa de ramasser avant de le poser sur ses narines de cire. Mmmmm quel parfum...
Le soldat au garde-à-vous bien caché en son pagne, la langue de serpent s'approcha de cette muse du désir. La position qu'elle lui offrait n'était que la fin de son invitation. Le mantel de la belle fût jeté sur le côté tandis qu'une des mains de la bête effleurait ce corps parfait...
Les azurs se fermèrent, les lèvres s'entrouvrirent...

Le piège se referma.

Piéger, piéger comme un pigeon. Un choc violent qui se répercuta sur tout son corps frêle, un fer froid comme la mort posé sur sa jugulaire, une main qui maintenait ses lèvres, empêchant toute ouverture futile. De toute façon la surprise était trop grande pour qu'il puisse dire mot. Les émeraudes avaient perdu leur éclat d'antan, pour laisser place au feu de la colère.

Il la connaissait ? Non, impossible.


Tu as déjà entendu le gargouillis d'un égorgé le soir au clair de lune...?


Assez pour bien comprendre le message... Le souffle coupé, le cœur en proie à la panique, des gouttes de sueur perlant sur son pale front. Comment avait-il pût...

Tu bouges, tu es mort. Tu hurles, tu es mort... compris ?

Il avait au moins une chance de ne pas mourir tout de suite. Mais ensuite... La peur l'étreignit un peu plus. Qu'avait-il fait pour mériter ça ?

Tu vas gentiment me donner l'identité d'Adonis, de son maître et de la camarde. Et la raison de la forte somme qu'elle a reçu. Du moins si tu ne veux pas rejoindre cette nuit les Enfers...

La main la moins dangereuse le libéra, sa pomme d'Adam fît un rapide mouvement... Il pouvait sentir le sang le quittait à peine de son cou. Mourir ? Jamais. C'était donc pour cela qu'elle était venue. Une espionne... Et bien sûr elle avait bien ferré le bon poisson.
Il ne pouvait qu'abdiquer malgré la honte, la peur au ventre. Tant pis du reste, il voulait vivre !
La voix cassée s'éveilla.


A-Adonis ? C-Ce n'est qu'un sombre crétin ma dame.

Les émeraudes froides le fusillèrent sur place, l'engageant de continuer.

La Camarde est son maître, mais c-ce n'est qu'un m-masque. Son vrai nom est... Granjolin. C'est lui qui a enlevé la princesse Armoria il y a quelques temps de cela... P-P-Pitié laissez-moi partir.

Rien à faire, il avait beau tenter toute supplication de son regard ou de ses fines lèvres... Le même... le même regard. Implacable. La froide lame appuya son ressentiment.

D'ACCORD d'accord... Un-un homme est venu un soir, je ne sais plus lequel je vous jure ! Il était encapuchonné, je n'ai fait que lui donner le nom de la camarde, il avait besoin de lui. Une belle bourse lui fût jeté un moment...
Après je-je-je ne sais pas mais je me doute que ce n'était qu'un acompte...


Mais même cela ne suffisait pas, il sentait qu'elle savait qu'il n'avait pas tout dit... Soumis, il était soumis à un ange de la mort qui l'hypnotisait par ce regard. Rien d'autre ne comptait.


Il-Il y a eu le feu au ch-château... Je-je-je pense que Adonis et la camarde y sont pour quelque chose... C'est tout ce que je sais je le jure !

La peur le rendait fou, fuir n'était plus que la seule idée en tête. Peu importe ce qu'il fallait faire pour, l'instinct suivait la même voie. Le regard azur troublé ne cessait de supplier la femme qui l'avait piégé.
Cerridween
Il transpire la peur et l'instinct de survie à tout prix...

La Maitre d'arme n'a pas lâché un pouce de haine ou de garde de poignard pendant qu'elle lui fait face. Elle ne peut l'exprimer que par les yeux cette rage froide qui se déverse dans les yeux globuleux et effrayés qui la regarde. Il peut sentir sur sa peau la tension des doigts sur la lame, dont le fer lisse voit éclore quelques fleurs rouges d'hémoglobine. Il peut sentir les muscles arqués, tendus de la simili mercenaire, la volonté dans ses yeux, et au fond des émeraudes, cette étincelle de meurtre allumée dans un coin qui ne demande pas grand chose pour jaillir dans sa main. Elle pourrait lui laisser libre cours... ce serait si facile... et si libérateur pour une fois... mais elle a besoin de savoir. De savoir jusqu'au bout de cette source ce qu'elle peut en tirer. Les émeraudes sont plantés, vrillant le regard torve comme si elle voulait l'énucléer du bout des yeux. La langue ne tarde pas à se délier très vite.


A-Adonis ? C-Ce n'est qu'un sombre crétin ma dame.

Les émeraudes se dressent et se taillent en pointe. Et toi tu me prends pour une conne, immonde créature.... la suite... si tu veux vivre...

La Camarde est son maître, mais c-ce n'est qu'un m-masque. Son vrai nom est... Granjolin. C'est lui qui a enlevé la princesse Armoria il y a quelques temps de cela... P-P-Pitié laissez-moi partir.

Elle s'en doutait un peu que les noms donnés n'étaient pas les patronymes de baptême... mais il y a du nouveau... et quel nouveau. Le cerveau enregistre les noms, la hiérarchie et... l'enlèvement. Le visage reste impassible et glacial même si la surprise est de mise. Il a enlevé la princesse. Cela semble être un sport national pour toute personne en mal de sensation forte. Les ordres royaux, Licorne en tête, avaient préconiser de doubler au minimum sa garde et de remplacer les incompétents qui en faisaient partie. Car pour laisser échapper un tel personnage aussi souvent dans les mains de malandrins il fallait qu'ils soient de sacré manches, pour ne pas apprendre des multiples enlèvements et pour ne pas réussir ensuite à déjouer les complots qui s'étaient tramés ou étaient en cours. Mais rien y avait fait, malgré les semonces répétées. Comme pour l'escorte royale, les conseils étaient resté du vent, ignoré par les hautes instances du Royaume qui en pâtissait comme toujours...
La maitre d'arme n'entend pas la demande de pitié, d'une voix hachée par la frousse . Et pour cause ce soir et pour cette mission, elle a le droit de n'en avoir aucune. Et ce n'est pas cet abject personnage qui lui en donnera une once...
Pression de la main sur le poignard, nouvelle salve du regard... tu crois vraiment que je vais avaler que c'est tout ce que tu as dans le ventre ?


D'ACCORD d'accord... Un-un homme est venu un soir, je ne sais plus lequel je vous jure ! Il était encapuchonné, je n'ai fait que lui donner le nom de la camarde, il avait besoin de lui. Une belle bourse lui fût jeté un moment...
Après je-je-je ne sais pas mais je me doute que ce n'était qu'un acompte...


Ah tu vois quand tu veux... encapuchonné... mais tu as pu apercevoir son visage ou quelque chose... on se trahit toujours. Si tu m'avais bien regardé, au delà de ce que j'ai bien voulu mettre en avant, mon décoletté et mes hanches, tu aurais trouvé des éléments pour me démasquer. Un commanditaire donc... un commanditaire qui veut rester secret. Un homme de main pour la besogne qu'il a à faire, besogne inconnue, mais qui nécessite une bourse emplie et que l'homme qui tremble entre ses doigts lui dit être sûrement un acompte. Elle le croira sur ce point, tant il respire le vice, qu'il soit de chair ou de métal. Encore trop de questions, surtout celle du motif. Et les minutes défilent dans la ruelle... les minutes défilent et elle ne peut pas rester là. Déjà parce qu'elle est seule et que si un renfort arrive à l'impromptu, elle ne pourra pas se défendre bien longtemps. Ayant mobilisé son bras gauche encore amoindrie et limité par son dos, elle est en position de faiblesse. Et elle a besoin de réfléchir autre part que dans cette ruelle, et de le faire réfléchir avec d'autres moyens. Adrian a dû rentrer, peut-être avec d'autres informations dont elle pourra tirer d'autres questions... l'homme interpréta son silence comme une menace et continua à parler en chevrotant.

Il-Il y a eu le feu au ch-château... Je-je-je pense que Adonis et la camarde y sont pour quelque chose... C'est tout ce que je sais je le jure !

Élément nouveau... le feu ? Diversion ? Malveillance ? Atteinte au pouvoir en place ? Si c'est le cas et s'ils sont liés au meurtre de Stannis ce n'est pas la Licorne qui est visée... mais il y a trop d'incertitudes pour que la maitre d'arme, pointilleuse à l'extrême s'en tienne à des suppositions. Lentement la main gauche vient défaire le foulard rouge qui enserre sa taille et le met dans la main du serpent qui lui fait face sans déloger son poignard de sa gorge...

Bande toi les yeux... et vite...


L'homme semble encore plus intrigué et apeuré. Mais une petite secousse de la main de la Pivoine arrive finalement à le convaincre qu'il ferait mieux d'obtempérer. Une fois le tissu mis, la maitre d'arme de la main gauche met correctement en place le tissu pour s'assurer que sa vue est parfaitement obstruée. D'un geste vif elle le plaque face contre le mur. Le poignard vient jouer le long de sa colonne vertébrale avant de se poser sur sa nuque. La main gauche attrape le long poignard de lancé lové dans son dos, dont la lame effilé vient gémir d'aise en sortant du fourreau. La Pivoine s'approche de l'oreille du Serpent et murmure menaçante, le premier couteau toujours posé sur sa nuque, près à y rentrer d'un coup sec.


Tu l'entends comme il t'appelle ? C'est mon couteau de lancé... je vais m'éloigner. Mais crois bien que si tu te décolles de ce mur, il t'y plantera pour l'éternité...

La Pivoine se détache doucement du mur pour aller attraper le mantel qui paraît ses épaules, les yeux toujours rivés sur sa proie qui semble pétrifiée contre le mur. Sans le quitter du regard elle se baisse avec une grimace pour le ramasser et se rapproche de lui. Le mantel est jeté sur ses épaules, la capuche rabattue sur sa tête bien au delà des yeux pour qu'on ne remarque pas le foulard. La Pivoine réprime un haut le coeur quand elle passe un bras autour de sa taille, lovant le couteau de lancé dans son dos, pique pour le faire avancer et taire en même temps. Elle aura l'air d'une catin avec son client du soir. Et il faut faire vite maintenant. Dernier murmure, dernier avertissement.

Tu me suis en silence ou tu t'arrêtes à jamais...

Elle regarde ce qui lui semble un signe de tête d'acceptation. Le couple se met en marche. La Pivoine prend soin à chaque coin de regarder si la route est libre. Elle privilégie les ruelles pleines d'ombres, les coins noirs pour passer le plus inaperçue possible. Le poignard flirte régulièrement avec la colonne vertébrale menaçant, en piqure de rappel. Un long moment plus tard, elle toque à l'huis de la porte cochère de l'hotel du Grand Maitre.

Qui va là ?

Celle que vous attendez.


La phrase avait été convenue d'avance avec l'intendant. Jamais trop prudente la Pivoine... La porte s'ouvre sur les deux hommes d'armes qui sont de garde cette nuit et ils la laissent entrer. Elle met un doigt sur sa bouche pour leur intimer le silence et faire taire les questions.

Amenez le dans la cave. Enchainez le bien, j'arrive... n'enlevez pas le foulard surtout.

Les soldats hochent la tête et empoignent l'homme par l'épaule, le trainant vers le lieu indiqué. La Pivoine est déjà à l'intérieur. L'intendant attend dans la grand salle en somnolant sur un fauteuil près de l'âtre, une carafe de vin devant lui. La maitre d'arme s'approche doucement de lui et lui pose une main sur le bras. Le vieil homme se réveille en sursaut et la regarde avec surprise puis avec ce qu'elle interprète comme un regard soulagé.

Je vous remercie pour votre sollicitude et votre appui. Je ne vous retiens pas plus longtemps, vous avez besoin de dormir. En montant chercher du repos, pourriez vous cependant demander à mon écuyer de me rejoindre avec la besace noire bridée d'une fleur rouge qu'il trouvera dans mon coffre ?

L'intendant hoche la tête, se lève, s'incline respectueusement et regagne l'escalier d'un pas endormi.
La Pivoine se met devant le feu, après s'être servi un verre du vin abandonné par l'intendant. Un moment de calme avant de continuer. Elle n'a pas encore été au bout de son informateur. Et celui là ne devrait pas trop résister. Aux bouts de longues minutes, puisque son verre des trois quarts de son liquide pourpre, les pas dans son dos signalent la présence d'Adrian. Elle se retourne et va se caler dans un fauteuil... elle indique un deuxième au jeune homme à la mine un peu endormie, mais qui a bien trouvé la besace et entame d'une voix impatiente.


Alors qu'as-tu appris. Fais vite et bien... nous avons quelqu'un à interroger...

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--Langue_de_serpent



Une pointe d'espoir jaillit dans les azurs pour ensuite vite s'éteindre quand le bout d'étoffe rouge se présenta à eux. Sur le coup, le sournois personnage se douta de quelque chose en touchant le doux tissu...
La belle serait-elle plus riche que ce qu'elle paraissait être ? De quoi pourrait elle être capable ?


Bande toi les yeux... et vite...


Le ton toujours aussi autoritaire et froid l'extirpa de ses réflexions. Perdre la vue c'est perdre son chemin... Et perdre son chemin c'est à coup sûr mourir. Un frisson le parcourût sur toute la colonne vertébrale. Elle n'était pas qu'espionne... Elle savait parfaitement ce qu'elle faisait et pouvait en finir avec lui à chaque faux pas.

Les yeux revinrent croiser les émeraudes de la forte femme... Pas de possibilités, ni de choix. Il était soumis... Complètement foutu. Obtempérer et la fermer comme un bon petit esclave le voilà tombé plus bas encore. Surtout par une femme, il n'en avait pas l'habitude le forban. Mais sa fierté disparût très vite de son esprit tandis qu'il s'attelait à disposer correctement le bandeau sur ses yeux.

La belle vérifia et serra un peu plus fort le travail ; Puis un nouveau soupir de douleur mêlé à la surprise... Il allait finir par le connaître par cœur ce mur à force de s'y cogner.
Nouveau frisson... Le vicieux glissement d'une lame effleurant le fourreau lui parvint nettement à ses oreilles, tandis que le fer froid du poignard vint s'apposer sur sa nuque.
La perte de vision ne faisait que grandir son effroi, tout était noir... Noir comme la...


Tu l'entends comme il t'appelle ? C'est mon couteau de lancé... je vais m'éloigner. Mais crois bien que si tu te décolles de ce mur, il t'y plantera pour l'éternité...

Ce murmure, aussi glacial que l'hiver... Le rythme de son cœur avait atteint son paroxysme, son frêle corps était paralysé par la peur, ne pas bouger hein... Il ne pouvait pas de toute façon. Il tenait trop à la vie. Et cette femme, oui cette femme avait tout les pouvoirs sur sa misérable personne. Autant ne pas répondre et ne pas jouer les valeureux.
Et même, il faudrait un miracle pour qu'un mot sorte de sa bouche.

Soudain, il sentit une nouvelle chose sur son dos, puis sa tête. Il reconnût facilement le parfum du mantel...
Incognito... Mourir... Tout était flou dans l'esprit du lâche. Mais encore une fois Nemesis était là pour lui rappeler sa dominance.


Tu me suis en silence ou tu t'arrêtes à jamais...

La belle l'entoura d'un bras à la taille. Évidemment... Le coup du soir était le meilleur des déguisements. On évitait toujours de déranger quel "couple" à une telle heure et surtout près des bouges. Même son lieu préféré jouait contre lui. Ironie de l'existence.
La honte l'achevait à petit feu tandis qu'il suivait l'ange de la mort sans poser de questions ni trop réfléchir, trop occupé à savoir de quelle manière il allait survivre, un pic au dos lui rappelant sa soumission.

Les minutes s'enchainèrent sans fin. Il avait hâte que la promenade se termine au plus vite. Enfin la belle donna l'ordre d'arrêt puis toqua à ce qui paraissait au son une bien grande porte. Une voix faible pour réponse.


Qui va là ?

Celle que vous attendez.


Sésame ouvres-toi... "Celle que vous attendez"... Un... code ?... Foutredieu était-il si important que cela en tant qu'informateur ? Qu'est ce que c'était que ces foutaises ?
Il n'avait jamais touché à aussi grosse et dangereuse affaire, et surtout aussi proche de perdre.
Des bruits d'armures lui vinrent aux oreilles, des gardes sûrement. La belle le lâcha tout en donnant un nouvel ordre.


Amenez le dans la cave. Enchainez le bien, j'arrive... n'enlevez pas le foulard surtout.


Le lieu devait être un hostel de belle envergure au bruit des pas. Et puis les odeurs aux alentours étaient loin d'être désagréables... Il avait la certitude de la richesse du moins.
Maigre récompense à l'entente de la folle. La prison l'attendait... Et quoi comme surprise encore ?

Le sournois déglutit tandis que deux bras puissants l'entrainèrent dans les abysses de la cave demandée. Le silence était alourdissant et apeurant... La Mort était-elle déjà entrée icelieu ou même élue domicile ?
Le cliquetis des armures n'arrangèrent en rien la folie du Serpent. Il ne pensait plus à survivre mais de quel manière il allait crever.
Car au fur et à mesure qu'on lui scellait ses bras, l'espoir de revoir un jour son bouge se faisait un peu plus faible...

Enchainé au plafond, les bras ballants, les azurs apeurés et bandés tentaient désespérément de scruter chaque pierre de la prison, de sortir de cette pénombre. Combien de temps le garderait-elle ? Il avait pourtant tout dit même ses propres pensées...

Seul... Seul et aucun moyen de partir. Cri de désespoir tandis que les deux soldats s'éloignaient. Pour réponses ricanements des deux boîtes de conserve.

Fini. il était fini... Et aucun moyen de se reposer. S'assoupir c'était tirer sur les muscles des bras, laisser tout le poids du corps à leur merci. Et cet étirement empêchait tout passage chez Morphée. Attendre... il ne pouvait qu'attendre son bourreau.
Fauconnier
Sommeil.

Rêve.

Contrées chamarrées aux contours indécis. Antres putrides de monstres bariolés défendant des trésors merveilleux et des vierges purpurines. Armure étincelante aux reflets de soleil, avec épée fabuleuse, sabrolaser indistinct aux contours flamboyants. Banquets de retour avinés et festoyants, en compagnie de géants barbus et chevelus qui s'écroulent sur les tables, ivres de vin et de fête, après avoir chanté des chansons grivoises en portant des toasts à sa santé.
Une serveuse. Une rousse, aux tâches de rousseur. Un décolleté fabuleux, avec des seins d'une lourdeur exceptionnelle, deux outres pleines mises à la face du jeune garçon pour s'y abreuver. Le repos des héros. Des mains fantomatiques (sont-ce celles de cette petite...?) qui se glissent à sa ceinture et... Et... Hééééééééé !


- " Allons, réveille-toi, crédieu ! Plus vite que ça, allons ! "

Adrian ne sait pas ce qui est le plus gênant. Se faire tirer la couverture de sur soi, alors que la nuit est fraiche ; se faire réveiller en pleine nuit après avoir marché toute la journée ; attendre son maistre qui n'arrive pas ; ou recevoir l'haleine de PHOQUE de cet intendant de mes deux, qui laisse voir sur le lit sa chemise de nuit, éclairée à la chandelle, et...

Une érection absolument cataclysmique. Un arbre, un tronc, un promontoire. Un baobab. Une tour de Pise. Une Ariane 5 miniature. Un building au sommet sphérique. Une pyramide dressée vers le soleil.
Bon, disons-le clairement : une tension du bas-ventre telle, qu'il pourrait faire tenir une table dessus, s'il en avait besoin. L'intendant, voyant cela dans la pénombre, fait ainsi deux pas en arrière. Crétin !
Les yeux sont ensommeillés. Le flou est visible. Un borborygme inepte sort de la bouche désarticulée du jeune garçon, encore dans son rêve à caractère interdit aux moins de 18 ans :


- " Rahmemgnégueuhabagouh...

- Ah euh-rah-hem-défection... Ton maistre vient de revenir. Elle te veut frais et dispo, avec la besace noire bridée d'une fleur rouge. Elle est dans son coffre. "


Il détourne les yeux. Adrian, carnassier, le remercie de la tête, avant de lui indiquer de sortir d'un geste de la main, ce qu'il fait, trop heureux de sortir de là. Le jeune homme se lève.
Il a passé sa soirée à attendre, dînant avec les domestiques de l'Hostel. Il s'est débarbouillé, changé, et s'est finalement couché, se demandant où elle pouvait bien être passée. Et ce n'est pas vraiment le réveil inopportun de l'adolescent en plein milieu de la nuit qui le fait être grognon dès le réveil : c'est beaucoup plus le soulagement qu'il ressent à savoir qu'elle est finalement rentrée. Signe qu'il commence peut-être, intrinsèquement, à l'apprécier, cette bâtarde qui a charge de son avenir...
Il se change. Il avance jusqu'à la malle du Chevalier. Il récapitule : la sacoche noire avec... Quoi ?

Souvenir.

Un soir d'hiver, en plein rangement de la chambre du chevalier de Vergy. La dite sacoche trainant sur une étagère, et le jeune garçon, sur le point de l'ouvrir pour la regarder à l'intérieur...

ZBLAM !

La canne atterrit avec force à proximité de ses doigts. Regard affolé au Chevalier, le regard dur, qui serait presque un regard de tueur. Un regard de ténèbres, d'une froideur et d'une violence indicible. Des yeux étrécis, dont les les sourcils se rejoignent pour former une barre verticale. Des yeux fixes, dont le contenu glacerait le sang. Un regard de tueur. Un regard de Chevalier.

* Bon sang... Si... Dieu... Si elle a ce regard sur le champ de bataille, je... Oh la vache ! *

- " Ne touche... pas... à cette... sacoche. " Simple phrase énoncée du bout des lèvres, chaque syllabe étant détachée, notée, calculée. Le jeune garçon avait opiné du chef, ne pouvant détacher les yeux de ce regard.


Retour à la réalité. La malle est ouverte. La sacoche y est. Petite, si petite, au final : guère plus qu'une besace, en terme de taille. Il la prend, la soupèse. On jurerait bien... Dieu, il y a du métal, là-dedans ! Qu'est-ce que... Souffle d'air dans le couloir. La porte de la chambre grince sur ses gonds, alors que le jeune homme est fasciné par cette trousse pleine de secrets. Sursaut. Regard apeuré vers la porte. Une chemise de bonne facture, de couleur neutre, avec des braies près du corps, des bottes cirées. Pas de superficiel. Il s'empresse de prendre la sacoche, et attache sa ceinture, avec Tumnufengh. Les escaliers sont descendus à la va-vite, la main portée au mur pour pouvoir descendre dans le noir. Ses yeux ne sont pas habitués à la lumière. Comme tout enfant encore ensommeillé, il veut rester dans son rêve, dans son sommeil. Dans ce moment parfait de repos du corps, où le corps enfin se décrispe, se décontracte, et parvient enfin à redevenir naturel, comme... Avant la naissance. Il voudrait rester dans le monde du rêve, où l'on peut manipuler la réalité à son aise. Si tu savais, Adrian... Si tu savais combien, bientôt, tu regretteras de ne pas dormir. L'hostel de Lazarre n'a rien d'un gigantesque palais, et bientôt, le jeune garçon parvient à la grande salle. Austère grande salle, où une table en coeur de chêne trône, pour les dîners de la maisonnée, et où une cheminée monumentale trône, frappée du blason des Lazarre-Alterac. Il la regarde se lever, et aller s'asseoir. Première fois qu'il la revoit depuis la veille, et leur discussion...

Son érection est partie. Mais il a peine à cacher l'effet que produit le costume sur qui il est. Oui, il est habitué aux filles à blanches mains, aux demoiselles de palais. Il n'a pas l'habitude des mercenaires couturées, mais...Est-il encore dans son rêve ? Cette vision fugitive d'un décolleté audacieux, d'un corps si... parfait, n'est-elle qu'une vision de son esprit ? Aurait-il rêvé tout éveillé ? Souvenir d'un campement dans des ruines de Manoir, sur les terres de la Grande Amazone, quelque part entre Berry et Auvergne, en pleine forêt(1). Souvenir d'une robe rouge, et de la beauté qui en émanait. Ce n'était pas celle d'une femme du monde habillée et parée, pareille à une princesse. C'était celle d'une femme réelle, aux mains dont les cals rappellent la place de l'épée et de la canne, avec ses cicatrices, ses forces et ses faiblesses. Si petite... Mais capable de dévaster nombre de rangs de chevaliers. Combien de temps, Pivoine? Depuis combien de temps caches-tu tes faiblesses au monde ? Et toi, Adrian ? Est-ce de l'amour maternel, de l'affection, de l'attirance physique, ce qui te vient de cette vision d'une femme que tu ne connais en fait que très peu ? Une si grande force morale, une telle hargne, un tel besoin de vivre, en si peu d'espaces. Pour le jeune garçon privé de mère par la folie, c'était un penchant étrange qui émanait de ce corps qu'étreignait le Grand Maistre de l'Ordre, une telle beauté, avec tant de force. Un vrai chevalier de conte... Mais sans artifices, celui-ci.

Adrian s'installe face à elle. Posant la sacoche sur ses genoux.


- " Alors, qu'as-tu appris ? Fais vite et bien... nous avons quelqu'un à interroger... "

Le ton est impérieux, et sans discussion. Raclement de gorge. Le jeune homme détourne ses yeux de la vision du corps de femme qui s'épanouit à ses yeux, rappelant trop dangereusement son rêve, et plonge ses yeux dans le feu.

- " Peu et beaucoup. On dit qu'un certain Grandjolin aurait déclenché l'incendie au Château, en mettant le feu aux cuisines. On dit que Ewaele de la Boesnière et Aliénaure de Malemort, la fille de Nebisa, ont été enlevées pendant la nuit. Une patrouille a été envoyée quadriller les rues. Je n'en sais pas plus.

L'arbalète est probablement base de matériel italien. Vu le temps depuis que l'on n'emploie plus guère les gênois dans les parages, je miserais sur un achat clandestin. Ce genre de matériel n'intéresse pas les milices. J'pense qu'ils l'ont acheté exprès. Mais c'est excessivement cher. Ca réduit les possibilités, à la tête du truc. "


Version enfantine d'une journée d'enquête dans les basses rues. Il n'était pas fier de s'en être sorti entier : il était fier de ramener des informations. Et c'était en homme qu'il tournât les yeux jusqu'aux émeraudes, y guettant approbation ou désapprobation. Mais... ? Question.

- " J'vous ai ramené la sacoche. C'est... Pour quoi faire ? "

Et c'est sans répondre que la rousse tend la main, où l'enfant va gentiment poser sacoche, produisant encore une fois un bruit métallique qui intrigue le jeune garçon. Elle se lève alors, laissant le verre vide là où il est, le jeune homme la suivant, grimaçant dans son dos de la voir sembler souffrir de son côté gauche amoché. Elle avança ainsi, sortant de la grande salle, et s'aventurât jusqu'aux cuisines, d'où elle passât aux caves, par une petite échelle de bois. Et là... Adrian s'arrête un instant, avant de la suivre. Du feu. L'éclat caractéristique des flammes. Un feu dans une cave ? Quelle est cette diablerie ? Bruits de métal, en contrebas. De métal frotté. Une goutte de sueur perle sur la joue du jeune homme. Oseras-tu t'y aventurer, petit...? Et t'aventurer dans les territoires impies de la condition humaine ? Un pas. Un autre. Et Adrian, lentement, descend un à un les échelons de l'échelle, jusqu'à arriver au bas. La pièce est plus haute qu'il ne pensait. Et ce n'est pas un feu, ces lueurs : mais des torches... Des torches, éclairant une ombre, à proximité d'une table.
Adrian regarde son Chevalier. Il ne comprend pas. Jusqu'à ce que...

...

La "chose", suspendue, produise un gargarisme, faible. " nous avons quelqu'un à interroger... "

Wouoh putain ! Mais c'est pas Dieu possible ! C'est... C'est...

Un homme.


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(1) : Cf la cérémonie de passation de grade de l'Ordre des Dames Blanches à l'Ecu Vert, et le RP dans la tente de Cerridween et Enguerrand de Lazarre.
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