--Alissandre
Son parfum de rue la devança lorsqu'elle traversa le seuil gardé du château, sous le regard à la fois méprisant et admirateur d'une partie des gardes, auxquels elle retourna un sourire goguenard.
"Quoi ? Ca vous dérange ? J'ai le droit d'être là, mettez-vous la derrière l'oreille, mes gaillards ! Cette fois-ci, personne ne me coursera"; voilà en substance ce que son attitude hautaine et provocatrice laissait entendre. Un dernier jeté de mèches rousses pour achever le tableau et la Flamboyante s'enfonça dans la semi-obscurité des couloirs du Castel.
Trouver le lieu de la cérémonie n'était pas chose difficile : il n'y avait qu'à suivre soit le flux permanent de serviteurs en panique, soit le brouhaha des discussions qui s'entamaient, soit le doux fumet des vivres offerts, qui étaient la raison très précise de sa présence. La Féline ne crachait jamais, absolument jamais, sur de la nourriture offerte, et qui plus est aux frais du Comté. C'était le genre de cadeaux dont elle ne pouvait se passer.
Optant pour la discrétion, la Rousse pénétra à la suite d'un grand plateau, qui cachait tant bien son porteur que le petit gabarit de la jeune femme; elle en profita pour prélever habilement une pâtisserie, qu'elle enfourna tout de go : mmh, pas mal !
Puis elle se faufila parmi les gueux déjà dans la place et entama l'un de ses sports favoris : l'observation et l'écoute. Nul doute qu'elle glanerait ici plus de ragots et d'informations qu'en plusieurs jours à trainer dans les rues, alors pourquoi s'en priver ?
Ses yeux plissés se posèrent en tout premier lieu sur le Comte. Chose qui lui parût totalement insensée, il n'était pas gardé. Où donc étaient ses soldats ? Entendait-il rencontrer la foule sans se protéger ? La situation lui arracha un petit grognement moqueur : elle avait entendu dire qu'il était un ancien soldat, et qu'il avait participé à maintes croisades et bataille. Etait-il si plein gonflé d'orgueil et de suffisance pour se croire à l'abri du simple fait de sa réputation ? Ou peut-être pensait-il que cette drôle de femme couronnée suffirait à sa sauvegarde ?
Ils étaient idiots ces nobles. Avaient-ils oubliés qu'ils n'étaient que des hommes ? Prenez donc tous ces nobles rassemblés, avec leurs épées et leurs beaux atours, et mettez en face une foule de badauds excités et affamés, et les beaux atours ne seraient plus que charpies sur leurs jolis corps mutilés.
Un rictus de haine déforma furtivement les traits de la Féline, vite effacé par l'habitude. A quoi bon ? Elle n'était pas venue pour ce jeu-là, aujourd'hui.
Son regard continua sa ronde : là, une blonde fade, certainement pas une noble au vu de son pauvre attirail; là, un noble bougon et boudeur, visiblement un autre militaire. S'était-elle trompée ? Elle pensait qu'il s'agissait d'une cérémonie d'allégeance, pas d'un rassemblement de soldats et de leurs catins couronnées ! Un nouveau grognement lui échappa, attirant l'attention des gens autour d'elle. Elle soupira : mieux valait qu'elle se calme ou qu'elle reparte, elle n'était pas venue créer d'esclandres.
Un peu en retrait près du Comte se tenait une brune qui ne le quittait pas des yeux: la Rousse sourit, amusée. Comment ne pas reconnaître là le comportement d'une femelle amoureuse ?
Les entrées se succédaient, de plus en plus semblables : là, une autre Dame, et un autre Noble, et... ah, tiens, un messager avec un courrier, puis une autre, puis ...
La Rousse leva les yeux au ciel. Elle était arrivée bien trop tôt pour son propre bien.