Suite au nombreux courriers demandant une édition spéciale Saint Valentin et particulièrement Miss Deli, nous offrons donc ces quelques fleurs et quelques vers (au propre comme au figuré) à Camille.
Cela vous semble cruel? Non pour celui qui voit au delà des mots.
Cur Navré!
Citation:
De votre nom jorne le frontispice
Des derniers vers que ma Muse a polis.
Puisse le tout ô charmante Philis,
Aller si loin que notre los franchisse
La nuit des temps: nous la saurons dompter
Moi par écrire, et vous par réciter.
Nos noms unis perceront lombre noire
Vous régnerez longtemps dans la mémoire,
Après avoir régné jusques ici
Dans les esprits, dans les curs même aussi.
Qui ne connaît linimitable actrice
Représentant ou Phèdre, ou Bérénice
Chimène en pleurs, ou Camille en fureur ?
Est-il quelquun que votre voix nenchante ?
Sen trouve-t-il une autre aussi touchante ?
Une autre enfin allant si droit au cur ?
Nattendez pas que je fasse léloge
De ce quen vous on trouve de parfait
Comme il nest point de grâce qui ny loge
Ce serait trop, je naurais jamais fait.
De mes Philis vous seriez la première.
Vous auriez eu mon âme toute entière
Si de mes vux jeusse plus présumé,
Mais en aimant qui ne veut être aimé?
Par des transports nespérant pas vous plaire,
Je me suis dit seulement votre ami ;
De ceux qui sont amants plus dà demi:
Et plût au sort que jeusse pu mieux faire.
Ceci soit dit: venons à notre affaire.
Un jour Satan, monarque des enfers,
Faisait passer ses sujets en revue.
Là confondus tous les états divers,
Princes et rois, et la tourbe menue,
Jetaient maint pleur, poussaient maint et maint cri,
Tant que Satan en était étourdi.
Il demandait en passant à chaque âme:
« Qui ta jetée en léternelle flamme ? »
Lune disait: « Hélas cest mon mari ; »
Lautre aussitôt répondait: «cest ma femme. »
Tant et tant fut ce discours répété,
Quenfin Satan dit en plein consistoire :
«Si ces gens-ci disent la vérité
Il est aisé daugmenter notre gloire.
Nous navons donc quà le vérifier.
Pour cet effet il nous faut envoyer
Quelque démon plein dart et de prudence ;
Qui non content dobserver avec soin
Tous les hymens dont il sera témoin,
Y joigne aussi sa propre expérience. »
Le prince ayant proposé sa sentence,
Le noir sénat suivit tout dune voix.
De Belphégor aussitôt on fit choix.
Ce diable était tout yeux et tout oreilles,
Grand éplucheur, clairvoyant à merveilles,
Capable enfin de pénétrer dans tout,
Et de pousser lexamen jusquau bout.
Pour subvenir aux frais de lentreprise,
On lui donna mainte et mainte remise,
Toutes à vue, et quen lieux différents
Il pût toucher par des correspondants.
Quant au surplus, les fortunes humaines,
Les biens, les maux, les plaisirs et les peines,
Bref ce qui suit notre condition,
Fut une annexe à sa légation.
Il se pouvait tirer daffliction,
Par ses bons tours, et par son industrie,
Mais non mourir, ni revoir sa patrie,
Quil neût ici consumé certain temps :
Sa mission devait durer dix ans.
Le voilà donc qui traverse et qui passe
Ce que le Ciel voulut mettre despace
Entre ce monde et léternelle nuit;
Il nen mit guère, un moment y conduit.
Notre démon sétablit à Florence,
Ville pour lors de luxe et de dépense.
Même il la crut propre pour le trafic.
Là sous le nom du seigneur Roderic,
Il se logea, meubla, comme un riche homme ;
Grosse maison, grand train, nombre de gens,
Anticipant tous les jours sur la somme
Quil ne devait consumer quen dix ans
On sétonnait dune telle bombance.
II tenait table, avait de tous côtés
Gens à ses frais, soit pour ses voluptés
Soit pour le faste et la magnificence.
Lun des plaisirs où plus il dépensa
Fut la louange : Apollon lencensa
Car il est maître en lart de flatterie.
Diable neut onc tant dhonneurs en sa vie.
Son cur devint le but de tous les traits
QuAmour lançait: il nétait point de belle
Qui nemployât ce quelle avait dattraits
Pour le gagner, tant sauvage fut-elle:
Car de trouver une seule rebelle,
Ce nest la mode à gens de qui la main
Par les présents saplanit tout chemin.
Cest un ressort en tous desseins utile.
Je lai jà dit , et le redis encor
Je ne connais dautre premier mobile
Dans lunivers, que largent et que lor.
Notre envoyé cependant tenait compte
De chaque hymen, en journaux différents ;
Lun, des époux satisfaits et contents,
Si peu rempli que le diable en eut honte.
Lautre journal incontinent fut plein.
A Belphégor il ne restait enfin
Que déprouver la chose par lui-même.
Certaine fille à Florence était lors;
Belle, et bien faite, et peu dautres trésors;
Noble dailleurs, mais dun orgueil extrême;
Et dautant plus que de quelque vertu
Un tel orgueil paraissait revêtu.
Pour Roderic on en fit la demande.
Le père dit que Madame Honnesta,
Cétait son nom, avait eu jusque-là
Force partis; mais que parmi la bande
Il pourrait bien Roderic préférer,
Et demandait temps pour délibérer.
On en convient. Le poursuivant sapplique
A gagner celle ou ses vux sadressaient.
Fêtes et bals, sérénades, musique,
Cadeaux , festins, bien fort appetissaient
Altéraient fort le fonds de lambassade.
Il ny plaint rien, en use en grand seigneur,
Sépuise en dons : lautre se persuade
Quelle lui fait encor beaucoup dhonneur.
Conclusion, quaprès force prières,
Et des façons de toutes les manières,
Il eut un oui de Madame Honnesta.
Auparavant le notaire y passa:
Dont Belphégor se moquant en son âme:
Hé quoi, dit-il, on acquiert une femme
Comme un château ! ces gens ont tout gâté.
Il eut raison: ôtez dentre les hommes
La simple foi, le meilleur est ôté.
Nous nous jetons, pauvres gens que nous sommes
Dans les procès en prenant le revers.
Les si, les cas, les contrats sont la porte
Par où la noise entra dans lunivers:
Nespérons pas que jamais elle en sorte.
Solennités et lois nempêchent pas
Quavec lHymen Amour nait des débats
Cest le cur seul qui peut rendre tranquille.
Le cur fait tout, le reste est inutile.
Quainsi ne soit, voyons dautres états.
Chez les amis tout sexcuse, tout passe,;
Chez les amants tout plaît, tout est.
Chez les époux tout ennuie, et tout lasse.
Le devoir nuit, chacun est ainsi fait.
Mais, dira-t-on, nest-il en nulles guises
Dheureux ménage ? après mûr examen,
Jappelle un bon, voire un parfait hymen,
Quand les conjoints se souffrent leurs sottises.
Sur ce point-là cest assez raisonné.
Dès que chez lui le diable eut amené
Son épousée, il jugea par lui-même
Ce quest lhymen avec un tel démon:
Toujours débats, toujours quelque sermon
Plein de sottise en un degré suprême.
Le bruit fut tel que Madame Honnesta
Plus dune fois les voisins éveilla:
Plus dune fois on courut à la noise
«Il lui fallait quelque simple bourgeoise,
Ce disait-elle, un petit trafiquant
Traiter ainsi les filles de mon rang !
Méritait-il femme si vertueuse?
Sur mon devoir je suis trop scrupuleuse:
Jen ai regret, et si je faisais bien... »
Il nest pas sûr quHonnesta ne fit rien:
Ces prudes-là nous en font bien accroire.
Nos deux époux, à ce que dit lhistoire,
Sans disputer nétaient pas un moment.
Souvent leur guerre avait pour fondement
Le jeu, la jupe ou quelque ameublement,
Dété, dhiver, dentre-temps, bref un monde
D inventions propres à tout gâter.
Le pauvre diable eut lieu de regretter
De l autre enfer la demeure profonde.
Pour comble enfin Roderic épousa
La parente de Madame Honnesta,
Ayant sans cesse et le père, et la mère,
Et la grandsur, avec le petit frère,
De ses deniers mariant la grandsur,
Et du petit payant le précepteur.
Je nai pas dit la principale cause
De sa ruine infaillible accident ;
Et joubliais quil eût un intendant.
Un intendant ? quest-ce que cette chose ?
Je définis cet être, un animal
Qui comme on dit sait pécher en eau trouble,
Et plus le bien de son maître va mal,
Plus le sien croît, plus son profit redouble;
Tant quaisément lui-même achèterait
Ce qui de net au seigneur resterait:
Dont par raison bien et dûment déduite
On pourrait voir chaque chose réduite
En son état, sil arrivait quun jour
Lautre devînt lintendant à son tour,
Car regagnant ce quil eut étant maître,
Ils reprendraient tous deux leur premier être.
Le seul recours du pauvre Roderic,
Son seul espoir, était certain trafic
Quil prétendait devoir remplir sa bourse,
Espoir douteux, incertaine ressource.
Il était dit que tout serait fatal
A notre époux, ainsi tout alla mal.
Ses agents tels que la plupart des nôtres,
En abusaient: il perdit un vaisseau,
Et vit aller le commerce à vau-leau,
Trompe des uns, mal servi par les autres.
II emprunta. Quand ce vint à payer,
Et quà sa porte il vit le créancier,
Force lui fut desquiver par la fuite,
Gagnant les champs, où de lâpre poursuite
Il se sauva chez un certain fermier,
En certain coin remparé de fumier.
Mais Matheo moyennant grosse somme
Len fit sortir au premier mot quil dit.
Cétait à Naple, il se transporte à Rome ;
Saisit un corps: Matheo len bannit,
Le chasse encore: autre somme nouvelle.
Trois fois enfin, toujours dun corps femelle,
Remarquez bien, notre diable sortit.
Le roi de Naple avait lors une fille,
Honneur du sexe, espoir de sa famille ;
Maint jeune prince était son poursuivant.
Là dHonnesta Belphégor se sauvant,
On ne le put tirer de cet asile.
II nétait bruit aux champs comme à la ville
Que dun manant qui chassait les esprits.
Cent mille écus dabord lui sont promis.
Bien affligé de manquer cette somme
(Car les trois fois lempêchaient despérer
Que Belphégor se laissât conjurer)
Il la refuse: il se dit un pauvre homme,
Pauvre pécheur, qui sans savoir comment,
Sans dons du Ciel, par hasard seulement,
De quelques corps a chassé quelque diable,
Apparemment chétif, et misérable,
Et ne connaît celui-ci nullement.
Il beau dire; on le force, on lamène,
On le menace, on lui dit que sous peine
Dêtre pendu, dêtre mis haut et court
En un gibet, il faut que sa puissance
Se manifeste avant la fin du jour.
Dès lheure même on vous met en présence
Notre démon et son conjurateur.
Dun tel combat le prince est spectateur.
Chacun y court; nest fils de bonne mère
Qui pour le voir ne quitte toute affaire.
Dun côté sont le gibet et la hart,
Cent mille écus bien comptés dautre part.
Matheo tremble, et lorgne la finance.
Lesprit malin voyant sa contenance
Riait sous cape, alléguait les trois fois;
Dont Matheo suait en son harnois,
Pressait, priait, conjurait avec larmes.
Le tout en vain: plus il est en alarmes,
Plus lautre rit. Enfin le manant dit
Que sur ce diable il navait nul crédit.
On vous le happe, et mène à la potence.
Comme il allait haranguer lassistance,
Nécessite lui suggéra ce tour:
Il dit tout bas quon battît le tambour,
Ce qui fut fait; de quoi lesprit immonde
Un peu surpris au manant demanda:
«Pourquoi ce bruit ? coquin, quentends-je là?»
Lautre répond: «Cest Madame Honnesta
Qui vous réclame, et va par tout le monde
Cherchant lépoux que le Ciel lui donna. »
Incontinent le diable décampa,
Senfuit au fond des enfers, et conta
Tout le succès quavait eu son voyage:
«Sire, dit-il, le nud du mariage
Damne aussi dru quaucuns autres états.
Votre Grandeur voit tomber ici-bas
Non par flocons, mais menu comme pluie
Ceux que lHymen fait de sa confrérie
Jai par moi-même examiné le cas.
Non que de soi la chose ne soit bonne
Elle eut jadis un plus heureux destin
Mais comme tout se corrompt à la fin
Plus beau fleuron nest en votre couronne. »
Satan le crut: il fut récompensé
Encor quil eût son retour avancé
Car queut-il fait ? ce nétait pas merveilles
Quayant sans cesse un diable à ses oreilles,
Toujours le même, et toujours sur un ton,
Il fut contraint denfiler la venelle ;
Dans les enfers encore en change-t-on ;
Lautre peine est à mon sens plus cruelle.
Je voudrais voir quelque gens y durer
Elle eut à Job fait tourner la cervelle.
De tout ceci que prétends-je inférer ?
Premièrement je ne sais pire chose
Que de changer son logis en prison:
En second lieu si par quelque raison
Votre ascendant à lhymen vous expose
Népousez point dHonnesta sil se peut
Na pas pourtant une Honnesta qui veut.
[ Belphégor ]
Poèmes de Jean de La Fontaine