--Levioc
L'aider qu'elle disait... Cont' quoi ? Elle allait bien lui r'fourguer un p'tit que'que chose la donzelle. Que'ques écus en échange de ses bons et loyaux services... pt'êt' même voir lui laisser r'luquer son joli p'tit cul.
Fallait voir combien y en avait qui donn'rait n'import' quoi pour pouvoir obtenir c'qui cherchait.
" Un anglois qu'tu m'dis ?"
Z'avaient beau pas êt' loin des terres angloises, ça lui disait rien. L'allait pas pouvoir l'aider la donzelle, mais ça l'empêchait pas d'la mirer.
" Navré ! J'vois pas d'qui qu'tu causes... Mais si c'est d'l'amour qu'tu cherches 'vec lui, j'peux bien t'proposer d't'en donner un peu moi ! "
Qui sait ? Pa'ce qu'il aurait prit l'temps d'l'écouter elle accepterait p't'êt' d'passer derrière l'p'tit muret et d'lui montrer son séant que'ques instants.
--Ronchon
Non loin de là, l'habituel râleur se plaignait, comme d'habitude. Mais de quoi?
Pas de pluie aujourd'hui, c'est pas bon pour les récoltes... Non, déjà fait hier.
Il fait froid, y'a plus d'saisons ma bonne dame... Non, déjà fait avant-hier.
Les nobles sont tous engraissés à la sueur des paysans... Non, déjà fait il y a 3 jours.
Les marchés sont vides, c'est un scandale, que fait le duché? Non, ça même en se forçant, il ne serait pas assez bête pour le dire.
Quoi alors?
Ah, les étrangers! Ouais, il vont déguster, aujourd'hui...
Après avoir trouvé un compère auprès de qui se lamenter, il commença sa ritournelle. Il en était à sa seconde heure, lorsqu'une dame brune passa non loin de lui. Mais tout à sa diatribe, il ne la vit même pas.
Il disait:
On s'sent plus chez nous ma parole! Y'a qu'des étrangers partouts. Et j'en veux pas aux étrangers de chez nous, de Fougères ou de Saint Pol. Eux encore ça va, on les comprend quand ils sont bourrés.
Non mais les étrangers d'ailleurs et pas d'chez nous, ils sont vraiment pas d'ici! Et c'est pas tolérab' moi j'dis... Y'a quelques mois, c'était les Portugais. Et vas-y que ça te portugoise à droite, et que ça te Paolo à gauche... Et pas un mot de Breton!
Bon encore, 'sont d'là bas où qu'y a du soleil. Ils pouvaient pas savoir...
Mais ensuite, qui qu'ont voit v'nir? Les Normands! Et vas-y que ça dit "je sais pas", "p't'êt ben qu'oui, p't'êt ben qu'non", ça boit du calva... Et quand ils parlent, ils ont un accent à la noix... Genre "boujou bien"... Non mais quoi qu'y bavent là?
Et v'là maint'nant qu'c'est les aut' là, de l'autre côté du brouillard. Des Anglois... Ah mais perfides les bonhommes... Il y en a même qui s'incrustent chez nous! Ouais monsieur, parfaitement!
J'ai vu ça sur l'affiche du tribun, ou à la marie... ou à la taverne... j'sais plus. Bref là où qu'on peut entendre des trucs intéressants... Ouais c'était en taverne, c'est ça. Ben v'là t'y pas que ça te causait Anglois? Et t'avais de la duchesse, et t'avais du bourgeois, et t'avais du paysan... Peut être pas tous les Anglois, d'accord.
Mais c'est ça le pire! Ils sont en train d'nous contaminer not' belle Bretagne!
En tout cas, il y en a un, moi j'l'ai à l'oeil... Avec un accent comme le sien, faudra pas qu'y cherche trop pour s'attirer des ennuis. Enfin moi j'dis ça, j'dis rien, hein.
Ah non mais j'te hure. On n'est plus chez soi!
--Hussein
Hussein marcha comme à l'habitude proche de l'océan, laissant le vent souffler tous ses soucis vers cet interminable lit d'eau. Ses pensées étaient bercées à la cadence des vagues, quand soudainement, elles furent interrompues, il remarqua que l'heure devenait tardive et le soleil s'apprêtait à plonger dans ces flots.
Il fit demi-tour, tout d'abord pour prier quelques minutes à l'église, et pour boire en taverne par la suite, l'un n'empêchait pas l'autre...
Il vit ensuite un jeune homme, son visage lui était familier. Comparativement à toutes les autres fois qu'ils se croisaient, aujourd'hui, il s'arrêta devant lui, et s'adressa à l'anglois.
Bonsoir m'sieur. Une femme, plutôt jolie je dois dire, m'sieur, m'a remis une lettre pour vous.
Il lui tendit, Hussein la déplia et hocha la tête au messager en guise de remerciement, puis il la lut.
Citation:A mon Mystérieux et ténébreux Cavalier,
Si vos mots, tout autant que ce baiser si légèrement déposé, mais qui aura pourtant su laissé empreinte profondément encrée
sur la commissure de mes lèvres, étaient pourvu d'une réelle sincérité ;
Si votre envie de me revoir est toujours là ;
Alors je vous invite à venir me retrouver près de l'estuaire de Vannes,
à l'heure où le soleil commence à fondre derrière la ligne sombre de l'horizon.
Si personne ne se présentait alors, j'en conclurai donc que vous n'étiez pas ce fameux " Prince Charmant ", ou tout simplement que vous n'étiez pas le bon destinataire.
Mystérieusement,
Mysstic
Cette femme savait bien ce qu'elle désirait... Elle voulait aussi vous dire que c'est votre seule chance, m'sieur. M'enfin non, qu'il ny en aura pas de deuxièmes. Et hm, son nom est étrange, c'est M.. Mys.. Mysstic, oui c'est c'la! Le jeune lui tourna ensuite le dos, l'air pressé, et, avant de pouvoir mettre un pied devant, l'anglois mit une main sur son épaule. Attend, attend. Je vais te donner une lettre à remettre à cette jolie femme dont tu me parlais, laisse moi un petit moment le temps de l'écrire. Il se dépêcha, après avoir trouvé une assise sur laquelle rédiger, il fit une brève réponse, un peu maladroite, à la dame.
Bonsoir chère cavalière,
J'accepte, ravi, cette invitation. Cependant je serai toujours revêtu de ce masque, il vous faudra donc me le retirer. Tous les moyens sont permis, mais j'ose espérer que votre ingéniosité se mêlera de la partie. Je n'en dis pas plus, gardant les mots et le mystère qu'ils renferment pour tout à l'heure.
Chaleureusement,
Hussein.
Après quoi il plia sa lettre, et la mis dans la main de sa nouvelle connaissance avec quelques écus en guise de compensation. En le voyant presque chaque jour, ce petit bonhomme fini par lui porter confiance et su que sa missive était en sûreté.
Il changea ses plans et se dirigea ensuite vers sa bicoque pour chercher son masque. L'heure du rendez-vous approchait à grands pas.
Il se disait, en route, que sa cavalière était bien plus décidée qu'il ne le croyait. Il savait cependant qu'elle aurait de l'effort à mettre pour le séduire. Hussein n'était pas, loin de là, un homme aimant être sous l'emprise du charme, sachant que cet état altérait son jugement. Mais bon, peut-être qu'en lui donnant une chance, elle saurait lui faire voir les bons côtés de l'amour.
Une fois l'accessoire en main, il se mouva jusqu'à l'estuaire. Scrutant l'horizon pour voir sa mystérieuse cavalière arriver.
--Hussein
Le temps d'être mystérieux, de s'amuser, le sourire en coin, à hanter, troubler, obséder l'esprit d'une femme, allait bientôt être mis à terme. Pas que cela lui plaisait de tourmenter un être humain, loin de là, mais il prit un malin plaisir, inconscient probablement, à contrôler la scène. À avoir le rôle de l'acteur et du réalisateur simultanément.
Il se dirigea, déguisement au visage, vers l'estuaire. L'odeur de l'océan que le vent venait porter à son nez lui indiqua qu'il approchait. Malgré l'avantage que connaître sa véritable identité lui procurait, il fut saisi d'un serrement au coeur. Le stress. Le stress d'ignorer sa réaction une fois qu'elle saura que c'est lui, une fois que le voile sera levé, le masque ôté, les secrets envolés. Avait-il suffisamment bien caché son jeu, ou s'en était-elle aperçue depuis belle lurette?
Il ne pourrait le savoir en restant cloué sur place, il s'avança jusqu'au moment d'apercevoir une silhouette, une femme vraisemblablement. Quelques pas de plus, et ce fut confirmé. C'était bien Odenaiss.
Mettant un pied devant l'autre pour aller à sa rencontre, son esprit décida de prendre le chemin inverse. Une tentative d'évasion.
Cela serait-il parfait de partir au large, laissant les problèmes et les angoisses sur le quai. Naviguer sur du bonheur, des vagues de joies, humant l'odeur de la liberté. Que donnerait-il pour être loin, mais en même temps si proche d'elle...
Les réponses se trouveront d'elles-mêmes.
Il prit une respiration profonde, et émis de sa voix la plus accueillante et la moins embarrassée qui put en être capable:
Bonsoir charmante Lady. Puis-je vous faire danser à nouveau?
Il la regarda au travers son masque avec attention, attendant sa réaction. Puisse Dieu lui avoir donné un caractère gai en cette soirée plutôt inhabituelle!
Laetius
Dès lors qu'elle s'approcha de lui, leur regard plongea l'un dans l'autre. Il se sentait déjà démasqué.
Mais que dire du moment. Il humectait sa douce odeur mêlée à celle de l'estuaire, du bois mouillé des bateaux, ressentant sa présence si chaleureuse, observant un vent ténu qui soufflait sur ses cheveux noir de jais et les faisait vivre. C'était un instant délectable, malgré le froid qui mordait l'ambiance. Il le savoura autant que possible, il souhaitait même le prolonger dans une danse, mais elle avait déjà déposé une main sur son masque, s'apprêtant à l'enlever au moindre signal de sa part.
Allait-elle être offusquée d'avoir été bernée si longtemps par lui? La question lui tourmenta l'esprit. Il était pris au piège.
Il lui saisit la main, l'enlaça de ses doigts et l'emmena admirer le soleil s'endormir dans l'océan.
Se retournant vers elle, il lui souffla quelques mots pour expliquer son geste.
Si c'est notre dernier moment avant de se perdre de vu, je souhaite au moins qu'il soit parfait, aussi éphémère soit-il.
S'émerveillant de la simplicité et de la beauté de ce spectacle, il priait pour qu'après, nonobstant ses inquiétudes, elle le pardonne de l'avoir fait languir si longtemps.
Il se retourna après que la scène soit finie et que le rideau de feu soit couché, puis il regarda dans ses yeux pairs, enlevant son masque d'une main, tenant celle de sa cavalière de l'autre.
Il lui sourit.
Prenant la parole avant elle, question de s'expliquer ou d'éviter un silence malaisant, peu importe, il lui dit d'une voix basse:
Pas trop déçu de ton cavalier mystérieux j'espère...?
Ne sachant pas quoi ajouter, il se tut. Ne trouvant comme alternative que de la regarder, bien attentivement, prenant note de tous les indices pouvant lui indiquer si son idée était bonne ou foncièrement mauvaise.
La Lune les illuminait, quelques lanternes étaient au loin, comme des étoiles, mais rien de plus. Les bruits s'adoucirent, on entendait les gens rires en sortant des tavernes. Les portes des maisons claquèrent. Les chandelles s'éteignirent. Les vagues ne firent que gazouiller. Le chant des oiseaux devint inaudible.
Bref, tout ralenti, sauf son coeur.