Anaon
- La pulpe délicate frôle les larges pierres. Toujours cette manie de chercher à entendre du bout des doigts. Comme si la roche avait une mémoire, des souvenirs qu'elle lui livrerait sous l'assaut de ses caresses. Cueillir le frémissement de l'immuable. Aspiration étrange. Celle qui ne supporte plus le contact à pourtant toujours scellé ses souvenirs dans le toucher. Effleurer la pierre, le bois, la peau, graver chaque aspérités dans les parcelles de son âme. On retient une image, une odeur, un son, alors pourquoi pas un toucher? Mais sous ses doigts le mur ne frémit pas. Il vibre simplement des cris qui font trembler l'air électrique de la pièce. Et l'attention de la balafrée ne s'y porte pas.
L'affaire n'est pas dégueulasse et c'est une mûre réflexion qui l'a mené à venir là, se poser le front contre ce mur froid. Financer au début pour récolter par la suite, ayant pour seul mission celle de se salir les mains en salissant la vie des autres. Elle avait hésité, longuement même, alors qu'il a de cela quelques lunes, à peine, elle aurait foncé sur l'occasion sans se poser la moindre question. Depuis quelque temps pourtant les contrats officieux qui la menaient à exécuter n'importe quoi pour de la l'argent ne pleuvaient plus. La tête-brûlée avait alors tout le loisir de la réflexion et du recul. Et depuis quelques événements l'Anaon avait retrouvé le goût de l'émotion... et du sentiment.
Les ressentis, eux, étaient toujours présents, même si parfois ils se radoucissaient, rendant plus supportable les plaies qu'elle a au cur. Et çà, çà lui faisait peur... S'habituer à la douleur c'est le premier pas vers l'oubli. Jamais pourtant elle ne pourra oublier ce qui l'a rendu ainsi. Jamais elle ne le doit! Oublier ce pourquoi elle est devenu Anaon, c'est abandonner le souvenir de ceux pour qui elle vit, pour qui elle tue. Ces moments d'apaisement, de bref bonheur parfois, lui laissait toujours un goût de culpabilité au fond de la bouche. Elle n'a pas le droit au repos, ni à l'allégresse tant que son âme ne sera pas apaisé. Et ce n'est pas le temps qui doit effacer les rancurs, non... mais bel et bien le sang. Alors pour la haine de deux êtres elle s'apprête à en faire souffrir bien d'autre, dans l'espoir qu'un jour ceux qu'elle aura sous le jugement de ces couteaux soit les-mêmes qui ont réduit son existence à néant.
Nouvelle plainte qui perce le silence. Souviens-toi Anaon, un jour tu avais un idéal macabre. Celui de réduire en poussière toute vermine en ce monde... Quitte à devenir vermine à ton tour. Paladin du bien avec du sang sur les mains. Aujourd'hui tu as une fois de plus la chance de purifier le monde. Entretient à triple enjeux. L'argent, la vengeance, l'idéal. Étrange de voir que les êtres les plus noirs sont parfois les plus utopiques. L'enfer est pavé de bonne intention, n'est-ce pas?
Soudain la voix féminine résonne dans la pièce, attirant sur elle les azurites de l'ainée au sourire de l'ange. Elle demeure un instant immobile, contemplative, doigts toujours posés sur le mur de pierre. Un bref regard vient accrocher la silhouette de l'homme qui sort de la salle. Le mordoré s'est teinté de carmin. Aux mains hyalines de la femme de se faire vermeilles.
La mercenaire quitte son mur pour s'approcher calmement de la jeune femme. Démarche toujours lente, sans empressement aucun, elle vient se figer face à la Maitresse des lieux. Les blondes et les ébènes, pour mille et une raison, elle a toujours eu de gros problème avec des créatures-là. Et bien que souvent son regard crache tout le dédain qui lui est possible d'avoir à la vue de pareils filins, ses yeux aujourd'hui n'expriment rien. Ils se contentent simplement de toiser nonchalamment celle dont elle doit à avoir deux fois l'âge.
Au timbre placide, à l'image de sa personne de se faire connaitre.
_ Anaon... Pour vous suivre.
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - Montage LJD ANAON----[Clik]