Astana
*Godefroy, Les Visiteurs.
[Ville de Castillon, 13 Mars 1460]
Le jour se lève à peine lorsque deux créatures blondes franchissent les portes de la ville sur un frison. L'une ronfle, l'autre râle dans un langage à la limite de l'incompréhensible. La faute à l'autre. L'autre blond ; celui qui ronfle plus que de raison, telle une épave en train de décuver, soigneusement installé entre l'encolure de la monture et la grognante Blondeur. Un peu plus et l'on pourrait croire qu'elle trimbale un cadavre. En effet, à force de fréquenter un Mielleux à l'accent de basse campagne, Astana avait fini par le prendre aussi, ce fameux accent. Chose qui n'était pas forcément un mal en soit, car on les prenait alors aisément pour deux campagnards faisant leur sortie annuelle en ville - que de bons acteurs ! Le réel problème se trouvait ailleurs : un mythe s'effondrait. Non, mais franchement... une femme, aussi belle soit-elle, qui vous arrache les tympans à peine elle ouvre la bouche, ça laisse quelque peu à désirer. Autant dire que le potentiel de séduction est proche de zéro, dans ces cas là. Parce qu'il y a tout de même une différence entre parler comme un charretier et ne même plus se faire comprendre.
Il fallait que ça cesse.
Alors bien entendu, l'on pourrait dire : « Sois belle et tais-toi ! ». Mais non. Impossible. Pour accepter de se taire et de jouer la potiche - ou la belle plante... -, il fallait y trouver son intérêt, être timide ou bien encore muette. Or de toute évidence, Astana ne se trouvait dans aucune de ces catégories. Toujours l'ouvrir, toujours. Parce que ça énerve pas mal de monde - et surtout les personnes étroites d'esprit -, que ça fait fuir, et qu'ainsi le triage se fait de lui-même. Entre ceux dont elle ne se souviendra pas le lendemain - mémoire sélective quand tu nous tiens - et ceux qui valent, peut-être, le coup qu'elle retienne leurs prénoms. C'était toute la différence entre un fils de Tich et un Alzin, par exemple.
Les exceptions sont rares, mais il y en a.
Bref.
Bien droite sur sa monture, et la figure relevée négligemment dissimulée sous son capuchon, la Blondeur joue des mollets - et non des coudes - et talonne pour que l'équidé se fraye un chemin dans les étroites ruelles. Les prunelles azur observent sans ciller les scènes de vie face auxquelles elle se trouvent, d'un air détaché. Chercher, débusquer, trouver. Mais que fait la po... colombe ?!
Rha !
Grognement. Un coup est porté sur le crâne doré de son comparse, dans une ultime tentative de le réveiller.
'tain ! S'pèce d'blond accro aux résineux ! T'bien d'la chance qu'j'te laisse pas à l'bandon dans eun' ville pareille, té.
Large grimace rien qu'à s'entendre. Sincèrement ? Vite. Perdre cet accent. Et vite.
La place du village, reconnaissable par ses établis, ses stands ainsi que son estrade se fait entrevoir, un nouveau coup de talon est alors asséné à la monture pour presser l'allure. Pas un chat. Et bien soit, Astana les réveillerait. A vrai dire, elle en ricane d'avance.
ANDRÉA !!!!!
Non ? Personne ?
ANDRÉA SORS D'TA FOUTUE PLANQU' ET DÉBARRASS'MOI D'TON S'MI MARI ! Y M'CONTAMINE 'VEC SON ACCENT D'CROQU'MORT ! ET IL EST LOUUUUUURD !
A ces mots, la jeune femme repousse l'homme qui s'était entre-temps reposé sur elle sur l'encolure du cheval. Elle se laisse alors glisser à terre et dans un ultime grognement plaque deux mains hyalines sur ses hanches, les sourcils froncés. Alors quoi ? Retourner toute la ville dans l'espoir de débusquer ladite Colombe ? Non, non. La chasse à la Colombe, la Danoise avait suffisamment donné. Tout ce qu'elle avait récolté était une vilaine blessure à la cuisse, fraîchement recousue et encore ô combien douloureuse. Mais ça, pour la douleur, elle n'en dirait jamais rien. La raison de cet accident ? Une flèche déviée de sa cible initiale qui aurait malencontreusement préféré une cuisse opaline comme refuge. Du moins, pour la version officielle de l'histoire...
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[Ville de Castillon, 13 Mars 1460]
Le jour se lève à peine lorsque deux créatures blondes franchissent les portes de la ville sur un frison. L'une ronfle, l'autre râle dans un langage à la limite de l'incompréhensible. La faute à l'autre. L'autre blond ; celui qui ronfle plus que de raison, telle une épave en train de décuver, soigneusement installé entre l'encolure de la monture et la grognante Blondeur. Un peu plus et l'on pourrait croire qu'elle trimbale un cadavre. En effet, à force de fréquenter un Mielleux à l'accent de basse campagne, Astana avait fini par le prendre aussi, ce fameux accent. Chose qui n'était pas forcément un mal en soit, car on les prenait alors aisément pour deux campagnards faisant leur sortie annuelle en ville - que de bons acteurs ! Le réel problème se trouvait ailleurs : un mythe s'effondrait. Non, mais franchement... une femme, aussi belle soit-elle, qui vous arrache les tympans à peine elle ouvre la bouche, ça laisse quelque peu à désirer. Autant dire que le potentiel de séduction est proche de zéro, dans ces cas là. Parce qu'il y a tout de même une différence entre parler comme un charretier et ne même plus se faire comprendre.
Il fallait que ça cesse.
Alors bien entendu, l'on pourrait dire : « Sois belle et tais-toi ! ». Mais non. Impossible. Pour accepter de se taire et de jouer la potiche - ou la belle plante... -, il fallait y trouver son intérêt, être timide ou bien encore muette. Or de toute évidence, Astana ne se trouvait dans aucune de ces catégories. Toujours l'ouvrir, toujours. Parce que ça énerve pas mal de monde - et surtout les personnes étroites d'esprit -, que ça fait fuir, et qu'ainsi le triage se fait de lui-même. Entre ceux dont elle ne se souviendra pas le lendemain - mémoire sélective quand tu nous tiens - et ceux qui valent, peut-être, le coup qu'elle retienne leurs prénoms. C'était toute la différence entre un fils de Tich et un Alzin, par exemple.
Les exceptions sont rares, mais il y en a.
Bref.
Bien droite sur sa monture, et la figure relevée négligemment dissimulée sous son capuchon, la Blondeur joue des mollets - et non des coudes - et talonne pour que l'équidé se fraye un chemin dans les étroites ruelles. Les prunelles azur observent sans ciller les scènes de vie face auxquelles elle se trouvent, d'un air détaché. Chercher, débusquer, trouver. Mais que fait la po... colombe ?!
Rha !
Grognement. Un coup est porté sur le crâne doré de son comparse, dans une ultime tentative de le réveiller.
'tain ! S'pèce d'blond accro aux résineux ! T'bien d'la chance qu'j'te laisse pas à l'bandon dans eun' ville pareille, té.
Large grimace rien qu'à s'entendre. Sincèrement ? Vite. Perdre cet accent. Et vite.
La place du village, reconnaissable par ses établis, ses stands ainsi que son estrade se fait entrevoir, un nouveau coup de talon est alors asséné à la monture pour presser l'allure. Pas un chat. Et bien soit, Astana les réveillerait. A vrai dire, elle en ricane d'avance.
ANDRÉA !!!!!
Non ? Personne ?
ANDRÉA SORS D'TA FOUTUE PLANQU' ET DÉBARRASS'MOI D'TON S'MI MARI ! Y M'CONTAMINE 'VEC SON ACCENT D'CROQU'MORT ! ET IL EST LOUUUUUURD !
A ces mots, la jeune femme repousse l'homme qui s'était entre-temps reposé sur elle sur l'encolure du cheval. Elle se laisse alors glisser à terre et dans un ultime grognement plaque deux mains hyalines sur ses hanches, les sourcils froncés. Alors quoi ? Retourner toute la ville dans l'espoir de débusquer ladite Colombe ? Non, non. La chasse à la Colombe, la Danoise avait suffisamment donné. Tout ce qu'elle avait récolté était une vilaine blessure à la cuisse, fraîchement recousue et encore ô combien douloureuse. Mais ça, pour la douleur, elle n'en dirait jamais rien. La raison de cet accident ? Une flèche déviée de sa cible initiale qui aurait malencontreusement préféré une cuisse opaline comme refuge. Du moins, pour la version officielle de l'histoire...
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