Blanche_
La mère et l'enfant.
La mère est l'enfant...
C'est ainsi, c'est tout. Blanche, fille de Meriadoc, fille du Rohan, élève sa chair avec l'esprit immature d'une enfant, et les épaules d'une mère ; ce soir-là n'était guère différent des autres. Ils avaient mangé des lentilles, qu'elle avait fait venir de France (pour leur goût si salé, et si particulier naturellement) dans les cuisines, alors que leurs parents mangeaient, eux, dans une autre salle. Lestan et Johann, ou plutôt, par ordre de naissance, Johann et Lestan, les fils du Rohan, avaient goûté au repas que leur mère avait fait préparer ; et comme toujours après cela, leur nourrice les emmenait se coucher, l'un ne disait rien, l'autre repoussait éternellement les marques d'affection ou d'obéissance des domestiques, en grognant qu'il aurait été mieux en France.
C'était ainsi. C'était tout. La mère avec le père, dans la salle des maîtres, et les enfants, seuls, l'un avec l'autre, possédant en guise de compagnie le regard solitaire de leur consanguinité, leur ressemblance diffuse, l'assurance de partager le même sang -sang de race- et d'avoir pour mère la dame de céans. Ils avaient un petit rituel, tous les trois. A complies, peu après le coucher du soleil (quoiqu'en hiver, le soleil se couchait tellement tôt qu'il était difficile de savoir), et avant de dormir, Blanca se rendait au chevet de ses fils, longtemps dans la chambre de Johann, puis dans celle, attenante à la sienne, du petit Lestan.
Elle n'avait pas du tout les mêmes relations avec ses deux fils ; Johann, âgé de cinq années révolues, boudait fréquemment sa mère, ce qu'elle lui autorisait compte-tenu de son enfance, tandis que Lestan, en petite enfance, était prêt à recevoir son affection, tout du moins le croyait-elle, tout du moins s'était-elle promis de l'aimer assez fort pour qu'il le sache, et ne soit pas comme son frère... renfrogné. Souvent, donc, elle terminait la soirée en se glissant d'une chambre à l'autre, et en venant border son fils dernier-né, avant de rejoindre sa propre chambre. Chambre où, à l'occasion, et sauf les jours de prière ou d'indisposition, sauf les jours de deuil et de carême, Astaroth venait aussi.
Elle toqua.
Oh, c'était ridicule n'est-ce pas ? De toquer à la porte d'un gamin si petit, si peu intellectuellement dessiné, qu'il ne comprenait peut être pas, mais le ridicule, elle s'en foutait, car, voyez-vous, l'important dans tout cela, avant toute chose, c'était qu'elle l'accomplisse, ce rituel : qu'elle toque, qu'elle le fasse rire, qu'elle entre.
Elle toqua. Elle ouvrit la porte, singea une grimace. Se mit à rire. Entra.
Mon cher petit ! Il est complies, et je viens avant que ne vienne la nuit de Dieu. Elle s'approcha du lit, s'assit là où le tabouret était posé, à son intention, et sourit en sentant le coussin chaud : la nourrice venait à peine de quitter la chambre, son fils avait le ventre plein, les yeux ouverts, peut être, rien que pour elle.
Un psaume pour ce soir, mon petit ange. Elle embrassa ses deux mains, et les plaça en signe de prière. Puis, d'une voix douce murmurée, certaine qu'il entendrait tout... Elle dit. Seigneur, entends notre prière, dans Ta justice écoute nos voix, dans Ta fidélité réponds-nous. N'entre pas en jugement avec nous, car nous sommes tes serviteurs. Garde nous de nos ennemis, et fais que nous les foulions au pied, fais leur habiter les ténèbres avec les morts de jadis. Je me souviens des jours anciens, et de Tes actions, et je les médite. Seigneur, ne me cache pas ton visage, vers Toi je tends, Ton modèle je veux suivre. Apprends-moi à faire ta volonté, car tu es Dieu. Pour l'honneur de notre nom, Seigneur, fais-nous vivre.
Elle répéta. Pour l'honneur de notre sang -sang de race-.
Puis, se tournant vers lui, satisfaite d'avoir fait son devoir de mère, elle glissa une main douce contre son ventre, le trouvant doucement chaud, et bien bombé, comme à la fin des repas, comme tous les enfants de bas âge. Elle le trouva beau, il lui plût, et, posant un baiser sur son front tiède elle lui sourit encore.
Veux tu quelque chose de plus, pour ce soir ?
La mère est l'enfant...
C'est ainsi, c'est tout. Blanche, fille de Meriadoc, fille du Rohan, élève sa chair avec l'esprit immature d'une enfant, et les épaules d'une mère ; ce soir-là n'était guère différent des autres. Ils avaient mangé des lentilles, qu'elle avait fait venir de France (pour leur goût si salé, et si particulier naturellement) dans les cuisines, alors que leurs parents mangeaient, eux, dans une autre salle. Lestan et Johann, ou plutôt, par ordre de naissance, Johann et Lestan, les fils du Rohan, avaient goûté au repas que leur mère avait fait préparer ; et comme toujours après cela, leur nourrice les emmenait se coucher, l'un ne disait rien, l'autre repoussait éternellement les marques d'affection ou d'obéissance des domestiques, en grognant qu'il aurait été mieux en France.
C'était ainsi. C'était tout. La mère avec le père, dans la salle des maîtres, et les enfants, seuls, l'un avec l'autre, possédant en guise de compagnie le regard solitaire de leur consanguinité, leur ressemblance diffuse, l'assurance de partager le même sang -sang de race- et d'avoir pour mère la dame de céans. Ils avaient un petit rituel, tous les trois. A complies, peu après le coucher du soleil (quoiqu'en hiver, le soleil se couchait tellement tôt qu'il était difficile de savoir), et avant de dormir, Blanca se rendait au chevet de ses fils, longtemps dans la chambre de Johann, puis dans celle, attenante à la sienne, du petit Lestan.
Elle n'avait pas du tout les mêmes relations avec ses deux fils ; Johann, âgé de cinq années révolues, boudait fréquemment sa mère, ce qu'elle lui autorisait compte-tenu de son enfance, tandis que Lestan, en petite enfance, était prêt à recevoir son affection, tout du moins le croyait-elle, tout du moins s'était-elle promis de l'aimer assez fort pour qu'il le sache, et ne soit pas comme son frère... renfrogné. Souvent, donc, elle terminait la soirée en se glissant d'une chambre à l'autre, et en venant border son fils dernier-né, avant de rejoindre sa propre chambre. Chambre où, à l'occasion, et sauf les jours de prière ou d'indisposition, sauf les jours de deuil et de carême, Astaroth venait aussi.
Elle toqua.
Oh, c'était ridicule n'est-ce pas ? De toquer à la porte d'un gamin si petit, si peu intellectuellement dessiné, qu'il ne comprenait peut être pas, mais le ridicule, elle s'en foutait, car, voyez-vous, l'important dans tout cela, avant toute chose, c'était qu'elle l'accomplisse, ce rituel : qu'elle toque, qu'elle le fasse rire, qu'elle entre.
Elle toqua. Elle ouvrit la porte, singea une grimace. Se mit à rire. Entra.
Mon cher petit ! Il est complies, et je viens avant que ne vienne la nuit de Dieu. Elle s'approcha du lit, s'assit là où le tabouret était posé, à son intention, et sourit en sentant le coussin chaud : la nourrice venait à peine de quitter la chambre, son fils avait le ventre plein, les yeux ouverts, peut être, rien que pour elle.
Un psaume pour ce soir, mon petit ange. Elle embrassa ses deux mains, et les plaça en signe de prière. Puis, d'une voix douce murmurée, certaine qu'il entendrait tout... Elle dit. Seigneur, entends notre prière, dans Ta justice écoute nos voix, dans Ta fidélité réponds-nous. N'entre pas en jugement avec nous, car nous sommes tes serviteurs. Garde nous de nos ennemis, et fais que nous les foulions au pied, fais leur habiter les ténèbres avec les morts de jadis. Je me souviens des jours anciens, et de Tes actions, et je les médite. Seigneur, ne me cache pas ton visage, vers Toi je tends, Ton modèle je veux suivre. Apprends-moi à faire ta volonté, car tu es Dieu. Pour l'honneur de notre nom, Seigneur, fais-nous vivre.
Elle répéta. Pour l'honneur de notre sang -sang de race-.
Puis, se tournant vers lui, satisfaite d'avoir fait son devoir de mère, elle glissa une main douce contre son ventre, le trouvant doucement chaud, et bien bombé, comme à la fin des repas, comme tous les enfants de bas âge. Elle le trouva beau, il lui plût, et, posant un baiser sur son front tiède elle lui sourit encore.
Veux tu quelque chose de plus, pour ce soir ?