Aldraien
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« Vivre la naissance dun enfant est notre chance la plus accessible de saisir le sens du mot miracle »
- - Paul Carvel -
Nuit du cinq au six mars de lan mil quatre cent soixante.
Pour la trentenaire presque mère, cette soirée na rien de différente des autres, du moins au début. Dans la taverne des Malemort, quelques membres et amis de la famille se sont retrouvés. Elisa, Marie-Amelya, Guilhem, Abigaïl et Euzen ; venus là pour discuter dans la bonne humeur, ce qui semblait plutôt bien parti jusquà ce que tout senchaine à une vitesse hallucinante.
Une chute, provoquée par lenvie irrépressible de faire le malin de Guilhem, et voilà que cest le branle-bas de combat à lAstaroth. Les responsables, effrayés par la sévère punition qui les attend, se sauvent dans la réserve. Puis, tout semble flou à la Malemort-Carsenac, qui se relève finalement grâce à laide de trois ou quatre personnes arrivées presque dans la seconde suivant lincident ; une douleur sourde lui déchire les entrailles mais elle prend le temps de renvoyer les enfants à Saint-Julien, le temps de rassurer Euzen et le fiancé dElisa ; pas forcément de manière convaincante, mais elle ne sen préoccupe pas : elle veut uniquement sortir de cette taverne et dire à sa sur ses craintes.
Ensemble, les surs sont sorties de létablissement pour se diriger vers lattelage qui les amèneraient toutes les deux à Saint-Julien-le-Vendonais, terres où la petite famille avait élu domicile, en attendant de déménager vers les terres de Ussac, Baronnie récemment confiée à la presque mère ; la Malemort sappuyait allégrement sur son Tout, plus par absence dalternative que par choix réel.
Une fois assez éloignée de la taverne, elle ose, enfin, se confier à sa Princesse, à mi-voix, presque honteuse davouer cet état de fait. Pourtant, le cacher plus longtemps serait dangereux, non seulement pour elle mais aussi et surtout pour lenfant quelle porte. Quelle porte pour quelques minutes encore, quelques heures, tout au plus ; puisque la chute a causé bien plus de dommages quelle ne peut limaginer et la douleur quelle avait ressenti alors quelle était encore en taverne, les prémices dune souffrance bien plus grande encore - cest bien connu, donner la vie nest jamais indolore -.
Confession dune rouquine apeurée.
- Ma sur Je crois que il est temps.
- Il est temps ? Temps pour quoi ?
La trentenaire sarrête sur le chemin. La douleur sourde est de retour, comme en taverne tout à lheure. Ca se rapproche. Cest encore assez espacé pour le moment mais elle sait, elle sent. Elle sent le liquide qui coule le long de ses jambes, annonciateur de la naissance prochaine. Les sinoples, paniquées, viennent alors rejoindre les ténèbres ; il ny a plus besoin de décrire la situation, lurgence est bien assez visible et les mots ont rarement été utiles entre les deux femmes. Tout juste cet appel au secours.
- Ma sur
Panique à bord. Sûr que ce nétait pas avec la réaction de sa sur que la femme allait se calmer. Bien sûr, dans les deux esprits, cest le souvenir dune fausse couche éprouvante qui annihile littéralement toute forme de relativisation ou de courage. Les mains se rejoignent pourtant, et la plus jeune tente de rassurer lautre ; et se rassurer elle-même aussi, sûrement.
- Je Je suis là ma sur, ça va aller Dis-moi Dis-moi quoi faire.
- Il est trop tôt, bien trop tôt Ce nest pas encore le moment Il faut aller à Saint-Julien Nous aviserons là bas.
- Saint Julien ? Menfin, il faut être raisonnable. Pour ta vie et celle de lenfant tes terres sont bien trop loin. Tu ne peux pas voyager dans cet état. Et si lenfant venait au monde sur le chemin ? Hein, tu y penses ? Suffit les bêtises. Allons dans mon appartement .
Cétait toujours dans ce genre de situation que la plus jeune des deux était capable de prendre son courage à deux mains, en même temps que la situation. Pourtant, ça ne suffit pas à rassurer la Malemort-Carsenac qui, bien entendu, pense à son époux resté dans leur demeure, ne se doutant sans doute pas un seul instant de ce qui se tramerait dans les appartements princiers quelles rejoindraient sous peu.
- Et Hannibal....Il est à Saint Julien, il ne se doutera de rien...ma soeur...c'est trop tôt, trop tôt ! Mon enfant ne peut pas encore naître...
Mais elle le sait, lenfant nattendrait pas quelle rentre chez elle pour se montrer ; déjà le travail a commencé et elle se trouvait à plusieurs dizaines de lieues de ses terres. Langoisse lui vrille lestomac, tout autant que le souvenir de lenfant mort-né quelle avait extrait des entrailles de sa sur plusieurs mois plutôt et qui, désormais, était enterré dans une forêt non-loin.
- Calme toi ma sur Calme toi . Vu la force que ton enfant avait pour te donner des coups. Il est bien assez fort pour naître cette nuit. Et connaissant son père et sa mère il est certain quil sera vaillant. Tu dois avoir confiance ma sur. Tout va bien se passer Lappartement arrive, enfin. Elisa soupire de soulagement, sa sur pourrait accoucher dans un vrai lit digne dune femme de son rang et pas sur une motte de foin. Elle aide celle-ci à sinstaller sur le lit. Puis vient la question, cruciale, et cest là que le bat blesse.
- As-tu une sage femme ? Ou un médicastre ? Pour que jaille le prévenir.
Les yeux se ferment, la négative est affirmée ; tandis que le liquide qui souillait jusque là ses jupons se met à sécouler sur le lit de sa sur.
Deuxième confession, entre toi et moi Elisa.
- J'avais trouvé une sage femme ma soeur...mais à Saint-Julien...J'ai peur Elisa...Si peur...
[RP écrit à quatre mains.
En rouge, les paroles de Ald', en bleu, celles de Elisa]
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