Soren
[L'avenir nous tourmente, le passé nous retient, c'est pour ça que le présent nous échappe.*]
Ainsi donc, même ici il n'y a pas de miracles. Rien à faire! C'est ce que je tire comme conclusion des paroles du prêtre. Prier? Je ne suis pas sur que le Très-Haut comprenne parfaitement mon accent danois. Comprenez par là que s'il a du temps à donner à ses brebis égarées, sans doute choisira t-il celles qui le vénèrent régulièrement. Passer sa colère sur autre chose? C'est déjà ce que je fais. Syu m'en est témoin! Je hoche la tête de gauche à droite. Le dépit me gagne. Être enfermé dans cette cage ne fait qu'augmenter le noir en moi. D'un geste rageur du pied, j'ouvre la porte et sors en trombe du confessionnal. Je respire lourdement. Une goutte de sueur perle de mon front. J'ai besoin de retrouver mon calme ou tout au moins abaisser la pression que je ressens. Mes poings s'écrasent violemment contre la table. La douleur qui s'infiltre alors jusqu'à mon esprit en passant par l'échine a l'effet escompté. Mon esprit est distrait. Il dévie son attention vers une autre source de tracas. Le noir reflue un instant. Je frotte les revers de mes mains endoloris par le chêne de la table. Faire passer sa rage ailleurs? Effectivement, c'est une distraction qui fonctionne mais qui est ô combien couteuse! Et qui, je le sais par expérience, ne dure pas...
Je passe ma main dans les cheveux. Je réajuste une mèche qui commençait à m'irriter sérieusement. Puis je me retourne dans le confessionnal. J'ai besoin de terminer ce que j'ai commencé
Mon père, il y a peu j'ai rencontré par le plus grand des hasards une dame écossaise. Celle-ci a reconnu en moi un fils qu'elle a eu à Hoy, dans les Orcades. Elle m'a dit avoir eu le bassin fracassé par son époux d'alors celui qu'elle prétend être mon père fracassé pour me permettre de naitre vivant.
Mon père, tout cela contribue à mon instabilité actuelle. Je ne sais si cette dame est ma mère. Je doute mon père! Cette rencontre fortuite ce hasard des plus incroyables!.. mais elle connait des détails sur moi. Des détails qu'elle n'aurait pu connaître si j'étais un simple estranger pour elle. Comment Dieu, s'il existe peut-il permettre cela? Comment peut-il me permettre de vivre avec ce fardeau si ces révélations sont vraies? Comment puis-je regarder cette femme droit dans les yeux? Comment peut-elle ne pas me haïr car si elle boite, c'est parce que .je suis en vie! Comment Dieu peut-il permettre tout ça? Comment puis-je croire en l'existence d'un tel Dieu qui accepterait pareille forfaiture? Un Dieu qui se prétend bon?
Et si mon père a poussé l'odieux jusqu'à briser la hanche de sa propre femme pour permettre la naissance de son fils, si cette haine que j'ai en moi est un héritage de ce père, qu'est-ce qui me dit que je n'en n'arriverai pas là un jour moi aussi? Je suis un homme violent, je bois beaucoup. J'ai tout pour croire que je me comporterais ainsi moi aussi.
Tout est dit. Je viens de me vider le cur de tous les tourments qu'il ressent. Je ne sais si je trouverais ce soir les réponses que je cherche depuis longtemps. Mais cela m'a fait du bien d'en parler.
* Gustave Flaubert
_________________
Ainsi donc, même ici il n'y a pas de miracles. Rien à faire! C'est ce que je tire comme conclusion des paroles du prêtre. Prier? Je ne suis pas sur que le Très-Haut comprenne parfaitement mon accent danois. Comprenez par là que s'il a du temps à donner à ses brebis égarées, sans doute choisira t-il celles qui le vénèrent régulièrement. Passer sa colère sur autre chose? C'est déjà ce que je fais. Syu m'en est témoin! Je hoche la tête de gauche à droite. Le dépit me gagne. Être enfermé dans cette cage ne fait qu'augmenter le noir en moi. D'un geste rageur du pied, j'ouvre la porte et sors en trombe du confessionnal. Je respire lourdement. Une goutte de sueur perle de mon front. J'ai besoin de retrouver mon calme ou tout au moins abaisser la pression que je ressens. Mes poings s'écrasent violemment contre la table. La douleur qui s'infiltre alors jusqu'à mon esprit en passant par l'échine a l'effet escompté. Mon esprit est distrait. Il dévie son attention vers une autre source de tracas. Le noir reflue un instant. Je frotte les revers de mes mains endoloris par le chêne de la table. Faire passer sa rage ailleurs? Effectivement, c'est une distraction qui fonctionne mais qui est ô combien couteuse! Et qui, je le sais par expérience, ne dure pas...
Je passe ma main dans les cheveux. Je réajuste une mèche qui commençait à m'irriter sérieusement. Puis je me retourne dans le confessionnal. J'ai besoin de terminer ce que j'ai commencé
Mon père, il y a peu j'ai rencontré par le plus grand des hasards une dame écossaise. Celle-ci a reconnu en moi un fils qu'elle a eu à Hoy, dans les Orcades. Elle m'a dit avoir eu le bassin fracassé par son époux d'alors celui qu'elle prétend être mon père fracassé pour me permettre de naitre vivant.
Mon père, tout cela contribue à mon instabilité actuelle. Je ne sais si cette dame est ma mère. Je doute mon père! Cette rencontre fortuite ce hasard des plus incroyables!.. mais elle connait des détails sur moi. Des détails qu'elle n'aurait pu connaître si j'étais un simple estranger pour elle. Comment Dieu, s'il existe peut-il permettre cela? Comment peut-il me permettre de vivre avec ce fardeau si ces révélations sont vraies? Comment puis-je regarder cette femme droit dans les yeux? Comment peut-elle ne pas me haïr car si elle boite, c'est parce que .je suis en vie! Comment Dieu peut-il permettre tout ça? Comment puis-je croire en l'existence d'un tel Dieu qui accepterait pareille forfaiture? Un Dieu qui se prétend bon?
Et si mon père a poussé l'odieux jusqu'à briser la hanche de sa propre femme pour permettre la naissance de son fils, si cette haine que j'ai en moi est un héritage de ce père, qu'est-ce qui me dit que je n'en n'arriverai pas là un jour moi aussi? Je suis un homme violent, je bois beaucoup. J'ai tout pour croire que je me comporterais ainsi moi aussi.
Tout est dit. Je viens de me vider le cur de tous les tourments qu'il ressent. Je ne sais si je trouverais ce soir les réponses que je cherche depuis longtemps. Mais cela m'a fait du bien d'en parler.
* Gustave Flaubert
_________________